Thomas est né en 1984 au Sri Lanka. Adopté à seulement quelques jours par une famille française, il n'a eu comme souvenir de sa naissance qu'une photo de lui aux côtés d'une certaine Madame Pereira, désignée à l'époque comme la directrice du pensionnat qui le recueille. Mais c'est une trentaine d'années plus tard que sa vie bascule, alors qu'un soir il découvre dans un reportage l'existence d'un vaste trafic d'enfants au Sri Lanka dans les années 80. Quand il y reconnaît celle qui est responsable de son adoption, il comprend que lui aussi, fait partie de ces 11 000 enfants arrachés à leur famille contre quelques roupies et adoptés en Europe. C'est alors qu'il décide d'enquêter sur les véritables conditions de son adoption, et de partir pour son pays natal, à la recherche de sa mère biologique.
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AmusantTranscription
00:00 Et je rencontre ma famille en fait.
00:01 Je ressens ce qu'on appelle le lien maternel en fait.
00:03 Je ressens un truc que j'avais jamais ressenti avant.
00:06 C'est ce qui te raccroche à la vie en fait.
00:08 C'est le lien du sang, c'est l'odeur, c'est le toucher.
00:13 J'ai eu tout ça, mais pas les bons pour démarrer ma vie.
00:18 J'étais adopté, j'avais 15 jours.
00:19 Et ça se faisait beaucoup d'adopter les enfants
00:22 vraiment bébés au Sri Lanka.
00:24 Personne ne s'est jamais vraiment posé la question de
00:26 pourquoi c'était possible et comment ça se fait qu'au Sri Lanka
00:29 on avait cette possibilité-là.
00:31 Mon adoption, rien ne m'a jamais été caché.
00:33 Je n'ai jamais demandé à mes parents
00:35 pourquoi je suis noir et vous, vous êtes blanc.
00:36 Il y a même un moment avec ma sœur où,
00:38 quand elle était petite, on a rigolé de ça
00:41 puisqu'elle pensait que dans chaque famille,
00:42 il y avait un enfant noir.
00:43 J'ai toujours hyper bien vécu l'histoire de mon adoption.
00:46 Mes parents adoptifs ont soi-disant rencontré
00:49 ma mère biologique au moment de l'adoption.
00:51 Mais plus tard, on se rendra compte que
00:54 ce n'était pas vraiment ma mère qu'ils ont rencontré.
00:56 Il y a cette Madame Perera dont ma mère parle
00:59 très souvent.
01:00 Cette femme-là fait le lien avec la France
01:02 et permet l'adoption de bébés au Sri Lanka.
01:05 En gros, elle fait la pluie et le beau temps
01:06 sur les adoptions au Sri Lanka.
01:08 Ce que je sais, c'est que dans les années 80,
01:10 c'est le début de la guerre civile
01:11 et que ma famille était trop pauvre pour pouvoir m'élever.
01:14 Et qu'ils ne pouvaient pas m'élever
01:15 parce que c'était le début de la guerre
01:16 et que j'étais parti à l'adoption
01:18 et qu'au final, c'était une chance
01:19 par rapport à mes peut-être frères et sœurs
01:22 qui sont restés au Sri Lanka
01:24 et qui ont vécu 30 ans de guerre civile.
01:26 Au fur et à mesure des années,
01:28 je me rends compte que ma vie aurait pu être
01:30 vraiment différente au Sri Lanka,
01:31 que mon destin a été modifié.
01:34 En grandissant, je ne me sens pas du tout proche
01:37 même du Sri Lanka.
01:38 Je m'identifie bien plus à mon grand-père
01:41 ou à ma mère ou à mes cousins.
01:43 Je suis presque dans le déni du Sri Lanka.
01:46 L'appartenance ou la ressemblance,
01:47 je vais le comprendre vachement plus tard,
01:49 que c'est ça qui m'a manqué.
01:50 Donc du coup, c'est au mois de mai 2019.
