Libre-échange : le Mercosur contre les agriculteurs ?

  • il y a 7 mois

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00:00 *Musique*
00:04 Les matins de France Culture, Quentin Laffey.
00:07 Alors que la pression des syndicats agricoles sur le gouvernement s'accroît et que la crise agricole reprend de plus belle,
00:12 alors que la semaine est cruciale pour le gouvernement, avant l'ouverture du salon de l'agriculture,
00:17 ce samedi, retour ce matin sur un point central de cette crise, un point cœur, les accords de libre-échange et leur impact sur l'activité agricole française.
00:26 Pour en parler, je reçois ce matin dans une première partie deux invités. Aurélie Cattalo, bonjour.
00:31 Bonjour.
00:32 Vous êtes directrice agriculture France pour l'Institut du développement durable et des relations internationales, LIDRI.
00:38 Et à nos côtés, mais à distance, Maxime Combes, bonjour.
00:41 Bonjour.
00:42 Vous êtes économiste en charge des politiques commerciales et de relocalisation à l'AITEC.
00:46 L'AITEC, c'est l'Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs.
00:50 Je précise que vous êtes également le co-animateur du collectif Stop CETA Mercosur.
00:55 Et pour commencer, Maxime Combes, est-ce que vous pourriez nous expliquer peut-être les fondements théoriques de ces accords de libre-échange ?
01:02 Qu'est-ce qui justifie historiquement leur existence ?
01:06 Il a été décidé d'augmenter les échanges commerciaux internationaux au motif que cela bénéficierait aux deux entités, aux deux pays, aux deux régions qui vont commercer l'une avec l'autre.
01:18 Et globalement, sans être trop long, l'Union Européenne, qui négocie donc au nom des 27 États membres de l'Union Européenne,
01:27 puisqu'on a confié aux institutions européennes la charge de cette responsabilité,
01:32 fait plus ou moins toujours la même chose, c'est-à-dire qu'elle est prête à ouvrir les marchés agricoles européens
01:38 pour pouvoir vendre plus d'automobiles, plus de produits industriels, plus de machines-outils, plus de produits chimiques et autres à des pays tiers.
01:47 Considérant que c'est par le fait d'exporter ces produits-là et de gagner des parts de marché en ouvrant la possibilité à des entreprises européennes,
01:57 notamment les multinationales des services, de créer de nouveaux marchés dans des pays du sud ou des pays tiers,
02:02 que la prospérité économique en Europe va être prolongée.
02:07 Ceci est discutable sur le plan économique, mais l'idée c'est qu'on va libéraliser les marchés,
02:12 c'est-à-dire à la fois limiter, réduire, voire supprimer tout ce que sont les barrières à l'entrée, à la frontière européenne des produits venant des pays du sud.
02:24 Et en contrepartie, cela signifie que du coup on confie à ces marchés internationaux l'organisation de ces échanges-là,
02:33 au lieu de les confier à la puissance publique, qui du coup se voit limitée dans ses possibilités d'action et d'intervention
02:40 pour réguler les prix, réguler les quantités, limiter l'entrée de produits à la frontière.
02:45 C'est ça les accords de libre-échange. Les accords de libre-échange c'est tout autre chose que simplement le commerce.
02:51 Le commerce a toujours existé, il existera toujours.
02:54 Les accords de libre-échange c'est de confier aux marchés et aux entreprises qui y vont avec la charge finalement de l'organisation de ces échanges.
03:02 Là encore du point de vue théorique, Maxime Combes, à qui sont censés servir ces accords ?
03:07 Aux personnes qui produisent ou aux personnes qui consomment ?
03:11 Généralement, ces accords-là sont plutôt pensés pour améliorer la situation, le bien-être des consommateurs.
03:21 Et cela se fait pour partie au détriment de celles et ceux qui produisent.
03:25 En tout cas, ils sont considérés bien souvent comme une barrière d'ajustement.
03:28 Car en Europe, la Commission européenne, les institutions européennes et même les États membres sont bien conscients que ces accords,
03:35 notamment lorsque l'on ouvre des marchés agricoles, vont avoir des impacts sur certains secteurs les moins compétitifs de l'agriculture française et européenne.
03:42 Mais ils considèrent que globalement, l'effet sera positif parce que le consommateur va voir les prix d'un certain nombre de produits diminuer ou ne pas augmenter,
03:53 avoir accès à des produits fabriqués ailleurs sur la planète.
03:57 Et c'est cette idée-là qui consiste à dire que globalement, sur le plan économique, quand on agrège l'ensemble des données, on va être bénéficiaire.
04:07 Mais ce "on" n'est pas défini alors qu'il y a des perdants réels.
04:10 Par exemple, l'accord entre l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande, qui a été ratifié au mois de décembre,
04:15 nous savons qu'il va avoir des impacts négatifs sur les producteurs d'agneaux en France et en Europe.
04:20 Mais globalement, la France et l'Union européenne considèrent que finalement, ce n'est pas très grave.
04:26 Et ça, il faudrait discuter avec eux pour voir si ça l'est vraiment,
04:29 puisque l'on va vendre des voitures, des services, des produits industriels à la Nouvelle-Zélande et que globalement, on va être bénéficiaire.
04:36 Aurélie Catalo, ces accords de libre-échange, ils sont au cœur des discussions, des revendications des agriculteurs depuis ce qu'on appelle la crise agricole.
04:45 Est-ce qu'on arrive aujourd'hui à mesurer concrètement, précisément, les effets de ces accords de libre-échange sur l'agriculture française et sur le travail des agriculteurs ?
04:55 Oui, tout à fait. Les accords de libre-échange font partie des revendications centrales des agriculteurs,
04:59 parce que là où il y a bien un dénominateur commun entre les États membres et les différents syndicats agricoles,
05:04 c'est sur la nécessité d'avoir des réponses de long terme sur le revenu agricole.
