Aujourd’hui écrivaine (N’Ba, Au nom de tous les tiens), Aya Cissoko a été trois fois championne du monde de boxe avant de raccrocher les gants et d’intégrer Sciences-Po. Un parcours et une personnalité hors du commun, qui prennent racine dans son enfance parisienne, au sein d’une famille malienne marquée par les épreuves.
Danbé, coécrit avec Marie Desplechin, lui a ouvert la voie de l’écriture par laquelle elle exprime désormais sa sensibilité et ses convictions.
Rencontre du samedi 10 février 2024 animée par Sonia Déchamps, éditrice.
Danbé, coécrit avec Marie Desplechin, lui a ouvert la voie de l’écriture par laquelle elle exprime désormais sa sensibilité et ses convictions.
Rencontre du samedi 10 février 2024 animée par Sonia Déchamps, éditrice.
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00:00:00 Bonsoir à toutes et à tous. Bonsoir Aya Sisoko. Bonsoir. Merci d'être avec nous ce soir. Aya,
00:00:14 vous êtes triple championne du monde de boxe, comédienne, autrice, Anne Ladi. Et dans le
00:00:20 cadre de ce cycle Fair Play, le Forum des images vous a donné carte blanche. Vous avez
00:00:25 choisi trois films qu'on peut voir à l'écran. Raging Bull de Martin Scorsese qui a été projeté
00:00:31 cet après-midi. La beauté du geste de Sho Miyake projeté ce soir à 20h30 et Rangaine de Rachid
00:00:37 Jaidani qui sera projeté demain à 20h30. Alors on va faire des allers-retours au cours de cette
00:00:42 discussion entre ces films, votre parcours Aya et vos questions et réflexions à vous dans le public.
00:00:49 N'hésitez vraiment pas au cours de la discussion, même s'il y aura évidemment un temps aussi dédié
00:00:54 à la fin de cette rencontre. Mais c'est avec vos mots Aya que j'aimerais débuter cet échange.
00:01:00 Vos mots dans le message que vous avez posté sur Instagram pour annoncer cette rencontre. Je vous
00:01:06 lis. Le sport est politique et plus particulièrement la boxe qui concentre entre ses cordes les luttes
00:01:12 raciales et la lutte des classes. Bonsoir à toutes et à tous. Merci d'avoir fait le déplacement,
00:01:19 malgré la pluie, parce que j'hésite à venir. Merci d'être là. Mais oui, effectivement,
00:01:28 en France, on a aussi une posture qui consiste à dire que voilà pas de sport, pas de politique,
00:01:36 pas de religion, comme si le sport était débarrassé de toutes les problématiques
00:01:41 sociétales. Donc, il est important, effectivement, de dire, de rappeler, de clamer que le sport est
00:01:49 timidement politique. De nombreuses luttes s'y sont menées, continuent à être menées par les
00:02:01 pratiquants, pratiquantes et donc, voilà, il faut le dire et l'assumer. On va évidemment développer
00:02:12 tout cela au cours de la rencontre, mais je trouvais ça important de pointer ça dès le
00:02:18 début parce que ce sont aussi les premiers mots que vous m'avez dit quand on a échangé. On
00:02:23 développera par la suite, mais effectivement, oui, je le dis, je l'assume et je le revendique.
00:02:28 J'ai fait le choix, en tout cas, de faire du sport, des espaces politiques, effectivement,
00:02:35 afin de mener des luttes politiques et donc, qui bénéficieront au plus grand nombre. Ça,
00:02:44 c'est vraiment quelque chose qu'il faut le dire, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de victoire sans
00:02:50 combat et d'où l'importance de politiser ces espaces. Trois films carte blanche, je le disais,
00:02:59 et je vous propose pour amorcer la discussion de commencer par le plus connu de tous, en tout cas,
00:03:05 des trois que vous avez choisis et qui a été projeté cet après-midi, "Raging Bull" de Martin
00:03:09 Scorsese, donc biopic sur le boxeur Jacques Lamotta, boxeur italo-américain surnommé le
00:03:15 taureau du Bronx. Alors là, on est dans les années 40-50. Pourquoi ce choix ? Une évidence ?
00:03:20 Alors, une évidence, c'est un film référence sur la boxe. C'est un film qui a été multiprimé.
00:03:28 Enfin, c'est Martin Scorsese, on ne va pas faire son CV. Ce sont des choix cinématographiques
00:03:33 audacieux. Par contre, il faut aussi dire que Lamotta, je vais être vulgaire, mais est un
00:03:43 vrai connard. Non, non, non, non, c'est... Il faut être très, très honnête. Enfin, je veux dire,
00:03:48 c'est quelqu'un de violent, de tricheur, de... Oui, au-delà de ses performances plugilistiques.
00:04:02 Après, ce qui m'intéressait aussi dans ce choix, c'est aussi de montrer les progrès qui ont été
00:04:10 faits. C'est-à-dire que ce film-là pouvait exister dans les années 80. Peut-être plus maintenant,
00:04:20 en tout cas, raconté de cette manière-là. Et l'autre point aussi, qui... Voilà, l'autre...
00:04:26 Enfin, les autres... L'autre point qui a commandé ces choix, c'est que les réalisateurs, que ce
00:04:33 soit pour "La beauté du geste" et pour "Raging Bull", ont fait véritablement le choix de se
00:04:37 centrer sur l'intime du boxeur et de la boxeuse. Finalement, en fait, oui, essayer de percer ce
00:04:46 mystère qui justifie à un moment donné que des individus fassent le choix de ce sport-là.
00:04:50 Pourquoi j'accepte de donner, de prendre des coups ? Et donc, ce sont des raisons, finalement,
00:04:55 qui dépassent l'instinct du ring. Et là, c'est aussi une raison supplémentaire pour politiser
00:05:00 le propos. - Et peut-être, puisque vous disiez que Jack Lamotta, c'était un connard,
00:05:07 je reprends vos mots, peut-être quand même, puisqu'on parle de grandes figures, de la boxe,
00:05:13 dévier un tout petit peu de "Raging Bull", mais pour évoquer d'autres grandes figures,
00:05:18 et notamment Jack Johnson, qui est le premier boxeur noir à pouvoir combattre dans la catégorie
00:05:23 poids-lourd. Est-ce que vous pouvez nous en dire un mot de ce boxeur ? - Oui, parce qu'effectivement,
00:05:29 quand on parle justement de lutte raciale, il y a des trajectoires comme celle de Jack
00:05:38 Johnson, donc boxeur noir, issu d'un milieu très pauvre, et donc qui trouve là le moyen,
00:05:46 finalement, de s'extraire de sa condition sociale, mais à une époque où noir et blanc
00:05:52 n'ont pas le droit de combattre dans la catégorie reine, donc qui est celle des poids-lourds.
00:05:57 Et donc finalement, dans un premier temps, en combattant contre le Canadien Burns, puis
00:06:05 contre Jeffries, donc un Américain, Jack Johnson finalement va rompre cet interdit.
00:06:16 En plus, il va le battre. Et donc là, c'est un coup de tonnerre. Un coup de tonnerre,
00:06:23 il est inconcevable effectivement qu'un noir puisse battre un blanc qui plus est dans
00:06:27 la catégorie reine. Et puis, Jack Johnson, ensuite, c'est aussi cette trajectoire, en
00:06:32 fait, tragique. C'est-à-dire que je compare un peu sa trajectoire avec celle de Mohamed
00:06:41 Ali, parce que c'est quelqu'un, en fait, finalement, qui va assumer pleinement qui
00:06:48 il est. Il est hors de question finalement de négocier, de renoncer à ne serait-ce
00:06:53 une partie de son identité. Donc, je suis ce que je suis et je fais ce que je veux.
00:06:57 C'est-à-dire que vos lois ségrégationnistes ne me concernent pas. Ou en tout cas, elles
00:07:02 sont là, elles existent, mais j'ai décidé de m'en affranchir à ma manière. Et donc,
00:07:07 il va bien évidemment faire ce combat contre Jeffries et donc défaire ce boxeur blanc.
00:07:11 Il va avoir une liaison avec une blanche. Il va en fait. Voilà, cet homme a décidé
00:07:19 d'être libre et c'est voilà, je trouve ça extraordinaire.
00:07:23 - Et en cherchant justement des choses sur Jack Johnson, j'ai vu qu'il y avait eu un
00:07:28 film dans les années 70 sur lui. Donc, "L'insurgé" de Martin Reed. Si quelqu'un, si une personne
00:07:35 dans la salle l'a vu, pourra peut-être nous dire ce qu'elle en a pensé. En tout cas,
00:07:38 j'ai découvert ça. Mais je reviens sur ce que vous disiez sur le fait qu'il était
00:07:42 impensable qu'un noir puisse battre un blanc. Quand on parle de boxe, on pense à Raging
00:07:49 Bull. On pense aussi à Rocky, souvent. Et pourquoi je parle de Rocky ? Alors, pas pour
00:07:53 vous faire analyser le jeu de Stallone, ne vous inquiétez pas. Mais en fait, parce que
00:07:58 quand on m'a proposé d'échanger avec vous, de parler de boxe et de cinéma, j'ai repensé
00:08:02 un livre que j'ai lu il y a un ou deux ans de Loïc Artyaga qui s'appelle "Rocky, la
00:08:07 revanche rêvée des blancs". Et dès l'avant-propos de ce livre, l'auteur, il rappelle qu'en
00:08:12 fait, Rocky, qui est donc un personnage de fiction, a totalement éclipsé la carrière
00:08:18 de Larry Holmes qu'on peut voir à l'écran, un boxeur noir, donc véritable champion des
00:08:23 lourds entre 78 et 85. Et ce nom, on ne l'a pas retenu parce qu'on retient le nom de Rocky.
00:08:29 - Exactement. Et c'est là où je dis aussi que le sport est timidement politique, c'est-à-dire
00:08:34 qu'on n'arrive pas à défaire les noirs sur le ring, donc dans la réalité. Et donc,
00:08:40 on va créer des héros de fiction, effectivement, pour que cette domination blanche continue
00:08:45 à perdurer dans le temps. Et Rocky va jouer parfaitement ce rôle, qui plus est, en plus,
00:08:54 Apollo Creed vient de décéder, il me semble, cette semaine ou la semaine dernière. Et donc,
00:09:03 en plus, Rocky Balboa fait défait Apollo Creed. Donc là, pour le coup, on est en train
00:09:07 de réparer finalement cette domination blanche. - C'est complètement fou parce que c'est
00:09:13 exactement ce que vous dites, c'est-à-dire que dès le moment où des boxeurs noirs ont
00:09:19 commencé à gagner des titres mondiaux, c'est la fiction qui a pris le dessus. Et il raconte
00:09:25 aussi comment est-ce que, encore une fois, Rocky, qui est donc une fiction, comment est-ce
00:09:30 que dans les vestiaires de boxeurs professionnels, il y a des posters de vrais boxeurs et des
00:09:36 posters de Rocky ? - Non, mais c'est ça. De toute façon, tout
00:09:43 a quasiment été dit. C'est-à-dire que le cinéma, c'est aussi ça. C'est-à-dire que
00:09:49 ce qu'on ne peut pas imposer ou obtenir dans la réalité, eh bien, voilà, le cinéma,
00:10:00 en l'occurrence, va permettre finalement de réparer ça et de permettre à ce que cette
00:10:07 hégémonie blanche perdure. - Vous parliez tout à l'heure, vous évoquiez
00:10:12 le fait que Raging Bull, comme la beauté du geste, se concentre sur l'intimité du
00:10:17 boxeur et de la boxeuse. Peut-être un mot quand même de la façon dont on filme la
00:10:21 boxe au cinéma. Est-ce que vous retrouvez la réalité de votre pratique ? Parce que
00:10:25 moi, qui ne fais absolument pas de boxe, je ne suis pas en mesure de dire si un combat
00:10:30 se passe comme je le vois dans un film. Est-ce que vous retrouvez quelque chose de la réalité
00:10:34 ? - Alors, on va être très honnête. En plus,
00:10:38 c'est une discussion qu'on avait eue juste avant le début de celle-ci avec Anne. Les
00:10:45 Américains, on ne peut pas leur retirer quelque chose. C'est-à-dire que quand ils montrent
00:10:51 de la boxe ou un autre sport au cinéma ou à l'écran, on voit quand même qu'il y
00:10:58 a un véritable travail d'acteur derrière. On sait effectivement que l'acteur ou l'actrice
00:11:04 est astreint à de nombreuses heures d'entraînement pour pouvoir reproduire le geste le plus proprement
00:11:12 possible. En France, c'est beaucoup plus compliqué. C'est-à-dire que j'évite finalement
00:11:20 de me concentrer sur la technique de l'athlète et je me concentre sur la narration. Par exemple,
00:11:28 pour la beauté du geste, dès les premiers mouvements, je sais que ce n'est pas une boxeuse.