01:54 Il y a beaucoup de monde qui me disent
01:56 qu'on regarde, il y a un reportage
01:58 qui s'appelle "Les enfants volés du Sri Lanka"
02:00 qui passe jeudi soir sur Envoyé spécial.
02:03 Et je ne me sens pas du tout concerné avec ça.
02:05 Donc ma première réponse, c'est
02:07 je vais peut-être regarder, mais ce n'est pas
02:09 ma priorité de ce jeudi soir.
02:11 J'ai d'autres choses à faire.
02:12 J'en parle même à ma mère et elle me dit
02:14 "On n'a aucun doute sur ton adoption.
02:16 On est passé par une filière légale.
02:17 On n'a pas versé d'argent liquide."
02:19 Toutes les choses rassurantes que je connais
02:21 de mon histoire.
02:22 Au milieu de la nuit, je n'arrivais pas à dormir.
02:24 Je regarde et puis je découvre
02:26 la première partie du reportage
02:28 où le journaliste explique sur les dix
02:30 premières minutes ce qui va se passer.
02:32 Les deux personnes qui l'a suivi,
02:34 la recherche d'origine au Sri Lanka,
02:35 qu'il y a des juges qui sont mêlés,
02:37 qu'il y a des politiques français.
02:39 Enfin vraiment, je me dis "Mais waouh,
02:41 mais qu'est-ce que c'est que ça ?"
02:43 Et puis c'est des filles qui sont adoptées
02:44 en 82, 83, 84.
02:47 Je me dis "Putain, mais c'est quand même
02:48 mes années et tout ça."
02:49 Enfin, c'est bizarre.
02:50 Et à la dixième minute du reportage,
02:53 le journaliste dit "On a quand même eu
02:56 la chance, alors pour un fait journalistique,
02:59 de pouvoir rencontrer une des têtes
03:01 principales de ce réseau
03:04 de trafic d'enfants international
03:05 qui s'appelle Madame Pereira."
03:07 Tout s'effondre puisque un quart d'heure avant,
03:10 je n'étais pas concerné par ce reportage.
03:12 Je mets ma marche arrière et je...
03:14 "Madame Pereira, ce n'est pas possible."
03:16 Et du coup, Madame Pereira,
03:17 c'est grâce à elle que mes parents m'ont eue.
03:19 Et là, en l'espace de dix minutes,
03:22 je me retrouve plongé là-dedans,
03:25 tout seul dans mon salon,
03:26 à me dire "Mais waouh, qu'est-ce que c'est ?"
03:29 Donc, je crois que je me mets à pleurer
03:32 tout de suite.
03:32 Il est super bien fait, ce reportage.
03:35 Il y a énormément de photos
03:37 puisque les filles qui ont été suivies
03:39 ont donné des photos de leur famille,
03:41 ont été prises au Sri Lanka
03:42 au moment de leur adoption.
03:43 En fait, j'ai presque l'impression
03:44 de voir mes parents sur ces photos
03:46 et d'entendre le récit de mes parents,
03:49 qu'on est venu les chercher à l'aéroport,
03:51 qu'on les a emmenés dans une pension.
03:52 Après, dans le reportage,
03:54 ils disent que la pension
03:55 dans laquelle nos parents sont hébergés
03:57 appartient à la famille Pereira.
03:59 Les bébés sont présentés
04:00 dans la chambre d'hôtel, fin de la pension.
04:03 Et après, il y a une pseudo-photo
04:05 qui est prise avec une mère actrice
04:07 ou une vraie mère,
04:08 puisqu'il y en a qui ont leur vraie mère
04:09 sur la photo
04:10 et d'autres, des mères actrices comme moi.
04:13 En fait, j'apprends tout pendant le reportage
04:14 puisque les filles qui ont été suivies
04:16 et le journaliste ont fait un boulot extraordinaire
04:19 puisqu'ils sont quand même allés chercher
04:21 jusqu'au courrier diplomatique de l'époque
04:23 de l'ambassadeur français qui était au Sri Lanka
04:26 qui dénonce un trafic international d'enfants
04:29 et qu'il faut arrêter de valider les passeports.