05:08 Les distorsions de concurrence engendrées par les accords de libre-échange font partie de ces sources de distorsion de concurrence pour le revenu des agriculteurs français et européens.
05:16 Il faut expliquer, pardonnez-moi, d'un mot, pourquoi, en quoi, il existe des distorsions de concurrence ? Qu'est-ce qui les provoque ?
05:21 Eh bien, lorsque nous importons des produits issus d'un accord de libre-échange, nous n'avons pas la garantie que ces produits-là vont respecter les mêmes standards sociaux, sanitaires, environnementaux ou de bien-être animal
05:33 que les normes ou les règles qui sont en vigueur chez nous dans l'Union européenne.
05:37 Et cela peut donc engendrer l'arrivée sur le marché commun européen de denrées qui ont des coûts de production inférieurs à ce qui est en vigueur dans l'Union européenne.
05:46 Et en cela, ça peut venir donc déstabiliser le revenu des agriculteurs européens.
05:50 Et donc, arrive-t-on à mesurer les effets de ces accords de libre-échange ?
05:55 Ce qu'on peut facilement observer, c'est ce que ça a comme effet sur les volumes d'importation et les volumes d'exportation des produits agricoles et alimentaires entre l'Union européenne et les pays tiers avec lesquels nous avons des accords de libre-échange.
06:07 Et globalement, ce qu'on peut observer, c'est que les accords de libre-échange ont pour effet d'augmenter les flux importés et les flux exportés, les deux.
06:15 On augmente nos importations et on augmente nos exportations.
06:18 Typiquement, si on observe le commerce que la France a eu avec les pays tiers, c'est-à-dire les pays hors Union européenne entre 2000 et 2022, donc sur une période d'un peu plus de 20 ans,
06:28 eh bien on voit que à la fois les importations et les exportations ont été multipliées par plus de 2,5.
06:33 Donc ça, c'est vraiment un effet du libéralisme économique, de la libéralisation du commerce agricole.
06:38 Et ça marche vraiment dans les deux sens.
06:40 À la fois, j'exporte plus, mais aussi j'importe plus.
06:43 Et on arrive à établir un lien causal entre les chiffres que vous donnez et ces accords de libre-échange ?
06:48 On arrive à isoler l'effet de la signature de ces accords, concrètement ?
06:52 Alors non, pas. En tout cas, les chiffres que je donne, ce sont des chiffres qui sont globaux,
06:57 donc qui couvrent à la fois les échanges qui ont lieu sous effet d'accords de libre-échange et sous effet d'autres formes de commerce international,
07:05 qui peuvent être des accords de partenariat, qui peuvent être sous les règles générales de l'Organisation mondiale du commerce.
07:10 Mais il en demeure pas moins que, de toute manière, depuis 1992 et la mise en place de l'Organisation mondiale du commerce,
07:16 l'agriculture et l'alimentation font partie des secteurs qui sont inclus dans les règles internationales de libre-échange.
07:22 Et donc, globalement, sur la période que je vous ai donnée, on a une poursuite de la libéralisation des échanges agricoles internationaux.
07:28 Maxime Combes, on parle depuis le début de cet échange du système agricole français,
07:32 comme s'il s'agissait d'une entité unique, d'un bloc monolithique.
07:36 Est-ce que toutes les filières, tous les secteurs agricoles sont touchés de la même façon par ces accords de libre-échange ?
07:43 Une précision par rapport à ce qu'a dit Aurélie Cataleau, c'est que cette mise en concurrence de systèmes productifs aux structures de coûts,
07:50 aux normes sociales écologiques différentes, n'a pas simplement des impacts sur le monde agricole français et européen,
07:56 il a des impacts sur le monde agricole, notamment dans les pays du Sud, c'est-à-dire que les exportations européennes,
08:02 la compétitivité de certaines productions agricoles européennes ont des impacts massifs sur la déstructuration des filières,
08:08 des productions de vivieries de plein de pays du Sud. C'est le cas au Sénégal, je pourrais vous dire en deux mots ce qui se passe en Colombie.
08:15 La Colombie d'où est originaire la pompe de terre, on a signé un accord avec la Colombie,
08:20 enfin l'Union Européenne a signé un accord avec la Colombie il y a une dizaine d'années maintenant,
08:23 qui a vu déferler des frites allemandes, hollandaises, belges sur le territoire colombien.
08:32 La Colombie a voulu protéger son secteur de production de la pompe de terre et a mis un petit droit de douane en place.
08:38 Ceci a été attaqué par l'Union Européenne devant l'Organisation Mondiale de l'E-Commerce, l'Union Européenne a gagné,
08:43 et donc du coup globalement la Colombie ne peut pas protéger son secteur de la production de la pompe de terre.
08:49 Le livre-échange c'est ce dispositif qui finalement préfère de la frite importée venant de 10 000 km
08:56 plutôt que de la pompe de terre produite localement.
08:59 Et donc ce qui est aujourd'hui exigé par le monde agricole européen de plus de protection
09:04 et de moins mise en concurrence sur les marchés internationaux devrait être également accepté pour les pays du sud.
09:12 Donc c'est finalement l'ensemble de la politique de livre-échange, de la politique commerciale
09:18 et pas simplement des protections frontières de l'Europe qui faudrait mettre en oeuvre.
09:21 Par ailleurs, effectivement, vous avez raison de poser la question, le monde agricole européen n'est pas touché de manière uniforme.
09:27 Et toute une partie du monde agricole européen, du monde agricole français,
09:31 et c'est d'ailleurs une des contradictions au sein de la FNSEA, profite très largement de ces accords de livre-échange
09:37 et on se vante bien souvent de vendre du cognac au Japon et que ceci vaudrait le fait de signer ces accords-là.
