Marie Portolano reçoit sur le plateau de Télématin Delphine Horvilleur, rabbine et écrivaine, qui vient de publier chez Grasset « Comment ça va pas? Conversations après le 7 octobre », date des attentats du Hamas en Israël. Dans cette interview, l’autrice revient sur son livre qui retrace des conversations intimes, réelles ou imaginaires, avec notamment ses grands-parents, ses enfants ou avec les différentes opinions. Le but, selon elle, est de mener à la compréhension pour parler de cette expérience.
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00:00 Il est 8h13, l'heure du choix de Marie Portolano. Marie, ce matin, vous avez eu envie de recevoir Delphine Orvilleur,
00:04 rabbine, écrivaine et qui publie chez Grasset "Comment ça va pas ? Conversations après le 7 octobre".
00:10 Bonjour et bienvenue à vous.
00:11 Bonjour Delphine Orvilleur.
00:13 Bonjour.
00:13 Comment ça va pas ce matin ?
00:14 Exactement comme ça.
00:16 Exactement comme ça.
00:18 Vous publiez ce texte "Comment ça va pas ?" qui retrace des conversations intimes, réelles ou imaginaires
00:24 que vous faites depuis le 7 octobre et les attentats du Hamas en Israël.
00:27 Alors vous parlez avec vos grands-parents, vous parlez avec vos enfants, avec les antiracistes,
00:32 mais vous avez aussi une conversation par exemple avec la paranoïa juive.
00:35 Ce sont des conversations qui, selon vous, doivent mener à la compréhension.
00:39 À la compréhension de quoi ?
00:41 En fait, j'ai surtout eu l'impression après le 7 octobre que je ne trouvais plus les mots,
00:45 qu'autour de moi le langage ne fonctionnait plus, que j'attendais des paroles qui ne venaient pas,
00:49 que moi-même je ne trouvais pas les mots pour parler de cette expérience,
00:52 d'une sentiment de dévastation, que le sol se dérobait sous mes pieds,
00:56 ou face à la violence des uns et des autres, des propos belliqueux.
01:00 Et donc j'ai eu le besoin de reprendre des conversations, d'abord dans ma tête,
01:04 effectivement avec des fantômes, avec ma peur, avec mes ancêtres, avec mes enfants aussi.
01:09 Et j'ai le sentiment peut-être plus que jamais que ces conversations sont nécessaires,
01:13 précisément parce qu'on a du mal à se parler.
01:15 Alors il faut trouver comment relancer la discussion, la conversation, malgré la polarisation.
01:21 Et alors, vous parlez avec absolument tout le monde,
01:23 puisque même Claude François se mêle à vos conversations.
01:26 Honnêtement, on est un peu surpris de l'avoir débarqué là, mais expliquez-moi,
01:29 expliquez-nous pourquoi Claude François fait partie de ces conversations.
01:32 Beaucoup de gens savent que j'ai une passion pour la musique en général,
01:36 pour la musique de variété en particulier, les années yéyés,
01:40 mais avec une petite pointe de mauvaise foi, j'ai voulu faire croire dans le livre
01:44 que Claude François avait écrit une chanson sur l'antisémitisme.
01:47 Alors là, tout le monde est en train de se dire "mais quelle est donc cette chanson ?"
01:50 Et en fait, j'ai considéré que la chanson populaire, dont le refrain "ça s'en va et ça revient"
01:55 était une chanson sur l'antisémitisme.
01:57 En fait, c'était pour moi une façon un peu détachée ou disons humoristique
02:01 de parler de quelque chose qui n'est pas du tout drôle,
02:03 à savoir le retour permanent de cette haine et le fait que ça mute en permanence,
02:08 mais ça revient, cette haine des judiciaires.
02:10 Oui, les actes antisémites ont grimpé de 1000% depuis les attentats du 7 octobre.
02:13 Augmentation effectivement de 1000% dans notre pays.
02:16 C'est presque un chibi qui ne veut rien dire.
02:18 On ne comprend même plus à quoi ça peut correspondre.