04:31 On a laissé faire ça
04:33 en pleine connaissance de cause.
04:35 Ce que j'apprends sur ce trafic d'enfants,
04:38 c'est qu'il y a plusieurs méthodes.
04:39 Il y a la méthode "baby farm".
04:41 Donc pour les enfants qui sont dans les campagnes
04:44 et éloignés des villes,
04:46 donc là, ces enfants sont pris à leur famille
04:48 par je ne sais quelle méthode,
04:50 un échange d'argent mais très faible
04:52 ou carrément arraché à leur mère
04:54 ou pris directement à la maternité.
04:58 Et ces enfants sont stockés dans des bâtiments
05:00 qu'on appelle des "baby farm"
05:02 jusqu'à partir à l'adoption.
05:04 Donc c'est des enfants qui sont souvent dénutris,
05:07 malades, la gale.
05:08 Moi, je suis revenu avec, j'avais la gale
05:10 quand j'étais bébé en France.
05:11 Et il y a l'autre méthode
05:13 où je pense qu'on fait croire aux femmes
05:16 qui ont des enfants hors mariage,
05:18 bien sûr, puisqu'on est beaucoup à être nés hors mariage
05:21 alors de tout ce qu'on veut,
05:24 on n'a pas forcément les détails.
05:25 Moi, j'apprendrais par la suite
05:27 que ma mère a eu un ticket de bus
05:29 et quelques roupies pour rentrer chez elle.
05:31 Ma mère biologique n'a jamais signé
05:34 les papiers d'adoption en fait.
05:36 Ils sont signés par un juge,
05:37 ils sont signés par mes parents adoptifs,
05:39 mais elle, elle n'a jamais vraiment donné son accord
05:43 et elle ne savait pas où j'allais en fait,
05:45 elle ne savait pas ce qu'il allait se passer.
05:46 Mes parents adoptifs, en fait,
05:48 se sont encore fait plus savoir
05:50 puisque eux, ils étaient dans un process
05:53 d'adoption cline et bienveillante
05:56 et que tout était cadré
05:57 et que c'était très rassurant.
05:58 Mon père adoptif était très procédurier.
06:01 Du coup, j'ai la chance d'avoir au franc prêt
06:04 le détail des dépenses
06:05 qui ont été faites pour mon adoption.
06:07 Je finis le reportage
06:09 et en fait, je vais tout de suite sur Internet.
06:11 Je regarde vraiment tout ce qu'il y a autour de tout ça
06:14 et je me rends compte qu'il y a une convention à l'AEC
06:17 et que la France n'a jamais ratifié,
06:19 qu'il y a encore 80 pays concernés
06:22 par l'adoption internationale,
06:24 presque autant concernés par les adoptions illégales.
06:26 Ça me conforte dans tout ça
06:28 et j'attends que le petit matin se lève,
06:30 que les enfants se réveillent
06:32 et j'en parle tout de suite à ma compagne.
06:34 Et en fait, je vois dans ses yeux qu'elle comprend tout de suite.
06:36 Elle comprend tout de suite
06:37 qu'il y a quelque chose qui se passe vraiment,
06:39 que ça m'a marqué.
06:41 Et donc là, j'appelle ma mère,
06:42 mais je lui dis "Maman, il faut qu'on se rappelle ce soir.
06:45 Je viens de regarder le reportage, ça ne va pas du tout."
06:48 Elle me dit "Mais Thomas, mais ce n'est pas possible."
06:50 Enfin bon, dans son discours de maman choqué,
06:54 elle raccroche et je sais que...
06:56 J'imagine, on n'en a jamais vraiment parlé,
06:58 mais j'imagine qu'elle a passé une journée compliquée.
07:00 Donc ma mère regarde le reportage en fin de journée.
07:03 Elle m'appelle et elle me dit "Bon, il faut qu'on se voit,
07:06 il faut qu'on en discute, il faut qu'on regarde ce dossier."