09:44 Et donc du coup, vous avez une agriculture extrêmement compétitive, notamment les grandes plaines céréalières monoculture,
09:50 qui également, les productions de vins et spiritueux, qui eux sont très gagnants en général avec ces accords de livre-échange.
09:59 Les perdants, ce sont généralement des productions en Europe, en tout du monde et en France,
10:04 des productions d'élevage, des productions de polyculture, qui eux sont fortement sous-unis à cette concurrence internationale
10:11 et à qui on demande effectivement un peu la quadrature du cercle, c'est à dire à la fois d'être compétitif sur les marchés internationaux
10:17 et de réaliser une montée en gamme sur leur production.
10:23 Et ce qu'il faut bien comprendre, c'est que cette réalité-là, elle est le fait des accords déjà passés.
10:29 C'est à dire que l'accord Hué-Mercosur, ça serait une nouvelle pierre à l'édifice,
10:34 mais l'essentiel, ce sont l'ensemble des accords qui sont passés depuis 20 ou 30 ans,
10:39 qui contribuent aujourd'hui et qui constituent aujourd'hui cette concurrence déloyale.
10:42 Aurélie Cattelot, c'est bien cela ce qu'on observe, il y a une partie de l'agriculture française,
10:45 notamment l'agriculture à forte valeur ajoutée, qui bénéficie de ces accords de libre-échange,
10:50 alors que l'autre a tendance à en pâtir ?
10:53 Oui, il y a bien des disparités de situations entre les différentes filières agricoles françaises
10:58 et donc entre les différents types de production.
11:00 Les filières sur lesquelles la France est la plus exportatrice, notamment vis-à-vis des pays tiers,
11:06 ce sont les vins espiritueux, les céréales et produits issus des céréales,
11:10 et le lait et les produits laitiers.
11:12 Ça c'est vraiment un peu les trois fleurons, si on peut dire ça comme ça, de l'agroalimentaire français.
11:18 C'est les trois filières qui ont un solde commercial positif,
11:22 donc on en exporte plus qu'on en importe.
11:25 Par contre, il y a bien d'autres filières sur lesquelles on est déficitaire,
11:28 et du coup la France va importer plus que ce qu'elle n'exporte.
11:31 C'est le cas principalement des protéagineux,
11:34 notamment le soja qui est utilisé pour nourrir nos animaux d'élevage,
11:37 mais également sur certains types de viandes.
11:40 Maxime Combes citait l'exemple de la viande de mouton et d'agneau, c'est tout à fait le cas.
11:44 Et même pour les trois produits que j'ai cités comme étant les trois produits
11:48 sur lesquels nous exportons plus que ce que nous importons,
11:51 il faut bien avoir en tête que derrière il y a un besoin croissant d'importation
11:55 pour réaliser ces exportations.
11:57 Je vous parlais des produits laitiers, le cheptel laitier français,
12:00 c'est le premier cheptel nourri à base de soja en France.
12:03 Or ce soja est très majoritairement importé.
12:06 Autre exemple, pour faire beaucoup de céréales,
12:08 on a besoin d'utiliser des engrais chimiques de synthèse,
12:11 et ces engrais chimiques de synthèse représentent des importations
12:14 équivalentes à 4 milliards d'euros par an pour la France,
12:17 donc ça n'est pas anecdotique.
12:19 Les vins espiritueux, ça fait partie des types de cultures
12:22 pour lesquelles on a besoin de recourir à des pesticides,
12:24 et là aussi la France importe l'équivalent de 2 milliards d'euros de pesticides par an.
12:28 Donc en fait, derrière même nos filières en apparence bénéficiaires
12:34 des accords de libre-échange, se cachent des besoins croissants d'importation.
12:38 Merci beaucoup Aurélie Cattelot et Maxime Congon.
12:40 On va poursuivre cette discussion à 8h20,
12:43 et on en sera rejoint par Yannick Fialib,
12:45 qui est président de la Chambre d'Agriculture de Haute-Loire
12:48 et représentant de la FNSEA.
12:50 Ce sera à partir de 8h20. En attendant, il est 7h55.
12:54 Suite de notre discussion sur les accords de libre-échange
13:04 et leur impact sur l'agriculture française,
13:06 alors que les syndicats agricoles accroissent la pression sur le gouvernement
13:10 et que la crise agricole reprend de plus belle,
13:13 nous poursuivons cette discussion ce matin avec 3 invités.
13:16 Maxime Congon est économiste en charge des politiques commerciales
13:19 et de relocalisation à l'AITEC,
13:22 l'Association Internationale des Techniciens, Experts et Chercheurs,
13:25 avec Aurélie Cattelot, électrice Agriculture France
13:28 pour l'Institut de Développement Durable et des Relations Internationales, l'IDRI.
13:31 Ils sont rejoints tous les deux par Yannick Fialib.
13:34 Bonjour.
13:35 Bonjour.
13:36 Vous êtes président de la Chambre d'Agriculture de Haute-Loire
13:38 et représentant de la FNSEA,
13:40 la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles.
13:43 Je voulais vous faire réagir à cette annonce,
13:46 cette décision d'Emmanuel Macron qui date du jeudi 1er février 2024.
13:51 Alors que la mobilisation du monde agricole battait son plein,
13:54 Emmanuel Macron a réaffirmé depuis Bruxelles l'opposition de la France
13:58 à l'accord de libre-échange entre l'Union Européenne et le Mercosur.
14:02 Le Mercosur, c'est un accord qui réunit le Brésil, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay.
14:07 Un refus de poursuivre la discussion, je le cite, dans l'état des textes.
14:12 Quelle est la position de la FNSEA sur ce sujet ?
14:15 C'est clair, c'est qu'on n'est pas contre les accords de libre-échange
14:20 pour l'Union Européenne,
14:24 mais on voudrait qu'il y ait de l'équité.
