Comment se relever de la haine ? Survivre à l'horreur ? Cohabiter avec les morts ? Ces questions, devenues urgentes après les massacres du 7 octobre perpétrés par le Hamas en Israël, sont au cour de la réflexion de Delphine Horvilleur, femme rabbin, figure de l'association Judaïsme en Mouvement et directrice de la rédaction de « Tenou'a », auteure notamment de « Vivre avec nos morts » (2021) et « Il n'y a pas de Ajar : monologue contre l'identité » (2022), parus chez Grasset. Dans « Comment ça va pas ? », écrit dans l'émoi de la guerre au Proche-Orient, elle cherche, à travers dix conversations réelles ou Imaginaires, à retrouver l'espoir.
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00:00:00 Bonsoir à toutes, bonsoir à tous. Je me présente, je m'appelle Grégoire Leménager,
00:00:07 je suis directeur adjoint de la rédaction de l'Obs, qui est dirigée par Cécile Prieur,
00:00:13 qui aurait beaucoup aimé être là pour accueillir Delphine Horvilleur, qui ne peut pas parce
00:00:18 qu'on est dans une phase de chantier assez important, puisqu'on prépare une sorte de
00:00:25 nouvelle version de notre journal que vous découvrirez bientôt. Je suis très heureux
00:00:30 de vous recevoir, je suis très heureux de voir qu'il y a autant de monde dans la salle,
00:00:33 je suis très heureux d'apprendre qu'il y a également des gens qu'on ne voit pas ici
00:00:37 mais qui sont en train d'écouter mes bêtises et de nous regarder et d'attendre des propos
00:00:42 beaucoup plus intelligents que ce que je tiens, puisqu'il y a beaucoup de gens qui sont connectés
00:00:45 aussi et qui suivent cette masterclass, puisqu'on appelle ça comme ça, filmée. Et donc je
00:00:54 ne vais pas parler très longtemps, mais on est très heureux de ce cycle de masterclass,
00:00:59 on est vraiment très content que vous veniez. Delphine Horvilleur, vous le savez, elle
00:01:05 est rabbin, elle est auteur, elle sort un nouveau livre qui parle de sujets qui nous
00:01:11 préoccupent tous, qui nous afflige tous aussi. Et moi, ce que j'apprécie beaucoup chez
00:01:17 elle, c'est qu'elle s'est trouvé des mots pour parler des mots MOTS, pour parler de
00:01:23 ces mots MAUX qui ravagent les âmes, qui ravagent les hommes. Je me sens que c'est
00:01:34 profondément inhumaniste. Elle a mille qualités. D'abord, elle est agrégée de lettres, ce
00:01:43 qui à mes yeux est une qualité. C'est une agrégée de lettres qui ensuite a fait du
00:01:45 journalisme, ce qui n'est pas pour nous plaire.
00:01:47 Je ne suis pas du tout agrégée, mais alors…
00:01:49 Mais ce n'est pas vrai.
00:01:50 Pas du tout, mais alors c'est extraordinaire.
00:01:51 C'est un mythe ça ?
00:01:52 C'est extraordinaire. Ici, on adore penser que les rabbins sont agrégés, mais pas du
00:01:55 tout.
00:01:56 Je retire tout ce que je viens de dire.
00:01:57 Pas du tout, mais si vous me donnez l'agrégation, je ne sais pas, mais…
00:02:01 J'ai lu ça quelque part. Non ? D'accord. Alors, je retire tous les compliments que
00:02:07 je voulais vous faire. Et nous, à l'Obs, on a été vraiment particulièrement émus,
00:02:16 fiers de publier l'automne dernier, à la fin du mois d'octobre, grâce à Marie Lemonnier
00:02:24 qui va animer cette rencontre et qui est une des figures de proue de notre service ID.
00:02:31 Une grande rencontre entre Delphine Horviller et Kamel Daoud, l'écrivain bien connu,
00:02:41 qui ont accepté tous les deux de discuter de ce qui s'était passé le 7 octobre en
00:02:48 Israël et de ses suites. Et voilà, c'est une découverture de l'Obs de l'année
00:02:55 dernière dont moi, dite personnelle, je suis le plus fier et l'ensemble du journal aussi,
00:03:00 je crois. C'était très beau tout ce que vous y disiez, d'autant que ça se terminait
00:03:09 par une phrase de Leonard Cohen, je ne pouvais que fondre. Et voilà, je crois que le livre
00:03:14 que vous publiez prolonge d'une certaine manière cette conversation par ses thèmes.
00:03:18 Mais ça, je vais laisser quelqu'un de beaucoup plus compétent que moi pour vous en faire
00:03:24 parler. Merci encore d'être venu. Merci beaucoup.
00:03:27 Merci Grégoire. Bonsoir à toutes et à tous. Bonsoir Delphine. Je suis ravie, comme Grégoire
00:03:44 vient de le dire, de vous accueillir ici. Ça fait un petit moment qu'on se connaît
00:03:48 maintenant et c'est toujours un bonheur de vous entendre. Et je voudrais aussi remercier
00:03:52 tout le public qui est nombreux ici dans cet amphithéâtre, mais aussi derrière les écrans.
00:03:59 Les plats se sont envolés en quelques minutes à peine. Donc c'est dire comme on vous attend.
00:04:04 Et j'espère pas au tournant. Effectivement, je vais quand même prendre le temps de préciser
00:04:14 que nous allons parler environ un peu moins d'une heure ensemble et je vais laisser une
00:04:19 demi-heure ensuite au public pour poser ses questions. J'imagine que vous en aurez. Et
00:04:24 à la fin de cette heure 30 de dialogue avec Delphine Orviere, vous aurez l'occasion de
00:04:30 trouver son livre et le faire dédicacer. Il y a une séance de dédicaces qui est organisée
00:04:35 juste en haut des marches en sortant à gauche. Vous aurez un bon moment pour faire signer
00:04:41 ses livres. Ce livre, je vous le présente. Un titre qui en dit long. Comment ça va pas?
00:04:49 C'est une conversation après le 7 octobre. Mais je vais d'abord, même si ça me paraît
00:04:57 presque superflu, représenter un peu Delphine. Comme je le disais, nous nous connaissons
00:05:02 depuis un certain temps puisque je crois que j'avais fait votre premier ou un des premiers
00:05:08 portraits dans la presse française de vous. Et à cette occasion, j'avais rencontré
00:05:13 une jeune femme absolument lumineuse qui semblait avoir déjà vécu plusieurs vies. C'était
00:05:17 assez étonnant. Et en fait, vous aviez pris déjà plusieurs virages dans cette vie et
00:05:24 qui avait été bien remplie. Vous aviez été tour à tour, je crois, étudiante en médecine.
00:05:29 Je dis ça de mémoire modèle même à vos heures. Vous étiez ensuite journaliste de
00:05:36 la télévision France 2. D'ailleurs, à cette occasion, vous aviez fait vos premières armes
00:05:41 aussi en Israël, je crois, dans mon souvenir. Ensuite, vous êtes devenue rabbin avec une
00:05:48 formation aux États-Unis, puisque c'était encore très peu possible pour les femmes
00:05:52 en France. Et puis, vous êtes revenue en étant une de nos rares rabbins, effectivement.
00:05:57 Femme rabbin dans le mouvement libéral, qu'on appelle le judaïsme en mouvement. Vous êtes
00:06:03 aussi directrice de la rédaction de Té Noir et autrice, effectivement. Alors, je ne vais
00:06:09 pas rappeler absolument tous vos livres, mais quelques titres qui me paraissent essentiels.
00:06:13 Le premier qui vous a fait connaître, Antony Dev, qui était sorti en 2013. On peut aussi
00:06:21 citer les réflexions sur la question antisémite en 2020. Et le très beau livre "Vivre avec
00:06:27 nos morts", qui a connu un succès phénoménal en 2021. Et enfin, le dernier avant celui-ci,
00:06:33 "Il n'y a pas de hajar", monologue contre l'identité en 2022, qui a été également
00:06:39 joué au théâtre. Je ne sais pas d'ailleurs s'il tourne encore.
00:06:41 Oui, il tourne encore un peu partout.
00:06:42 Alors, ce sont des livres qui portent des thématiques qu'on retrouve dans ce nouvel
00:06:48 ouvrage, mais un ouvrage qui les traite de façon beaucoup plus intime, puisque vous
00:06:54 nous faites rentrer dans votre tête d'une certaine manière. Ce sont les voix qui vous
00:06:59 ont assaillie depuis le 7 octobre, que vous faites parler. Comme ce livre, vous l'avez
00:07:06 intitulé "Comment ça va pas". Je ne vais pas vous demander tout de suite comment ça
00:07:09 va. En revanche, je vais me permettre de vous voler une blague, puisque vous avez cette
00:07:16 particularité d'avoir un humour, même dans les situations les plus tragiques, et
00:07:24 que cet humour qui est typique de la tradition juive, c'est un humour qui sauve du désespoir.
00:07:28 L'humour qui est à vos yeux une arme de reconstruction massive. Je trouve ça très
00:07:34 beau. Je vais vous lire cette blague. Je n'ai pas votre talent de conteuse, mais je vais
00:07:39 faire mon possible, malgré le trac. Je signale tout de suite que ce n'est pas la plus drôle
00:07:46 du livre, mais c'est celle qui nous a introduit au sujet. Alors, je vous le lis. Page 16.
00:07:52 "Tiens, tu la connais, celle-là ? C'est l'histoire de deux Juifs qui ont traversé
00:07:57 ensemble bien des épreuves et des tragédies, et puis la vie les a séparés. Ils se sont
00:08:02 perdus de vue pendant des dizaines d'années, jusqu'à ce que miraculeusement ils se retrouvent
00:08:07 un jour totalement par hasard. Le premier dit à l'autre, "Je suis tellement heureux
00:08:12 de te revoir, Moché. Mais dis-moi, que deviens-tu ? Comment ça va ?" Sans trop y réfléchir,
00:08:18 Moché répond, "Bien." "Mais sérieusement, Moché, dis-moi davantage. Comment ça va,
00:08:24 en deux mots ?" En deux mots, pas bien. Bien, pas bien. Cette histoire, évidemment, c'est
00:08:33 la mienne, dites-vous, juste après. Depuis le 7 octobre 2023, je suis Moché. Moi et
00:08:37 beaucoup d'autres, tout aussi à Moché. Alors, ma première question, c'est comment ça va
00:08:45 pas aujourd'hui et en quoi le 11 septembre, le lapsus est assez intéressant. Le 7 octobre,
00:08:55 vous êtes-il à Moché ? Qu'est-ce que ça a bouleversé et changé chez vous ?
00:08:59 D'abord, merci pour cette invitation et merci à vous d'être venus si nombreux. Et merci
00:09:06 de commencer par de l'humour parce qu'en fait, effectivement, on y revient toujours.
00:09:10 J'ai toujours le sentiment que dans les moments d'effondrement, les blagues et particulièrement
00:09:15 les blagues juives ont une capacité à nous relever un peu, nous faire un peu reprendre
00:09:21 le dessus sur notre tragédie. On m'a raconté une bonne blague cette semaine. J'ai oublié
00:09:26 de commencer par la moitié. Elle est très courte. Je ne sais pas si elle est drôle,
00:09:31 mais je trouvais qu'elle racontait tellement ce que je vivais aujourd'hui. On m'a dit
00:09:34 "Quelle est la différence entre un juif pessimiste et un juif optimiste ?" Alors, on a l'impression
00:09:39 qu'on la connaît, cette blague, mais elle dit "Le juif pessimiste, il dit "Oh, ça
00:09:45 pourrait pas être pire". Et le juif optimiste, il dit "Mais si, ça pourrait être pire".
00:09:52 Voilà. Alors, je suis hyper optimiste par rapport à la situation, malheureusement.
00:10:01 J'ai écrit ce livre, effectivement. D'abord, je dois dire que je suis très impressionnée
00:10:09 par le livre de Marie Lemoynié parce que je me dis qu'elle a vraiment lu le livre.