07:09 Donc on regarde mon dossier d'adoption ensemble.
07:11 On découvre les frais qui ont été engendrés pour mon adoption,
07:15 qui sont quand même vachement importants pour l'époque.
07:16 On est dans les années 80.
07:18 Les nuits d'hôtel ne coûtent pas 200 euros.
07:21 Là, on est presque sur ces tarifs-là.
07:23 Et il y a énormément de frais juridiques,
07:26 d'assistantes sociales,
07:28 des frais en France pour une association.
07:31 Tout cumulé, on arrive quand même à une somme importante pour l'époque.
07:35 Ça fait 4000 euros, 4500 euros.
07:36 Sans parler de billets d'avion et de tous les frais annexes.
07:40 Pour le Sri Lanka, c'est énorme.
07:41 Ma famille, en général, a une situation confortable.
07:44 Donc ça n'aurait pas été un frein à cette époque-là.
07:47 Moi, c'est des petits montants, mais il y a eu des plus gros montants.
07:49 Des familles qui avaient des listes de cadeaux
07:52 carrément à ramener là-bas sur place.
07:55 Ils ciblaient bien les familles avec qui ils le faisaient.
07:56 Ils avaient compris que mon père n'était pas très rigolo là-dessus.
07:59 Ça ne lui a pas été demandé.
08:01 Et Mme Pereira, de l'autre côté, le dit dans le reportage clairement,
08:06 qu'il fallait qu'elle nourrisse sa famille, elle aussi,
08:09 et que ce soit des enfants ou autre chose,
08:11 il fallait qu'elle gagne sa vie.
08:14 Elle raconte ça en toute impunité,
08:16 puisque pour elle, déjà d'une, il y a prescription.
08:18 Elle sait qu'elle ne sera pas embêtée.
08:19 C'est pour ça qu'elle a accepté de rencontrer le journaliste.
08:22 S'il n'y a personne qui s'engraisse là-dessous, ça n'a aucun intérêt.
08:26 Donc forcément, c'est des affaires qui sont tout de suite éteintes.
08:29 Et en fait, je comprends qu'il faut que je recherche mes origines très rapidement.
08:32 Donc je récupère mon dossier, je scanne tous les documents,
08:35 je les envoie à la personne qui gère Infofraud Sri Lanka.
08:38 Elle me dit "je vais transférer ton dossier à Andrew,
08:41 qui est au Sri Lanka, qui est un Sri Lankais,
08:44 et qui va s'occuper d'aller chercher ta famille en fonction de ton dossier,
08:47 de ce qu'on trouve dans ton dossier".
08:49 Donc là, je reçois un message WhatsApp d'Andrew,
08:51 qui se présente à un monsieur, vraiment d'une cinquantaine d'années,
08:55 qui, je pense, a été concerné de très près par ses adoptions,
09:00 qui est très croyant, qui est très pratiquant,
09:03 et qui a besoin de nous aider.
09:05 C'est mon ange à moi, en fait, Andrew.
09:08 Donc là, il m'explique que mon dossier a été falsifié à plusieurs niveaux.
09:12 La photo sur ton passeport, ce n'est pas un bébé qui a moins de 15 jours.
09:16 Donc on voit bien que la photo est fausse et que ce n'est pas toi sur le passeport.
09:19 Ta mère biologique, on la voit sur plusieurs diapos d'autres familles.
09:22 Donc ce n'est pas elle ta mère.
09:25 Sa date de naissance paraît bonne, son nom paraît bon,
09:28 et tu as de la chance, l'adresse postale qui est écrite dans ton dossier est bonne.
09:34 Donc il me dit "c'est au sud de Colombo, je vais m'y rendre dans les prochains jours,
09:37 et on verra ce qu'il en est, je te rappelle".
09:40 En fait, là, je commence à ressentir le besoin d'y aller au Sri Lanka.
09:43 Ça commence à venir, l'été passe, et Andrew me rappelle.