14:26 On ne peut pas mettre en compétition nos agricultures
14:29 avec des agricultures qui ne répondent pas aux mêmes besoins sociaux,
14:32 environnementaux et sanitaires.
14:34 Et là, on a un vrai sujet de fond.
14:36 Depuis des années, la Commission Européenne veut signer des accords
14:38 avec un certain nombre de pays sur le plan mondial
14:41 sans prendre en compte qu'elle a plutôt fait monter en gamme l'agriculture européenne.
14:45 Parce qu'il est normal qu'une population qui a un peu plus de pouvoir d'achat
14:47 veuille une agriculture peut-être un peu plus vertueuse.
14:50 Mais en même temps, la mettant en compétition avec de l'importation
14:54 de viande bovine, de sucre, de miel,
14:57 qui viennent de pays qui ne respectent pas les mêmes réglementations.
14:59 Et c'est là qu'on a un vrai sujet de distorsion de concurrence
15:02 qui nous met à mal et qui conduit globalement
15:05 à avoir des produits qui rentrent sur notre sol
15:07 à un prix bien moindre
15:09 et qui met en compétition notre agriculture
15:11 et qui incite les consommateurs à acheter toujours moins cher leur alimentation
15:15 sans prendre en compte ces considérations
15:17 qui sont de sauvegarder notre agriculture et nos productions.
15:21 Et on le voit depuis des années, notre production baisse
15:24 en Europe et notamment en France
15:26 parce qu'elle est en compétition avec ces produits-là.
15:29 L'exemple de la viande bovine est assez parlant.
15:31 On nous répète à longueur de journée qu'il faut modérer notre consommation de viande.
15:35 Les consommateurs français consomment toujours autant de viande.
15:38 Mais comme la production baisse, c'est l'importation qui vient remplacer cela.
15:42 Sans prendre en considération notamment aussi
15:44 tous les effets qu'on peut avoir sur le bilan de carbone.
15:47 Je crois que l'accord de Paris a été assez mal établi sur ce plan-là.
15:51 On a parlé d'émissions de gaz à effet de serre,
15:53 on n'a pas parlé d'empreintes carbone.
15:55 Et les produits qui sont en importation, on ne prend pas cette empreinte carbone en considération.
15:59 Ce qui nous met aussi doublement en compétition.
16:01 Pour bien comprendre Yannick Filipe, votre position,
16:04 la position officielle de la FNSE,
16:06 est-ce que vous demandez sur cet accord un moratoire
16:09 ou vous demandez simplement qu'il puisse évoluer ?
16:12 On demande des "close-miroirs".
16:14 C'est-à-dire qu'on considère que les produits qui vont rentrer en France
16:17 devront être contrôlés pour savoir s'ils répondent aux mêmes normes
16:20 que l'on impose aux agriculteurs français.
16:22 Un certain nombre de produits de traitement des plantes
16:24 sont utilisés dans ces pays-là
16:26 qui sont déjà interdits depuis plus de 20 ans en France.
16:28 Un certain nombre de normes sanitaires ne sont pas respectées
16:31 comme cela est fait en France et en Europe.
16:34 Et puis sur la partie sociale,
16:36 on peut dire qu'un certain nombre de ces pays-là
16:38 ont une réglementation sociale qui est bien en-dessous
16:40 des standards européens et des standards que l'on a en France.
16:43 Et donc c'est ce qu'on demande, des "close-miroirs"
16:46 qui permettent de comparer ces produits-là.
16:48 Et s'ils ne répondent pas aux standards qu'on s'est fixés en Europe,
16:50 ces produits ne peuvent pas rentrer en France
16:52 et donc on ne peut pas signer l'accord.
16:54 C'est tout le deal qui est aujourd'hui au niveau de Bruxelles.
16:57 Et on espère que le gouvernement français va tenir parole
17:00 pour éviter qu'on fasse rentrer encore des produits
17:03 qui ne sont pas dans la même gamme
17:05 que ce qu'on est capable de produire en France.
17:06 Aurélie Cattello, comment est-ce que vous analysez
17:08 la position de la FNSEA quant aux accords de libre-échange
17:11 et peut-être même, d'une manière plus générale,
17:13 le consensus apparent des syndicats agricoles dans ce domaine ?
17:17 J'évoquais en première partie des missions
17:20 le basculement qu'il y a eu en 1992
17:22 lorsqu'on a fait rentrer l'agriculture
17:24 dans les règles internationales de libre-échange.
17:26 A ce moment-là, globalement, la France s'est dit
17:30 "Bon, il s'avère qu'on a des filières qui produisent des excédents,
17:32 notamment sur les céréales, notamment sur le lait.
17:34 Peut-être que le libre-échange peut être une manière pour nous
17:37 de tirer parti de l'écoulement de nos excédents sur ces filières-là."
17:42 Et il s'est avéré que pendant un certain temps ensuite,
17:46 il est vrai que l'agriculture française a plutôt tiré profit du libre-échange.
17:49 Et ce, principalement parce que pendant les 20 premières années,
17:55 on a signé des accords de libre-échange
17:57 ou des accords facilitant le libre-échange de manière générale
17:59 avec des pays qui avaient une puissance agricole
18:02 plutôt moindre que celle de la France.
18:04 Typiquement, quand il s'est agi de faciliter le commerce,
18:07 par exemple avec des pays d'Afrique subsaharienne
18:09 dans lesquels l'industrie laitière n'a strictement rien à voir
18:12 avec l'industrie laitière française,
18:14 eh bien, là, on y a vu une opportunité pour nous.
18:17 Et puis, on se disait aussi que ce serait l'occasion
18:20 de contribuer à nourrir ces pays-là.
18:22 Désormais, lorsqu'on envisage de signer de nouveaux accords de libre-échange,
18:26 il s'agit de puissances agricoles qui sont au moins équivalentes
18:29 à celles de la France et parfois même plutôt plus importantes
18:32 que celles de la France.