00:10:13 Elle a mis des post-it partout. Mais ça me fait penser à quelque chose. Non seulement
00:10:16 j'ai lu le livre, mais je l'ai écouté. Et là, c'est la première fois que j'invite
00:10:20 un public à non seulement lire le livre, mais à l'écouter. Il y a une version audio
00:10:26 du livre que Delphine vous avait enregistré et qui est merveilleuse. Ça donne vraiment
00:10:33 une dimension supplémentaire. C'est un livre en 3D, en quelque sorte, avec la voix de Delphine
00:10:39 qui joue les personnages, ses grands-parents, notamment cette grand-mère avec son accent
00:10:45 de Carpathes. C'est irrésistible. Mais ça donne vraiment une autre lecture, une deuxième
00:10:52 lecture. Pour moi, en tout cas, c'était émouvant de l'enregistrer parce que je l'ai
00:10:57 entendu moi-même différemment. Quand on écrit un livre, même si on l'a dit des passages
00:11:01 à voix haute, on ne l'entend pas dans son interprétation. J'étais heureuse de pouvoir
00:11:06 l'enregistrer. Donc peut-être que je devrais commencer par là. Ce livre, quand je l'ai
00:11:11 écrit après le 7 octobre, j'étais convaincue que je n'écrivais pas un livre. Je l'ai
00:11:18 écrit parce que j'allais tellement mal, comme beaucoup de gens, que je ne dormais plus la
00:11:24 nuit et physiquement, je n'étais vraiment pas bien. Je cherchais comment retrouver un
00:11:30 sol sous mes pieds et rien ne m'aidait. Je me rendais compte que je ne trouvais plus
00:11:37 les mots, que les mots qu'on m'adressait étaient tous erronés, me semblaient invalides
00:11:44 ou abjectes. Moi-même, je ne trouvais pas les mots pour parler auprès de mes enfants.
00:11:48 J'avais l'impression que tout s'effondrait. Donc j'ai commencé à écrire l'équivalent
00:11:52 d'un journal intime en étant persuadée que ce n'était vraiment que pour moi. Et
00:11:57 c'est seulement, finalement, il s'est écrit plus vite que je ne le pensais. C'est mon
00:12:02 éditeur Olivier Nora qui m'a convaincue de le publier rapidement. Mais je ne l'ai pas
00:12:09 du tout écrit dans l'idée que d'autres gens le liraient. Je ne veux pas faire une
00:12:15 fausse... Je suis très heureuse de l'accueil qu'il reçoit aujourd'hui et je suis même
00:12:20 profondément émue et aussi émue des conversations qu'il génère. Parce qu'assez vite, en l'écrivant,
00:12:26 j'ai compris qu'ils devaient être formulés comme une conversation. Donc c'est des conversations
00:12:31 pour certaines réelles que je raconte et pour beaucoup d'autres complètement fictionnelles
00:12:35 ou des conversations qui ont eu lieu dans ma tête. Alors je ne sais pas si c'est réel
00:12:38 ou fictionnel, elles ont réellement eu lieu dans ma tête, avec des fantômes. Et au fur
00:12:44 et à mesure de l'écriture, que ces conversations s'écrivaient ou avaient lieu, je comprenais
00:12:50 que le mode conversationnel était le seul qui pouvait me sauver. Que précisément, je
00:12:56 me posais la question de comment relancer la machine à converser qui était tellement
00:13:02 interrompue. Jusqu'au dernier chapitre qui s'appelle "Conversation avec le Messie".
00:13:07 Alors un petit spoiler ou un petit cours d'hébreu plutôt pour les non-hébraïsants
00:13:12 parmi vous. Le mot "Messie" en hébreu est un mot hébreu, "Mashiach" en fait, mais ça
00:13:17 vient d'une racine en hébreu qui veut dire "Mashiach", ça veut dire "la capacité à
00:13:21 converser". En fait le "Messie" littéralement en hébreu s'appelle "l'art de la conversation",
00:13:27 la possibilité d'engager la conversation. Donc si on en croit à quel point, si on voit
00:13:33 à quel point les conversations sont interrompues aujourd'hui autour de nous, on se dit qu'il
00:13:36 n'est pas prêt de venir. Mais peut-être que justement la condition pour faire venir
00:13:42 un autre temps dépend de notre capacité à reprendre cette conversation.
00:13:47 Alors ma question c'était, qu'est-ce qui a été modifié en vous en fait depuis le
00:13:52 7 octobre ? Et je vous repose quand même la question parce que vous évoquez dans ce
00:13:59 livre deux branches de votre famille. L'une du côté de votre père qui était la branche
00:14:08 dite des israélites les plus assimilées à la République française, qui avait une
00:14:15 histoire finalement, ils étaient très fiers d'avoir été sauvés par des justes et ils
00:14:21 étaient très reconnaissants. Mais vous avez une autre branche.
00:14:25 Oui en fait j'ai eu le sentiment dès mon enfance de savoir que je grandissais à l'ombre
00:14:31 de deux histoires tout à fait non conciliables, parce que j'étais l'enfant de deux familles
00:14:36 juives à la biographie que tout oppose en fait, ma famille paternelle et une famille
00:14:41 d'Alsace-Lorraine, ce qu'on a appelé effectivement pendant longtemps des israélites, parce qu'on
00:14:46 disait pas juif, des juifs fous amoureux de la République, profondément et viscéralement
00:14:50 attachés à la France, à la laïcité, sauvés par des justes pendant la guerre grâce à
00:14:55 des faux papiers et des cachettes, et puissamment reconnaissants à l'égard de ce monde qui
00:15:02 les avait sauvés, de cette France de leur salut, et qui m'ont enseigné toujours la
00:15:06 confiance et la gratitude. Et j'étais aussi l'enfant du côté de ma famille maternelle
00:15:11 de survivants des camps qui avaient tout perdu, mari, femme, enfant, et qui s'étaient retrouvés
00:15:16 un peu par hasard dans l'Est de la France. Ma mère est née comme une sorte de famille,
00:15:22 de remplacement pour mes grands-parents maternels qui eux étaient yiddishisants, donc parlaient
00:15:28 à peine français, et surtout étaient, même sans les mots, je dirais, et dans leur mutisme,
00:15:34 dans un discours subliminal de défiance. Ils m'avaient transmis très jeune le sentiment
00:15:41 que ça pouvait recommencer, de ne pas m'installer confortablement dans les certitudes de ma sécurité.
00:15:49 Et j'ai eu le sentiment, en fait, mais j'y ai beaucoup pensé surtout après le 7 octobre,
00:15:54 que j'avais finalement installé toute ma vie à l'ombre du discours de ma famille paternelle.
00:16:00 C'est-à-dire que j'avais tout fait dans mes engagements pour faire gagner les voix
00:16:04 de la confiance. Et tout à coup, effectivement, la voix de mes grands-parents, incarnée dans
00:16:10 ce livre par la voix de ma grand-mère et son accent à couper au couteau, pour ceux
00:16:15 qui connaissent l'accent yiddish, c'est un accent particulier qui remplace par exemple
00:16:20 les U par des I. Donc je me moque de ma grand-mère, effectivement, elle disait souvent "t'y
00:16:25 fais ça dans quelle bite ?" C'était dur de pas rire. Vous voyez, vous n'y êtes pas
00:16:34 arrivés, par exemple. Mais je me suis beaucoup posé la question de la force que reprenait
00:16:43 la voix de ma grand-mère dans ma tête, c'est-à-dire la leçon de l'histoire juive qui ne va pas
00:16:50 dans le sens de la confiance, mais qui a une conscience particulière de ce mal infini
00:16:56 et en mutation constante et qui revient encore et encore de la haine des juifs. Et voilà,
00:17:03 le 7 octobre a opéré un réveil très puissant de ces voix dans ma tête. Et depuis, je sais
00:17:11 qu'elles sont là. Donc je ne vais pas cesser de construire des ponts et des conversations,
00:17:21 ce qui a toujours été le sens de ce que j'ai voulu faire. Je ne vais pas m'installer dans
00:17:24 la défiance, mais je ne peux pas faire comme si ça ne s'était pas passé. D'une certaine
00:17:29 manière, ça fait des années que j'en parle, j'ai écrit des livres sur l'antisémitisme,
00:17:33 j'ai parlé de ces théories sur la haine des juifs, je l'ai tellement théorisé que
00:17:38 ça ne devrait pas m'arriver comme une surprise. Mais je crois que pour beaucoup de gens, dont
00:17:42 moi, et dont mes proches, après le 7 octobre, c'est comme si toutes ces théories étaient
00:17:48 puissamment incarnées dans nos vies. Certains diront "mais quelle naïveté, il y a quand
00:17:54 même eu mieux avant ça, 2006, Aylan Alimi, 2012, Toulouse, 2015, Libert Kachère, Sarah
00:18:01 Alimi". On peut tous nommer ici des dates de la façon dont ces revenants sont opérés
00:18:07 si atrocement dans nos vies et en France ces dernières années, mais je crois que le 7
00:18:12 octobre était tout à coup le... Beaucoup d'entre mes proches se sont sentis tout à
00:18:19 coup puissamment rattrapés par les fantômes du passé et dans l'incapacité à trouver
00:18:26 les mots pour en parler à leurs enfants.
00:18:28 Vous écrivez en effet "la peur s'est réveillée en même temps que tous mes fantômes". Les
00:18:33 fantômes, je fais une petite pause sur cette question-là, c'est un sujet récurrent finalement
00:18:38 dans vos livres, qui deviennent une vraie thématique. Quel rapport vous avez à vos
00:18:43 propres fantômes ?
00:18:44 Oui, je me rends compte que... En fait j'écris que là-dessus, c'est bizarre d'ailleurs.
00:18:49 Tous mes livres, il suffit d'en lire un. En fait je parle que de fantômes et de la force
00:18:56 des revenants, de ce qu'on appelle en yiddish des "dibouk". Un dibouk c'est pas exactement
00:19:02 un fantôme, littéralement c'est quelque chose qui vous colle à la peau, comme une
00:19:06 âme ou une idée. Ça peut être quelque chose, une présence qui ne vous laisse jamais complètement
00:19:12 en paix. Et je me rends compte que j'ai écrit là-dessus évidemment dans "Vivre avec nos
00:19:15 morts" mais j'ai écrit sur cette question du fantôme et du fantôme de Gary notamment
00:19:20 dans "Il n'y a pas de Hajar" et là c'est un livre sur les fantômes de mon histoire
00:19:25 et de ma famille. Mais je crois qu'aucun d'entre nous ne vit sans fantôme, que vous y croyez
00:19:32 littéralement ou pas, on n'a pas besoin de penser qu'un fantôme c'est une forme derrière
00:19:38 un drap qui fait bouger les vieilles armoires dans des manoirs. Non, on vit tous avec des
00:19:43 fantômes dans la mesure où nous sommes les enfants de nos revenants. C'est intéressant
00:19:48 ce mot en français, le revenant. Un revenant c'est ce qui fait retour dans nos vies. Et
00:19:54 on vit tous avec le retour de nos histoires passées, avec tout ce avec quoi on ne peut
00:20:02 pas en découdre. J'avais parlé de ça notamment dans "Vivre avec nos morts", les gens oublient
00:20:10 quelle est l'imagerie du fantôme dans la culture populaire. Le fantôme, la raison pour
00:20:14 laquelle les enfants se cachent derrière un rideau qui font bouger toutes ces images de
00:20:18 fantômes derrière un lin blanc, viennent de l'image du linceul traditionnellement,
00:20:25 dans la tradition juive, mais pas que, mais notamment dans la tradition juive on enterre
00:20:28 les morts dans un linceul, c'est-à-dire dans un drap blanc, et on doit en principe coudre
00:20:35 ce drap avant de procéder à l'inhumation. Et on raconte que si on ne coud pas bien le
00:20:42 drap, la personne ne peut pas partir, et donc elle reste. D'où l'image de ce fantôme
00:20:48 qui fait bouger les rideaux. C'est quoi un rideau qui bouge ? C'est un drap mal cousu.
00:20:53 C'est intéressant cette idée, c'est comme si le fantôme était là parce qu'il nous
00:20:58 rend visite jusqu'à ce qu'on termine la couture. Parce que quelque chose dans sa vie
00:21:05 est décousu, il nous rend visite pour en découdre. Nos vies sont hantées par des
00:21:13 vies décousues avec lesquelles on continue à vivre. Et des traumatismes et des douleurs,
00:21:20 évidemment, c'est pas du tout aujourd'hui original d'en parler de la question du traumatisme
00:21:25 intergénérationnel. C'est ultra présent dans nos vies personnelles et dans les discours
00:21:31 collectifs, il suffit d'écouter les actualités pour voir à quel point les fantômes intergénérationnels
00:21:36 opèrent. Ils opèrent en France dès qu'on parle de la colonisation, de la collaboration,
00:21:43 de la seconde guerre mondiale. Et ils opèrent évidemment aujourd'hui dans le traitement
00:21:46 du conflit israélo-palestinien. Il faudrait être complètement sourd aveugle ou ne pas
00:21:52 vouloir voir à quel point les passions que déchaîne ce conflit ne sont pas simplement
00:21:58 liées à cette géographie, mais sont liées à notre histoire, à des éléments psychologiques
00:22:05 ou psychanalytiques de notre histoire, à des résidus, à des fantômes qui parlent
00:22:10 à travers nous et qui bien souvent nous ventriloquent, y compris des fantômes de nos théologies,
00:22:16 parce que même si ce conflit est politique et pas religieux, viennent s'y greffer évidemment
00:22:21 des problématiques théologiques, du rapport des traditions les unes aux autres.