00:11:33 Elle est comédienne, une très bonne comédienne, mais elle n'est absolument pas boxeuse.
00:11:37 - Ce que je n'aurais évidemment pas su dire. Tout à l'heure, vous disiez aussi que ce
00:11:45 qui vous intéressait, c'était quand... - D'ailleurs, j'aimerais aussi développer
00:11:53 un point, parce que là, j'y pense tout de suite. Mais ça aussi, ça fait aussi partie
00:11:57 de... ça dit aussi quelque chose de la société. C'est-à-dire qu'on se permet effectivement
00:12:06 de raconter des disciplines qui sont très, très, très majoritairement...
00:12:16 - Majoritairement. - Majoritairement, mais c'est... Excusez-moi.
00:12:20 Majoritairement pratiquées par des individus, hommes et femmes issus de quartiers populaires,
00:12:26 des individus pauvres, donc par d'autres comédiens, comédiennes. Donc, sans avoir
00:12:35 égard justement pour l'investissement qui est celui de celles et celles qui le pratiquent.
00:12:46 Et puis, la plupart du temps, ce sont aussi des gens qui racontent ce sport et qui n'appartiennent
00:12:52 pas du tout finalement à ce milieu-là. Et donc, ça dit aussi quelque chose de la société.
00:12:57 Ça dit, ces trajectoires romanesques nous intéressent, donc on va les raconter.
00:13:03 - Mais sans vous. - Mais sans vous, exactement. Et ça aussi,
00:13:07 c'est très politique. - Et on va évidemment parler de l'importance
00:13:11 de raconter son histoire, de raconter son parcours, de raconter aussi l'histoire de
00:13:17 nos parents. Mais ça, on y reviendra un peu plus tard. J'aimerais qu'on remonte un petit
00:13:21 peu le temps pour que vous nous racontiez comment est-ce que vous, vous avez commencé
00:13:25 la boxe. Vous avez commencé la boxe vers 8 ans dans un club du 20e arrondissement.
00:13:30 Un peu par hasard, je crois que vous avez essayé le tir à l'arc avant de vous mettre
00:13:34 à la boxe et d'autres sports encore. - Oui, effectivement, j'arrive dans une école
00:13:39 primaire du 20e arrondissement qui se trouve au 293 rue des Pyrénées. Et donc, ma mère
00:13:45 prend ses renseignements auprès de l'instituteur, du professeur de gym. Et donc, celui-ci, ce
00:13:51 dernier propose le judo, le tir à l'arc, le volleyball et la boxe. Donc, je vais faire
00:13:55 tous ces sports, que je vais pratiquer au minimum trois ans. Mais il n'y a que la boxe
00:14:05 qui va rester. Et donc, un sport que j'ai pratiqué pendant 20 ans. Et c'est aussi ça
00:14:10 qui est intéressant. C'est qu'on arrive à la boxe, on peut arriver à la boxe par hasard,
00:14:16 mais on n'y reste pas par hasard. Il y a vraiment des raisons très, très intimes qui justifient
00:14:21 notre présence, qui expliquent aussi qu'on accepte de donner et de prendre des coups.
00:14:27 Et c'est aussi ce qui est très bien raconté dans "La beauté du geste". Et c'est ce qui
00:14:31 m'intéressait finalement dans ce film. Cette jeune femme qui arrive dans ce petit club
00:14:38 d'un quartier de Tokyo, qui va arriver très timidement, sur la pointe des pieds au début.
00:14:43 Et puis à un moment donné, qui va trouver justement une famille, une forme de stabilité.
00:14:51 Et qui va finalement pouvoir exprimer les émotions qu'elle ne veut pas verbaliser.
00:14:58 Puisque c'est donc l'histoire de Keiko, qui est une jeune boxeuse tokyoïte et qui est
00:15:03 sourde. Et on va parler effectivement de l'écho qu'on peut retrouver entre votre attachement
00:15:10 à votre club et son attachement, elle aussi, à son club et à son entraîneur. J'aimerais
00:15:14 qu'on reste juste un moment dans l'enfance, justement, puisque vous disiez on ne reste
00:15:18 pas, on ne continue pas la boxe par hasard. Qu'est-ce que vous y avez tout de suite trouvé?
00:15:24 Qu'est-ce que la boxe vous permettait à l'époque?
00:15:29 Qu'est-ce que j'y ai trouvé? C'est qu'on n'avait pas forcément besoin de parler,
00:15:41 de s'exprimer. C'est-à-dire que je pouvais dire les choses sans les verbaliser. Et puis
00:15:50 il y a aussi la boxe, ces entraînements qui ponctuaient ma semaine, c'était aussi une
00:15:56 forme de stabilité. C'était un repère stable tout au long de ma semaine. Et voilà,
00:16:02 quelque chose qui se répétait. C'était des figures aussi qui étaient souvent les
00:16:08 mêmes. Il y avait aussi cette figure de l'entraîneur qui était l'un des rares
00:16:13 finalement dont l'autorité me semblait légitime. Donc j'acceptais finalement de me soumettre
00:16:22 à son autorité. Alors que dans le quotidien c'était beaucoup plus compliqué que ça.
00:16:27 Et puis j'avais aussi ce besoin de sentir mon corps. Et c'est très étrange, c'est
00:16:35 quelque chose que la boxe, le fait de donner des coups et en recevoir me permettait. C'est-à-dire
00:16:44 oui, tu es vivante, tu existes. Donc je pense que ça c'était vraiment dans l'immédiat.
00:16:52 Et par la suite, je me rends compte qu'avec la boxe j'ai appris à être forte, à occuper
00:16:59 l'espace. Parce que quand tu arrives dans une salle et que… Moi j'ai commencé
00:17:05 par la boxe française, donc il y avait deux, trois filles. C'était pas énorme, mais
00:17:12 il y avait tout de même deux, trois filles. Mais déjà arriver, occuper l'espace, dire
00:17:20 que je suis là, que j'existe et que personne ne me fera partir, c'est déjà quelque
00:17:25 chose d'extraordinaire. Et en plus ce sont aussi des apprentissages que j'ai réussi
00:17:31 à appliquer à ma vie quotidienne. Et donc c'est ça, la boxe m'a permis de me rendre
00:17:38 compte que j'étais forte.
00:17:39 Et je vous ai entendu dire également, et c'est un petit peu ce que vous disiez en
00:17:42 disant "je n'avais pas besoin de la parole", je vous ai entendu dire que finalement la
00:17:47 boxe allait précéder les mots. C'est-à-dire que ça participe d'une même énergie,
00:17:52 sauf qu'à ce moment-là, la boxe permettait de dire quelque chose.
00:17:56 Elle permettait de dire quelque chose, mais c'est surtout que… Parce que c'est une
00:18:02 anecdote que je raconte, je ne sais plus si c'est dans Dambe ou M'ba. C'est-à-dire
00:18:07 que c'est aussi un endroit où finalement, malgré le fait que je sois une femme, ou
00:18:14 en tant qu'enfant de pauvre, on m'attend. C'est-à-dire qu'une enfant de pauvre
00:18:19 puisse pratiquer un sport comme la boxe, c'est tout à fait cohérent. Ça répond
00:18:23 aux représentations communément admises.
00:18:28 Et donc c'est vrai que je me souviens justement de la dame qui aidait à entretenir l'école,
00:18:39 qui à un moment donné vient me voir, alors que le professeur de gym est juste à côté,
00:18:43 et qui me dit "alors Aya, comment s'est passé ton trimestre ? Quelles sont tes notes ?"
00:18:48 Et là je lui dis "ça se passe très bien, je suis troisième de ma classe". Et là
00:18:52 soudainement le professeur de gym qui nous interrompt "mais t'es troisième de la
00:18:59 classe toi ?" "ben oui, je suis aussi une bonne élève". Et donc là pour le coup
00:19:05 on ne m'attendait pas comme bonne élève. Et c'est quelque chose finalement qui va
00:19:11 me poursuivre pendant longtemps. On nous considère comme sportive et sportive, par contre dès
00:19:17 qu'il s'agit d'intellect, ça ne répond pas finalement aux représentations. Et voilà,
00:19:26 encore aujourd'hui, ça persiste encore.
00:19:32 J'aimerais qu'on reste un dernier moment dans l'enfance et l'adolescence, et c'est
00:19:39 en lien avec ce que vous disiez, c'est-à-dire que vous étiez aussi une enfant, une adolescente
00:19:45 qui aimait énormément lire. Et il y a un livre qui a été particulièrement important
00:19:51 pour vous, c'est celui-ci, "Au nom de tous les miens" de Martin Gray. Je vous ai entendu
00:19:57 dire que c'était un livre qui vous avait donné beaucoup de courage.
00:20:01 Oui, beaucoup de force, mais parce que c'est aussi l'histoire familiale qui veut ça.
00:20:04 C'est qu'elle a été tellement jalonnée de tragédie que j'ai trouvé, j'ai puisé
00:20:14 de la force dans mes lectures. Et c'est vrai que cet ouvrage-là a résonné tout particulièrement
00:20:20 en moi, parce que c'est l'histoire finalement de la déportation, de la destruction et de
00:20:28 la volonté d'anéantissement d'un individu, du fait juste d'être juif. Et cette résilience,
00:20:37 le fait de recommencer malgré ce destin qui s'acharne, parce qu'effectivement il y a
00:20:41 des camps, mais ensuite il reconstruit une famille et puis qui va être détruite à
00:20:47 son tour par un incendie. Et là, je me dis, si lui peut, moi aussi, je peux résister,
00:20:54 je peux y arriver. Et c'est d'autant plus triste parce que me concernant, nous sommes
00:21:04 aussi héritiers d'une mémoire, nous sommes héritiers d'une histoire. Et c'est vrai
00:21:09 que cette histoire, c'était de dire plus jamais ça. Et c'est vrai que l'actualité
00:21:17 me rend tellement triste, mais tellement triste, où je me dis, mais nous aurions dû... Je
00:21:26 me confonds carrément, mais c'est vrai que je me disais, mais l'histoire nous oblige
00:21:33 et nous aurions dû être justement, celles et ceux par qui la tragédie n'aurait jamais
00:21:41 dû arriver. Et sans ça, l'actualité me rend... Déjà parce qu'humainement, c'est
00:21:46 juste inconcevable, c'est inacceptable ce qui est en train de se passer en Palestine.