02:20 Alors bon, il y a de l'humour dans votre récit,
02:23 mais vous racontez aussi dans ce livre que depuis le 7 octobre,
02:26 vous êtes assignée à votre identité, une identité de juive,
02:30 et vous dites que c'est une identité forcément coupable.
02:34 En fait, j'ai l'impression que je lutte contre ces assignations identitaires depuis des années.
02:38 J'ai eu beau donner des conférences, écrire des livres, faire autre chose,
02:41 dialoguer, construire des ponts, plus que jamais,
02:44 et ça s'est accentué après le 7 octobre.
02:46 J'ai l'impression que quand je prends la parole,
02:48 on considère que ma parole n'est que juive,
02:50 et que je dois commencer mes phrases en expliquant,
02:53 en justifiant ce qui se passe à des milliers de kilomètres.
02:56 Je reçois un nombre incroyable de messages
02:58 qui, lorsque je parle par exemple de la complexité face à l'antisémitisme en France,
03:03 me demandent de parler de la douleur des Palestiniens.
03:06 Et moi, je n'ai aucun problème à parler de la douleur des Palestiniens.
03:09 J'en parle depuis des années.
03:11 Vous en parlez de la souffrance palestinienne.
03:12 Des uns et des autres, parce qu'il y a des souffrances multiples,
03:15 des récits multiples et douloureux au Proche-Orient.
03:18 Vous dites même sioniste et pro-palestinienne.
03:21 Oui, parce que je considère que si on n'est pas capable
03:23 de percevoir les revendications légitimes des uns et des autres,
03:27 les douleurs des uns et des autres,
03:29 alors non seulement on ne résout pas le problème là-bas,
03:31 mais on en fait soi-même partie.
03:32 Mais ce qui est troublant, c'est qu'il y a ici des gens
03:34 qui, quand vous parlez de ce qui se passe dans notre pays,
03:36 de l'augmentation de 1 000 % des actes antisémites,
03:38 voudraient la justifier par ce qui se passe à des milliers de kilomètres,
03:42 comme s'ils vous en faisaient porter la responsabilité ou la culpabilité.
03:46 Et c'est très troublant.
03:47 En fait, peu importe quel discours on tient,
03:49 un discours d'ouverture, un discours de rencontre avec l'autre,
03:52 ô combien nécessaire et essentiel,
03:54 en fait on vous demande ici constamment de vous justifier
03:58 ou de porter cette responsabilité.
04:00 Et on compare aussi les souffrances.
04:02 Ah oui, parce qu'il y a cette compétition aujourd'hui de souffrance
04:04 qu'on appelle parfois la compétition du cinéma.
04:06 Qui souffre le plus ? Qui a souffert le plus ?
04:07 Voilà, c'est toujours cette espèce de petit jeu comme si,
04:09 et c'est terrible et moi ça me rend folle,
04:11 comme si il s'agissait d'un western ou d'un match de foot
04:15 que l'on était dans des supporters,
04:17 en train de déterminer quel est celui qui mérite notre soutien,
04:21 quel est celui qui par définition serait innocent ou coupable,
04:25 n'aurait aucune responsabilité dans ce qui se passe.
04:27 Et c'est une vision complètement manichéenne, simpliste,
04:31 qui encore une fois, non seulement est faite d'ignorance,
04:33 bien souvent, est erronée,
04:35 mais en plus participe au problème.
04:37 Et c'est ça qu'il faudrait inviter les gens à questionner.
04:41 De quelle manière, non seulement,
04:42 ils ne permettent pas d'avancer face à ce drame,
04:45 mais en fait, ils font eux-mêmes partie du problème.
04:48 Alors, on sait que dans la communauté juive,
04:50 certains s'agacent parfois quand on demande un cessez-le-feu à Gaza.
04:52 Pourquoi ça les agace ?
04:53 En fait, je ne crois pas que les gens sont agacés d'un cessez-le-feu.