09:47 Il me dit "bon écoute, je suis allé à cette adresse,
09:50 j'ai rencontré une femme qui serait ta mère biologique,
09:54 mais qui pour le moment me dit que ce n'est pas elle".
09:57 Elle nie complètement la chose.
09:59 Il me dit "t'inquiète pas, je sais que c'est elle,
10:01 elle va mettre un peu de temps, elle va avouer,
10:03 je pense que personne de sa famille est au courant".
10:05 Et là, je l'ai pris sur le fait avec ses sœurs, son fils.
10:09 Je lui dis "son fils, ça veut dire que j'ai un petit frère".
10:12 Il me dit "c'est ton demi-petit frère, puisqu'il est d'une autre union".
10:15 "Mais t'inquiète pas, je suis en train de border tout ça, et je reviens vers toi".
10:20 Claire est en train de bosser dans son bureau,
10:23 et je lui dis "mais en fait, moi aussi je veux y aller".
10:25 Il faut que je prenne des billets d'avion, il faut que j'y aille vite,
10:28 parce que je ne peux plus attendre, ça fait trop longtemps.
10:30 Peu importe que ça soit ma mère ou pas, mais il faut que j'aille là-bas.
10:33 Et Claire me dit "bon ben écoute, je vais faire une cagnotte,
10:36 et on va la diffuser, et puis on verra,
10:39 et puis dès qu'on a les sous, tu prendras des billets d'avion et puis tu y vas".
10:43 Ça est allé hyper vite, parce que nos amis proches et notre famille,
10:47 et tout le monde a été ultra touché par ça.
10:50 J'avais de quoi prendre un billet d'avion,
10:51 et je n'ai pas encore la réponse de savoir si c'est ma mère biologique ou pas.
10:56 Andrew a un appel d'un de mes oncles qui lui dit
11:01 "écoute, c'est bien sa mère, elle a bien eu un enfant,
11:05 elle nous l'a caché, on ne le savait pas, elle veut bien faire le test ADN".
11:08 Moi je fais mon test ADN, quand j'arrive sur place,
11:10 on n'a toujours pas le résultat.
11:12 Je prends l'avion sans vraiment savoir si c'est ma mère biologique ou pas,
11:16 mais en fait ça n'a aucune espèce d'importance,
11:18 parce que j'ai besoin de savoir d'où je viens.
11:20 La porte de l'avion s'ouvre,
11:22 je n'ai jamais été accueilli comme ça, même par un douanier en fait.
11:25 J'ai galéré toute ma vie à passer des frontières,
11:28 j'ai beaucoup voyagé, j'ai raté des avions,
11:31 j'ai vécu des contrôles pas possibles.
11:33 Là j'arrive dans un pays où on m'ouvre les bras et on me dit
11:37 "bienvenue chez toi, tu es un enfant du pays".
11:40 Ce douanier me donne foi en ce qui va se passer en fait
11:45 par rapport à la suite de mon voyage.
11:47 Il me demande pourquoi je suis là et je lui dis que je viens chercher mes origines.
11:50 Et là je le vois dans son visage,
11:53 ce type de 50 ans, il commence à comprendre qu'il a en face de lui un enfant
11:57 qui aurait peut-être dû grandir avec son fils à lui ou avec son petit frère.
12:02 Il sort de son bureau de douanier et là il me prend dans ses bras et me dit
12:07 "bon voyage, en fait je me sens chez moi comme jamais j'ai été nulle part".
12:12 Mais vraiment ?
12:14 Et au bout du couloir, il y a Andro qui m'accueille pareil,
12:17 les bras ouverts comme si j'étais son fils.
12:21 Sur les 4-5 premiers jours de mon voyage,
12:24 il a la réponse du test ADN qui est positif à 99,9%.
12:30 Donc c'est bien ma mère biologique.
12:32 Je dis à Andro "je ne veux pas attendre 3 jours Andro,
12:35 je veux y aller demain matin".
12:36 Il me dit "ok bon je me débrouille, j'organise tout ça".