00:21:54 Mais qui plus est justement parce que l'histoire vous oblige et vous êtes dépositaire d'une
00:22:02 histoire qui vous oblige et une vie vaut une vie. Jamais une vie ne doit valoir plus qu'une
00:22:08 autre vie, d'aucune manière que ce soit.
00:22:11 Et de ce que vous avez dit, ce que je retiens aussi, c'est cette force. Et vous dites, si
00:22:20 avec tout ce qui lui est arrivé, il a pu... Moi aussi, je peux et c'est quelque chose
00:22:25 qui a plusieurs moments dans votre vie et marquant, c'est-à-dire cette capacité à
00:22:30 se dire, il y a forcément un mieux derrière. S'il s'est passé quelque chose de terrible,
00:22:34 il y a quelque chose derrière qui va être... Il va y avoir une lumière.
00:22:37 - C'est qu'il y a aussi cette volonté à chaque fois d'échapper, faite finalement
00:22:41 au déterminisme. C'est-à-dire, enfin, enfant pauvre, issue d'une famille monoparentale,
00:22:51 noire, etc. Je me suis dit, je ne serai jamais là où vous m'attendez. Et donc, il y a eu
00:23:01 le sport, bien évidemment, qui m'a permis de gagner en confiance et en résistance.
00:23:09 Et oui, et qui m'a aussi endurci mentalement. Et puis, il y a eu aussi de formidables rencontres,
00:23:18 vraiment de formidables rencontres qui vous ouvrent finalement de nouveaux espaces, de
00:23:22 nouvelles opportunités. Donc, libre à vous de les saisir ou pas. Mais à chaque fois,
00:23:28 ça a été de me dire, tout ce que je ne me suis pas permise ou tout ce que je ne pouvais
00:23:34 pas me permettre étant plus jeune, dorénavant, ma vie, ce sera ça. C'est-à-dire me réinventer
00:23:40 continuellement et faire ce que j'ai envie de faire. Personne ne m'imposera quoi que
00:23:47 ce soit. Et parmi ces rencontres essentielles, il y a, vous l'avez évoqué très rapidement,
00:23:53 votre entraîneur, le deuxième entraîneur, vous disiez que c'était un entraîneur qui
00:24:00 vous avait vraiment ouvert au monde. Et il y a quelques jours, ici même, Chloé Wary,
00:24:04 qui est une autrice de bande dessinée, racontait comment, dans sa MJC, elle avait appris à
00:24:10 être citoyenne parce qu'elle était avec des personnes qui, au-delà de lui apprendre,
00:24:13 elle en l'occurrence à dessiner, puisque c'est une autrice de bande dessinée, elle
00:24:16 est devenue autrice de bande dessinée, que c'était vraiment un lieu de débat, d'échange
00:24:21 et d'ouverture au monde. Et j'ai l'impression que c'est aussi le cas pour vous avec ce deuxième
00:24:27 entraîneur qui vous a encouragé, vous et vos camarades, à vous émanciper.
00:24:32 Donc c'est un peu ce qu'on retrouve dans la beauté du geste. Et c'est aussi ça,
00:24:37 les clubs de quartier. Les clubs qui sont implantés au milieu de la cité, où on a
00:24:45 des individus, des hommes, femmes, qui sont totalement dévoués à leurs enfants. Donc
00:24:54 mon professeur, Jean Roche, était ancien communiste, qui était pétri de ce principe
00:25:05 d'éducation populaire, c'est-à-dire que je ne suis pas là que pour faire des sportifs
00:25:08 ou des sportives, mais en faire véritablement des citoyens qui sont capables de penser,
00:25:14 de se prendre par la main et de jouer un rôle finalement dans le destin collectif qui est
00:25:21 le nôtre. Et Jean Roche, oui, c'était à chaque fois, il n'y a pas que la boxe dans
00:25:29 la vie. Soyez curieux, ouvrez-vous au monde, allez voir ce qui se passe ailleurs. Et donc
00:25:41 le terreau était déjà fertile, on ne va pas se mentir. Quand j'arrive dans ce club
00:25:45 de boxe implanté dans le XXIe arrondissement, je ne suis pas une coquille vide. Mais parfois,
00:25:51 quand on vient justement de milieux populaires, il est important de s'entendre dire des
00:25:57 évidences encore et encore, jusqu'à ce qu'à un moment donné, on se dise "Ok,
00:26:03 je n'ai plus besoin de toi". Et dans la beauté du geste, il y a cet attachement
00:26:09 au club, avec le club qui ferme au milieu du film environ. Vous retrouvez cet attachement,
00:26:16 c'est quelque chose, vous disiez, quand vous m'avez parlé de ce film, vous m'avez
00:26:20 dit "mais en fait, c'est ma trajectoire". Mais si, en fait, c'est mon histoire. Il
00:26:25 y avait quelque chose, une très forte proximité avec ce qui se passe dans le film.
00:26:29 C'est un peu mon histoire, mais c'est aussi ce qui participe de ma colonne vertébrale.
00:26:33 Moi, je suis une enfant du XXe arrondissement. Je le revendique. D'ailleurs, à chaque
00:26:37 fois que j'envoie une biographie, je dis toujours que je suis, Aya Sisoko, française,
00:26:45 née de parents maliens, enfant de Ménilmontant. C'est-à-dire que ces trois origines sont
00:26:52 constitutifs de mon identité et j'en suis très, très, très fière. D'autant plus
00:26:59 que injonction nous est faite, quand on commence finalement à s'élever socialement, de
00:27:05 renier finalement les origines qui sont les nôtres. Non, non, c'est-à-dire que je ne
00:27:09 serais pas Aya Sisoko si je n'avais pas eu des parents qui m'ont éduquée, malgré
00:27:14 le fait de ne pas savoir lire et écrire, etc. Mais j'ai été éduquée par mes parents
00:27:20 qui m'ont transmis cette culture malienne qui est d'une richesse, d'une richesse, en
00:27:26 fait, absolue à qui c'est être curieux pour s'y intéresser. J'ai bien évidemment
00:27:32 hérité de cette culture française, qui m'habite de manière indolore. C'est comme
00:27:40 ça, je suis née, j'ai grandi, je suis allée à l'école républicaine. Donc voilà, c'est
00:27:45 quelque chose, c'est là, c'est indolore. Et bien évidemment, la vie dans un quartier
00:27:52 populaire, ces solidarités qui s'y tissent, c'est oui, cette conscience aussi de l'autre.
00:28:01 Au fait, c'est quelque chose que je n'arrive pas à trouver parce que mes conditions de
00:28:05 vie se sont améliorées. Mais c'est quelque chose, effectivement, que je ne trouve pas
00:28:08 ailleurs, c'est-à-dire cette conscience de l'autre. Alors, bien évidemment, c'est
00:28:13 compliqué, je ne vais pas mentir. Le quotidien est compliqué quand matériellement, il vous
00:28:17 manque beaucoup, mais une vraie conscience de l'autre. C'est-à-dire que quand tu arrives,
00:28:23 donc ça peut être lourd parfois, parce que tu as envie de te dire parfois, laisse-moi
00:28:26 vivre ma vie sans que j'aille à te rendre compte. Mais le fait que tu arrives quelque
00:28:29 part, bonjour, comment tu vas, comment va ta maman ? Tu as besoin de quelque chose,
00:28:35 tu sais exactement chez qui frapper, etc. C'est quelque chose que je ne retrouve absolument
00:28:41 pas ailleurs. Et c'est quelque chose finalement, dont je suis nostalgique. Je vais être très
00:28:46 honnête, j'en suis très, très nostalgique.
00:28:49 On va parler de l'arrêt de votre carrière. On a encore quelques années à parcourir
00:28:56 avant d'y arriver. On va parler des livres que vous avez écrits, que vous écrivez.
00:29:01 Est-ce que vous voulez nous dire un dernier mot de la beauté du geste qui sera projeté
00:29:07 donc dans une heure et demie maintenant ?
00:29:09 En fait, la beauté du geste, c'est un peu le c'est prendre le contre-pied aussi de
00:29:13 "Raging Bull". Je voulais vraiment cette diversité de films qui racontent la box.
00:29:21 C'est aussi l'éloge de la lonteur, l'éloge du silence. Finalement, c'est un film qui
00:29:27 nous raconte le monde d'hier, un monde qui n'existe presque plus. Là, dorénavant,
00:29:33 il faut que tout aille très, très vite. Enfin, c'est le fracas, le bruit, le fracas
00:29:39 permanent. Là, en fait, on prend le temps. Voilà, je vais vous raconter ce quotidien
00:29:47 qui n'est pas simple, qui est aussi difficile.
00:29:50 Pourquoi est-ce que tu te partages aussi ? Elle est femme de ménage ?
00:29:52 Elle a une activité professionnelle en même temps qu'elle a sa pratique de boxeuse,
00:29:58 ce qui était aussi mon cas. J'avais une activité professionnelle qui me permettait
00:30:03 finalement de m'adonner à ma pratique sportive. Mais oui, j'ai vraiment aimé cet éloge
00:30:14 de la lenteur. Moi aussi, je l'ai découvert grâce à vous.
00:30:18 Donc merci. Vous avez été championne du monde de boxe française en 99 et 2003. BTS
00:30:26 Conta entre les deux, puis championne du monde de boxe anglaise en 2006. Puis, je le disais,
00:30:32 blessure lors de cette finale de 2006. Un coup de coude.
00:30:36 Donc tout le monde s'attendait à ce que je choisisse Millian Dollar Baby, c'est ça ?
00:30:40 Non. On surprend les gens. Un coup de coude de votre adversaire, cervical fracturé, opération,
00:30:51 complication, arrêt de la boxe. A propos de ces compétitions, dans un entretien, vous
00:30:57 disiez quand retentissez l'hymne, noir ou pas, je me savais française. Je portais le
00:31:03 drapeau, mais dans les journaux, j'étais toujours une française d'origine malienne.