18:34 On a cité tout à l'heure le cas de l'accord avec la Nouvelle-Zélande
18:37 qui est effectivement une filière ovine extrêmement développée.
18:40 Et puis, lorsqu'on regarde les pays du Mercosur,
18:42 notamment le Brésil, c'est des pays qui ont des capacités
18:44 de production de viande ou d'oléagineux, de protéagineux
18:47 qui sont très importantes.
18:49 Et donc là, tout d'un coup, on a une position
18:51 qui est un peu plus inquiète pour l'avantage
18:53 que ça pourrait représenter pour les filières françaises.
18:56 Et peut-être que ce qui a manqué historiquement,
18:58 c'est la reconnaissance de l'évolution de notre appréciation
19:01 des accords de libre-échange.
19:03 C'est vrai qu'on a peu entendu les représentants
19:05 de la profession agricole majoritaire comme les décideurs politiques
19:08 se dire "jusqu'à présent, on a réussi à tirer plutôt pas mal
19:12 notre épingle du jeu lors de la signature d'accords de libre-échange,
19:15 mais désormais, on remet en question la pertinence
19:18 de ces nouveaux accords de libre-échange
19:20 parce que la France ne viendrait plus sans sortir gagnante
19:24 en ce qui concerne ses filières agricoles".
19:26 - Maxime Combes, lorsque le Président de la République,
19:28 lorsque l'exécutif français marque son opposition
19:32 à cet accord Union Européenne-Mercosur,
19:35 marque son opposition en tout cas au texte en l'État,
19:38 est-ce que la France a les moyens simplement
19:41 d'entraver les négociations ou d'empêcher
19:43 que cet accord soit ratifié ?
19:45 - D'abord, il faut noter que la position de la France
19:49 a été fluctuante puisque cet accord a été soutenu
19:53 par Emmanuel Macron en 2019 et par la France
19:57 lorsqu'il a été finalisé sur son contenu
20:01 et que sans ce soutien de la France,
20:03 on ne serait pas aujourd'hui en train de parler de l'accord Union Européenne-Mercosur.
20:06 La deuxième chose, c'est que la position de la France
20:08 est effectivement peu compréhensible.
20:10 On dit qu'Emmanuel Macron a répété plusieurs fois
20:13 qu'il était en désaccord avec le texte en l'État.
20:15 Donc si le contenu du texte ne convient pas,
20:17 il faut modifier ce contenu du texte.
20:19 Mais la France ne propose pas de modification
20:22 du contenu du texte à la Commission Européenne.
20:24 Il faut savoir que la Commission Européenne qui négocie,
20:27 sans faire de coup de force,
20:29 négocie avec un mandat qui lui a été donné en 1999,
20:32 qui a été validé tacitement et explicitement
20:36 de nombreuses fois dans des retours qu'elle a pu faire
20:39 auprès du Conseil, auprès des 27 États européens.
20:41 Donc en fait, la France accepte que la Commission Européenne
20:44 est un mandat de négociation en notre nom à tous.
20:47 Et donc du coup, la question qu'il faudrait poser à Emmanuel Macron,
20:50 c'est de savoir si il y a une véritable opposition
20:53 sur l'économie générale du texte tel qu'il existe aujourd'hui.
20:56 Il faut réexaminer le mandat dont la Commission Européenne dispose
20:59 pour négocier, ou éventuellement, y compris, lui retirer ce mandat-là.
21:03 Et ça, c'est une position qui n'est pas celle de la France aujourd'hui.
21:07 Donc il y a un peu le sentiment que la France dit
21:09 qu'elle est contre l'accord à Paris,
21:12 mais qu'elle laisse finalement les négociations se poursuivre à Bruxelles.
21:15 Et d'ailleurs, les négociations se poursuivent actuellement.
21:18 La deuxième petite chose que je voudrais apporter,
21:21 c'est qu'il y a une contradiction, effectivement, dans la position française,
21:23 mais qui est une contradiction qui s'exprime également
21:26 dans la position de la FNSEA, qui est de dire, finalement,
21:30 que le monde agricole français souhaiterait bénéficier
21:34 des accords de libre-échange quand ces produits compétitifs
21:37 peuvent aller gagner des marchés à l'export,
21:40 mais souhaiteraient être protégés quand ces marchés
21:43 ou ces produits les moins compétitifs sont concurrencés
21:45 par des productions venant de l'étranger.
21:47 Là, il y a un petit souci.
21:48 Et sur la question des clauses miroirs ou des mesures miroirs
21:51 ou de ce qui serait nécessaire pour protéger le monde agricole,
21:55 la question qu'il faut poser, c'est est-ce que la FNSEA,
21:58 est-ce que le monde agricole français serait d'accord, du coup,
22:02 pour que des pays du Sud, qui sont fortement déstabilisés
22:05 par les exportations européennes, par les accords de libre-échange,
22:10 puissent, eux aussi, mettre en place des mesures de protection
22:13 de leurs marchés agricoles ?
22:15 Et en général, la position est totalement négative sur ce point-là.
22:18 Donc là, il y a une contradiction fondamentale qui s'exprime,
22:21 qui n'est pas de nature à expliciter et à rendre plus claire la discussion.
22:27 De notre point de vue, les marchés agricoles, l'alimentation,
22:31 l'agriculture est un bien trop précieux pour être confié
22:34 aux forces du marché, pour être confié à l'agribusiness internationale
22:39 et que nous avons besoin de régulations publiques sur ces marchés-là.
22:43 Nous avons besoin de la possibilité que les pouvoirs publics
22:46 puissent agir à la fois sur les quantités importées et exportées,
22:51 agir sur les prix, agir sur les régulations qui sont nécessaires
22:55 parfois pour, effectivement, protéger les filières.