12:39 J'ai passé une nuit où j'ai failli changer mes billets d'avion pour rentrer plus tôt
12:43 parce que j'étais aussi dans le chemin inverse où je me disais
12:47 "en fait je ne veux pas y aller, je veux y aller, je ne veux pas y aller".
12:49 La nuit a été horrible.
12:51 Je pense que j'avais peur de ce que j'allais trouver.
12:54 Pas peur d'être rejeté mais peur de ce que j'allais trouver.
12:56 Donc là il est 9h du matin, Andro vient me chercher,
12:59 il m'emmène et il me dit "bon c'est maintenant, on est dans son van tous les deux".
13:03 Et là on se retrouve dans une toute petite rue.
13:06 Je sens que tout le monde m'attend en fait.
13:08 Je sens que tout le quartier est au courant et que tout le monde m'attend.
13:11 Il y a un seul regard qui matche avec le mien,
13:14 c'est celui de ma mère biologique en fait.
13:17 Et elle vient tout de suite vers moi et je la prends dans mes bras et elle pleure.
13:23 Et on pleure.
13:24 Mon demi-petit frère qui nous rejoint qui pleure aussi beaucoup.
13:28 Il y a son mari qui vient aussi, qui pleure beaucoup,
13:31 qui est je pense très touché par ce qui se passe.
13:34 Et puis au fur et à mesure la pression redescend
13:37 et donc mes tantes, mes oncles, mes cousines, mes cousins arrivent
13:41 et je rencontre ma famille en fait.
13:43 Je ressens ce qu'on appelle le lien maternel en fait.
13:45 Je ressens un truc que je n'avais jamais ressenti avant.
13:48 C'est ce qui te raccroche à la vie en fait.
13:50 C'est le lien du sang, c'est l'odeur, c'est le toucher.
13:56 J'ai eu tout ça mais pas les bons pour démarrer ma vie.
14:02 Donc je découvre l'odeur de ma mère à 35 ans
14:05 et je découvre sa main dans mes cheveux, ce que fait une maman à son fils.
14:12 J'ai des cousines qui parlent anglais.
14:14 Donc tout de suite elles viennent vers moi
14:16 et elles m'expliquent qu'elles sont mes cousines
14:18 et qu'on a le même âge et qu'elles sont ultra heureuses que je sois là
14:23 et qu'elles ont besoin de me parler et de m'expliquer
14:25 ce que ma mère leur a raconté sur ma vie,
14:28 enfin sur sa vie et sur mon histoire en fait.
14:30 Puisqu'elles me disent que c'est des trucs que personne ne savait,
14:33 que même mes tantes ne savaient pas qu'elle a raconté très récemment,
14:38 après le passage d'Andrew en fait.
14:39 Elle m'a raconté vraiment comment ça s'est passé
14:41 et que j'ai été arraché de ses bras, j'avais un jour,
14:45 et qu'on lui a donné un ticket de bus et quelques roupies pour qu'elle rentre chez elle.
14:50 Ma mère on lui dit qu'on va s'occuper de moi
14:52 et que de toute façon je ne suis pas un enfant né dans un mariage
14:56 et qu'elle ne peut pas me garder.
14:57 Mon père biologique était sûrement un des lieutenants de Madame Pereira,
15:02 sûrement là pour mettre les femmes enceintes le plus possible,
15:07 pour avoir des bébés à donner à l'adoption,
15:09 mais être né d'un peu plus tôt.
15:11 Je pense que c'est quelque chose que je mets de côté
15:15 et je n'ai pas vraiment envie de savoir ce qu'il en est en fait.
15:18 J'en sais déjà bien assez.
15:19 Ma mère n'en a pas du tout parlé, il y a aussi une honte derrière tout ça.
15:23 Au fond d'elle, elle devait attendre que je revienne.
15:25 Je pense qu'une des plus belles phrases qui m'a été dite là-bas,
15:28 c'est son nouveau mari qui m'a dit "merci d'être venu,
15:32 c'est la première fois que je vois ma femme sourire".