00:31:07 C'est ce que vous gardez aussi de ces compétitions. Au-delà de l'aspect sportif, au-delà, j'imagine,
00:31:14 du plaisir pris d'être allé au bout, d'être championne. C'est malgré tout, c'est quelque
00:31:21 mot qui dit à quel point tout avance lentement. Tout avance très très lentement, encore
00:31:28 plus actuellement où il faut avoir les reins solides pour supporter finalement ce déversement
00:31:38 de racisme, de sexisme. Oui, la période est sans très très mauvais. Mais le problème,
00:31:48 ça n'a jamais été nous. C'est-à-dire que moi, personnellement, je me suis toujours
00:31:52 sentie française. Ce sont continuellement les autres qui me renvoient la figure que
00:31:57 je suis française à demi, française de papier, française en sursis. Moi, mon destin français,
00:32:11 je le connais par cœur. C'est qu'à un moment donné, quand mes parents, donc Sagi
00:32:16 Sokoï et Maciré Dinsira, décident de venir en France, c'est que le Mali est une ancienne
00:32:21 colonie française. Et qu'à l'époque, la France a besoin de bras pour construire son
00:32:26 avenir. Et donc, mon destin français n'est absolument pas un hasard. Je vais être très
00:32:35 honnête, j'ai plus le temps de convaincre les gens. J'ai pas le temps, j'ai trop
00:32:39 de choses à vivre, trop de choses à faire. Et donc, l'objectif, effectivement, c'est
00:32:46 que la nouvelle génération, en tout cas, ne porte pas, finalement, n'est pas à supporter
00:32:56 tout ce que nous avons dû supporter. C'est-à-dire, vivre, vous interdisez rien. Et au contraire,
00:33:06 plus vous serez doué, plus vous serez bon, plus vous serez heureux. Parce que j'ai
00:33:11 presque envie de dire, le fait d'être heureux aujourd'hui, c'est déjà là en termes
00:33:19 de coup de pied dans le truc. Donc, juste kiffer. Et c'est la meilleure réponse, finalement,
00:33:29 que vous pourrez leur donner. Mais qu'ils aillent le seum. Juste ayez le seum. Nous,
00:33:36 on kiffe, au fait. On kiffe, on est bon. Et voilà.
00:33:42 Vous disiez "on est bon". Quand vous avez arrêté la boxe, vous avez ensuite intégré
00:33:48 Sciences Po. On parlait tout à l'heure de Raging Bull. Dedans, il y a cette idée quand
00:33:53 même de boxe comme moyen moteur d'émancipation sociale. Je vous entendais dire dans un entretien,
00:34:00 c'était pour le Bondi Blog, que justement, vous, vous n'aviez jamais conçu la boxe
00:34:04 comme un moyen de vous élever socialement. Et vous évoquiez votre mère tout à l'heure,
00:34:09 votre mère qui était analphabète. Vous le disiez souvent que c'était parce qu'elle
00:34:15 ne savait ni lire ni écrire que les gens s'exprimaient à son égard, s'exprimaient
00:34:20 avec mépris, avec condescendance. Et ça, vous l'aviez très fort en vous aussi. Vous
00:34:26 le saviez que les mots étaient aussi importants, essentiels. Et ça a été quelque chose.
00:34:32 Vous vouliez que ça passe par là, c'est-à-dire que ce qu'on parlait de boxe comme moteur
00:34:37 ou pas d'émancipation sociale. Vous vouliez justement sortir de ça, se dire que non,
00:34:43 les quartiers populaires, ça ne veut pas dire que c'est forcément par le sport qu'il
00:34:47 faut. - Mais c'est ça, c'est aussi en ça que c'est
00:34:49 politique finalement, c'est-à-dire que certains sports sont réservés aux quartiers populaires.
00:34:54 Je vais prendre l'exemple de mon frère qui voulait faire du tennis, mais ce n'était
00:34:58 pas possible économiquement. Et puis même d'un point de vue géographique, il n'y
00:35:05 avait pas de club à proximité. Et donc ce frère, ce frère aîné d'un an, a gardé
00:35:11 jusqu'à présent cette frustration de ne pas avoir pu faire le sport qu'il voulait.
00:35:17 Et donc l'autre aspect, l'autre point aussi que j'aimerais aborder, et je le vois d'autant
00:35:24 plus que comme je disais, mes conditions sociales ne sont plus celles de l'époque. Là, je
00:35:29 vois, mais à aucun moment, dans les milieux dits favorisés, on va surtout pousser continuellement
00:35:40 les enfants à faire des études très très longues. C'est-à-dire, le sport c'est formidable,
00:35:46 mais ça va rester un loisir. Ce n'est pas un vrai métier. On a beaucoup plus d'ambition
00:35:51 pour toi. Et ça justement, ces choix qui sont faits participent finalement à la hiérarchisation
00:35:59 sociale au sein de nos sociétés. Et donc effectivement, il va y avoir les corps, moi
00:36:04 c'est ce que j'appelle les corps laborieux. Les corps laborieux, c'est-à-dire les individus
00:36:08 d'extraction pauvre, qui vont occuper les métiers peu valorisés, qui aussi, fait
00:36:18 finalement le sport, parce que finalement ce n'est que le corps. Alors que l'intellect,
00:36:24 ça sera pour les autres, ce sera pour nous. Et ce qui va nous permettre finalement aussi
00:36:28 de garder notre domination sur tous ces individus.
00:36:33 Vous donnez l'exemple des footballeurs, où on a beau admirer leur performance sportive...
00:36:39 Mais sans leur donner le respect qu'ils devraient recevoir. Mais parce qu'effectivement, vous
00:36:51 êtes juste des corps laborieux. Et d'ailleurs, il faut aussi voir la manière dont sont...
00:36:56 Moi je me suis toujours... J'aime bien regarder parfois l'espèce de thrombinoscope au sein
00:37:00 des fédérations. Est-ce qu'il y a très peu d'individus racisés qui sont présidents
00:37:06 ou présidentes de clubs ? Alors bien évidemment, il y a déjà très peu de femmes. Mais alors
00:37:11 pour le coup, il y a très peu d'individus racisés. Je crois, je ne sais pas, il doit
00:37:15 y en avoir un ou deux. Et pourtant, sur les terrains, beaucoup sont effectivement des
00:37:20 corps racisés. Donc une fois de plus, c'est-à-dire il y a les êtres qui pensent, qui sont dotés
00:37:27 d'intelligence et qui vont organiser tout ce monde. Et puis il y a celles et ceux qui
00:37:32 vont trimer. Et donc ça, c'est l'image de la société.
00:37:35 Il y a ces études, l'importance des mots, la conscience très tôt que le fait de s'exprimer
00:37:44 correctement a soit une autorité. Et il y a l'écriture. On peut voir vos différents
00:37:50 livres à l'écran. Dan B, en 2011, avec Marie Desplechins, qui est également sortie en
00:37:54 poche, qui est un retour sur votre enfance. N'Bat, que vous avez évoqué tout à l'heure,
00:37:59 en 2016, hommage à votre mère et au nom de tous les tiens, en 2022, adresse à votre
00:38:04 fille. Fin de la trilogie. Je vous ai entendu dire que vous aviez énormément changé entre
00:38:13 le premier livre et le dernier, que vous aviez pris conscience, et on l'entend quand on vous
00:38:18 écoute aujourd'hui, du caractère structurel, du racisme et qu'il y a beaucoup de chemin
00:38:24 qui a été parcouru durant ces dix années.
00:38:26 Oui, après, attention, le but n'est pas non plus de dresser un tableau tout noir.
00:38:32 Il y a des choses aussi qui ont évolué. C'est très, très lent. On aimerait que ça aille
00:38:37 beaucoup plus vite parce qu'effectivement, ce sont des vies d'individus qui sont derrière.
00:38:42 Donc on aimerait que le politique, effectivement, mette un coup d'accélérateur. Bon, je doute
00:38:50 que ça se fasse là avec ce gouvernement. Mais je ne... Oui, il y avait aussi une forme
00:38:57 de naïveté avec Dambe. C'est le premier ouvrage co-écrit avec Marie. En fait, je
00:39:05 n'avais pas pris le temps de théoriser. C'est quelque chose qui me tombe dessus. On me propose
00:39:08 d'écrire un livre sur les raisons qui justifient qu'une femme décide de pratiquer un sport
00:39:15 considéré comme masculin. Et finalement, je vais prendre un peu le contre-pied de ce
00:39:20 qui m'était demandé parce qu'une fois de plus, on ne reste pas à la boxe par hasard.
00:39:25 Il y a des raisons très, très intimes qui justifient votre présence. Et donc, oui,
00:39:31 j'ai beaucoup appuyé sur Marie pour le premier ouvrage. On va raconter cette histoire. Je
00:39:37 ne m'attendais absolument pas à ce que ce livre marche. Je vais être très, très honnête.
00:39:41 En gros, j'avais signé un contrat, j'avais fait le job, j'allais retourner à ma vie
00:39:48 très, très tranquille. Et finalement, ça va être un véritable succès. Il faut juste
00:39:55 savoir que quand je décide d'écrire, c'est qu'il y a des raisons vraiment très, très
00:39:58 impérieuses qui justifient l'écriture. Écrire pour écrire, ça ne m'intéresse absolument
00:40:03 pas. Vous écrivez dans l'urgence. J'écris dans l'urgence parce qu'il faut que ça sorte.
00:40:07 Je ne peux plus boxer. Donc voilà, c'est l'écrit. Et donc, effectivement, un bas sort
00:40:11 parce que je viens de perdre ma mère. Et donc, il y a la peur d'oublier. Il faut que
00:40:15 je la raconte. Il faut que je la raconte en étant, en essayant d'être le plus juste
00:40:20 possible. C'est à dire que je ne dresse absolument pas le portrait d'une Auréline
00:40:23 lisse. Au contraire, elle avait plein de défauts, ma maman. Elle avait énormément de qualités,
00:40:29 mais aussi plein de défauts. Et c'est aussi ce qui fait les héros et les héroïnes.
00:40:33 Et donc, je la raconte dans sa complexité, dans les contradictions qui étaient les siennes.
00:40:39 Et puis, ce que ça avait de compliqué aussi pour nous, c'est à dire que j'avais une
00:40:47 maman qui était très, très, très fière de sa culture malienne et donc qui voulait
00:40:52 absolument la transmettre à ses enfants tout en ayant conscience qu'elle était en France
00:40:56 et que ses enfants pouvaient aussi être tout autre. Et donc, c'était un côté, il faut
00:41:02 que je laisse mes enfants finalement s'émanciper. Mais j'ai tout de même envie de les rattraper
00:41:07 parce qu'il faut que ça reste moi. Il faut qu'ils restent à mon image.
00:41:13 - Une femme extrêmement forte. Quand votre père est décédé, sa famille a voulu qu'elle
00:41:20 rentre au Mali et elle, elle a refusé. Elle a voulu rester.
00:41:23 - Oui, elle refuse de partir, déjà pour des raisons médicales et puis des raisons
00:41:31 finalement très, très pragmatiques, c'est à dire que quel avenir pour mes enfants s'ils
00:41:35 retournent au Mali ? Mais ça, c'est vrai qu'au tout début, dans Dambé, je raconte,
00:41:41 il y a un peu de colère justement quand je raconte justement les pères, les aînés
00:41:45 du clan. Dans M'ba, j'ai dû le coir déjà un peu plus justement la critique qui était
00:41:51 la mienne parce que ça aussi, c'est la maturité, mais parce qu'il était aussi très, très
00:41:57 compliqué pour ces hommes de prendre en charge une femme et ses enfants, eux qui habitaient
00:42:00 déjà dans un foyer, qui avaient des salaires très, très maigres. Et donc, comment finalement
00:42:07 entretenir cette femme et ses trois enfants alors qu'eux-mêmes ont déjà du mal à,
00:42:15 comment dire, à survivre ? Et c'est aussi ça, c'est pour ça que c'est important finalement
00:42:21 à chaque fois quand on écrit d'avoir aussi une perspective politique, de prendre de la
00:42:26 hauteur et de se mettre à la place de l'autre. Autrement, effectivement, la critique était
00:42:32 très, très facile. Bah oui, société patriarcale, sexiste, etc. Il y a du vrai, bien évidemment,
00:42:41 mais c'est plus compliqué que ça. Et à chaque fois, justement, mes livres aussi,
00:42:45 c'est cette prise de conscience. Je gagne en maturité et donc finalement, j'inscris
00:42:51 tout ça, fait aussi dans un contexte politique, sociologique. Enfin, voilà.