00:22:27 Vous nous aviez dit dans l'entretien que vous nous aviez accordé, effectivement très
00:22:32 peu de temps après le 7 octobre, qui était un dialogue avec Kamel Daoud, que les images
00:22:41 du 7 octobre avaient fonctionné comme des images fantômes de la Shoah. Ces images-là,
00:22:52 évidemment c'est ça qui a réveillé votre peur et vous dites, là pour le coup sans
00:22:56 honte dans ce livre, que la paranoïa juive s'est réveillée à cette occasion. Comment
00:23:01 elle s'est manifestée chez vous, cette paranoïa ?
00:23:03 Alors j'utilise le mot paranoïa, mais j'espère que c'est bien clair quand je l'utilise,
00:23:10 que je ne suis pas en train de nier qu'elle s'appuie sur quelque chose malheureusement.
00:23:13 Il y a eu une explosion des actes antisémites dans notre pays, on a évoqué des chiffres,
00:23:20 1000% d'augmentation des actes antisémites. C'est un chiffre qui est tellement dingue
00:23:25 qu'on ne comprend plus du tout ce qu'il veut dire. C'est quoi une augmentation de 1000% ?
00:23:29 Ça paraît complètement fou. Mais je parle de paranoïa parce que je me suis rendue compte
00:23:34 qu'à quel point j'ai, avec beaucoup de mes proches, me suis retrouvée mise en situation
00:23:39 d'un affût extrêmement angoissé et anxiogène à l'égard de possibles manifestations de
00:23:49 cette animosité ou de cette haine anti-juive. Alors je le raconte encore une fois avec du
00:23:53 second degré et de l'humour dans le livre parce que c'est ma politique du désespoir,
00:24:00 mon arme un peu désespérée. Mais je me suis rendue compte par exemple que je me suis
00:24:04 mise à entendre le mot juif partout, même quand il n'est pas prononcé. C'est quand
00:24:13 même problématique. Par exemple je marche dans la rue, je passe près d'un café,
00:24:16 des gens sont en train de parler de jus de pomme ou de journal ou de juste un bridou
00:24:23 et je me retourne et j'ai entendu juif. Vous voyez c'est bizarre. Qu'est-ce que ça raconte ?
00:24:28 C'est une écoute paranoïaque évidemment. Ça veut dire que mon oreille c'est comme
00:24:34 affûtée. Parfois effectivement je vois le mot israël ou proche orient, juif, judaïs,
00:24:40 je le vois partout et je ne suis pas la seule. C'est comme le film "Le sixième sens"
00:24:45 où il y a le petit garçon qui dit "I see dead people", je vois des gens morts.
00:24:49 Moi je vois le mot partout parce que c'est l'effet. C'est un effet post-traumatique
00:24:55 évidemment. Alors je me suis rendue compte que je n'étais pas seule à vivre ça et
00:24:58 je me suis rendue compte que ça ne date pas d'hier. Je cite par exemple Albert Cohen
00:25:03 qui en parle dans un de ses livres, d'ailleurs que je recommande à tout le monde en ce moment,
00:25:06 qui s'appelle "Aux vous frères humains". Si vous ne l'avez pas lu c'est extraordinaire
00:25:10 sur la puissance du traumatisme et la réverbération des haines. Albert Cohen raconte à la fin
00:25:15 de sa vie un épisode qu'il a vécu le jour de ses dix ans lorsque sur un marché il a
00:25:19 été insulté en tant que juif par un camelot qui était là devant la foule hilare. Et
00:25:25 en fait il raconte de quelle manière cet événement il ne s'en est jamais remis. Et qu'est-ce
00:25:30 que ça a à voir avec l'homme qu'il est devenu et l'écrivain qu'il est devenu et l'humaniste
00:25:35 qu'il est devenu et l'homme qui jusqu'au bout de sa vie milite pour ses frères humains
00:25:40 pour les débarrasser ou tenter de les débarrasser de cette haine absurde et abjecte. Et donc
00:25:48 cette paranoïa là, elle s'est exprimée de bien des manières, je l'ai entendu aussi
00:25:53 exprimée par beaucoup de gens qui sont venus me voir comme rabbins après le 7 octobre,
00:25:58 des familles, des couples. Aussi très souvent je raconte que j'ai reçu beaucoup de couples
00:26:03 qui n'allaient pas bien après le 7 octobre et qui venaient m'en parler. Bien souvent
00:26:07 d'ailleurs la particularité de ces couples c'est que c'était souvent des couples ce
00:26:10 qu'on appelle "mixed" entre guillemets, c'est un mot horrible parce que je ne sais pas ce
00:26:13 que c'est qu'un couple non-mixed, à moins d'épouser son frère ou sa soeur, a priori
00:26:17 il y a une certaine mixité dans un couple. Mais disons voilà, des couples dans lesquels
00:26:22 il y avait une mixité culturelle, un des conjoints était juif, l'autre ne l'était pas. Et souvent
00:26:26 ils venaient me raconter à quel point le 7 octobre parasitait leur conversation. Souvent
00:26:32 le conjoint juif ne comprenait pas pourquoi l'autre n'était pas aussi mal que lui ou
00:26:38 ne comprenait pas nécessairement le traumatisme ou l'effondrement que constituait cet événement
00:26:42 dans sa vie. Ou vice versa, le conjoint non-juif me disait "mais je comprends pas, quand on
00:26:47 s'est mariés, il n'était pas si juif que ça". Israël jouait pas un rôle considérable
00:26:54 dans sa vie, il n'a jamais été sioniste, que c'est que cette histoire, etc. Et tout
00:26:57 à coup on comprenait que ça prenait une place considérable. Moi aussi ça m'est arrivé
00:27:01 en parlant de pas si juif que ça, j'ai reçu pas mal de messages d'insultes, j'en ai une
00:27:06 bonne petite collection, j'en reçois tous les jours, des plus ou moins sympathiques,
00:27:11 qui valent pour certains leur pesant de cacahuètes. Un jour j'écrirai un livre sur toutes les
00:27:15 lettres antisémites que je reçois, encore une fois, mieux vaut en rire. Et alors parfois
00:27:20 sur les réseaux sociaux il y a des insultes, parce que c'est la modalité dans les réseaux
00:27:24 sociaux d'expression, bien évidemment. Et alors je suis tombée sur pas mal de messages
00:27:29 de gens qui disent "Delfine Harviller, avant le 7 octobre on l'aimait bien, mais après
00:27:34 qu'est-ce qu'elle est devenue juive ?" Donc j'étais avant ça un rabbin non-juif, déjà
00:27:43 on m'avait dit que j'étais un rabbin laïc, alors maintenant j'étais un rabbin laïc
00:27:46 non-juif, ça devient super compliqué, j'ajoute les adjectifs qui deviennent plus improbables
00:27:55 les uns que les autres, mais qu'est-ce qu'ils veulent dire ces gens-là ? Ils veulent dire
00:27:56 que avant finalement ils m'aimaient bien quand je tapais un peu sur le patriarcat,
00:28:03 l'orthodoxie, que j'étais critique du gouvernement israélien, tout ça. Mais quand tout à coup
00:28:07 je raconte ma vie au quotidien de juive avec ses douleurs et la menace et l'insécurité,
00:28:17 et les visites de la police, parce que ça aussi peut-être il faut en parler du caractère
00:28:22 totalement... Enfin je le raconte dans le livre, mais en le racontant moi-même j'ai
00:28:25 du mal à y croire, d'avoir vécu ça fin 2023, début 2024, des conseils et des visites
00:28:33 de la police qui me demandent de changer le nom sur ma boîte aux lettres, d'enlever
00:28:39 la mezouza sur ma porte, de changer mon identité quand je commande de la nourriture ou quand
00:28:45 je réserve au restaurant, ce qui fait que j'ai gagné un nombre de pseudos considérables.
00:28:50 Je raconte dans le livre qu'avec mes enfants on a fait une liste de pseudonymes pour commander
00:28:56 au restaurant ou pour appeler des taxis. J'ai donc été pendant quelques semaines, je vous
00:28:59 le dis parce que maintenant c'est plus mon nom sinon je vous le révélerais pas bien
00:29:02 sûr, j'ai réservé mes taxis sous le nom de Jane Wayne, Sylvia Stallone, Roman Garry,
00:29:11 Emily Hajar, enfin j'ai été tous ces gens-là. On a pioché du côté des super-héros de
00:29:17 Marvel, pas mal, mais on s'est rendu compte que les super-héros de Marvel, Superman,
00:29:22 Batman, ça fait très juif quand même. Il fallait trouver un truc un peu plus...
00:29:28 Et donc on a choisi plein de noms avec mes enfants mais encore une fois c'est...
00:29:33 Enfin je vais répéter ça toute la soirée Jean-Henri mais mettons-nous d'accord là-dessus,
00:29:38 c'est impensable de vivre ça en 2023-2024. Ce qui est encore plus dingue, j'en dis un
00:29:46 mot, c'est que quand je raconte ça, même chose sur les réseaux sociaux, je reçois
00:29:50 plein de messages de gens qui me disent, je raconte que je dois changer de nom, que mes
00:29:55 enfants sont dans l'insécurité, que je demande à mon fils d'enlever son étoile de David
00:30:00 autour du cou, que j'enlève le nom de ma boîte aux lettres, blablabla, et les gens
00:30:03 m'écrivent "oui mais les palestiniens souffrent". Et là ça me laisse sans voix. Parce que
00:30:10 un, ça suggère que j'aurais pas d'empathie pour les palestiniens, à partir de ma douleur
00:30:15 j'aurais pas d'empathie pour les palestiniens. Deux, ça suggère que les palestiniens seraient
00:30:20 les seuls à souffrir, qu'il n'y aurait pas d'autres souffrances et qu'on ne pourrait
00:30:23 pas parler non de la souffrance aussi des israéliens. Et puis trois, ça suggère que
00:30:28 la souffrance des palestiniens, que je reconnais et dont j'ai parlé tant de fois ces dernières
00:30:32 années, justifierait que je sois sous protection policière. Et j'aimerais qu'on m'explique
00:30:39 le lien, simplement. J'aimerais savoir pourquoi moi, comme je vis en France, je devrais vivre
00:30:44 dans l'insécurité ou avoir peur pour mes enfants parce qu'il y a la souffrance palestinienne.
00:30:50 Quel est donc le lien ?
00:30:51 Alors c'est vrai que vous avez parlé des injures, des messages ou des déceptions que
00:30:57 vos messages sur internet ou vos prises de parole ont pu générer. Est-ce que, d'abord
00:31:07 comment vous l'avez vécu, j'imagine mal, mais comment vous l'avez entendu, compris ? C'est
00:31:13 à dire qu'effectivement, au bout de cinq mois de combats féroces avec 30 000 palestiniens
00:31:23 morts etc., on attend peut-être d'une rabbin en plus une prise de parole vers la paix ou
00:31:32 quelque chose comme ça. Vous en parlez dans le livre, donc je l'évoque facilement. Et
00:31:42 on attendait de votre part autre chose que ce que vous avez donné. Comment vous avez
00:31:47 vécu cette injonction, cette demande ? On vous demandait en fait de faire un appel à
00:31:51 cesser le feu. Et vous n'avez pas fait ce geste-là exactement. Qu'est-ce qui s'est
00:31:57 passé ?
00:31:58 En fait j'ai été constamment sommée, comme on l'a tous été, mais particulièrement
00:32:02 des figures publiques ces derniers mois. On est sommée, quand on prend la parole, de
00:32:07 sommer quelqu'un. Alors l'ONU, les Israéliens, les Arabes, le monde arabe, le Pape, je ne
00:32:11 sais pas. Et c'est compliqué parce que le sens de mon livre consistait à dire qu'on
00:32:16 est dans une faille de langage. Aujourd'hui les mots, on n'arrive plus à les trouver
00:32:20 parce qu'il y a quelque chose d'obscène et d'abject. Vous savez, j'ai commencé
00:32:25 par écrire dans un des chapitres sur la question du "mais", qui a surgi dans toutes les phrases.
