L'interview d'actualité - Lyes Louffok

  • il y a 8 mois
Samuel Olivier reçoit sur le plateau de Télématin, Lyes Louffok, un militant engagé dans la défense des droits de l’enfant et lui-même un enfant de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Alors que cette aide est actuellement est en crise, et notamment depuis le suicide d’une adolescente placée âgée de 15 ans il y a quelques semaines dans le Puy-de-Dôme, Lyes Louffok fait le point sur la situation de la protection à l’enfance en France.

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Transcription
00:00 À présent, un sujet très préoccupant et qui parfois se termine par un drame,
00:04 l'aide sociale à l'enfance est en crise.
00:06 Liesse Loufocq est un militant engagé dans la défense des droits de l'enfant.
00:10 Samuel, vous avez choisi de le recevoir ce matin pour l'interview d'actualité.
00:15 Liesse Loufocq, bonjour.
00:16 Bonjour.
00:16 Vous êtes un enfant de l'ASE, l'aide sociale à l'enfance, comme Lily, une ado de 15 ans.
00:21 Elle était placée dans un hôtel du Puy de Dôme, il y a quelques semaines, elle s'est suicidée.
00:26 Faut-il qu'il arrive un tragique événement comme celui-ci pour que les enfants placés
00:30 deviennent un sujet d'importance chez nous en France ?
00:34 Oui et non.
00:35 Oui, parce qu'on le voit, les réactions que le suicide de Lily a entraîné ont eu lieu,
00:42 notamment la réaction du gouvernement en publiant les fameux décrets de l'application de la loi Taquet
00:48 ont fait suite à ce suicide.
00:50 Et puis d'un autre côté, on voit également qu'à chaque drame, il y a ce que moi j'appelle l'émotion de trois jours,
00:54 où en effet on va avoir une attention toute particulière sur cette politique publique.
00:58 Parce que ce n'est pas la première fois que ça arrive.
00:59 Non.
01:00 Et on passe très vite à autre chose et on doit systématiquement remettre le sujet au cœur des débats politiques
01:07 et au cœur des débats médiatiques.
01:09 Donc c'est assez insupportable de voir qu'il faut en arriver à un drame, à un suicide,
01:14 à la mort d'une petite fille de 15 ans, pour que les enfants placés suscitent un petit peu d'intérêt.
01:18 C'est difficile à évaluer, mais il y a environ 340 000 jeunes qui sont placés sous la protection de l'ASE
01:23 dans notre pays.
01:24 8 500 à 10 500 d'entre eux dormaient dans des hôtels.
01:28 Ces chiffres datent de 2020.
01:30 Ils ont sans doute évolué, mais ce sont les derniers.
01:32 Ils sont issus d'une enquête de l'Inspection générale des affaires sociales.
01:35 Qui sont ces jeunes ?
01:36 Et pourquoi se retrouvaient-ils à l'hôtel ?
01:38 Ce sont majoritairement des mineurs dits non accompagnés,
01:41 donc des enfants qui viennent d'arriver sur le territoire français
01:45 et qui sont en attente d'être évalués,
01:47 c'est-à-dire que les départements évaluent s'ils sont ou pas mineurs.
01:52 Et puis c'est des enfants, pour les autres, qui sont souvent placés
01:55 depuis leur plus tendre enfance,
01:57 qui ont un parcours à l'aide sociale à l'enfance assez chaotique,
02:00 avec des changements de lieux de placement très fréquents,
02:03 parfois même des enfants qui ont subi de la maltraitance institutionnelle
02:06 dans ces établissements-là et qui expriment un certain nombre de traumas.
02:11 Et donc ces enfants…
02:13 Ils attendent d'être placés ?
02:14 Non, ce sont des enfants qui sont placés sur décision de justice à l'aide sociale à l'enfance,
02:19 mais qui fautent de place dans d'autres structures
02:21 ou parce que d'autres structures ne veulent pas nécessairement les accueillir,
02:24 parce que c'est des enfants qui peuvent poser un certain nombre de difficultés
02:28 dans du collectif, se voient placés dans des hôtels.