00:42:58 Il y a aussi quelque chose d'important, c'est la façon dont vous mêlez le bambara et le
00:43:06 français. Et ça, c'est aussi un choix très politique. Les titres, déjà, de vos livres,
00:43:11 appelés le premier livre d'Ambé et le second N'emba, c'est-à-dire, c'est évidemment,
00:43:15 éminemment politique. Et de mêler les deux langues, c'est aussi quelque chose d'essentiel.
00:43:20 Mais c'est très, très politique parce que, comme je disais, je suis française et ça,
00:43:26 de toute façon, c'est indiscutable. D'ailleurs, demain, je vais voyager, je vais présenter
00:43:30 un passeport français. Mais j'ai hérité de cette culture, au fait, dont je suis très,
00:43:36 très fière. Et c'était aussi une manière de rendre hommage à mes parents, à ceux
00:43:43 qu'ils sont à travers mes livres, parce que mes parents, ce sont des individus qui
00:43:48 sont totalement silenciés, invisibilisés, dont on ne donne pas voix au chapitre. Et
00:43:54 donc là, c'était aussi une manière de les réhabiliter, de dire déjà, j'ai appris,
00:44:00 malgré le fait d'avoir la tête dure. Et je commence finalement à comprendre. Je comprends
00:44:07 qui vous êtes, quelles ont été vos luttes, qui je suis aussi, parce qu'en vous racontant,
00:44:15 je me raconte moi-même, je renoue justement avec cette part, finalement, de moi-même,
00:44:21 qui est totalement niée en France. Et puis, je vais être honnête aussi, c'est que j'ai
00:44:28 la chance d'avoir une éditrice qui m'a suivie. C'est de la même pour les trois livres.
00:44:32 C'est-à-dire même quand elle a changé de maison d'édition, j'ai pris le risque aussi
00:44:35 de la suivre, en me disant, je préfère être fidèle et puis on verra ce que ça donnera.
00:44:41 Et finalement, ça a payé, puisqu'elle a trouvé une autre maison d'édition. Mais
00:44:45 oui, une éditrice qui me dit, Aya, t'es sûre ? Parce que ça reste un business, en gros,
00:44:53 on investit sur vous, mais il faut quand même qu'on ait un retour sur investissement. Et
00:44:57 donc, bien évidemment, le plus simple, c'est de faire un livre totalement en français.
00:44:59 Et là, t'es sûre ? Oui, bon, ben écoute, on le fait. Et en ça, finalement, je remercie
00:45:10 Mireille qui m'a suivie dans tous les ouvrages, qui m'a laissé faire, qui m'a fait confiance.
00:45:18 Et puis, on est content parce que finalement, ça fonctionne.
00:45:23 Et avec ces livres et aussi en raison de votre parcours, vous rencontrez aussi beaucoup de
00:45:30 jeunes et on parlait de l'importance de la transmission tout à l'heure. Et c'est
00:45:33 quelque chose d'essentiel parce que quand vous racontez vos parents, vous racontez aussi
00:45:37 les parents, en réalité, des jeunes que vous rencontrez et qui, d'un seul coup, peuvent
00:45:41 se dire que nos parents aussi étaient des héros, des héroïnes.
00:45:45 Des héroïnes, ben oui, c'est ça, en fait. C'est vraiment décentrer. Il y a vraiment
00:45:48 cette volonté de décentrer le regard et de dire finalement, en tant qu'individu,
00:45:54 nous avons aussi la possibilité de choisir nos héros et nos héroïnes. Et ça aussi,
00:45:59 c'est quelque chose d'extraordinaire. Mon objectif, bien évidemment, ce n'est pas d'effacer
00:46:03 les figures communément admises. C'est juste, finalement, de diversifier, d'élargir la
00:46:10 figure du héros et de l'héroïne. Et c'est ce que permettent ces ouvrages. Moi, j'ai
00:46:16 vraiment été marquée justement par ce face à face avec une élève malienne comme moi
00:46:26 qui s'appelait Fatou. On n'avait bien évidemment pas le même âge puisque moi, je venais discuter
00:46:31 de mon livre dans cette classe. Et donc, je lui raconte la trajectoire de mes parents
00:46:40 et je vois qu'elle résiste, qu'elle résiste et qu'elle souffre. Elle lève les yeux au
00:46:45 ciel. Et donc, je l'interroge. Oui, mais en gros, faites nos parents. En gros, vous
00:46:54 en faites trop avec nos parents. Ils ne méritent pas la place qui est la leur, etc. Et je lui
00:47:01 disais écoute, est-ce que vous avez étudié la mythologie grecque ? Elle me dit, enfin,
00:47:09 ils répondent oui. Et je lui dis mais qu'est-ce que c'est finalement un héros grec ? Le héros
00:47:16 grec, c'est celui qui a pris le risque du départ sans la garantie de revenir. Et donc,
00:47:23 il rentrait au réauler finalement des épreuves qu'il avait eues à traverser tout le temps
00:47:29 de son périple. Mais au fait, c'est l'histoire de vos parents. C'est qu'à un moment donné,
00:47:34 ils partent sans avoir la garantie d'arriver en vie dans le pays qu'ils visent. Et ces
00:47:45 individus vont avoir à traverser énormément d'épreuves. Déjà, le fait d'être noir
00:47:50 dans un pays majoritairement blanc, le fait de ne pas pouvoir parler la langue, le fait
00:47:55 de devoir élever leurs enfants dans un contexte qui leur est hostile. Mais c'est déjà extraordinaire
00:48:02 en fait tout ce qu'ils ont à faire. Et donc, c'est à vous de choisir la figure de vos
00:48:08 héros et de vos héroïnes. Et donc, d'une certaine manière aussi, c'est réhabiliter
00:48:13 finalement. Actuellement, on nous parle toujours de la France qui se lève tôt, la France qui
00:48:19 travaille. Mais au fait, c'est nos parents. C'est nos parents. Ça a été ma mère.
00:48:25 La France qui se lève tôt, la France qui trime, la France qui apporte aussi une véritable
00:48:30 plus-value au plus grand nombre. Mais c'est nos parents. Et donc, à partir du moment
00:48:36 où on a juste déplacé le curseur un peu à côté, là, j'ai eu une enfant qui a fondu
00:48:42 en larmes. Parce qu'elle n'avait jamais envisagé les choses de cette manière. Et c'est pour
00:48:48 ça qu'il est important finalement d'avoir une multitude de narrations où chaque individu
00:48:53 puisse se reconnaître et de se dire "je suis important parce que d'autres me racontent".
00:48:59 Même si l'imagination peut être élastique. Comme je disais, moi, Martin Graham a énormément
00:49:08 nourri plus jeunes. Mais d'autres, effectivement, n'ont pas une imagination aussi élastique.
00:49:13 Et donc, il leur faut effectivement des héros qui leur ressemblent. Et c'est très bien.
00:49:16 Et c'est très bien.
00:49:18 Vous le disiez un petit peu tout à l'heure en disant finalement, c'était comme quand
00:49:25 j'ai arrêté de boxer l'écriture. Il faut que ce soit quelque chose qui soit fait dans
00:49:29 l'urgence parce que ça participe de ce même mouvement. Justement, quel lien est-ce que
00:49:34 vous faites entre la boxe et l'écriture ? Comment est-ce que vous avez le sentiment
00:49:39 d'être une boxeuse qui écrit ? Est-ce que justement, il y a cette idée, tout à l'heure
00:49:46 vous disiez, d'occuper l'espace avec la boxe ? Quelque part, il y a aussi de ça dans tout
00:49:51 ce que vous venez de dire, de se dire, d'inscrire ces récits, d'être présente. Comment est-ce
00:49:56 que vous faites le lien, s'il y a un lien à faire, entre votre pratique de la boxe
00:50:02 et votre pratique de l'écriture ?
00:50:03 Techniquement, j'écris comme je boxais. C'est-à-dire qu'il y a aussi vraiment une écriture qui
00:50:12 est très frontale, très directe, avec très peu de fioritures. Parce que c'est aussi
00:50:20 une écriture de l'urgence. Et puis, je sais pas quoi dire de plus. Oui, je suis là où
00:50:35 on ne m'attend pas. C'est-à-dire que déjà en 88, quand j'ai essayé de faire de la
00:50:38 boxe française, on ne m'attendait absolument pas à cet endroit. Parce que la boxe n'était
00:50:46 absolument pas la mode. Personne dans ma famille pratiquait ce sport. Donc j'y arrive, j'y
00:50:53 suis, j'y reste. Et quand j'arrive à la boxe anglaise, alors je vous dis, Jean Roche
00:51:00 était quelqu'un d'extraordinaire. Vraiment. Ça a été une rencontre qui a été primordiale,
00:51:06 essentielle dans ma vie. Mais quand je viens m'inscrire à son cours, il me dit "moi
00:51:10 j'entraîne pas les gonzesses". Donc ça a été aussi le premier réflexe qui a été
00:51:13 le sien. Et donc une fois de plus, c'est aussi s'imposer dans un espace où vous n'êtes
00:51:20 pas attendu, qui vous est même hostile. Mais c'est comme ça. Et à côté de ça, ça
00:51:31 aussi c'est quelque chose que je répète souvent. Les luttes ont été aussi menées,
00:51:38 car d'autres avant moi, elles n'ont pas été menées jusqu'au bout. Je ne les menerai
00:51:43 pas jusqu'au bout. D'autres prendront le relais et d'autres continueront finalement
00:51:47 à faire avancer le schmilblick. Mais c'est vrai que, par exemple, pour que je puisse
00:51:52 disputer les championnats du monde en boxe anglaise, il y a eu aussi des boxeuses comme
00:51:57 Nancy Joseph en particulier, qui allaient à l'étranger pour pouvoir pratiquer, pour
00:52:03 pouvoir faire de la compétition, etc. Donc je suis contente effectivement qu'on me donne
00:52:13 une carte blanche. Mais c'est aussi l'occasion de rendre hommage à celles et ceux, en particulier
00:52:19 celles qui nous ont précédés, qui ont participé finalement à ouvrir le chemin pour que nous
00:52:30 puissions l'emprunter. Et l'objectif, effectivement, c'est d'apporter ma contribution justement
00:52:35 à ce qui a déjà été fait, pour que les générations d'après y aillent avec encore
00:52:43 plus de facilité.
00:52:44 Et c'est le cas aujourd'hui ?
00:52:46 Je fais. Après oui, quand j'entends, on m'envoie des messages, je vois effectivement
00:52:55 que ça avance, mais j'aimerais que ce soit encore tellement plus rapide, d'autant plus
00:53:02 que j'ai une petite fille. Et que là, anecdote, ma fille a fait le choix de faire du rugby.