00:32:30 Les gens vous disent "le 7 octobre c'est horrible", "mais...", "il y a des femmes
00:32:37 qui ont été violées le 7 octobre", "mais...", "il y a des enfants qui meurent à Gaza",
00:32:41 "mais...", "il y a des gens utilisés comme boucliers humains", "mais...". Les gens
00:32:47 passent leur temps à relativiser, à contextualiser, alors qu'on devrait d'abord être dans une
00:32:52 pleine empathie, simplement, avec la douleur où qu'elle soit. Être capable d'être
00:32:57 empathique avec la douleur des uns et des autres. Reconnaître la légitimité du narratif
00:33:03 des uns et des autres, de la demande des uns et des autres. J'ai dit ces dernières années
00:33:07 un nombre incalculable de fois, ça m'a été reproché souvent, que j'étais sioniste
00:33:10 et pro-palestinienne. Qu'est-ce que je voulais dire par là ? C'est que je pense qu'on ne
00:33:14 peut pas être l'un ou l'autre. En fait, évidemment que les Palestiniens ont une légitimité
00:33:20 dans leur revendication à l'autodétermination, le droit de disposer d'un territoire et d'une
00:33:27 aide, et de connaître la paix et la sécurité et la souveraineté. De la même manière
00:33:32 que les Israéliens ont pleinement le droit à être en paix et en sécurité sur leur
00:33:37 territoire sans que constamment soit questionnée la légitimité d'Israël à exister. Il
00:33:43 continue d'être questionné, et c'est un euphémisme par la charte du Hamas qui promet,
00:33:47 et il faut bien le répéter, parce que c'est ce qu'ils ne cessent de dire aujourd'hui,
00:33:50 que dès que ce sera possible pour eux, ils referont le 7 octobre. Et dans ce contexte,
00:33:56 j'ai trouvé assez fou que constamment les gens vous appellent, et d'ailleurs ça a
00:34:00 été énoncé toujours, à ce "cessez le feu, point". Mais en fait, c'est formidable
00:34:04 de vouloir que le feu cesse. Qui ne voudrait pas que le feu cesse ? Que le feu cesse ! Mais
00:34:09 on ne peut pas déconnecter cette demande et cette exigence d'un "cessez le feu"
00:34:13 de l'exigence d'une libération immédiate des otages, c'est évident. Enfin, je veux
00:34:18 dire, on ne peut pas déconnecter les sujets. Vous avez tous suivi à la soirée des Césars,
00:34:22 Sophie Aram en a magnifiquement parlé, au moment où on appelle au "cessez le feu",
00:34:27 qu'on s'enflamme et tout le monde applaudit. Et quand on rappelle la nécessité de libérer
00:34:32 les otages, ces gens qui ont été kidnappés et dont le kidnapping a déclenché le feu,
00:34:37 en fait, il faut quand même se rappeler comment tout ça commence. Alors là, il n'y a plus
00:34:40 personne qui applaudit, ou alors on se fait très discret. Ces sujets, on ne peut pas
00:34:44 les déconnecter de la même manière qu'il faut se demander constamment et avec beaucoup
00:34:48 de bonne foi. Que peut faire Israël face aux Hamas ? Très concrètement, qu'est-ce
00:34:54 qu'il faut faire quand vous avez face à vous un groupe qui dit que son but est de
00:34:59 vous exterminer et que dès qu'il le pourra, il rejouera la scène du 7 octobre ? Alors
00:35:05 que faire ? Bien sûr, un "cessez le feu", mais comment dire aux Israéliens que tout
00:35:10 est mis en place pour que demain, ça ne recommence pas ? Bien évidemment, qui peut être insensible
00:35:18 à la douleur aujourd'hui des mères palestiniennes, des innocents, de ces enfants, de cette horreur
00:35:25 ? Qui peut être insensible aujourd'hui à la douleur et au deuil terrible des Israéliens
00:35:31 qui continuent d'attendre ces centaines d'otages dont des femmes et des bébés et des vieillards
00:35:35 qui sont toujours coincés sous terre ? Et d'un centaine actuellement ? 134. Mais en
00:35:42 fait, on ne peut pas faire… Moi, je trouve hallucinant aujourd'hui, et je dois dire
00:35:46 que ça me rend folle de rage et de tristesse de voir le nombre de gens autour de nous qui
00:35:52 vous parlent de ce conflit comme si c'était au choix un match de foot ou un western. C'est-à-dire
00:35:59 des gens qui vous parlent de ce conflit comme si c'était un match de foot et ils sont
00:36:03 là dans les tribunes à dire… Vous voyez, par exemple, tout à l'heure, j'ai publié
00:36:06 une image de cette jeune femme, Nahama Levy, qui a été violée, traînée par les cheveux,
00:36:11 jetée dans un pick-up le 7 octobre. Vous avez sans doute vu cette image. Je poste cette
00:36:15 image la veille du 8 octobre. Et une femme répond immédiatement "et la souffrance
00:36:20 des Palestiniens". Comme si elle me disait "moi je soutiens l'équipe Palestine,
00:36:24 toi tu soutiens l'équipe Israël". Mais on n'est pas en train de faire un PSG…
00:36:28 Je ne connais pas les noms des équipes de foot. Voilà. L'OM. En fait, c'est abject
00:36:36 et c'est grotesque, cette façon dont il faudrait se positionner, comme s'il n'y
00:36:39 avait qu'une douleur d'un côté, comme s'il y avait des forts et des faibles et
00:36:42 des dominants et des dominés et des gens qui souffrent et des gens qui font souffrir.
00:36:45 Mais qu'est-ce que c'est que cette… non seulement cette ignominie, mais cette
00:36:49 méconnaissance de l'histoire, de l'histoire de ce conflit, de son enchaînement, des forces
00:36:56 en puissance, de la complexité de ce conflit. Ou alors, voilà, vous avez des gens qui se
00:37:01 plaisent à raconter ce conflit comme un western aujourd'hui, avec cette grille, encore une
00:37:06 fois, abjecte et simplifiée, cette grille de lecture qui fait des ravages sur les campus
00:37:12 américains, on le sait aujourd'hui. Dominants, dominés, les forts, les faibles. Alors, dans
00:37:16 le rôle, voilà, les Israéliens sont, quoi qu'ils fassent, quel que soit leur âge,
00:37:21 même quand ils sont des bébés kidnappés, dans le rôle du fort. Et le Rama, ses combattants,
00:37:30 même quand il viole des femmes, serait du côté des faibles ou des féministes. Ça,
00:37:35 c'est le nouveau élément intéressant à ajouter à la grille de lecture. Enfin, peut-être
00:37:39 qu'on en parlera, mais hier s'exprimait encore cette grande papesse de la pensée
00:37:45 woke qui est Judith Butler, qui donc, vous l'avez peut-être entendu, non seulement considérait
00:37:51 que le 7 octobre était un acte de résistance, et par ailleurs ajoutait que les viols du
00:37:58 7 octobre, on n'est pas bien sûr qu'ils soient documentés. Alors, je ne sais pas
00:38:02 quel journal. - Le journal Rue faisait la une de libération sur le sujet hier. Les
00:38:08 violences sexuelles, d'ailleurs, l'image même de Shani Louk à l'arrière du pick-up...
00:38:13 - Sur laquelle on crache des membrés, des nudés... - Ça va hanter beaucoup de nos
00:38:17 esprits, et pour longtemps en donner l'indice. Mais depuis plusieurs jours, on voit que
00:38:24 des grandes voix s'expriment, et de ce qui était un conflit de défense tournent à
00:38:34 la vengeance dans leurs déclarations. On a eu plusieurs personnes qui, notamment depuis
00:38:45 les morts lors de la distribution alimentaire de Palestiniens sur lesquels aurait tiré
00:38:50 l'armée israélienne. Et nous avons par exemple Edgar Morin, 102 ans, qui a déclaré
00:38:59 "Je suis à la fois ahurie et indignée par le fait que ceux qui représentent les descendants
00:39:02 d'un peuple qui a été persécuté pendant des siècles puissent se livrer à un véritable
00:39:06 carnage massif sur les populations de Gaza". On a aussi, il y a trois jours, dans les colonnes
00:39:13 de l'Obs... - Oui, je peux rajouter ça parce que c'est inaudible, excusez-moi. Enfin,
00:39:17 tout le respect que je peux avoir pour Edgar Morin, cette mise en parallèle de faire comme
00:39:23 si d'abord les Juifs, par ce qu'ils ont vécu et en toutes circonstances, devaient être
00:39:29 dans une situation d'exemplarité, comme s'ils devaient se comporter tellement différemment
00:39:35 des autres parce qu'ils ont vécu une tragédie, à quelque chose pour moi d'assez obscène.
00:39:40 Comme si les Juifs étaient un groupe qui devait incarner, je sais pas, une exemplarité,
00:39:49 en fait une armée qui s'égare, qui commet des crimes, qui doit être jugée pour ses
00:39:57 crimes ou ses méfaits. Ça existe dans le monde entier et j'ai confiance en la société
00:40:02 israélienne qu'elle devra et qu'elle saura, enfin, je veux espérer qu'elle saura juger
00:40:07 tout ce qui a été fait parce que c'est une démocratie, mais enfin exiger d'une armée
00:40:12 parce que ce sont des Juifs dans cette armée, qu'ils aient un comportement tellement différent
00:40:17 à la lumière de leur histoire était, et pour moi, un argument totalement inaudible
00:40:23 et à vrai dire même assez abject. Et par ailleurs, cette fâcheuse tendance à faire
00:40:27 en constamment au Proche-Orient du point Godwin, c'est-à-dire à considérer qu'il faut tout
00:40:31 le temps que la seconde guerre mondiale vienne parasiter le débat pour tenter de montrer
00:40:37 que le comportement des Israéliens ou du gouvernement israélien, et autant vous dire
00:40:42 que j'ai pas particulièrement de respect pour ses ministres et son gouvernement, mais
00:40:47 immédiatement devoir y greffer le mot de nazisme, comme on le voit faire ici et là,
00:40:53 ou ramener les fantômes de la seconde guerre mondiale pour définir les actions de ce gouvernement,
00:40:58 à mon sens c'est assez malveillant et fou, et à vrai dire psychanalytiquement troublant.
00:41:06 Est-ce qu'il y a d'autres conflits dans le monde où des politiques violentes, ultra-nationalistes
00:41:14 sollicitent les mêmes références historiques ? À ma connaissance, le gouvernement israélien
00:41:19 n'est pas le seul à avoir une politique ultra-nationaliste dangereuse et par moments
00:41:25 raciste, enfin il n'est pas difficile d'en citer beaucoup d'autres sur la planète en
00:41:29 ce moment, et qu'est-ce qui fait que uniquement parce qu'il s'agit des juifs, on essaie
00:41:34 de retourner l'accusation et de dire "ahem, les victimes seraient devenues des bourreaux,
00:41:40 ils se comporteraient comme les nazis". Pourquoi ? Qu'est-ce que ça raconte de la psychologie
00:41:46 de celui qui l'énonce ? Je ne sais pas, il y a suffisamment de mots dans le vocabulaire
00:41:51 français pour dénoncer l'action d'un gouvernement ou exprimer une critique sans avoir nécessairement
00:41:56 besoin d'aller chercher du côté du 3ème Reich.
00:42:00 Alors il y a eu d'autres prises de parole qui n'étaient pas de cet ordre-là, on a
00:42:06 eu le résistant Claude Alphandéry, 101 ans, qui invite à se lever contre la barbarie,
00:42:11 il parle de la Palestine et d'Israël, Alphandéry parle de tout ce qui se passe et de l'Ukraine
00:42:17 et c'est extraordinaire qu'il le fasse et je pense que ces figures de résistants
00:42:23 doivent nous inspirer, nous faire réfléchir à la façon dont nous devons nous lever.
00:42:27 De la même manière que le texte magnifique qu'a publié Anne Sinclair dans Le Point
00:42:33 est une invitation à penser les limites de l'action militaire. Anne Sinclair le rappelle
00:42:39 très bien et elle le dit et le redit, en aucune manière elle ne crée d'équivalence
00:42:44 entre le Hamas et cette guerre dans laquelle Israël a été entraîné de force, mais
00:42:51 simplement elle ne voit pas, et j'entends très bien ce qu'elle dit, elle ne voit pas
00:42:56 de débouchés militaires et elle reproche à ce gouvernement de n'avoir aucune réelle
00:43:01 stratégie ni politique ni stratégie de paix pour la suite. Elle suggère et sans doute
00:43:08 a raison comme bien des interprètes de la politique israélienne aujourd'hui que Benjamin
00:43:14 Netanyahou a tout intérêt à ce que cette guerre continue puisque c'est dans son intérêt
00:43:20 de ne surtout pas être jugé.
00:43:23 Voilà, mais Anne Sinclair dit elle qu'il est temps que ça s'arrête, que cette guerre
00:43:28 s'arrête parce que rien ne peut venger les atrocités du 7 octobre, en tout cas pas la
00:43:32 famine du population.
00:43:33 Sûrement pas, elle a raison.