02:31 Alors vous le disiez, loi a été votée, c'était il y a deux ans,
02:33 elle n'est entrée en vigueur qu'en février de cette année.
02:36 Les enfants ne doivent plus aller à l'hôtel,
02:38 ils sont désormais accueillis dans des structures d'hébergement dites de jeunesse.
02:42 Alors est-ce que c'est une bonne nouvelle et qu'est-ce que ça veut dire ?
02:44 Je ne sais pas ce que ça veut dire.
02:46 Je ne sais pas ce que ça veut dire, moi ce que j'observe,
02:47 c'est que dans le Puy-de-Dôme, Lily était placée dans un hôtel
02:51 et que le président du département,
02:52 qui est le chef de file en matière d'aide sociale à l'enfance,
02:55 a indiqué à vos confrères de la presse locale
02:58 qu'il ne s'agissait pas en réalité d'un hôtel d'un point de vue administratif
03:02 puisqu'il avait habilité cet établissement.
03:04 Et c'est d'ailleurs tout le problème de la loi qui a été votée en 2022.
03:08 Ce n'est pas une bonne loi pour vous ?
03:09 Ah si, non, bien sûr, c'est une bonne loi puisqu'elle pose un interdit.
03:12 Elle dit que, enfin la loi exprime très clairement que le principe général,
03:18 la règle, c'est d'accueillir des enfants placés à aide sociale à l'enfance
03:22 dans des familles d'accueil ou dans des structures spécialisées.
03:25 Le problème, c'est que c'est une loi qui a permis aussi énormément de dérogations
03:29 parce qu'elle manque de clarté.
03:31 Quand on lit l'article 7 de la loi de Taquet,
03:34 on a le premier paragraphe qui nous dit "c'est interdit"
03:37 et le deuxième paragraphe qui nous dit "oui, c'est interdit"
03:40 mais il y a quand même tout un tas de dérogations.
03:41 Et notamment la possibilité pour l'aide sociale à l'enfance d'habiliter des hôtels,
03:46 de les faire changer de statut pour faire en sorte
03:49 qu'ils ne soient plus soumis à cette interdiction.
03:51 Vous le disiez, ce sont les départements qui sont en responsabilité sur ces dossiers.
03:55 Ils disent qu'ils n'ont pas les moyens de faire face à l'afflux de ces enfants.
04:01 Pour les jeunes, c'est l'hôtel ou la rue, disent-ils ?
04:03 Oui, c'est très dur à entendre parce que les présidents de départements
04:07 avaient deux ans pour s'organiser.
04:08 Personne ne les a pris en surprise.
04:12 La loi a été votée en 2022, le Parlement leur a laissé deux ans pour…
04:15 Et rien ne s'est passé pendant ces deux ans ?
04:16 Non, a priori non, et même j'ai envie de dire que la situation s'est dégradée.
04:19 C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il faut absolument
04:21 que le gouvernement relance une mission d'inspection
04:24 auprès de l'Inspection générale des affaires sociales sur les placements hôteliers
04:27 pour qu'on ait un état des lieux réel de la situation à ce jour.
04:32 Parce qu'en 2020, on nous estimait qu'il y avait entre 8 000 et 10 500 enfants.
04:38 Les estimations n'étaient déjà pas très claires.
04:40 Aujourd'hui, en 2024, avec la crise majeure que traverse notre système de protection de l'enfance,
04:45 nous sommes incapables de savoir combien d'enfants sont actuellement placés dans des hôtels.
04:48 Et sans cette donnée, malheureusement, c'est très difficile de pouvoir
04:51 élaborer des politiques publiques qui soient réellement adaptées à la situation du terrain.
04:55 Après, il y a une réalité économique, il ne faut pas non plus se voiler la face.
04:58 Il y a des départements dans notre pays qui traversent une crise financière
05:01 extrêmement grave pour certains, dans certains territoires.
05:05 Il y a même des fermetures d'établissements parce qu'il n'y a plus les moyens financiers
05:08 qui permettent aujourd'hui de financer les places d'accueil pour accueillir les enfants en danger.