04:56 La question, c'est pourquoi, dans ce cessez-le-feu,
04:59 ne sont pas mis en avant également la problématique des otages ?
05:02 En fait, la raison pour laquelle il y a du feu à Gaza aujourd'hui,
05:05 c'est que le 7 octobre, des civils,
05:08 des citoyens israéliens innocents,
05:10 parmi lesquels des enfants, des familles, des vieillards,
05:12 ont été kidnappés.
05:14 Évidemment qu'aujourd'hui, si ces otages étaient libérés,
05:17 évidemment que le cessez-le-feu serait immédiat.
05:19 Oui, il faut trouver qu'en fait, quand on demande le cessez-le-feu,
05:21 on oublie de dire "et la libération des otages".
05:23 Moi, je pense qu'on ne peut pas parler de l'un sans parler de l'autre.
05:26 Il faut parler d'une libération immédiate des otages
05:28 et d'un cessez-le-feu.
05:29 Qui ne voudrait pas que le feu cesse ?
05:31 Évidemment qu'il faut que le feu cesse,
05:33 que ces drames, que ces horreurs s'arrêtent.
05:36 Mais faire comme si ça n'avait pas de connexion
05:38 avec ce qui s'est passé le 7 octobre,
05:40 cette barbarie terroriste de kidnapper des civils
05:43 à l'intérieur de ce qu'on appelle la ligne verte,
05:45 c'est-à-dire pas dans des territoires occupés,
05:47 mais des gens, des civils, qui d'ailleurs, pour la plupart d'entre eux,
05:50 sont des grands militants de la paix, de la gauche israélienne.
05:53 Ne pas être capable de nommer cette revendication
05:56 à quelque chose, dans les meilleurs des cas,
05:59 un peu naïf ou dans le pire, un peu coupable.
06:02 Quel est votre sentiment, Delfine Henry-Laire,
06:04 sur ce qui se passe là-bas actuellement à Gaza ?
06:06 Mon sentiment, c'est que c'est un drame
06:08 auquel aucun d'entre nous ne peut être indifférent
06:11 et qu'aujourd'hui se pose une véritable question
06:14 d'empathie multidirectionnelle, d'empathie humaine,
06:17 qui n'est pas l'empathie pour un camp ou pour un autre,
06:20 pour une histoire ou pour un autre,
06:22 pour une sensibilité, une identité ou une autre.
06:24 Nous avons le devoir humain d'être sensibles
06:27 à la douleur des uns et des autres,
06:29 à la pleine humanité des gens qui ont à vivre au quotidien ce drame.
06:32 J'ai encore plein de questions à vous poser.
06:34 Malheureusement, on n'a plus beaucoup de temps,
06:36 mais j'ai quand même quelque chose...
06:38 Ce qui m'a marquée dans la lecture de votre livre,
06:40 c'est aussi l'humour.
06:41 Est-ce que vous pensez aujourd'hui
06:42 que l'humour peut être un antidote ?
06:44 Je parle de l'intérieur de la tradition juive
06:47 où l'humour a toujours joué un rôle extrêmement particulier.
06:51 L'humour est une arme de reconstruction massive.
06:56 L'humour nous permet parfois de prendre une certaine distance
07:00 par rapport à ce qui nous est arrivé,
07:01 non pas pour nier ce qui nous est arrivé,
07:03 non pas pour nier nos douleurs,
07:05 mais pour accepter que ce qui nous est arrivé
07:07 n'est pas le tout de qui nous sommes.
07:09 Grâce à l'humour, on a une capacité, je pense,
07:12 à se relever et à dire, voilà ce qui m'est arrivé,
07:14 je ne suis pas que ce qui m'est arrivé
07:16 et je vais rester pleinement, non pas victime,
07:18 mais aussi acteur de ma vie.
07:20 Merci infiniment Daphné Norviller
07:22 d'être venue nous voir sur Télé Matins.
07:23 Je rappelle votre livre
07:24 "Comment ça va pas ? Conversation"
07:25 après le 7 octobre, c'est publié chez Grasset.
07:27 Merci.