00:43:36 Je voudrais revenir à ma première question, je suis insistante, qui était qu'est-ce
00:43:40 que le 7 octobre avait modifié en vous et pour le faire je vais revenir à une question
00:43:46 que j'avais commencé à vous poser il y a déjà quelques temps qui était qui parle
00:43:50 aujourd'hui ? Est-ce que c'est la femme, la mère, la rabbin, celle qui a été israélienne
00:43:58 et qui l'est peut-être plus aujourd'hui qu'avant, la française, laquelle ? Qui
00:44:03 parle ? Est-ce que c'est tout ça mélangé ? Alors je pose la question en suggérant
00:44:10 que les frontières sont devenues poreuses entre tous ces rôles sociaux, personnels
00:44:17 et qu'un personnage de votre livre, qui n'est pas un personnage, qui est une personne bien
00:44:22 réelle, qui s'appelle Rose, va nous permettre de comprendre peut-être.
00:44:27 Parce que Rose, je crois qu'une partie de sa famille est présente ici, son époux.
00:44:32 C'est un merveilleux chapitre où on sent ce qui va changer chez vous, ou ce qui a changé
00:44:40 chez vous.
00:44:41 C'est-à-dire que Rose est atteinte d'une maladie grave, c'est la maladie de Charcot
00:44:50 et elle a demandé à ce que vous l'accompagniez pour finir sa vie, ses derniers jours.
00:44:54 Ce que vous allez faire, et vous allez nous raconter ça mieux que moi, mais les rôles
00:45:01 vont un peu s'inverser.
00:45:02 Je suis très émue d'en parler devant son époux qui est là et je voudrais saluer
00:45:10 la mémoire de Rose en cet instant, en votre présence.
00:45:15 Effectivement, il m'est arrivé dans ma vie d'accompagner souvent des personnes vers
00:45:21 la fin de vie, c'est ce que "Vivre avec nos morts" racontait.
00:45:24 Mais il s'est passé quelque chose de très particulier dans le chemin que j'ai pu faire
00:45:28 aux côtés de Rose parce qu'elle a fait appel à moi autour du 7 octobre et j'ai
00:45:34 rapidement senti que la mort qui lui rendait visite et qui frappait à sa porte frappait
00:45:41 à la mienne, évidemment, simultanément, pas avec les mêmes arguments et les mêmes
00:45:47 armes, mais qu'on était toutes les deux visitées par la mort et le morbide.
00:45:53 Et tout à coup, dans cet accompagnement de cette femme solaire et pleine de vie jusqu'au
00:45:59 bout, j'ai senti par moments que se passait quelque chose de troublant qui était un renversement
00:46:05 de ma fonction.
00:46:06 J'ai souvent expliqué que pour pouvoir tenir cette fonction d'accompagnant face à la
00:46:11 mort proche de quelqu'un que je soutiens, j'ai besoin d'être suffisamment solide
00:46:16 pour me tenir à ses côtés, tout en étant consciente de mes fragilités qui entrent
00:46:20 en relation avec celles de la personne que j'accompagne.
00:46:22 Mais j'ai senti après le 7 octobre que j'étais tellement abîmée, que j'étais
00:46:29 tellement fragile et fragilisée que de façon troublante, assez rapidement, quand je demandais
00:46:34 à Rose comment elle allait, assez vite c'était en réalité elle qui prenait soin de moi.
00:46:41 Dans les rencontres qu'on avait, dans les échanges par e-mail ou par message qu'on
00:46:45 s'envoyait, j'ai eu le sentiment, même par moments troublants, qu'elle était pendant
00:46:50 quelques semaines presque plus en vie que moi, ou ça peut sembler paradoxal en meilleur
00:46:56 état.
00:46:57 En tout cas, j'étais son rabbin, mais assez vite elle est devenue le mien.
00:47:02 Elle s'est occupée de moi jusqu'à la fin, jusqu'à son dernier voyage et ça
00:47:08 m'a fait beaucoup réfléchir, effectivement, à tout ce qui s'effondrait.
00:47:14 Ça m'a fait réfléchir aussi au rabbin que je devenais après, qui je crois n'est
00:47:21 pas tout à fait le même, effectivement, parce que cet état de fragilité avec lequel
00:47:26 je dois vivre fait que je n'accompagne pas les gens tout à fait de la même manière.
00:47:33 Mais comme je l'avais écrit dans "Vivre avec nos morts", je crois vraiment que pour
00:47:37 accompagner les gens efficacement, je ne sais pas si c'est le bon mot, en tout cas
00:47:41 humainement, le plus humainement possible, il faut être à la fois solide et vulnérable,
00:47:47 toujours.
00:47:48 Il faut pouvoir ne pas être brisé à leur place parce qu'il faut leur laisser à eux
00:47:55 l'espace de cet effondrement et être vous leur soutien.
00:47:59 Mais ça ne marche pas si vous n'êtes pas conscient de tout ce qui en vous est profondément
00:48:05 en faillite, faillible.
00:48:08 Voilà, plein de morceaux cassés.
00:48:12 Il se trouve que dans la tradition juive, on a une sacrée expérience de ça, de ce
00:48:18 qui est brisé, de ce qui est cassé.
00:48:20 Vous le savez sans doute si vous avez déjà insisté à un mariage juif, on casse un verre.
00:48:26 Quand on raconte l'histoire de la sortie d'Egypte, on casse du pain à Zim, on ne
00:48:31 cesse de raconter des histoires de brisures.
00:48:34 On raconte toujours cette image de Moïse qui descend du Mont-Sinai avec les tables
00:48:38 de la loi et la première chose qu'il fait c'est qu'il les fracasse.
00:48:41 En fait, le judaïsme est une certaine façon, à travers ses rites et ses récits, de nous
00:48:48 apprendre à vivre avec la cassure.
00:48:50 Évidemment, ça ne s'adresse pas qu'aux Juifs.
00:48:53 Je ne suis pas du tout en train de vous convertir, j'espère que c'est clair.
00:48:56 Ce n'est pas une religion prosélite, mais c'est une religion qui a beaucoup, je crois,
00:49:02 à apprendre au monde des vivants une capacité de gestion du deuil qui lui est inhérente
00:49:12 par ses rites et par son histoire.
00:49:14 Parce qu'on a traversé tellement de tragédies, on a effectivement une certaine expérience
00:49:21 de la résilience.
00:49:22 Ce mot de résilience, je voudrais en dire quelque chose parce qu'il est mis à toutes
00:49:26 les sauces aujourd'hui dans notre société, la résilience, la résilience.
00:49:30 Mais il est très mal compris, en fait, les gens pensent qu'on est résilient quand on
00:49:34 est capable de dépasser un traumatisme, quand on va faire comme s'il n'avait pas eu lieu,
00:49:38 qu'on redevient insolide et fort.
00:49:40 Et moi, je pense que la résilience, c'est le contraire.
00:49:43 En fait, une résilience humaine véritable, c'est quand on sait qu'à tout jamais, on
00:49:49 ne sera plus les mêmes.
00:49:50 Parce que le deuil et le manque nous changent et on sait très bien que ce ne sera plus
00:49:59 jamais comme avant.
00:50:00 Mais on est résilient parce qu'on est capable de se dire que malgré tout, on ne va pas
00:50:06 laisser la mort avoir le dernier mot et qu'on va pouvoir faire gagner la vie, même quand
00:50:12 quelque chose à tout jamais en nous est fêlé dans tous les sens du terme.
00:50:17 - Et alors, c'est quoi la clé de la survie ? Puisqu'il s'agit de ça ?
00:50:21 - Je ne sais pas encore.
00:50:24 J'écris là-dessus depuis des années.
00:50:26 Je me rends compte que j'écris par exemple dans le livre sur Romain Garry, la raison
00:50:30 pour laquelle je m'étais tellement intéressée à cet homme et il continue de me fasciner,
00:50:34 c'est que je trouve qu'il avait une recette de survie.
00:50:36 Ce qui est bizarre pour quelqu'un qui s'est suicidé à la fin, mais bon.
00:50:40 Il avait une recette de survie au sens presque cassé du terme.
00:50:46 C'est-à-dire qu'il était un survivant.
00:50:47 Il avait survécu à la Seconde Guerre mondiale, survécu à sa mère juive, enfin survécu
00:50:52 à plein de choses.
00:50:53 Mais il avait aussi décidé de survivre, en deux mots.
00:51:01 C'est-à-dire qu'il avait décidé que sa vie serait plus grande que la vie, qu'il serait
00:51:05 à la fois un résistant, comme Alphandéry, qu'il serait un combattant, qu'il serait
00:51:13 un diplomate, qu'il serait un cinéaste, qu'il serait un amoureux, qu'il serait un écrivain
00:51:18 et qu'il aurait plein de pseudos.
00:51:19 Et en fait, il a eu une vie tellement plus grande que sa vie qu'il a survécu.
00:51:25 Et moi, je soupçonne, enfin je pense qu'il a décidé de mettre fin à ses jours quand
00:51:29 il a compris qu'il serait juste vivant, mais pas survivant pour le reste de ses jours et
00:51:35 que c'était plus envisageable pour lui.
00:51:37 Donc oui, je me pose constamment la question aujourd'hui de la survie de notre monde,
00:51:45 comment on fait pour que nos vies soient plus grandes que toutes ces médiocrités dans
00:51:51 lesquelles certains discours nous enferment ?
00:51:55 Comment on fait pour que notre empathie soit plus grande que celle qu'on aurait pour notre
00:52:00 famille ou notre camp ou l'équipe qu'on aurait choisie ?
00:52:04 Comment on fait pour rester pleinement humain, c'est-à-dire capable de voir constamment
00:52:12 l'humanité de l'autre ?
00:52:15 Je le répète, la souffrance des uns et des autres, entendre les cris des uns et des autres,
00:52:24 souffrir avec le deuil des uns et le deuil des autres.
00:52:27 Et vous voyez, c'est terrible parce que je dis ça, j'ai l'impression de, pardon,
00:52:33 d'enfiler des perles, de dire des banalités.
00:52:35 Et le fait que pour certaines personnes aujourd'hui, ce que je dis là, soit devenu une forme de
00:52:41 sagesse ou d'élévation, me désespère.
00:52:44 Vous m'avez dit, quand vous avez accepté de venir voir Kamel Daoud pour discuter, je
00:52:58 viens vérifier que mes ponts de levée sont toujours baissés, que je peux toujours dialoguer.
00:53:05 Vos capacités de dialogue, est-ce qu'elles sont intactes aujourd'hui ?
00:53:09 Alors je voudrais, et j'aurais dû peut-être commencer par là, vous remercier d'avoir
00:53:15 suscité cette rencontre, parce qu'elle a été pour moi fondamentale.
00:53:18 Après le 7 octobre, quand Marie Lemoynier m'a appelée, elle m'a dit, est-ce que vous
00:53:23 soyez d'accord pour dialoguer avec Kamel Daoud ?
00:53:25 En fait, j'ai senti qu'une fenêtre venait de s'ouvrir et qu'il y avait de l'oxygène.
00:53:31 Alors j'ai utilisé cette image du pont Levy, j'ai l'impression d'avoir beaucoup
00:53:36 travaillé à la construction de ponts ces dernières années, au dialogue notamment
00:53:40 judéo-arabe qui me tient particulièrement à cœur, ou judéo-musulman.
00:53:45 J'écris là-dessus sur le livre, sur le fait que le pont Levy porte quand même un
00:53:50 nom très juif.
00:53:51 C'est dangereux, très dangereux pour lui.
00:53:59 Il y a le pont Cohen, il y a le pont Levy.
00:54:02 Mais plus sérieusement, cette rencontre inoubliable qu'on a eue ensemble avec Kamel
00:54:07 Daoud, il faut quand même raconter la scène, on était dans une cuisine et c'est important.
00:54:11 On s'est donné rendez-vous dans un appartement, je ne sais pas si on peut le raconter, on
00:54:14 était assis dans une cuisine, c'est-à-dire dans le lieu absolu de l'intime, du partage
00:54:23 et du familial.
00:54:24 Et on s'est dit des choses qui moi m'ont sauvée.
00:54:29 Ça paraît grandiloquent, mais j'ai eu le sentiment que c'est opéré là, ça fait
00:54:33 partie des moments de planche de salut après le 7 octobre où on était capable de partager
00:54:38 nos douleurs.
00:54:39 Il y avait dans la pièce des milliers de fantômes, parce qu'il y avait les miens,
00:54:42 il y avait peut-être les vôtres, je ne sais pas, je les connais moins bien.
00:54:44 - Il y avait le propriétaire de l'appartement qui était libanais et qui fuit aussi les
00:54:49 conflits.
00:54:50 - Il y avait peut-être les fantômes de la guerre du Liban, du propriétaire de l'appartement.
00:54:54 Il y avait les fantômes de la guerre d'Algérie, de Kamel Daoud, dont il parle de façon extraordinaire.
00:54:59 Les fantômes du Proche-Orient qui prennent beaucoup trop de place dans toutes nos consciences.
00:55:05 Et ça a été une conversation extraordinaire.