22:58 Et cela nécessite, en fait, un réexamen complet de l'ensemble
23:01 des accords de libre-échange et pas simplement
23:03 le fait de s'opposer à un accord supplémentaire qui est celui avec le Mercosur
23:07 qui n'est pas en vigueur aujourd'hui et qui donc n'explicite pas,
23:10 n'est pas la raison des distorsions de concurrence qui sont observées aujourd'hui.
23:15 Yannick Philippe, je voudrais vous faire réagir à cette contradiction,
23:18 ce paradoxe qui vient d'être pointé en apparence dans la position de la FNSEA,
23:24 le libre-échange quand cela servirait certaines filières agricoles,
23:28 le protectionnisme quand les filières seraient plus fragiles.
23:31 Je ne crois pas que dans mes propos j'ai parlé de dire qu'il y avait des problèmes
23:36 de protection du marché européen par rapport à l'exportation ou à l'importation.
23:40 J'ai dit que les normes que l'on s'est fixées en Europe et notamment en France,
23:44 c'est plutôt une agriculture plutôt vertueuse avec des normes sociales,
23:47 environnementales et sanitaires qui sont quand même dans le haut de gamme
23:50 de l'agriculture mondiale. Et c'est cela qui pose question.
23:53 C'est-à-dire que si les pays sont capables de faire la même agriculture que nous,
23:56 effectivement on est ouvert à la compétition.
23:58 Et quand on exporte, on exporte plutôt des produits de qualité.
24:01 On exporte du comté par exemple qui est un produit de qualité en Chine,
24:05 il n'y a pas de problème parce qu'on répond à un certain nombre de normes.
24:07 Et ce que je voudrais rajouter, c'est que bien souvent l'agriculture sert de mondial
24:11 d'échange pour d'autres accords sur d'autres secteurs.
24:14 On sait que l'automobile notamment, le secteur automobile allemand met une forte pression
24:19 pour conclure cet accord avec le Mercosur, que des produits pharmaceutiques aussi.
24:23 Et que enfin, je dirais qu'avec une crise Covid qui nous a appris que sanitairement
24:29 on pouvait bloquer l'économie mondiale, avec le retour de la guerre aux portes de l'Europe,
24:34 mais aussi je dirais une situation géopolitique instable au plan mondial,
24:38 est-ce qu'il ne faut pas un peu sécuriser notre alimentation sur les continents ?
24:43 Et je dirais que l'Europe aujourd'hui ouvre à tous les vents son agriculture
24:47 sans prendre en considération que ces 600 millions de consommateurs
24:51 qui ont plutôt du pouvoir d'achat, ont plutôt besoin de sécuriser leur alimentation
24:54 avec une production locale.
24:56 Et c'est là qu'on interroge un peu ces accords de libre-échange en disant
24:59 qu'il faut qu'on revienne à quelque chose de plus pragmatique,
25:01 qu'on sécurise nos agriculteurs, qu'on les protège aussi,
25:04 parce qu'il en va de l'avenir de filières.
25:06 Une fois que l'agriculteur aura disparu dans certains territoires et dans certaines filières,
25:10 c'est un laps de temps de 10, 20, 30 ans pour recréer ces filières-là.
25:13 Et donc vous comprenez bien que si on a une crise sanitaire
25:16 ou un mouvement géopolitique avec ces pays-là,
25:18 c'est très difficile du jour au lendemain de dire "on peut se passer de leur alimentation".
25:21 Aurélie Cadalo, quand on regarde les études d'impact de ces accords de libre-échange,
25:25 et une étude en particulier qui met la lumière sur l'impact sur l'agriculture française
25:31 entre le CETA et l'Union Européenne, c'est-à-dire l'accord qui régie maintenant
25:35 les relations commerciales, notamment dans le domaine agricole,
25:38 entre l'Union Européenne et le Canada,
25:41 on réalise qu'en réalité beaucoup, beaucoup de pays européens
25:43 ont bénéficié du point de vue commercial de ces accords de libre-échange
25:47 et que le pays qui en a le moins profité, si je puis dire,
25:50 notamment dans le domaine agricole, c'est la France.
25:52 Est-ce que ces accords de libre-échange ne viennent pas en fait révéler
25:55 une fragilité relative de l'agriculture française ?
25:58 Oui, tout à fait. En fait, il y a un peu un paradoxe à réfléchir
26:02 ou à discuter des effets d'un accord de libre-échange entre la France et un pays tiers,
26:06 alors même que ces accords de libre-échange, en fait,
26:08 ils organisent des échanges entre l'Union Européenne et un pays tiers,
26:11 un ou plusieurs pays tiers.
26:13 Et l'exemple de l'accord avec le Canada, c'est ce qu'il révèle.
26:16 C'est qu'en fait, au global, l'agriculture européenne a effectivement
26:20 plutôt bénéficié de cet accord de libre-échange-là,
26:23 mais ça ne veut pas dire qu'au sein du marché commun européen,
26:26 il n'y a pas des gagnants et des perdants.
26:28 Et il s'avère qu'il y a des États membres qui ont plus tiré leur épingle du jeu,
26:31 à ce jeu-là, que l'agriculture française.
26:34 Et ce que ça révèle, ça révèle que l'agriculture française
26:37 n'est pas forcément la mieux positionnée pour gagner au jeu de la compétitivité-prix,
26:42 c'est-à-dire au jeu de la capacité à produire beaucoup de certains produits
26:47 à un coût mondial attractif.
26:50 Est-ce que de ça, il faut forcément s'en flageller ?
26:53 Pas nécessairement, parce qu'en fait, l'agriculture française,
26:56 elle a plein d'autres atouts que celui-ci.
26:58 Elle a l'atout d'une agriculture qui reste encore relativement diversifiée
27:01 à l'échelle de son territoire.
