C'est une femme rabbin, militante de la paix, de l'ouverture, dont la voix est si nécessaire dans ces temps sombres : Delphine Horvilleur publie "Comment ça va pas" (Grasset). Ce livre, elle raconte qu'elle l'a écrit comme une bouée, un traité de survie après le massacre du 7 octobre perpétré par le Hamas en Israël.
Regardez L'invité de RTL Soir du 28 février 2024 avec Julien Sellier.
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00:02 - C'est une femme rabbin militante de la paix, d'une ouverture dont la voix est si nécessaire
00:09 dans ces temps sombres.
00:10 Bonsoir Delphine Orvilleur.
00:11 - Bonsoir à vous.
00:12 - Comment ça va pas, votre livre est en librairie.
00:15 Vous dites que vous l'avez écrit un peu comme une bouée, un traité de survie après le
00:18 massacre du 7 octobre perpétré par le ramas en Israël.
00:21 Comment ça va ? C'est une question toute simple, c'est une question du quotidien.
00:25 Est-ce qu'il vous est toujours aujourd'hui impossible, voire difficile d'y répondre ?
00:29 - Oui, ça reste un peu douloureux.
00:31 Pourtant c'est un protocole standard quand on rencontre les gens, effectivement on ne
00:34 se pose même pas la question.
00:35 Mais cette petite phrase, elle a pris des résonances étranges.
00:38 Alors ça va un peu mieux aujourd'hui, mais les quelques semaines qui ont suivi le 7 octobre,
00:41 je ne pouvais plus du tout l'entendre parce que je ne savais plus du tout comment répondre
00:45 à cette question.
00:46 Et même de façon plus générale, je ne trouvais plus les mots ou les mots qu'on m'adressait
00:50 semblaient toujours faux, erronés.
00:53 Et c'est ce qui a effectivement suscité l'écriture comme une tentative un peu de survie.
00:58 - Vous racontez la sidération après le 7 octobre.
01:01 Vous écrivez "je me suis sentie suffisamment en sécurité, je me suis convaincue qu'à
01:06 nous, évidemment, tout cela n'arriverait pas".
01:07 - Oui, j'ai pensé très naïvement depuis très longtemps que notre génération était
01:12 comme immunisée par cette menace-là.
01:15 Parce qu'enfant, je me disais que la guerre était très proche, le souvenir de ces traumatismes
01:20 et que ma génération échapperait peut-être à ce combat.
01:23 C'est vrai que ces dernières, on va dire, vingt années, il y a eu plein de signes qui
01:27 racontaient le contraire.
01:29 On pourrait raconter toutes ces dates de ce qu'on a vécu ensemble, tous ensemble.
01:33 2006, Ilan Halimi, 2012, Toulouse, 2015, Libert Kachar et tant et tant de dates.
01:38 On pourrait en citer plein d'autres.
01:39 Ça a émis des moments où tout à coup, la petite musique antisémite est là et on se
01:44 dit "tiens, apparemment ça va quand même être le combat de notre génération".
01:48 Ce qui est compliqué, c'est quand on s'y imagine ou perçoit que pour certains ce serait
01:53 le combat des Juifs, alors que ce n'est pas le combat des Juifs.
01:55 L'antisémitisme, c'est le combat d'une nation.
01:56 Puisque l'antisémitisme n'a jamais rien à voir avec les Juifs, mais tout à voir avec
02:01 une société qui le tolère.
02:02 Ce livre est composé de conversations, alors fictives ou réelles, avec vos enfants, avec
02:06 votre douleur, avec vos grands-parents.
02:08 Parce que l'histoire, vous l'écrivez, les convoque vos grands-parents et notamment votre
02:11 grand-mère qui, elle, ne s'est jamais crue à l'abri.
02:13 Non, ma grand-mère, elle était un prototype d'une certaine manière de survivante.
02:19 Elle avait survécu à Auschwitz, mon seul survivante de sa famille.
02:24 Elle avait perdu tout le monde, y compris son fils.
02:26 Donc, elle a reconstruit une famille, mais elle n'a jamais parlé, comme beaucoup de
02:29 ses survivants qui sont mûrés un peu dans le mutisme.
02:32 Mais dans son silence, il y avait un message très clair qui me parvenait, qui était un
02:37 message de défiance.
02:40 C'est-à-dire l'idée qu'il fallait faire attention parce que ça pourrait recommencer.
02:44 Et je crois que pendant très longtemps, je n'ai pas du tout voulu entendre cette voix-là
02:48 qui raisonnait encore en moi parce que justement, j'avais pris l'engagement que je serais
02:53 dans la confiance.
02:55 J'ai consacré beaucoup de temps, de livres, d'énergie à construire des ponts et à
02:59 me dire que je continue à croire qu'il n'y a rien de plus important que le dialogue
03:03 et que les combats qu'on mène ensemble dans des conversations avec les autres.
03:06 Mais c'est vrai qu'il y a parfois un sentiment de solitude qui, tout à coup, vient tout
03:12 annihiler, chambouler et tout à coup, fait résonner ces voix du passé un peu étrangement
03:17 dans votre vie.
03:18 Là, la peur s'est réveillée, c'est ce que vous écrivez.
03:20 Et vous racontez avec humour, d'ailleurs, comment la police vous conseille de faire
03:23 attention et comment vous réservez des taxis au nom de Sylvia Stallone.
03:26 Oui, alors j'ai changé de nom parce que maintenant que j'ai livré le livre, je suis
03:32 passée par tous les pseudos des stars américaines.