00:55:10 Et je voudrais ici, à nouveau, il n'est pas là, mais saluer le courage de Kamel Daoud
00:55:14 qui est un courage époustouflant, mais que vous connaissez tous parce que vous l'avez
00:55:19 sans doute lu.
00:55:20 Une capacité à visiter son histoire et l'histoire de l'Algérie, une capacité d'autocritique,
00:55:28 une capacité à penser contre sa culture et contre lui-même qui est phénoménale.
00:55:34 Et si tout le monde avait cette capacité de penser contre soi, moi j'ai la conviction
00:55:39 qu'on irait tous beaucoup mieux.
00:55:41 Et donc voilà, je ne sais plus du tout quelle était votre question, mais je suis contente
00:55:46 d'avoir dit ça.
00:55:47 - Je me demande si vos capacités de dialogue étaient intactes.
00:55:48 J'ai envie de répondre presque à votre place.
00:55:50 - Alors ? Je ne sais pas exactement, mais en tout cas il y a un petit indice dans ce
00:55:58 livre, c'est-à-dire que vous ouvrez ce livre sur un poème et vous le fermez sur un autre
00:56:03 poème.
00:56:04 Le poète du premier poème se trouve être Mahmoud Daouish, le poète palestinien.
00:56:09 Et le dernier poème, celui d'un poète israélien.
00:56:13 - Yehuda Amirchai, qui est un poète que j'adore particulièrement, que j'aime beaucoup.
00:56:19 Peut-être que je pourrais le lire, il est très court ce poème israélien.
00:56:22 - Je l'adore et je voulais vous le demander en plus.
00:56:27 Parce que pour moi, il y a dans ce poème une clé de résolution de conflits, rien que
00:56:31 ça.
00:56:32 - Une sorte de panier en plus.
00:56:34 - Donc Yehuda Amirchai.
00:56:37 "Un jour, j'étais assis à Jérusalem sur les marches, près de la tour de David.
00:56:43 J'avais posé mes deux lourds paniers à côté de moi.
00:56:46 Un groupe de touristes entourait leurs guides et je devins leur point de repère.
00:56:52 Vous voyez cet homme avec les paniers juste à la droite de sa tête ? Il y a une voûte
00:56:59 datant de l'époque romaine, juste à la droite de sa tête.
00:57:02 Mais il s'éloigne, il s'éloigne.
00:57:05 J'ai pensé, le Messie ne viendra que si leur guide leur dit...
00:57:13 Vous voyez cette voûte datant de l'époque romaine ? Aucune importance.
00:57:18 Ce qui compte, c'est qu'à côté, un peu en dessous, à gauche, il y a un homme assis.
00:57:24 Il a acheté des fruits et des légumes pour sa famille."
00:57:28 Vous voyez cette poésie, je la décrypte, elle a pas besoin d'être décryptée, mais
00:57:34 elle raconte pour moi l'unique résolution de conflits possible.
00:57:38 C'est le moment où on regarde les pierres et la sédimentation de l'histoire, et les
00:57:43 voûtes et nos antiquités et ce qu'ils nous ont construits, mais on fait un simple pas
00:57:48 de côté pour recentrer le débat sur l'humain, sur l'intime, sur la capacité nourricière
00:57:59 qui est la nôtre, à prendre soin de ce qu'on aime.
00:58:02 Alors j'aimerais terminer en vous citant une nouvelle fois, nous ne sommes pas que
00:58:09 ce qui nous est arrivé, seulement ce qu'on en fera.
00:58:12 C'est une leçon pour chacun d'entre nous, quelle que soit notre position, et je vais
00:58:18 maintenant proposer au public de poser les questions qu'il souhaite poser.
00:58:22 Qui va commencer ? N'hésitez pas, je crois que Quintin va passer dans l'étravée pour
00:58:32 apporter un micro.
00:58:33 Marie, c'est toi qui es en charge.
00:58:36 On vous écoute.
00:58:39 - Bonsoir.
00:58:40 - Bonsoir.
00:58:41 Alors, moi je me suis beaucoup reconnue quand vous avez parlé des couples mixtes.
00:58:47 J'aurais pu être une de celles qui est venue vous voir, étant juive et mon mari ne l'étant
00:58:55 pas, et notre fille au moment du conflit nous a un petit peu entendu parler, justement
00:59:00 on a peut-être, sans essayer de trop développer devant elle, mais il s'avère qu'on a quand
00:59:05 même laissé échapper des choses.
00:59:07 Et un soir elle nous dit "mais maman, est-ce que si je dis que je suis juive c'est comme
00:59:14 une mauvaise blague qui pourrait me faire mourir ?" Elle a 5 ans.
00:59:18 Et à ce moment-là j'ai eu les mêmes questions qui me sont apparues, comme vous.
00:59:23 Je me suis dit à quel point ma judaïté va se révéler à ce moment-là à partir
00:59:29 du 7 octobre, et j'ai exactement les mêmes préoccupations.
00:59:33 Mais là je voudrais rebondir sur la dernière partie, sur le fait que vous disiez "c'est
00:59:44 très bien de recentrer sur l'humain et de ne pas penser aux pierres", et à ce moment-là
00:59:49 qu'est-ce que vous répondriez aux personnes qui disent "mais à ce moment-là, les Israéliens
00:59:58 ou l'État d'Israël, pourquoi il a été créé là-bas, il y a des pierres, et pas
01:00:02 ailleurs ?"
01:00:03 C'était ça ma question.
01:00:05 Bien sûr, mais le lien aux pierres est en réalité un lien aux hommes et aux récits.
01:00:11 Ceux qui voudraient nier aujourd'hui qu'il existe un lien, il y en a qui veulent le nier,
01:00:15 entre le peuple juif et cette terre, c'est troublant.
01:00:22 Pourquoi vouloir nier qu'il existe un lien historique et intergénérationnel ? Les juifs
01:00:28 ont toujours prié pour un retour sur cette terre, prié pour un retour à Jérusalem,
01:00:35 encore une fois.
01:00:36 C'est pas pour nier la possibilité pour d'autres d'y avoir eux aussi un ancrage
01:00:43 et des histoires, mais qu'est-ce qui fait qu'on nierait aux juifs un lien humain, narratif,
01:00:51 qui n'est pas simplement un amour des pierres, mais la conscience d'un lien fondamental
01:00:58 à ce lieu ? Et par ailleurs, la création de l'État d'Israël est pour moi liée
01:01:04 évidemment à la nécessité impérieuse d'offrir un refuge à ce peuple.
01:01:11 Je pense souvent à Mousse Hose, qui racontait dans un de ses livres, et je le cite je crois
01:01:16 dans mon livre, que son père, qui avait quitté l'Europe, avait quitté l'Europe parce que
01:01:22 sur les murs, il y avait écrit "les juifs dégagés d'ici partaient en Palestine".
01:01:29 Et que son père était revenu en Europe quelques décennies plus tard et que sur les murs,
01:01:34 il y avait marqué "les juifs dégagés de la Palestine".
01:01:38 En fait, c'est troublant aujourd'hui cette idée que, évidemment, si Israël a été
01:01:43 créé, c'est parce que les nations n'ont pas offert de protection aux juifs.
01:01:50 Seule la souveraineté, et c'était toute l'idée du projet sioniste, permettrait aux
01:01:54 juifs de ne plus revivre l'absolue fragilité et vulnérabilité de la diaspora.
01:02:01 Et donc aujourd'hui, certains voudraient dire que les juifs n'y ont pas leur place.
01:02:06 D'abord, c'est une négation de ce que le lien des juifs a à ces lieux, évidemment.
01:02:11 Mais c'est aussi une négation de ce que sont les réverbérations de l'histoire qui ont
01:02:17 rendu évidemment nécessaire l'établissement d'une souveraineté juive face à la vulnérabilité
01:02:24 diasporique.
01:02:25 Ce qui a d'ailleurs été un élément du choc du 7 octobre pour beaucoup de juifs dans
01:02:29 le monde, c'est que le 7 octobre qui chariait des images, évidemment qui ont fait des échos
01:02:35 comme Marie disait tout à l'heure à des images de pogroms et des images de la diaspora
01:02:39 juive, est venu d'une certaine manière et de façon paradoxale inscrire Israël dans
01:02:44 la diaspora juive.
01:02:45 Pour beaucoup de gens, Israël était le lieu d'où ces images ne pourraient pas venir
01:02:50 puisque le projet sioniste consistait à offrir aux juifs la promesse que ce type d'événement
01:02:57 ne s'y produirait pas.
01:02:59 Et c'est comme si subitement une partie de l'angoisse de beaucoup de gens avait à
01:03:03 voir avec ça, avec le fait qu'Israël qui s'est érigé comme un refuge semblait ne
01:03:08 plus en être un, comme si les juifs israéliens étaient devenus aussi vulnérables que les
01:03:18 juifs de la diaspora.
01:03:20 C'est assez troublant.
01:03:21 Mais quant au lien, voilà, entre ceux qui nient le lien à ceux qui disent "avant 1948
01:03:27 il n'y avait pas de juifs dans ce pays", enfin c'est un tel révisionnisme, une telle
01:03:32 relecture de l'histoire qu'on a même du mal à y répondre.
01:03:35 Je le raconte dans le livre, mais je trouvais ça très intéressant et on aurait dit presque
01:03:39 une blague juive au moment de Noël.
01:03:41 Sur les réseaux sociaux il y avait plein de gens qui écrivaient, dans un même poste
01:03:44 ou presque, qu'ils célébraient Noël, c'est-à-dire la naissance il y a plus de 2000 ans d'un
01:03:52 juif en Palestine.
01:03:54 Et simultanément ils disaient qu'il n'y avait jamais eu de juif en Palestine.
01:04:00 Alors bon, je sais pas comment ça serait concilié.
01:04:03 Merci madame pour votre question.
01:04:07 Je vois un bras qui se lève par ici.
01:04:09 Est-ce que quelqu'un a déjà un micro ? Alors il faut relever le bras pour qu'on
01:04:15 l'identifie.
01:04:16 Voilà, le micro arrive vers vous.
01:04:18 Bonjour Delphine.
01:04:22 Bonjour.
01:04:24 Plaisir de vous toujours écouter et voir.
01:04:29 Je voudrais vous demander, on sait très bien comment, surtout maintenant, tout le
01:04:33 monde est instrumentalisé.
01:04:35 Évidemment il y a plusieurs points faibles dans le monde, mais ces points faibles peuvent
01:04:44 rester plus ou moins en équilibre ou il y a quelqu'un qui a un intérêt énorme,
01:04:51 et on sait très bien qui c'est, pour déplacer l'accent entre les guerres avec
01:04:57 l'Ukraine.
01:04:58 Donc je me pose la question, en quelle proportion tout ce qui s'est passé le 7 octobre s'est
01:05:09 passé vraiment entre Hamas et Israël et dans quel point, on sait très bien comment
01:05:18 la Russie rentre partout avec tous ces trous là, à quel point c'est complètement instrumentalisé.
01:05:26 Alors je ne me sens pas vraiment habilitée à répondre à cette question, même si je
01:05:32 l'entends, je la comprends parce que je ne suis pas du tout une spécialiste géopolitique
01:05:35 et je pense que d'autres y répondraient mieux, mais effectivement ce à quoi vous
01:05:39 nous invitez c'est à faire ce petit pas de côté, d'être en permanence en conscience
01:05:45 de ce qui agit en nous, de quelle manière, évidemment et particulièrement à l'heure
01:05:51 des réseaux sociaux, de la post-vérité, de quelle manière nous sommes, le terme
01:06:00 que j'utilise dans le livre c'est "nous sommes ventriloqués par d'autres voies",
01:06:03 c'est-à-dire que par la travers nous, on est persuadé de parler en pleine conscience
01:06:08 mais évidemment les informations qui nous arrivent, les slogans politiques, tout un
01:06:12 tas de choses, il faut toujours se poser la question de quelle est vraiment notre liberté
01:06:17 de jugement et ça c'est une question qui est pertinente dans tous les conflits.
01:06:21 Mais peut-être qu'à mon sens elle est encore plus pertinente quand on parle du Proche
01:06:26 Orient parce que comme je le disais tout à l'heure, quand on parle du Proche Orient,
01:06:31 on ne fait jamais un monologue.
01:06:33 En fait il faut accepter que par la travers nous, comme tout à l'heure Marie me demandait
01:06:39 est-ce que je parle en tant que mère, que femme, que rabbin, que française, que québéco-proche
01:06:45 orient, évidemment que je parle comme tout ça à la fois.
01:06:49 Mais quand on parle du Proche Orient, les gens n'entendent pas souvent tous les fantômes
01:06:54 qui parlent à travers leur bouche, c'est-à-dire de quelle manière ce conflit-là déclenche
01:07:01 les passions parce qu'il touche à l'intime de l'intime, il touche notre rapport au sacré
01:07:08 et notre rapport aux origines.