27:03 Donc certes, on ne va pas faire énormément, énormément,
27:06 par exemple, de production de porc sur tout le territoire,
27:09 mais ailleurs dans notre territoire, on va faire des grandes cultures,
27:12 ailleurs dans notre territoire, on va faire du lait ou de la viande bovine, etc.
27:15 Et ça, c'est une force, ça, c'est un atout majeur
27:18 pour que la France puisse avancer dans la transition agroécologique, par exemple.
27:22 Donc là où il y a plus un problème, c'est de vouloir dire que d'un côté,
27:26 on veut faire la transition agroécologique qui est nécessaire
27:29 pour assurer la capacité de production de l'agriculture française à moyen-long terme,
27:32 et d'un autre côté, se dire qu'on va aussi essayer de jouer le jeu
27:35 de la compétitivité-prix sur les marchés internationaux.
27:38 C'est là où il y a un paradoxe.
27:40 Mais donc, vous avez bien raison de pointer le fait que la France, toute seule,
27:44 elle ne peut pas complètement changer le paradigme agricole de l'Union Européenne,
27:49 et que la France, elle a par contre un rôle de mettre en discussion,
27:53 au niveau européen, la pertinence de l'inclusion de l'agriculture
27:57 dans les accords de libre-échange, et éventuellement,
27:59 la réorientation de notre modèle agricole plus globalement.
28:02 - Maxime Combes, l'expression a été prononcée plusieurs fois déjà,
28:05 depuis le début de cette discussion, la transition agro-alimentaire.
28:09 Est-ce qu'elle est prise en compte de plus en plus,
28:11 notamment par la Commission Européenne, dans l'élaboration de ces accords de libre-échange ?
28:16 - Pour l'instant, c'est de façon édulcorée, c'est-à-dire qu'effectivement,
28:21 dans les nouveaux accords qui sont en cours de négociation,
28:23 on fait mention de l'accord de Paris sur le climat,
28:25 on fait mention d'un certain nombre d'engagements qui ont pu être pris
28:28 dans des sphères internationales autres que celles de l'Organisation Mondiale du Commerce,
28:33 mais généralement, ces mentions-là, ces clauses-là, éventuellement,
28:37 ne sont jamais réellement contraignantes.
28:40 Un seul exemple, on a fait de l'accord entre l'Union Européenne et la Nouvelle-Zélande
28:44 un accord extrêmement présenté comme le plus moderne, le plus avancé,
28:49 avec mention de l'accord de Paris.
28:51 La Nouvelle-Zélande vient de changer de gouvernement,
28:53 et vient de décider de réengager l'exploration d'hydrocarbures
28:58 sur l'ensemble de son territoire, y compris les eaux maritimes.
29:04 Ce qui est manifestement contraire à l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique
29:10 prévu par l'accord de Paris, l'accord entre l'UE et la Nouvelle-Zélande,
29:14 qui va rentrer en vigueur, ne sera pas suspendu à l'aune de cette décision de la Nouvelle-Zélande.
29:18 Plus généralement, on a effectivement une contradiction fondamentale
29:22 qui consiste à laisser penser qu'il va être possible de mettre en œuvre
29:28 des politiques extrêmement volontaristes en matière de transition écologique,
29:34 y compris en tenant compte des enjeux sociaux,
29:36 tout en étant soumis à une concurrence internationale,
29:41 et en voulant bénéficier de cette concurrence internationale
29:44 pour exporter un maximum de produits.
29:46 Ce que les accords de libre-échange instituent de manière structurelle,
29:52 et qui ne pourra pas être contrebalancé par des politiques publiques de régulation,
29:59 parce que c'est une contradiction dans les termes,
30:02 c'est que ça construit des allongements de filières d'approvisionnement,
30:06 et donc de l'insécurité en matière agricole du point de vue alimentaire,
30:10 et la destruction des marchés locaux.
30:13 Quand M. de la FNSEA dit que nous ne vendons que des produits de qualité à l'international,
30:18 ce n'est pas vrai.
30:19 Nous vendons les bas morceaux de volaille que les consommateurs européens
30:23 ne veulent pas consommer, dans les pays africains notamment,
30:28 mais également les sous-produits du lait,
30:30 notamment de la poudre de lait qu'on rait en Grèce avec de l'huile de palme,
30:35 et tout cela des structures des marchés locaux dans les pays du Sud.
30:38 Et ce qu'il faut savoir, c'est que par exemple, de nombreux pays du Sud
30:40 souhaiteraient que l'Union Européenne arrête de subventionner de façon aussi importante
30:46 l'agriculture européenne, qui de ce fait obtient un avantage compétitif
30:52 sur les marchés internationaux.
30:54 Et donc du coup, ce qu'on souhaiterait mettre en œuvre à l'échelle européenne,
30:58 c'est-à-dire la protection de la concurrence internationale
31:02 quand il s'agit de filières qui ne sont pas suffisamment compétitives,
31:06 si ceci doit avoir le jour, il faut que ce ne soit pas simplement possible en Europe,
31:11 mais il faut que ce soit également possible dans tous les pays tiers
31:13 avec lesquels l'Union Européenne négocie et commerce.
31:16 Et ça, pour l'instant, ce n'est pas à l'ordre du jour.
31:19 Donc du coup, il ne faudrait pas que, parce que l'Union Européenne
31:22 est un marché de 450 millions de consommateurs
31:24 et a une puissance économique importante,
31:26 elle impose finalement une relation encore plus asymétrique
31:30 dans les échanges internationaux, en protégeant son agriculture
31:33 et en considérant la moins compétitive,
31:35 et que son agriculture la plus compétitive continue à déstructurer
31:38 des marchés locaux dans les pays du Sud.
31:40 Ça, ce n'est pas acceptable d'un point de vue simplement logique,
31:43 d'un point de vue simplement de la cohérence intellectuelle
31:46 de ce qui est mené à l'échelle européenne.