00:53:08 Et c'est vrai qu'il a fallu par exemple me battre pour que le logiciel, qui après chaque
00:53:19 match, choisit le meilleur joueur du match puisse être changé. Parce que ma fille s'appelle
00:53:31 Billy, meilleur homme du match. Non, mais ce sont des petits détails comme celui-ci
00:53:41 qui vous font sentir que vous n'êtes pas à votre place, que vous n'êtes pas attendu
00:53:45 et qu'il va falloir encore se battre, passer pour la relou, etc.
00:53:54 Et puis parce que les mots, la façon dont on désigne les choses, c'est aussi la façon
00:53:59 dont on voit et dont on construit le monde. Parce que dans ce type de cas, j'imagine
00:54:03 qu'il y a des gens qui vous ont dit ça va, c'est pas si grave. Alors que si c'est essentiel,
00:54:08 c'est essentiel parce que si on ne voit pas ces mots, la réalité qu'ils recouvrent
00:54:12 n'existe pas en fait.
00:54:14 C'est ça, mais c'est surtout que d'autres personnes qui sont amenées à lire effectivement,
00:54:19 d'autres petites filles qui seraient amenées à lire ce livre n'auraient pas conscience
00:54:24 qu'elles peuvent elles aussi pratiquer le rugby. Non, non, Billy a été élue femme
00:54:30 du match dans une équipe très… en fait c'est la seule fille de l'équipe. Mais
00:54:35 voilà, c'est aussi dire tu peux faire du rugby et tu peux le pratiquer dans une équipe
00:54:42 mixte. Mais c'est aussi… les mots c'est aussi la manière dont on se situe dans le
00:54:48 monde, dont on se situe dans un espace. Et c'est en ça en fait où les mots sont primordiales.
00:54:54 Et c'est pour ça que je disais effectivement, les mots sont imminemment politiques. Le fait
00:55:01 qu'une femme noire, dont les parents étaient analfabètes, issues de milieux populaires,
00:55:09 puissent être publiées, ça reste imminemment politique.
00:55:16 Et qu'une femme noire avec des parents maliens, analfabètes, réalise des films,
00:55:25 ça aussi c'est politique ? Je crois que vous vous essayez à la réalisation.
00:55:29 C'est en cours, il y a encore beaucoup de travail. Oh p*tain c'est compliqué quand
00:55:34 même. C'est un espace qui est hyper compliqué. Donc je suis en train de… voilà j'apprends.
00:55:40 Mais à côté de ça, j'ai toujours aimé apprendre. Comme je disais, j'aime être
00:55:46 là où on ne m'attend pas. Donc oui, le prochain objectif, c'est basculer sur la
00:55:52 réalisation. Et voilà, il y a une super belle équipe, une belle production. Et on va essayer
00:55:59 de faire quelque chose qui sert l'intérêt collectif. Parce que c'est vrai qu'il
00:56:06 y a aussi ce poids que je fais porter sur mes épaules en me disant, on a une obligation,
00:56:15 on a une obligation aussi politique, justement, à créer aussi. Après, c'est comme ça
00:56:26 que je le perçois. Attention, chacun fait comme il veut. Mais c'est vrai que c'est
00:56:30 comme ça moi que je… Bah oui, à ce que ce que l'on produit puisse servir au plus
00:56:37 grand nombre.
00:56:38 Et ça nous amène peut-être à votre troisième film, "Carte blanche", le passage à la
00:56:44 réalisation, puisque c'est le film "Rangaine" réalisé par Rachid Jaidani, lui aussi ancien
00:56:50 boxeur, lui aussi romancier, comédien et donc réalisateur.
00:56:54 Oui, mais c'est là où tout le monde est petit parce que je me souviens à l'époque,
00:57:04 on partait de notre club du 114 Rennes-Ménil-Montant pour se rendre dans le club de Rachid Jaidani,
00:57:12 qui s'appelait le Bac 9. Et donc je le voyais s'entraîner sur le ring, faire du shadow,
00:57:18 etc. Mais sans savoir effectivement que cet homme allait devenir réalisateur, qu'il
00:57:26 était aussi écrivain, poète, d'une sensibilité juste hallucinante. Et ce film est beau. En
00:57:37 fait, c'est pas un film qui traite de la boxe, ou en tout cas on en voit très très
00:57:40 peu. Mais il y avait aussi cette envie de rendre hommage à ce réalisateur, pratiquant,
00:57:49 amoureux de la boxe, dans ce beau film aussi qui raconte la difficulté parfois des couples
00:57:58 mixtes. Et ça fait d'autant plus écho à mon histoire que mon premier grand amour était
00:58:06 algérien. Et donc c'était très con. En fait, il y a plein de choses. Je me reconnais
00:58:11 dans plein de scènes du film. Et donc voilà, je me suis dit, comme je fais ce que je veux,
00:58:17 je vais choisir Angaine. -Vous avez bien raison. Est-ce que certaines ou certains, parce que
00:58:24 je vois que le temps passe très vite, est-ce que certaines ou certains ont des questions
00:58:27 pour Aya ? -Merci déjà pour cet échange. Votre parcours et Assisuko me touchent beaucoup.
00:58:35 Et il y a certaines choses dans lesquelles je me reconnais beaucoup. Et justement, la
00:58:41 question du rien sans nous, je trouve qu'elle est primordiale. Et pour vous, la question
00:58:48 de la représentation, justement, qu'elle soit au cinéma, dans la littérature, est-ce
00:58:53 que ça renvoie à la question aussi de la représentativité ? C'est-à-dire que si on
00:59:00 ne représente pas des personnes, on va dire, non seulement devant la caméra, mais derrière
00:59:07 la caméra, est-ce que finalement, ça ne fausse pas le discours ? -Mais c'est une très bonne
00:59:16 question et j'avais un peu répondu à votre question à un moment donné de la discussion.
00:59:23 C'est-à-dire, oui, à un moment donné, ça va être aussi notre capacité finalement
00:59:27 à être aux commandes, aux côtés effectivement de celles et ceux qui le sont habituellement.
00:59:35 Mais c'est vrai qu'on reste encore dans des postures où nous sommes dépendants du
00:59:41 bon vouloir des personnes qui dirigent très majoritairement, voire exclusivement, certains
00:59:53 espaces. Et puis c'est aussi, à partir du moment où on est aux commandes, c'est aussi
01:00:00 finalement être totalement libre, totalement libre de dire ce que l'on a envie de dire,
01:00:05 la manière dont on a envie de les dire, etc. Sans avoir effectivement parfois à réfléchir
01:00:10 à "Ah oui, mais si je dis ça, ça va peut-être être trop frontal, ça va peut-être être
01:00:14 mal pris, etc." Et puis même, ça sera aussi, à partir du moment où nous serons aussi
01:00:21 aux commandes, ce sera aussi diversifier finalement la narration. C'est-à-dire que nous ne serons
01:00:27 plus aussi dans des postures de revendication. Là, on pourra véritablement diversifier
01:00:33 les narrations, raconter des choses d'une légèreté, parce que nous sommes aussi des
01:00:38 gens légers. On adore les histoires de cœur, les histoires d'amour, nous avons aussi
01:00:46 des chagrins d'amour. On aimerait finalement raconter des choses très légères.
01:00:50 - En fait, ne pas tout le temps être en mode combat, justement, c'est ça ?
01:00:56 - C'est ce que... voilà ! C'est vraiment... C'est ça que je veux... Là, quand je vois
01:01:03 ma fille écrire que des choses de fiction, du fantastique, je trouve ça juste extraordinaire.
01:01:11 Je me dis, quelque part, en tout cas, probablement la vie, la trajectoire de ma fille ne sera
01:01:19 absolument pas la mienne. C'est-à-dire que moi, j'ai été dans une posture, entre guillemets,
01:01:23 de combat, de résistance. Et là, a priori, ma fille, même si là, politiquement, je
01:01:29 suis quand même très inquiète par ce qui est en train de se passer, parce que là,
01:01:33 pour le coup, on a des néo-conservateurs, sont à l'offensive. Mais a priori, voilà,
01:01:43 elle va vraiment pouvoir jouir de cette insouciance, de cette liberté qui devrait être celle
01:01:49 de tout un chacun.
01:01:50 - Désolée, mais par contre, je vous remercie beaucoup pour ce que vous avez dit sur nos
01:01:57 parents, parce que ça m'a beaucoup touchée et c'est quelque chose dans laquelle moi,
01:02:04 je n'avais jamais pensé. Et le fait de l'entendre, de vous entendre le dire, ça m'a vraiment
01:02:10 beaucoup touchée. Je vous en remercie beaucoup et énormément, parce que je ne voyais pas
01:02:15 vraiment ma mère, forcément, dans tout ça. Et ça m'a beaucoup touchée. Je vous remercie.
01:02:24 - Alors moi aussi, je te remercie et je vais aussi te dire quelque chose. Mais ça, je
01:02:29 le dis aussi tout le temps à chaque adolescent que je rencontre. Ne t'excuses pas de prendre
01:02:35 la parole, mais c'est important. Je sais effectivement que tu es intimidée, que c'est
01:02:42 assez... Oui, c'est toujours peut-être gênant de prendre la parole en public, mais ne t'excuses
01:02:47 pas. D'accord ?
01:02:48 - Oui.
01:02:49 - Voilà, tu as le droit de prendre la parole, tu as le droit d'occuper l'espace. Ne t'excuses
01:02:52 pas. Ne t'excuses pas de dire ce que tu as à dire. Et oui, voilà, ne jamais douter
01:02:59 de l'héroïsme de nos parents. C'était des hommes et des femmes incroyables. Et c'est
01:03:11 vrai que moi, je prends conscience aussi de ce que me disait ma mère. Et c'est pour
01:03:14 ça que des fois, c'est bien de prendre de l'âge parce qu'en fait, on gagne aussi
01:03:18 en sagesse, en maturité. Mais elle me disait sans cesse, mais depuis que je suis enfant,
01:03:24 tu n'es pas l'enfant de rien et de personne. Tu t'inscris dans une histoire, dans une filiation.
01:03:28 Et puis quand ça n'allait pas, oui, je suis l'enfant de seigneur, etc. Et c'est ça aussi,
01:03:34 justement, cette conscience de qui elle était lui permet de résister et puis de garder
01:03:39 aussi la tête haute. Vous pouvez dire ce que vous voulez, vous pouvez projeter sur moi
01:03:45 ce que vous voulez. Je sais qui je suis. Et donc, n'hésite pas, si tu peux, à interroger
01:03:52 tes parents sur qui ils sont, qu'est-ce qu'ils font à un moment donné, qu'ils font le choix
01:03:56 de venir en France, quelles sont les luttes qu'ils ont dû amener, etc. Et tu vas voir
01:04:01 qu'ils ont énormément de force.
01:04:02 - Merci.
01:04:03 - Est-ce qu'il y a une autre question ?
01:04:08 - Oui.
01:04:09 - Oui, j'ai... Donc, en fait, ce que je voulais dire, c'est que déjà, "Arging Bull", c'est
01:04:15 un excellent choix. C'est un chef d'oeuvre.
01:04:19 - Cinématographique, mais on est d'accord que Jack Lamotta, quand même, c'était un...
01:04:24 C'était quand même un enfoiré.
01:04:25 - Maintenant, par rapport à ça, parce que moi, je me rappelle à l'époque, par rapport
01:04:31 à ce film, nous, on parlait plus, en fait, dans le milieu de la boxe, on parlait plus
01:04:35 de Rocky Marciano que Jack Lamotta. Le choix, c'est excellent. Je voulais savoir, dans
01:04:45 le milieu de la boxe, en fait, c'était quoi, comment avez-vous pu gérer le rapport avec
01:04:55 les hommes dans ce milieu macho pour devenir, jusqu'à devenir championne ? J'ai trois questions.