05:12 Alors que dans le même temps, le nombre de jeunes augmente,
05:15 le nombre de jeunes placés, on parle de 6 à 10 % selon les départements.
05:19 Mais on a aussi des départements excédentaires, je voudrais le dire,
05:21 parce qu'il y a des solutions, en fait, il n'y en a pas 15 000.
05:23 La première solution, c'est que soit l'État débloque un fonds d'urgence exceptionnel
05:28 et aide financièrement les départements pour qu'ils aient les moyens de créer de nouvelles structures
05:32 et embaucher de nouveaux travailleurs sociaux, soit les départements cotisent,
05:36 notamment les départements excédentaires, dans les Hauts-de-Seine,
05:39 il y a 550 millions d'euros d'excédents budgétaires chaque année quand même.
05:42 Donc on pourrait se dire que les plus riches contribuent pour aider les départements les plus pauvres.
05:47 Et la troisième option, et je pense qu'elle n'est pas à écarter,
05:49 c'est que l'État reprenne la gestion de l'aide sociale à l'enfance.
05:52 Il n'est pas le cas pour l'instant.
05:53 Parce qu'on le voit, la décentralisation a entraîné des disparités massives.
05:55 J'aimerais qu'on parle de vous, si vous le voulez bien,
05:56 parce que si vous prenez la parole ce matin et depuis de nombreuses années maintenant,
06:00 c'est parce que vous avez été un enfant placé, vous avez connu la violence,
06:03 la maltraitance aussi en famille d'accueil, vous avez vu les viols, la prostitution en foyer.
06:08 Qu'est-ce qui, dans votre parcours, a été le plus difficile à surmonter
06:12 et qui explique aujourd'hui votre engagement ?
06:13 Je dirais que c'est l'instabilité, le fait d'avoir cette sensation d'être pris un peu comme un paquet,
06:18 d'être déposé, d'être pris, d'être changé de lieu.
06:21 Moi j'ai fait un nombre incalculable de familles d'accueil et de foyer,
06:23 et je crois que beaucoup d'enfants placés aujourd'hui sont toujours confrontés
06:26 au même parcours du combattant quand ils intègrent le système de protection de l'enfance.
06:29 Vous dites que pour l'institution, j'étais un colis, un enfant valise, un problème.
06:33 Bien sûr, c'est de cette manière-là que moi je l'ai ressenti,
06:36 et bon nombre d'enfants placés le ressentent également de cette manière-là,
06:39 c'est-à-dire qu'il y a une forme de déshumanisation, on ne nous demande pas systématiquement,
06:42 on ne nous donne pas notre avis.
06:46 On vient nous chercher un matin, on nous dit "tu vas aller dans une famille d'accueil",
06:51 un an plus tard on revient te chercher, on dit "ah ben finalement tu vas plutôt aller dans un foyer"
06:55 et puis ainsi de suite jusqu'à notre majorité.
06:57 Et ça, ça a des conséquences dramatiques dans la vie adulte
07:00 et même dans sa construction quand on est enfant.
07:03 Donc c'est vraiment quelque chose qui doit être réformé.
07:05 Pour ça, il y a des solutions.
07:07 Je pense que là, ce dont il nous faudrait aujourd'hui, c'est beaucoup plus de familles d'accueil
07:12 parce qu'en réalité, les accueils les plus protecteurs des droits des enfants
07:16 et les plus respectueux de leurs besoins fondamentaux, c'est l'accueil familial.
07:20 Et on a une pénurie très grave aujourd'hui de familles d'accueil dans notre pays.
07:24 Il y a très peu de personnes qui souhaitent exercer ces métiers-là.
07:26 Et d'ailleurs, les départements pourraient faire preuve de plus de volontarisme
07:29 en délivrant des agréments à des personnes qui cumuleraient l'emploi de famille d'accueil
07:34 avec un autre métier par exemple.
07:35 Cela ne se fait pas et je ne comprends pas pourquoi.
07:38 Merci Elias Loufocq d'avoir porté la voix des enfants de l'ASEL, l'Aide sociale à l'enfance, ce matin dans Télématin.

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