01:07:11 - Delfine, oui, vous parlez dans le sens philosophique, mais on sait très bien, il n'y a pas longtemps,
01:07:18 quand on a découvert qu'à l'époque tous les étoiles de David, qu'on se posait
01:07:23 "Question, pourquoi ?" Tout à coup on découvre que c'est une coupelle moldave qui était
01:07:27 payée par les Russes.
01:07:28 C'est quand même incroyable.
01:07:29 - Bien sûr, mais les manipulations, il faut en être conscient.
01:07:32 Mais je pense simplement que je ne suis pas nécessairement la bonne interlocutrice pour
01:07:36 développer ça, mais j'entends très bien ce que vous dites.
01:07:39 Mais je pense que c'est plutôt à un spécialiste de géopolitique de répondre à ça.
01:07:45 - Oui, mais après, dans le sens philosophique, on construit les théories et l'idée peut-être
01:07:51 sur les bases fausses.
01:07:52 - Sans doute.
01:07:53 - Quelqu'un a une question en haut ? On vous écoute.
01:07:58 - En haut, c'est le transcendant.
01:08:02 Allez-y.
01:08:03 - Bonsoir Delfine, je m'appelle Joël.
01:08:06 - Bonsoir.
01:08:07 - J'ai quelque chose qui m'inquiète quand je vois qu'une personne comme Judith Butler
01:08:11 va faire un cycle de conférences dans une grande école, je ne sais plus laquelle, je
01:08:15 ne sais pas si on se pouve.
01:08:16 - Ça a été annulé, c'était anormal.
01:08:18 - Ah bon ? Ah ben me voilà rassurée parce que je me dis, si quelqu'un comme ça peut
01:08:22 intervenir dans les grandes écoles qui forment les élites de demain matin, comment est-ce
01:08:26 qu'on va s'en sortir ?
01:08:27 - Oui, mais c'est une question de la question des campus aujourd'hui est clé.
01:08:33 D'ailleurs, elle n'est pas sans lien avec la question des grilles de lecture dans les
01:08:38 campus, on le voit bien, je l'évoquais tout à l'heure aux Etats-Unis, aujourd'hui, la
01:08:42 matrice dans les campus la plus influente, c'est celle du dominant-dominé qui est une
01:08:51 lecture extrêmement simplifiée, simplificatrice et erronée et qui donne lieu à des dérives
01:09:01 assez terribles.
01:09:03 On le voit et de quelle manière ça s'importe chez nous.
01:09:07 Moi, je me souviens justement juste après le 7 octobre à Sciences Po, je crois qu'il
01:09:10 y a eu une manifestation où il y a eu une minute de silence qui a été demandée pour
01:09:13 les victimes palestiniennes et l'Union des étudiants juifs de France a demandé qu'il
01:09:18 y ait aussi une minute de silence pour les victimes israéliennes du 7 octobre.
01:09:24 Ça a été refusé.
01:09:25 Là, on se parle à la veille du 8 mars, peut-être on peut aussi en dire un mot, c'est quand
01:09:34 même assez troublant la façon dont maintenant les viols des femmes israéliennes le 7 octobre
01:09:41 sont suffisamment référencés par des institutions internationales et on peut quand même s'étonner
01:09:49 que beaucoup de féministes se taisent.
01:09:51 Moi, vous vous en doutez extrêmement douloureux parce que je n'abandonnerai pas ni ce mot
01:09:56 ni ce combat.
01:09:57 Je suis féministe et je crois profondément à la justesse de ce combat.
01:10:03 Mais c'est perturbant de voir que des féministes ont pu ou continuent à se lever pour toutes
01:10:09 les femmes, sauf certaines.
01:10:11 C'est comme si tout à coup les femmes israéliennes n'étaient pas assez féminines à leurs
01:10:20 yeux, à ces femmes, comme si dans ce schéma de dominants dominés, quoi qu'il arrive,
01:10:26 les palestiniens étaient du côté du féminin et les israéliens du côté du mal alpha
01:10:34 dominant du sexe fort.
01:10:36 Il y a quelques années, en 2017, Linda Sarsour, je ne sais pas si vous vous en souvenez, qui
01:10:42 organisait la marche des femmes à Washington, avait déclaré cette phrase ahurissante.
01:10:47 Elle avait dit qu'on ne pouvait pas être féministes et sionistes.
01:10:49 Ah bon ? Ce qu'elle voulait dire par là, c'est que par définition pour elle, le sionisme
01:10:54 était ce système colonialiste de domination, enfin toute cette grille de lecture où les
01:11:00 mots ne veulent plus rien dire.
01:11:01 Les mots ne veulent plus rien dire.
01:11:02 Font que tout à coup, vous êtes coupable par essence ou innocent par naissance.
01:11:10 Tout à coup, vous pouvez être un violeur du hamas, méperçu comme résistant ou du
01:11:18 côté du sexe faible.
01:11:20 C'est tellement fou comme schéma de pensée qu'on a du mal à croire que ça ait pu s'emparer
01:11:28 des sphères de la connaissance, des lieux de connaissance que sont les campus.
01:11:34 Ce qui moi m'inquiète particulièrement, c'est la tension intergénérationnelle que
01:11:38 ça génère.
01:11:39 On a eu beaucoup de familles où le clash intergénérationnel a lieu là, même dans
01:11:44 des familles juives où tout à coup, on a l'impression que les jeunes et les vieux
01:11:50 ne se comprennent plus autour de ces questions.
01:11:53 Pour schématiser, on voit ici qu'il y a une problématique d'âge, une problématique
01:11:58 générationnelle.
01:11:59 Une problématique aussi pour ce qui est du proche-orient d'inculture.
01:12:02 Moi je suis assez bluffée par l'inculture de tellement de gens.
01:12:08 C'est devenu presque une blague quand vous interrogez les gens dans des manifestations
01:12:13 du proche-orient.
01:12:14 Par exemple, il y a eu ce film, je ne sais pas si vous l'avez vu circuler, où on voyait
01:12:17 des manifestations pro-palestiniennes où les gens criaient ce slogan ahurissant quand
01:12:21 même "From the river to the sea", de la rivière à la mer, libération de la Palestine.
01:12:28 Ce qui voudrait donc dire que des millions, qu'est-ce qu'on ferait des millions de juifs
01:12:32 qui y vivent ? Ce n'est pas très clair.
01:12:33 Donc cette formule, "From the river to the sea", il demandait aux manifestants "Quelle
01:12:39 rivière et quelle mer ?" Et les réponses étaient extraordinaires.
01:12:45 Moi si j'étais prof de histoire géo, je serais vachement emmerdée parce que les gens
01:12:50 n'étaient pas capables évidemment de situer géographiquement le proche-orient sur la
01:12:55 carte, mais surtout il y avait une méconnaissance absolue de l'histoire de ce conflit en fait,
01:13:04 de à quel moment naît la Palestine, ce qu'enstitue le peuple palestinien dans ses revendications
01:13:12 politiques, quels ont été les cheminements vers la paix, les impasses successives des
01:13:19 processus de paix, le choix de l'ultranationalisme messianique d'un côté, le choix de la violence
01:13:27 et du terrorisme de l'autre, enfin tout ça.
01:13:29 Si on ne connaît pas cette histoire, alors on débarque tout à coup avec une chaîne
01:13:35 de causalité et une grille explicative du western, à laquelle je faisais référence
01:13:41 tout à l'heure, et effectivement c'est très très simple d'en parler, d'être
01:13:44 plutôt pour les indiens que pour les cow-boys, plutôt que pour les colonisateurs, mais c'est
01:13:51 une grille de lecture qui est tellement... qui relève quand même d'une ignorance crasse.
01:13:58 Donc je ne sais pas comment il faut faire pour ramener un petit peu de subtilité dans
01:14:08 le débat en fait.
01:14:09 Oui, par la curiosité, mais ça demande un effort, et c'est vrai qu'on n'est pas
01:14:19 particulièrement aidé par les modalités aujourd'hui d'expression, je vais encore...
01:14:24 là j'en file vraiment des perles, mais je suis obligée de parler des réseaux sociaux
01:14:27 encore un tout petit peu, c'est quand même fou à quel point ces réseaux sociaux encouragent
01:14:35 l'ignorance et la paresse de raisonnement, avec des messages énoncés sous forme de
01:14:42 slogans en 140 ou en 286, je sais pas, avec "tout marche" sous forme de mots-clés ou
01:14:50 d'appauvrissement du langage, ou sous forme de slogans qui sont antinomiques avec la possibilité
01:14:59 d'une subtilité et de la conversation, parce qu'en fait, vous voyez, la conversation qui
01:15:06 est le sous-titre de mon livre, les réseaux sociaux ne sont évidemment pas faits pour
01:15:10 avoir une conversation, puisqu'ils sont faits pour consolider la force des liens avec des
01:15:16 gens qui pensent comme vous, qui votent comme vous, qui sont au courant, ou plutôt qui
01:15:21 ne sont pas au courant des mêmes choses, et c'est très compliqué de réhabiliter
01:15:27 l'échange critique avec ces supports.
01:15:29 On a encore le temps pour deux questions, je pense, de ce côté de la salle.
01:15:38 Oui, je voulais dire que quand j'étais toute petite fille, je sais pas si je regarde dans
01:15:43 la bonne direction, là.
01:15:44 D'accord, oui.
01:15:45 Quand j'étais une toute petite fille, j'ai entendu des deux côtés de la Méditerranée
01:15:49 quatre phrases qui se voulaient d'une logique irréfutable.
01:15:52 "Les amis de mes amis sont mes amis, les ennemis de mes ennemis sont mes ennemis, les
01:15:59 amis de mes ennemis sont mes ennemis, et les ennemis de mes amis sont mes amis."
01:16:03 Et je pense qu'on est dans… ça a suscité en moi une révolte qui n'a jamais cessé,
01:16:11 mais je pense qu'aujourd'hui beaucoup de gens se soumettent à cela comme si c'était
01:16:14 d'une logique rassurante.
01:16:16 Absolument.
01:16:17 Absolument, mais cette logique, elle est pas très loin de ce que j'appelais tout
01:16:21 à l'heure la logique du match de foot.
01:16:24 En fait, elle nous réduit à quelque chose qui nous fait parfois avoir des alliances
01:16:31 extrêmement contre nature dont on paye très cher les conséquences.
01:16:36 Une question.
01:16:37 Bonsoir Delphine, je m'appelle Dominique.
01:16:40 Vous ne pensez pas que justement si la transmission est si difficile, c'est parce qu'on empêche
01:16:46 les professeurs d'enseigner, notamment la Shoah, notamment plein de choses comme ça.
01:16:50 On tue des professeurs maintenant.
01:16:52 Il faut le dire aussi ça.
01:16:55 Oui, la transmission effectivement depuis des années est complexe, en crise, effectivement.
01:17:01 Bon, il faut rappeler la mémoire en cet instant des enseignants qui ont été assassinés
01:17:06 dans notre pays, c'est pas du tout anodin.
01:17:09 Mais je pense que plus largement, aujourd'hui, il y a une réflexion à avoir sur la notion
01:17:15 d'héritage, en fait, le conflit intergénérationnel auquel on assiste, notamment, et là on s'éloigne
01:17:23 du Proche-Orient, mais le conflit, les tensions qui existent entre, on va dire, la génération
01:17:29 Z, ou les jeunes, et puis les boomers, comme ça, l'impression qu'on ne se comprend plus
01:17:34 du tout, une espèce de refus d'héritage, empêche souvent de créer du lien dans la
01:17:40 transmission.
01:17:41 Et le héritage serein consiste à recevoir quelque chose des générations passées,
01:17:46 quitte à le critiquer sévèrement, mais à savoir aussi ce qu'on doit aux générations
01:17:51 passées.
01:17:52 Et aujourd'hui, cette machine de transmission-là, elle vrille pas mal dans notre société.
01:17:58 On a l'impression que des jeunes considèrent qu'ils n'ont plus rien à apprendre des anciens,
01:18:02 et les anciens considèrent que la nouvelle génération, c'est, pardon du terme, juste
01:18:06 des petits cons.
01:18:07 Il y a quelque chose dans le lien intergénérationnel qui est très grippé, en fait, et qui ne
01:18:14 facilite pas les apprentissages.
01:18:15 Il y a deux questions en bas.
01:18:21 Alors, monsieur, qui était premier ?
01:18:23 Bonsoir Delphine.
01:18:24 Bonsoir.
01:18:25 En fait, quand je suis passé tout à l'heure, donc on est avenue Pierre-Mendès-France,
01:18:31 je suis tombé au tout début de l'avenue Pierre-Mendès-France sur des photos d'otages
01:18:36 déchirées.