31:48 Je voudrais vous faire réagir, Yannick, Fialippe,
31:51 vous qui représentez la FNSEVA dans cette discussion,
31:55 à ce que vient de dire Maxime Combes au fond.
31:57 Nous ne vendrions pas, grâce au libre-échange,
31:59 uniquement les produits agricoles à forte valeur ajoutée,
32:03 mais également les bas morceaux de volaille et les sous-produits du lait.
32:07 Je ne sais pas où M. Combes trouve ces chiffres,
32:10 mais moi je sais que sur notamment la verne de volaille,
32:13 l'Europe importe beaucoup de viande de volaille aujourd'hui.
32:17 En France, c'est pratiquement un poulet sur deux
32:20 sur la consommation, restauration hors foyer qui est d'importation.
32:24 Donc voilà, je suis un peu surpris par ces chiffres-là,
32:27 parce que nous on n'a pas du tout les mêmes.
32:29 Mais au-delà de ce débat un peu stérile sur les chiffres,
32:34 c'est de dire à un moment où on voit quand même une géopolitique
32:38 se dessiner qui est quand même assez fragile,
32:40 est-ce que ce continent européen, j'y rappelle,
32:42 ne subventionne pas plus son agriculteur que les autres continents,
32:44 et ne le protège pas plus, même moindre ?
32:47 Et est-ce qu'on continue dans cette logique-là
32:50 d'ouvrir notre système alimentaire à tous les vents du libéralisme
32:55 et à de l'importation, ou est-ce qu'on le protège un peu ?
32:59 Un certain nombre de continents sont en train de réarmer
33:02 leur production agricole.
33:03 Les États-Unis, on voit ce qui se passe avec la Russie,
33:06 on voit la Chine qui redessine un certain nombre de profils
33:09 sur son agriculture, et nous l'Europe,
33:12 on serait en train de libéraliser notre système,
33:15 et en plus en mettant sous pression, sous injonction plutôt
33:20 de "green deal" notamment européen, nos agriculteurs,
33:23 en leur demandant de faire encore plus en termes de montée en gamme,
33:26 notamment environnementale.
33:27 C'est là qu'on a un paradoxe.
33:29 Nous, on est prêts à faire des efforts sur la transition agroécologique,
33:31 mais on veut qu'il y ait une rétroprocessivité
33:33 par rapport aux produits qu'on va importer.
33:35 Et là, je dirais qu'on n'a pas le même rapport avec ces accords.
33:38 On a signé avec le CETA, et je peux vous en parler,
33:42 notamment sur une production que je connais très bien,
33:44 Haute-Loire, qui est la lentille.
33:45 On produit de la lentille à Haute-Loire,
33:47 mais en non-compétition avec une lentille qui vient du Canada,
33:49 qui n'a pas du tout les mêmes normes sanitaires,
33:51 environnementales, que l'on produit en France.
33:54 Et donc, on est moins compétitif.
33:55 Et donc, on se retrouve avec de la lentille qui vient,
33:57 aujourd'hui, dans les repas des cantines, notamment, du Canada,
34:00 qui n'a pas du tout les mêmes vertus que la lentille qu'on produit,
34:04 notamment, à Haute-Loire et en France.
34:06 Et on a ces productions qui se cassent la figure en France,
34:08 parce qu'on n'arrive pas à être compétitif avec ces produits d'importation.
34:12 Donc, c'est là qu'on pose le débat, en disant,
34:14 qu'est-ce qu'on veut demain pour notre agriculture européenne ?
34:17 Est-ce qu'on veut que ce soit un continent qui continue à développer sa production,
34:20 donc qui continue à avoir des producteurs et des consommateurs,
34:23 ou est-ce qu'on veut seulement que ce soit un continent de consommateurs
34:26 qui sera soumis aux aléas des pays pour importer son alimentation ?
34:29 Aurélie Catalo, on a parlé d'à peu près tout le monde dans cette discussion,
34:32 sauf, sans doute, des consommateurs.
34:34 Ces accords de libre-échange sont censés apporter des produits agricoles
34:38 moins chers à celles et ceux qui les consomment.
34:40 Est-ce que, là encore, ça se vérifie dans les études ?
34:43 Oui, ça dépend de quels denrées on parle,
34:46 parce qu'en fait, une bonne partie des denrées qu'on importe en France
34:49 sont des denrées qu'on importe du marché commun,
34:51 donc des États membres de l'Union européenne,
34:53 et non pas de pays tiers.
34:57 Typiquement, nos importations de fruits et légumes,
34:59 or, fruits tropicaux, proviennent largement, en premier lieu, de nos voisins européens.
35:03 Donc, cette question du bas prix pour le consommateur,
35:07 c'est souvent celle qui a été utilisée pour justifier
35:10 un modèle économique libéral pour l'agriculture,
35:12 dans lequel s'insèrent les accords de libre-échange.
35:14 Mais on en voit aujourd'hui les limites.
35:16 La première des limites, c'est que le nombre de Français
35:19 qui doivent avoir recours à l'aide alimentaire est en explosion,
35:21 et ce même alors que la majorité des agriculteurs français et européens,
35:25 eux, ne gagnent pas non plus un revenu décent.
35:27 Donc, en fait, la question des accords de libre-échange,
35:29 elle est plutôt intéressante, parce qu'elle soulève
35:32 les limites de la course à la production abandonnante
35:36 sur des marchés internationaux,
35:38 alors qu'en fait, elle nous invite à définir
35:40 une nouvelle orientation pour le système agricole européen.
35:42 Merci beaucoup à tous les trois,
35:44 Maxime Combe, Aurélie Cattelot et Yannick Fiali,
35:46 d'être venus ce matin au micro de France Culture
35:49 évoquer l'impact sur l'agriculture française
35:51 des accords de libre-échange.
35:53 Il est 8h44.

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