01:05:01 - On va les faire les unes après les autres, parce que j'ai été boxeuse et donc... Non,
01:05:07 je rigole. C'est pas vrai. C'est pas vrai. En fait, c'est vrai que c'est compliqué d'évoluer
01:05:15 dans un monde masculin, mais dans la vie de tous les jours, en fait. C'est-à-dire que
01:05:21 la boxe n'échappe pas, finalement, aux luttes que l'on doit, en tant que femme, que l'on
01:05:25 doit mener à l'extérieur, en fait, dans notre quotidien, dans notre vie de tous les
01:05:29 jours. Mais après, effectivement, on est dans une espèce de huis clos. Mais la réalité,
01:05:38 c'est qu'à un moment donné, se pose la question, est-ce que tu te sens bien là où tu es ? Est-ce
01:05:44 que la boxe te fait du bien ? Et à partir du moment où j'ai compris que le gain personnel,
01:05:53 intime, était plus important, mais au fait, j'en ai rien à faire de vous les hommes.
01:06:00 En gros, vous imaginez bien qu'à l'âge de 8 ans, quand je décide de pratiquer ce sport,
01:06:03 c'est pas pour vous. C'est pas pour les hommes. Quand je décide de rester, c'est absolument
01:06:08 pas pour les hommes. C'est juste qu'à un moment donné, j'ai trouvé un espace qui
01:06:12 me faisait du bien, qui me faisait me sentir forte, qui me faisait me sentir importante,
01:06:18 qui m'a permis aussi, finalement, de m'endurcir mentalement et finalement, de résister à
01:06:25 la vie quotidienne qui était plus difficile.
01:06:29 La deuxième question, c'est l'avis que je voudrais avoir. Pourquoi l'intégration des
01:06:39 minorités en France a été ou est un échec ? Je voudrais bien avoir votre avis.
01:06:45 Alors déjà, ce n'est absolument pas un échec. Ça, au fait, c'est ce qu'on essaie finalement
01:06:51 de nous faire croire. Mais je vais prendre, comme on parle sur moi, j'ai continué à
01:06:57 parler de moi. Mais là, on vient de, entre guillemets, je me permets de te tutoyer parce
01:07:04 que je pense que tu connais un peu.
01:07:07 Quelle est la population qui, en une génération, je te dis une génération, avec une maman,
01:07:18 en sachant que je ne suis absolument pas une exception, parce qu'on a tendance, effectivement,
01:07:21 en France, à vouloir ériger des espèces de figures comme ça, comme si elles étaient
01:07:24 des exceptions. Je ne suis absolument pas une exception. Mais quel est le groupe qui, en
01:07:32 une génération, a réussi à faire des enfants champions, qui sont passés par des grandes
01:07:38 écoles, qui sont auteurs, etc. ? En une génération, qui ? Donc l'intégration, c'est justement,
01:07:45 je pense, parce que l'intégration se passe beaucoup trop bien, et que celles et ceux
01:07:50 qui sont tout en haut, finalement, de la hiérarchie sociale, voient d'un très mauvais œil tous
01:07:55 ces individus, à un moment donné, qui ont cru au mérite républicain et qui se disent
01:07:59 « bah dorénavant, j'ai bien travaillé, j'ai tout écouté, maintenant, je prétends
01:08:06 aux promesses qui ont été faites, que là, effectivement, ça commence à paniquer. Parce
01:08:12 qu'à partir du moment où j'ai fait des études, je veux faire des postes qualifiés.
01:08:18 » Mais ceux qui y sont, ils n'ont pas envie de toi, finalement. En plus, ils se disent
01:08:24 « on a jalonné le terrain, justement, on a miné le terrain pour que ce soit hyper compliqué,
01:08:28 ils sont encore là, et finalement, ils veulent nous remplacer. »
01:08:33 Moi, en tout cas, c'est la version qui est la mienne.
01:08:39 D'accord. Et la dernière question, donc c'est rapide. Pourquoi, pour moi, la culture
01:08:48 africaine a du mal à s'imposer chez le peuple noir ?
01:08:52 Alors ça, je ne suis pas sûre, je ne sais pas, je n'arrive pas à saisir véritablement…
01:09:11 Ok, laisse-moi juste 30 secondes.
01:09:15 Vous avez parlé des valeurs…
01:09:19 Oui, alors attends, ce n'est pas une question de s'imposer. Parce qu'une fois de plus,
01:09:25 c'est ce que je disais, en tout cas, tous les individus qui ont été élevés par un
01:09:30 parent, au moins un parent ayant des origines africaines, ont hérité d'une certaine
01:09:36 manière de cette culture. Après, que cette culture ne soit absolument pas valorisée,
01:09:41 c'est autre chose. C'est-à-dire, par exemple, moi, dans mon dernier livre, je dis, au commencement,
01:09:47 j'ai eu honte de ma mère. J'ai eu honte de ce qu'elle représentait. Parce que ce
01:09:53 n'est pas ce qui est valorisé dans la société occidentale. C'est ce qu'on nous dit,
01:09:58 ce qu'on nous vend, c'est le modèle néolibéral, la Rolex. Si tu n'as pas de
01:10:02 Rolex avant 30 ans, tu es un loser, etc. Donc ma mère, effectivement, qui appartient
01:10:09 en classe laborieuse, elle est tout le contraire de tout ça. Je veux dire, elle trime. En
01:10:15 plus, elle parle mal le français, elle porte le boubou, à part les assiedoux qui adorent
01:10:21 l'odeur d'encens, pas grand monde, finalement, valorise tout ça. Mais c'est ensuite,
01:10:32 avec le recul, en apprenant, en me plongeant, finalement, d'abord dans ces mots, ensuite
01:10:40 dans les livres, que je me suis rendue compte, mais oh, la personne avec qui tu vis au quotidien,
01:10:47 qui t'a élevé, mais elle est d'une puissance, et la culture qui est la sienne est d'une
01:10:51 puissance. Donc finalement, c'est à nous de faire ce travail de transmission. Et c'est
01:10:57 quelque chose qui se fait de plus en plus. Moi, je vois de plus en plus de livres où
01:11:01 les gens assument pleinement ce qu'ils sont. Et ça, c'est extraordinaire. C'est une
01:11:07 minorité, mais on avait quasiment rien. Donc bien évidemment qu'il y a encore beaucoup,
01:11:18 beaucoup, beaucoup, beaucoup à faire. Et ça va être fait. Parce que les outils qu'on
01:11:23 a actuellement nous permettent de diffuser l'information au-delà même d'un ouvrage.
01:11:28 À l'époque, mais à quel moment tu peux avoir des comptes Instagram où on faisait
01:11:34 la promotion des cultures africaines, où on avait des chaînes YouTube ? Ça n'existait
01:11:39 pas. Donc on apprenait dans notre petit coin. Pardon ? Oui, mais encore faut-il connaître
01:11:50 Kamara-Lay et aussi avoir une appétence pour la lecture. Alors que tu vois, le fait justement
01:11:57 d'avoir des médias "grand public", "mainstream", c'est une première approche. Et peut-être
01:12:04 que justement, le consommateur se dit "ok, je vais me plonger dans la littérature qui
01:12:12 raconte, auquel fait référence ce poste". Mais c'est ça qui est extraordinaire. Sur
01:12:21 les questions de sexisme, sur les questions de féminisme, sur le question d'accès au
01:12:29 sport, sur les questions de culture qui sont considérées comme mineures. Mais je n'ai
01:12:44 jamais eu autant de matière. Enfin tu vois, j'ai 45 ans, il y a encore 15 ans. Tout ça,
01:12:53 on n'avait pas. On n'avait pas que ça, tout ça. Donc c'est lent, c'est en train de se
01:12:59 faire. Et donc encore à nous, à toutes celles et ceux qui ont un intérêt de produire,
01:13:05 produire, produire, pour qu'on ait le choix. Tout est une question aussi d'avoir le choix.
01:13:14 J'avais une question par rapport à votre histoire. Parce que votre histoire, je vais
01:13:19 pas vous mentir, elle m'a fait un peu penser à celle de Mohamed Ali. Dans le sens où
01:13:24 vous avez commencé au plus bas.
01:13:25 Drop the mic !
01:13:26 Au revoir ! Non mais plus sérieusement, dans le sens où vous n'attendez pas là où vous
01:13:34 êtes arrivé.
01:13:35 J'étais sérieux.
01:13:36 Si vous voulez j'arrête.
01:13:39 Non vas-y, excuse-moi. Je suis très impolie, je te laisse continuer.
01:13:43 On ne vous attendait pas là où vous êtes arrivé. Et je voulais vous poser des questions
01:13:48 dans le sens où, est-ce que dans le monde de la boxe féminine, on vous a déjà comparé
01:13:51 à lui ou des trucs comme ça ?
01:13:52 Non, on ne m'a jamais comparé à Mohamed Ali. Et d'une certaine manière, tant mieux parce
01:14:02 que je suis Aya Sisoko et personne d'autre. Et personne d'autre. Après, oui, je détonne
01:14:11 un peu dans le monde de la boxe parce que mon propos, mon discours est aussi très politisé.
01:14:16 Mais c'est aussi ma vie, la vie qui est la mienne. C'est aussi quelque chose qui s'est
01:14:24 imposé à moi. C'est-à-dire que si je voulais raconter l'expérience qui est la mienne,
01:14:35 sans la politiser, finalement ça n'a pas de sens. Et que le fait d'être sur le terrain
01:14:41 de rencontrer énormément de militants de terrain, d'échanger avec eux, je voyais
01:14:47 bien effectivement. Et ça c'est important, le terrain. En termes de formation, il n'y
01:14:52 a rien de mieux que le terrain. Mais franchement, le fait d'être là sur le terrain, de voir
01:14:58 la réalité, parce que les réalités sont aussi très diverses. Et donc juste de m'asseoir,
01:15:04 de me taire et d'écouter. Je me suis dit, wow, ok. En fait, il y a plein de choses que
01:15:10 tu ne sais pas. On te fait finalement, tu es nourri d'un discours genre, oui, le sport,
01:15:16 dépassement de soi, la victoire, nanana. Mais c'est beaucoup plus compliqué que ça. C'est
01:15:23 beaucoup plus compliqué que ça. Et donc oui, comme dirait un de nos anciens présidents,
01:15:30 je me dois de vous donner un discours de vérité. Et oui, ça passe effectivement à le politiser
01:15:41 un minimum, pour apporter aussi des réponses concrètes. Parce que moi, ce qui m'intéresse,
01:15:48 en faisant de mon histoire et des miens, des figures politiques, c'est qu'il y ait du
01:15:54 changement. Qu'on ne soit pas, comme je le disais tout à l'heure, dans une posture de
01:16:00 combat. Au fait, c'est fatigant. Ça abîme. Ça abîme continuellement d'être là, dans
01:16:06 une lutte permanente. Et à un moment donné, on a juste envie de dire, stop. On a juste
01:16:11 envie de kiffer. Enfin voilà.
01:16:15 Je voulais aussi vous demander, est-ce que vous avez des idoles dans le monde du sport
01:16:20 en général ?