15:35 Donc je pense que c'était une femme qui était éteinte.
15:37 Mais comment on peut vivre en ayant perdu son enfant sans savoir où il est ?
15:41 Assez hype question de demande de photo,
15:45 de "qu'est-ce que je fais, d'où je viens, comment j'ai vécu,
15:48 et comment ça se fait que je ne suis jamais venu avant,
15:51 et pourquoi, et ma femme, et mes enfants".
15:54 Ça veut dire qu'on a des neveux, des nièces, des petits-enfants,
15:58 des cousins, des cousines.
15:59 Pour eux, je deviens le cousin, le frère, le neveu européen,
16:04 qui a une vie, mais qui a en même temps ses racines ici.
16:08 Là, pour la première fois de ma vie, je sens que je suis c'est moi.
16:13 Ça m'a complété, ça m'a changé.
16:15 Ça a changé la vie pour mes enfants, pour ma femme,
16:19 pour ma mère, pour ma sœur aussi,
16:21 parce que ça n'a pas été facile pour elle non plus.
16:23 Pendant une semaine, j'y vais tous les jours quasiment.
16:26 J'y vais cinq jours de suite.
16:28 Et donc je fais le tour du Sri Lanka tout seul.
16:31 Et là, je fais toutes les rencontres qui vont aiguiller ma vie, en fait.
16:34 Je fais la première partie de mon voyage avec Andrew.
16:36 Il m'emmène dans les lieux sains et importants du Sri Lanka,
16:41 et je découvre le pays comme ça pendant 15 jours.
16:45 Le plus dur a été de partir du Sri Lanka,
16:47 parce que j'ai senti que je quittais quelque chose
16:49 que je ne retrouverais pas tant que je ne reviendrais pas.
16:52 Je savais que mes racines étaient au Sri Lanka,
16:55 et que ma vie était en France.
16:56 La colère, elle revient quand je commence à redescendre
16:59 et que je suis à Lyon et que je dois re-rentrer dans mon train-train,
17:04 et que je me rends compte qu'en fait, je ne suis pas tout seul.
17:07 Le Cambodge, le Vietnam, la Corée, où on parle de 250 000 adoptions.
17:12 L'Afrique, où en fait, le mot "adoption" n'existe pas.
17:16 Mais on fait signer des papiers à des gens qui ne savent ni lire ni écrire
17:19 et qui ne reverront jamais leurs enfants.
17:21 C'est une catastrophe.
17:23 Parce que j'ai des enfants maintenant,
17:24 et que j'ai beaucoup d'analogies et d'images
17:27 qui me font dire qu'il n'y a pas de riches indiens
17:30 ou de riches africains qui viennent en France ou aux Pays-Bas
17:33 et qui prennent un petit blanc et qui l'emmènent chez eux
17:35 et qui se disent "Youpi, on a un enfant et ça n'existe pas".
17:39 C'est un non-sens.
17:40 Donc c'est vraiment quelque chose de très blanc, de très caucasien,
17:45 l'adoption, ce pouvoir d'aller chercher des enfants à l'autre bout du monde,
17:50 parce que la valeur humaine n'est pas la même.
17:52 Et qu'on ne se pose pas la question de déraciner un bébé.
17:56 Qu'est-ce qu'il va devenir par la suite ?
17:57 Quelle va être sa vie ? Quel va être son ressenti ?
18:00 On va devoir...
18:01 Cet enfant, alors je dis cet enfant, mais c'est moi,
18:03 doit se former à aimer les gens qu'il a autour de lui.
18:06 On n'a pas le droit de déraciner un enfant.
18:08 Quand en plus c'est une décision qui a été prise par des adultes pour un enfant,
18:12 eh ben on est en train d'assimiler ça à du trafic d'enfants.
18:17 C'est en train d'être reconnu,
18:19 et ça va être reconnu comme crime contre l'humanité.