01:18:37 Donc j'ai pris une photo.
01:18:39 Et donc actuellement, on a trois otages français qui sont encore détenus par les terroristes
01:18:46 du Hamas.
01:18:47 Et je me souviens qu'à une certaine époque, je regardais notamment les journaux France
01:18:53 2, quand on avait les otages au Liban, il y avait Jean-Paul Kaufmann, etc.
01:18:58 On énonçait leurs noms.
01:19:00 Et là, qu'est-ce que vous pensez, en fait, à part peut-être quelques radios communautaires
01:19:08 où on parle du nom des otages français, qu'est-ce que vous pensez, en fait, de cet
01:19:15 abandon des otages français ?
01:19:18 Mais ça fait partie, oui, c'est impensable.
01:19:21 Et en même temps, moi, j'ai envie de le rapprocher d'autres choses.
01:19:24 C'est comme si, pardon, mais c'est pas politiquement correct maintenant, mais je vais le dire quand
01:19:31 même, c'est des otages juifs.
01:19:34 Et il y a quelque chose là-dedans qui crée une différence.
01:19:37 Je vais vous donner une illustration de ça qu'on a vécu ces dernières années et que
01:19:42 moi, qui me reste là, là, partout, qui est simplement la date de 2012, Toulouse, jusqu'à
01:19:49 aujourd'hui, je ne comprends pas, je ne peux pas m'expliquer que lorsque des
01:19:54 enfants ont été tirés à bout portant dans une école française, le pays n'ait pas
01:20:00 été par millions dans la rue.
01:20:03 Je l'ai dit en plein d'occasion, c'était une école juive.
01:20:06 Et il y a quelque chose que ça nous plaise au nom, qui a joué, pas consciemment, je
01:20:11 ne suis pas en train de dire que la France est antisémite, il y a quelque chose qui
01:20:14 a joué inconsciemment, que c'est pour beaucoup de gens qui ont du mal à le formuler comme
01:20:19 ça, mais dans le fond, c'était pas tout à fait pareil.
01:20:22 L'hypercachère, on le sait aujourd'hui, s'il n'y avait eu en 2015 que l'attentat
01:20:27 de l'hypercachère, est-ce qu'il y aurait eu la manifestation ? Non, il y a eu la manifestation
01:20:32 parce qu'il y avait eu Charlie Hebdo, où là, tout le monde se sentait concerné.
01:20:35 Mais quand c'est les écoles juives, quand c'est les commerces juifs, quand c'est les
01:20:38 otages juifs, il faut bien l'accepter, c'est un peu downplayed, comme disent les Américains,
01:20:44 c'est un peu effectivement, il y a une difficulté, et qui est liée à un héritage de notre
01:20:49 histoire, mais qui est souvent du domaine de l'inconscient, mais que la République
01:20:53 ne peut pas faire l'économie de se poser la question de pourquoi ça ne suscite pas
01:20:57 la même empathie.
01:20:58 On parlait là d'une augmentation de 1000% des actes antisémites, alors bien sûr, le
01:21:04 gouvernement réagit, la parole publique et la puissance publique est au rendez-vous,
01:21:09 il n'y a rien à dire.
01:21:10 Ces dernières années, les paroles des représentants de la République et des élus ont été à
01:21:14 la hauteur, on se soucie de la protection des lieux de culte, etc.
01:21:18 Mais il y a quelque chose dans la petite musique générale de notre société qui ne veut pas
01:21:23 vraiment le savoir, ou l'entendre, ou le percevoir.
01:21:27 Je suis obligée de faire une toute petite référence, quand même, je vais raconter
01:21:30 une blague aussi, pour qu'on arrive presque à la fin.
01:21:33 Je pensais, effectivement, merci de rappeler qu'on est rue Mendes France.
01:21:37 - Retournée dans sa tombe.
01:21:41 - Oui, Mendes France, à la place de cette grande homme d'État humaniste juif de l'Assemblée
01:21:46 nationale, il y a une petite histoire extraordinaire, une anecdote sur Mendes France que je suis
01:21:50 obligée de vous raconter.
01:21:51 Lorsqu'il était à l'Assemblée nationale, un jour, il a été attaqué comme juif par
01:21:55 un parlementaire antisémite qui lui a dit "ça le circoncie".
01:22:00 Et Mendes France a eu la meilleure réplique ever.
01:22:05 Il a dit à cet homme "décidément, votre femme est trop bavarde".
01:22:10 - Ça s'appelle la répartie.
01:22:16 - Juste, je voudrais vous dire qu'avec ce que vous venez de dire sur "ne descendre pas
01:22:24 dans la rue", et moi ça m'avait ici, et moi aussi j'ai été profondément choquée,
01:22:31 en parlant de la culturation, en parlant aussi de la différence générationnelle, on va
01:22:36 revenir peut-être à la même chose, c'est-à-dire le fait que les jeunes ne lisent plus la presse,
01:22:45 par exemple, vont se renseigner sur les réseaux sociaux et ne lisent pas le service ID, les
01:22:52 enquêtes et les reportages, et que de ce fait-là aussi, on ne descend pas non plus
01:22:57 quand on a plus de 70 députés EFN à l'Assemblée nationale, avec l'histoire qu'ils drainent
01:23:07 d'antisémitisme, etc.
01:23:08 Donc de toute manière, on ne descend plus pour rien.
01:23:11 C'est ça aussi le problème majeur, et je pense à ce qui risque d'arriver aux prochaines
01:23:19 élections.
01:23:20 Et je suis obligée d'en parler au moment où vous parlez de ça.
01:23:23 - Absolument.
01:23:24 C'est le rapport à la culture et à l'histoire qui est en jeu.
01:23:32 Et puis aussi, la manipulation des peurs.
01:23:36 On est dans un temps où c'est très facile de manipuler les peurs.
01:23:40 Dans la vie, c'est légitime de ressentir de la peur, mais ça peut nous rendre plus
01:23:45 grands parce que, comme ce que nous ont démontré les résistants dans notre histoire, ça peut
01:23:50 vous faire vous lever, ou ça peut vous clouer et vous rendre à tout jamais, vous prostrer
01:23:57 et faire que, par la peur, vous soyez prêts tout simplement à nourrir les haines les
01:24:05 plus crasses à l'intérieur de vous-même.
01:24:07 Et moi aussi, j'ai les mêmes angoisses que vous parce que cette peur, elle prend le chemin
01:24:12 dans notre pays comme ailleurs de la haine de l'autre.
01:24:18 Et voilà, aujourd'hui, on a beau jouer d'une certaine manière, et je ne suis pas en train
01:24:24 de le dénoncer, de critiquer la tournure qu'a prise le gouvernement israélien.
01:24:29 Et je suis la première depuis des années à déplorer cette tournure messianico-nationaliste
01:24:34 qu'il a prise.
01:24:35 Mais il faut un tout petit peu d'humilité pour se rendre compte que les traumatismes
01:24:40 de la société israélienne l'ont mené là par ses peurs et ses deuils et sa douleur.
01:24:47 Et il semble mener bien d'autres démocraties du monde aujourd'hui dans des directions similaires.
01:24:54 Donc peut-être on peut donner des conseils aux autres, mais voyons aussi chez nous ce
01:24:59 qui se passe dans ce domaine.
01:25:00 Madame, vous attendez depuis un moment, on n'a plus que deux minutes, mais c'est à
01:25:04 vous de parler.
01:25:05 Bonsoir Delphine, je suis contente de vous rencontrer parce que nous sommes voisines
01:25:11 et on se croise souvent.
01:25:13 Prenons un café ensemble.
01:25:16 Absolument, la prochaine fois c'est promis.
01:25:18 Donc je vous souhaite d'aller mieux parce que vraiment nous avons besoin de votre lumière.
01:25:25 Et puis donc je ne vous parlerai pas très beaucoup du dernier livre qui est très très
01:25:31 très important.
01:25:32 Mais je reviendrai quand même sur celui-là qui m'a, enfin qui a répondu à mille de
01:25:39 mes questions.
01:25:40 Vraiment.
01:25:41 Cet échange avec Rachid Benzine et que j'ai trouvé excellent, excellent.
01:25:48 Je ne vous cache pas que je le regarde assez souvent, surtout dans ces événements.
01:25:55 Je me suis dit tiens, revenons à ce qui est lumineux et tout en ne négligeant pas bien
01:26:02 sûr les événements récents.
01:26:04 Merci.
01:26:05 Je vais lire un petit mot rapide.
01:26:07 Vous en avez parlé de Judith Butler et qui a pourtant écrit dans les années 70 un livre
01:26:15 qui a compté beaucoup alors qu'il venait des Etats-Unis, justement.
01:26:18 Le trouble du genre.
01:26:20 Oui, bien sûr.
01:26:21 Tout à fait.
01:26:22 Voilà donc évidemment, c'est très très actualisé.
01:26:24 Donc voilà.
01:26:25 Merci.
01:26:26 Ça vous ennuie de revenir un petit peu sur ce livre ?
01:26:31 Oui, bien sûr.
01:26:32 Alors Madame fait référence à un de mes livres qui s'appelle "Mille et une façons
01:26:35 d'être juif ou musulman" qui est un dialogue avec l'islamologue Rachid Benzine.
01:26:41 Donc c'est mon moment publicitaire que fait Madame, qui est mon agent.
01:26:44 C'est ma voisine et mon agent.
01:26:47 Elle prend 10%.
01:26:48 C'est un dialogue qui a été important pour moi aussi, une rencontre importante de ces
01:26:53 dernières années avec Rachid Benzine qui est islamologue, donc un très fin connaisseur
01:26:58 du Coran et de ses strates et ses sédimentations historiques en dialoguant avec Rachid.
01:27:07 Ça m'a confirmé quelque chose que je sais depuis très longtemps, mais que les modérés
01:27:14 de nos traditions sont beaucoup plus proches.
01:27:18 La distance qui sépare les modérés des différentes traditions est beaucoup plus
01:27:23 petite que celle qui sépare les modérés des fondamentalistes au sein d'une même
01:27:27 tradition.
01:27:28 Vous voyez ce que je veux dire ? C'est-à-dire qu'en fait, de façon troublante, j'en
01:27:31 ai fait l'expérience mille fois, le dialogue inter-religieux est compliqué, mais c'est
01:27:37 pipi-tcha à côté du dialogue intra-religieux.
01:27:39 Ça c'est vraiment parfois mission impossible parce que c'est difficile de s'entendre
01:27:46 avec ses voisins de palier, mais en t'entendant avec les gens de sa propre maison, c'est
01:27:51 compliqué quand vous avez effectivement, et c'est vrai dans toutes nos traditions
01:27:54 religieuses, ils dialoguent toujours difficilement des voies modernistes et conservatrices, des
01:28:02 voies, on va dire, progressistes, même si ce mot est devenu problématique aujourd'hui,
01:28:08 et des voies fondamentalistes, c'est-à-dire qu'ils considèrent qu'il faut revenir
01:28:12 au fondement.
01:28:13 Moi j'ai ces propres problématiques, vous vous en doutez, de discussion à l'intérieur
01:28:18 de la tradition juive, avec des gens qui considèrent que la tradition en aucune manière ne peut
01:28:24 ou ne doit évoluer, ou alors qui considèrent qu'ils détiennent la vérité de l'interprétation,
01:28:31 ou alors qui ont des lectures d'absolue authenticité et qui considèrent que vous êtes dans des
01:28:37 positions hérétiques.
01:28:38 Donc c'est compliqué le dialogue inter-religieux et intra-religieux, et donc parfois je me
01:28:43 rends compte que ça fait du bien de dialoguer de maison à maison avec des gens qui tentent
01:28:50 à leur manière, à l'intérieur de leur monde culturel, de susciter les mêmes éveils
01:28:56 que ce que humblement on essaie de faire.
01:28:59 Donc ça a été une rencontre très salutaire, ce dialogue avec Rachid.
01:29:05 En tout cas merci madame de souligner ce dialogue, puisqu'on voulait montrer à quel point Delphine
01:29:12 était une personne de dialogue et s'employer à parler avec l'autre.
01:29:16 Mes enfants ne sont pas toujours d'accord.
01:29:17 C'est vrai.
01:29:18 Mais en tout cas tu t'y emploies de manière générale, et d'ailleurs le livre se termine
01:29:25 par penser à l'autre, penser à l'homme, penser au lourd panier qu'il faudra poser
01:29:29 pour retrouver l'espoir.
01:29:30 Trois petits points.
01:29:31 La suite est à écrire.
01:29:33 Merci beaucoup pour cette masterclass.
01:29:35 Merci, merci beaucoup à vous.
01:29:36 Merci.
01:29:37 Merci.
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01:29:50 (Applaudissements)