01:16:21 Alors j'ai une idole, c'est Nancy Joseph. Parce que si je devais vraiment choisir une
01:16:33 idole en tant que boxeuse, c'est Nancy Joseph. Parce que c'est une femme au fait qu'on a…
01:16:39 Malheureusement, les figures au fait, c'est vraiment une question de timing. Et Nancy
01:16:45 Joseph, elle passe complètement sous les radars. Alors que, mais elle a fait tellement
01:16:51 pour la boxe féminine. Puisqu'on parle au fait d'Emile Lamarde, etc. de Nancy Sophie
01:17:00 Matisse, qui sont très importantes quand on parle de boxe féminine. Mais Nancy Joseph,
01:17:07 elle était brillante en fait en anglaise, en boxe pied-point. D'ailleurs, en fait,
01:17:11 elle était… Personne ne voulait boxer contre elle. Et donc elle a été amenée à boxer
01:17:16 à l'étranger pour pouvoir faire de la compétition. Parce que la boxe anglaise, pour les femmes,
01:17:22 je crois que les compétitions, je sais même plus, je crois que c'est au début des années
01:17:26 2000. Oui, pour les Jeux olympiques, mais la pratique en compétition, c'est au début
01:17:33 des années 2000. Mais il y avait déjà des boxeuses. Et donc si elle voulait vraiment
01:17:37 aller au bout de leur passion, pour certaines, c'était aller à l'étranger. Et Nancy
01:17:44 Joseph, justement, à un moment donné, on s'est dit, ce n'est plus possible, effectivement,
01:17:48 que des boxeuses se mettent en danger. Et donc on a commencé à légiférer et donc
01:17:53 à autoriser la pratique féminine en France. Et donc je lui dois beaucoup à une femme
01:17:58 comme Nancy Joseph. Et c'est ça, en fait, il est toujours important de rendre hommage
01:18:05 à celles et ceux qui nous ont précédés, à celles et ceux qui ont mené les luttes
01:18:09 aussi pour nous, dont on bénéficie finalement des combats qui ont été les leurs. Ça,
01:18:15 c'est aussi une phrase qui revient comme une sorte de leitmotiv dans "Au nom de tous
01:18:20 les tiens", voilà, "Le monde est vieux, mais l'avenir sort du passé". Et ce qui
01:18:25 nous perd aujourd'hui, c'est que nous avons oublié les luttes qui ont été celles de
01:18:30 celles et ceux qui nous ont précédés. Et donc, à partir du moment où on n'a pas
01:18:34 de mémoire, on n'a plus de mémoire. En fait, on est facilement malléable. On nous
01:18:41 fait faire, on nous fait dire ce que ce que l'on veut. Et ça, c'est dommage. Connaître
01:18:48 son histoire, c'est avoir une colonne vertébrale solide.
01:18:51 - Et ma toute dernière question, c'était est-ce que votre frère, au final, il a pu
01:18:57 faire du tennis ou pas du tout ?
01:18:58 - Jamais, malheureusement. Et c'est un de ses grands regrets. Et c'est d'autant plus...
01:19:03 Et je me dis, l'histoire de mon frère, elle est absolument pas isolée. Il y a encore
01:19:06 trois semaines, j'étais à une discussion au Havre et quelqu'un racontait exactement
01:19:14 la même histoire que celle de mon frère. Et le but, c'est que chaque individu puisse
01:19:20 faire ce qu'il a envie de faire et que l'argent ne soit plus un frein.
01:19:29 - Je voulais d'abord vous remercier très chaleureusement pour vos propos, pour votre
01:19:37 engagement, pour les valeurs que vous défendez, qui nous sont si précieuses en ce moment.
01:19:43 Comme vous l'avez dit, la période est plutôt néo-séabonde, que ce soit en France ou ailleurs.
01:19:47 Donc un grand, grand merci. On a vraiment kiffé ce moment avec vous. Et on n'en ressort
01:19:54 pas indemne. Vraiment, c'est bouleversant tout ce que vous nous avez raconté. Et vous
01:19:59 nous avez donné une pêche incroyable pour continuer avec vous la lutte. Et je voulais
01:20:05 juste vous poser une question au niveau de la transmission. Je pense que vous arpentez
01:20:09 les écoles, que ce soit collèges, lycées, auprès des jeunes, parce que c'est vrai que
01:20:15 c'est eux qui vont porter le flambeau. Et je voulais savoir comment ça se passe en
01:20:20 général, bien que vous nous ayez raconté une ou deux anecdotes.
01:20:24 - En fait, généralement, alors ça, c'est vraiment quelque chose que j'adore faire.
01:20:31 Pour moi, la jeune génération, c'est encore celle effectivement que l'on peut... Généralement,
01:20:36 les adultes, parfois, les idées sont arrêtées. C'est vraiment difficile de les faire réfléchir
01:20:40 et de les faire un peu... Par contre, les jeunes générations, on peut encore les impulser,
01:20:46 en tout cas, semer la graine qui fera que... Voilà, ça poussera et pourquoi pas donner
01:20:55 un bel arbre. Donc c'est quelque chose que j'aime particulièrement faire. Malheureusement,
01:21:00 ce ne sont que les établissements fatigués en quartier populaire qui me sollicitent.
01:21:06 Et là aussi, politiquement, ça dit beaucoup de choses. Ça dit que ce sont toujours les
01:21:12 mêmes qui doivent fournir l'effort d'intégration alors qu'ils le sont parfaitement. C'est-à-dire
01:21:17 que celles et ceux, les privilégiés, ne se sentent pas obligés, finalement, de faire
01:21:22 un effort pour aller vers l'autre. On a, je sais pas, inventé une espèce d'idéal fraternel,
01:21:32 universaliste, etc. Mais ce sont toujours les mêmes qui doivent faire l'effort. Et
01:21:40 ça, c'est quelque chose qui m'interpelle de plus en plus et qui me met en colère.
01:21:47 Mais je continuerai à aller sur le terrain. Parce que, je vais prendre une anecdote, j'intervenais
01:21:56 à Corbeil-Ysson. Et j'ai ce jeune homme qui m'attendait de pied ferme. J'arrive, il est
01:22:10 là devant l'établissement. Madame ? Oui. Ça fait bizarre quand on vous appelle madame.
01:22:15 C'est la fête, vous savez que vous avez... Madame ? Oui. Vous êtes là ? Vous êtes
01:22:22 venue ? Oui, je suis là. Pourquoi ? Vous n'avez pas peur ? Pourquoi je devrais avoir
01:22:29 peur ? Non mais par rapport à ce qu'on dit sur nous. Et donc vous voyez finalement, en
01:22:34 fait, rien que le fait que des individus se déplacent pour échanger avec eux. Parce
01:22:40 que j'y gagne aussi, attention. Ce n'est pas juste un... C'est pas un Aya qui arrive
01:22:45 qui va leur faire la leçon. C'est vraiment un échange de dignité, comme j'ai l'habitude
01:22:48 de dire. C'est vraiment un échange de dignité. On est chacun, enfin ressort, grandit, fait
01:22:55 de la discussion. Mais c'est aussi ce que la société renvoie, enfin l'image que la
01:23:00 société renvoie d'eux. Des sauvageons, des individus. Et donc rien que ça, aller les
01:23:11 voir et leur dire "vous êtes importants, on va passer un petit moment, on va passer
01:23:14 quelques heures ensemble, on va discuter". Et c'est juste extraordinaire pour ces enfants.
01:23:20 Comme ça a été extraordinaire pour moi, quand j'étais au collège et au lycée,
01:23:25 quand un intervenant extérieur venait nous voir. C'était quelque chose qui était en
01:23:31 rupture justement avec le quotidien. Et là, tout d'un coup, il se passait quelque chose.
01:23:37 Et rien que pour ça, c'est important. C'est important parce que ces gamins sont importants.
01:23:44 Mais ils sont d'une vaillance et d'une intelligence en plus. Mais d'une vaillance et d'une intelligence,
01:23:50 c'est juste hallucinant. Vous échangez avec eux, vous vous ennuyez pas. Ils sont géniaux.
01:23:54 - Je voulais aussi vous poser une autre question. Quel est votre rapport avec les médias ? Parce
01:24:03 qu'on a tellement envie que votre parole soit entendue par le plus grand nombre de personnes.
01:24:09 - Les médias, je refuse beaucoup, beaucoup de choses. D'une part parce que je ne suis
01:24:14 pas... Ma trajectoire est la mienne. En gros, les propyles sont tellement diverses. Je ne
01:24:27 suis le porté d'endard de personne. Je ne porte que ma parole. Après, bien évidemment,
01:24:34 je sais qu'elle a quelque chose de politique, mais je ne porte que ma parole. Et il y a aussi
01:24:40 ça, il faut laisser de la place aussi aux autres. Et donc, si je devais répondre positivement
01:24:47 à tout, ça nuirait justement à cette diversité, à cette pluralité faite de profils et de
01:24:55 paroles. Et puis, je trouve aussi que c'est dangereux quand on mène des combats politiques,
01:25:04 d'avoir une figure de pro. Parce que c'est toujours très facile finalement de neutraliser
01:25:11 une figure. Alors que quand il y en a plein, plein, plein, plein, plein, plein, plein,
01:25:15 plein, plein, plein, c'est beaucoup plus compliqué. Et là, on l'a vu récemment, en fait, dans
01:25:20 les luttes, que ce soit les gilets jaunes ou même, là, récemment avec les agriculteurs,
01:25:25 tant que les décisions étaient prises de manière horizontale, collective et horizontale,
01:25:36 le gouvernement ne savait pas à qui s'adresser. Et donc, il était complètement perdu. À
01:25:41 partir du moment où des figures ont commencé à sortir du lot, là, ça a été beaucoup
01:25:46 plus facile et ça signa en quelque sorte la fin du mouvement.
01:25:50 Votre parole est très personnelle, mais elle a aussi quelque chose de tellement universel.
01:25:55 Je sais qu'elle a quelque chose d'universel. Après, c'est mon vécu, en fait. C'est-à-dire
01:26:03 que mon vécu commande aussi les propos qui sont les miens et le vécu qui est celui de
01:26:09 mes parents, etc. Et je vais être très, très honnête. C'est-à-dire, en fait, quand vous
01:26:15 avez vraiment connu la merde, quand vous avez vraiment, que ce soit les morts ou que ce
01:26:21 soit le racisme, que ce soit, je vais être très, très honnête, j'espère que personne
01:26:26 n'aura à supporter ce par quoi on a dû passer. Qu'aucun être humain n'ait à supporter
01:26:34 ce que nous avons dû supporter. Et c'est aussi ça, finalement, qui commande aussi
01:26:44 le discours et le... Oui, qui est le mien. Et puis, dernier point, c'est fatigant, en
01:26:53 fait, d'être continuellement dans la lutte. C'est quelque chose vraiment qui épuise,
01:26:56 qui abîme. Et donc, on va conclure sur la santé mentale. C'est que être continuellement
01:27:02 en première ligne, ça vous épuise. Et que j'ai une enfant à élever et que j'espère
01:27:08 rester le plus longtemps possible auprès d'elle. Et donc, c'est aussi une manière
01:27:12 de se préserver. Merci infiniment, Aya. Merci d'avoir été avec nous ce soir.
01:27:19 (Applaudissements)