18:22 Par l'intermédiaire d'une amie commune,
18:24 je rencontre Emma, une des fondatrices de RAIF,
18:29 qui est une association pour défendre les enfants français
18:33 issus de l'adoption internationale.
18:35 Et je suis séduit par l'idée, parce qu'elle n'a rien à vendre.
18:39 Elle est juste là pour faire du plaidoyer,
18:41 convaincre les politiques et les institutions qu'on a besoin d'aide,
18:45 orienter les adoptés vers les bonnes institutions,
18:49 vers les bonnes personnes.
18:50 Et je me dis, c'est ça que je veux faire.
18:52 Donc en plus, je me rends compte que la recherche d'origine
18:55 commence à être monétisée.
18:57 Donc je me dis, c'est trop en fait, c'est trop, il faut que ça s'arrête.
19:00 Aujourd'hui, on agit sur orienter les adoptés vers les bonnes structures
19:05 pour leur recherche d'origine.
19:06 On pousse aussi de nombreux textes de loi
19:11 pour nous aider à structurer l'adoption internationale.
19:15 On aimerait qu'il y ait une véritable institution
19:17 qui soit créée autour des enfants adoptés.
19:21 Qu'on n'ait pas à créer des cagnottes litchis
19:23 quand on a envie de retourner rechercher ses origines.
19:26 Que les dossiers soient accessibles
19:27 et qu'on change ce format d'adoption internationale
19:30 en adoption nationale
19:32 et qu'on arrête de déraciner les enfants pour un oui ou pour un non.
19:36 Alors oui, je suis chanceux.
19:38 Oui, j'ai eu de la chance de ne pas vivre 30 ans de bière civile.
19:41 Oui, j'ai eu de la chance de pouvoir avoir un super job,
19:44 d'avoir une femme, des super enfants, une super famille,
19:47 que tout est beau, tout est rose.
19:48 Mais mon destin, ce n'était pas ça.
19:50 Mon destin, ma vie, ça aurait dû être le Sri Lanka,
19:52 la guerre civile, peut-être dormir dans les rues,
19:55 peut-être devoir aider ma famille très jeune pour travailler.
20:01 Mais ma vie, ça aurait dû être ça.
20:03 C'est un sentiment un peu schizophrène au final,
20:07 parce qu'on a une vie
20:10 et on connaît celle qu'on aurait dû avoir.
20:12 Mais si j'avais vraiment eu ma vie au Sri Lanka,
20:14 je n'aurais pas pu connaître celle-là.
20:17 En parallèle de mon engagement associatif,
20:19 j'ai encore très régulièrement des contacts avec ma famille biologique,
20:24 surtout mon petit frère.
20:25 Il est ultra touchant parce qu'il m'envoie souvent des messages
20:29 au milieu de la nuit, puisqu'il y a le décalage horaire.
20:32 Il m'appelle de temps en temps avec ma mère,
20:35 parce qu'elle, elle veut juste me regarder.
20:37 Donc je pose le téléphone et je travaille généralement.
20:41 C'est souvent quand je travaille ou quand je conduis.
20:42 Et lui, il est à côté et il raconte des bêtises en anglais.
20:46 Après, le prochain projet, c'est d'y aller en famille, forcément.
20:49 C'est leur histoire aussi à eux.
20:50 Et c'est aussi pour eux que j'ai fait ça, en priorité pour moi.
20:54 Mais ça découle aussi sur beaucoup de monde autour de moi.
20:59 Si le Thomas de maintenant était assis à côté du petit Thomas,
21:04 il y a 30 ans, en fait, je ne pourrais pas lui mentir.
21:07 Je pourrais que lui dire, je pourrais que lui dire,
21:10 tu vas en chier, ça va être compliqué.
21:12 Mais tu seras toujours bien entouré.
21:14 Il y aura toujours les bonnes personnes autour de toi.
21:16 Et tu vas arriver à faire le tri avec les mauvaises.
21:19 Mais reste bien d'accrocher parce que ça va être dur.
21:21 Merci.
21:22 Merci à tous !