03:35 J'ai été Schwarzenegger aussi à un moment.
03:37 Je préfère en rire.
03:39 C'est assez dramatique.
03:40 Effectivement, pour des raisons de protection, on a commencé, mais je ne suis pas la seule,
03:44 à me conseiller, comme on a mon entourage, de peut-être enlever le nom de notre sonnette,
03:48 de notre boîte aux lettres, changer nos habitudes, ne pas commander sous notre nom quand on nous
03:52 livre de la nourriture.
03:53 Et c'est fou de penser qu'il y a des gens qui vivent ça en 2023, 2024.
03:57 Vous savez, ce qui est compliqué dans tout ce que je vous raconte, d'abord, c'est que
03:59 j'ai du mal à y croire moi-même en vous racontant tout ça.
04:02 Ce témoignage me paraît tellement fou, pourtant plein de gens le vivent aujourd'hui.
04:05 Mais ce qui est douloureux aussi, c'est que je le vois sur les réseaux sociaux, quand
04:07 je raconte ces histoires, je suis bombardée de messages de gens qui me disent "oui, ouin
04:12 ouin, vous n'arrêtez pas de vous plaindre, il n'y a pas que vous qui souffrez".
04:16 Et comme si j'étais en train de dire qu'il n'y a que moi qui souffre, comme si, en racontant,
04:20 en livrant ce témoignage, j'étais au choix en train de dire que je méprise la souffrance
04:23 des autres ou qu'elle n'existe pas.
04:25 Il y a plein de gens qui souffrent dans notre société, il y a des discriminations contre
04:28 plein de gens, et il y a des problèmes à résoudre dans le monde entier.
04:31 Mais c'est comme si, aux yeux de certains, la douleur des autres justifiait soit que moi
04:35 je souffre, ou que je ne sois pas protégée, ou que mes enfants soient en insécurité.
04:39 Et c'est une aberration, on doit tous lutter ensemble pour que nos enfants, c'est-à-dire
04:44 tous nos enfants, juifs, non-juifs, arabes, enfin peu importe, tous, soient en sécurité.
04:50 Vous parlez de vos enfants, il y a un moment, moi, qui m'a bouleversée quand j'ai lu votre
04:53 livre et qui pourtant, par d'un rien du quotidien, juste après le 7 octobre, votre fils, il
04:57 va jouer au foot, il vous envoie une vidéo d'un de ses buts et vous sentez soudain monter
05:03 une peur en vous.
05:05 Oui, j'ai détesté ce moment-là et j'ai détesté même qui j'étais dans ce moment-là.
05:10 J'étais rattrapée, je crois, par un élan de mère juive traditionnelle.
05:14 J'ai vu mon fils jouer au foot sur cette vidéo et la seule chose que j'ai vue, c'est que
05:17 son étoile de David au bout de son collier, une petite piscine qu'il porte comme ça,
05:22 d'habitude, sous ses vêtements, virevoltait près de son visage.
05:24 Et j'ai été rattrapée par une espèce de terreur ancestrale.
05:28 Et quand il est rentré à la maison, je lui ai dit "Tu sais quoi, pendant quelques temps,
05:30 peut-être ce serait mieux que tu l'enlèves".
05:32 J'ai senti que tout à coup le danger était là.
05:35 Alors mon fils, c'était très mignon, il m'a pris dans les bras et il m'a dit "Maman,
05:39 il n'en est pas question".
05:40 Et je respecte, même d'une certaine manière, j'ai été assez fière de son réflexe.
05:45 Mais j'ai compris que ma parole, elle était motivée, pas juste par mon expérience personnelle,
05:49 mais c'est comme si des générations et des générations de gens menacés qui m'avaient
05:54 précédé parlaient à travers moi.
05:56 Vous convoquez aussi, Claude François, dans ce livre, l'antisémitisme, c'est comme ce
06:01 refrain "ça s'en va et ça revient, c'est fait de tout petits riens".
06:04 Ce sont quoi les petits riens aujourd'hui ?
06:05 Souvent c'est une petite musique effectivement lancinante.
06:09 Alors parfois, ce n'est pas des petits riens, c'est des mots grossiers, abjects.
06:15 On l'a vu ces dernières semaines quand tout à coup dans le métro à Paris, des jeunes
06:17 se mettent à chanter des chants nazis, à appeler à la mort aux juifs.
06:21 Mais parfois c'est plutôt des petits silences, des soutiens qu'on attendrait et qui ne viennent
06:28 pas, des petites lâchetés.
06:31 Parfois c'est troublant aussi, une forme, et ça peut paraître paradoxal, soit de petits
06:37 messages antisémites, une rhétorique antisémite ancestrale, que les juifs auraient le pouvoir
06:40 ou le contrôle ou manipuleraient le monde.
06:42 Et parfois, de façon plus paradoxale, c'est presque un philo-sémitisme.
06:46 Ça peut paraître paradoxal, mais des gens qui vous disent "oh là là, vous les juifs,
06:50 on vous aime beaucoup, on vous aimait beaucoup quand vous étiez faibles, que vous n'aviez
06:54 pas d'État, pas d'armée, pas de souveraineté".
06:57 Et en fait, vous savez, il y a un petit discours antisioniste, bien sûr on a tous les droits
07:02 de critiquer la politique d'un pays, mais il y a un discours parfois, dans l'antisionisme,
07:07 qui en fait est un bon vieil antisémitisme qui se cache.
07:10 C'est-à-dire qu'on nous dit "ah vous les juifs, on vous aimait vraiment dans le rôle
07:14 du faible, du vulnérable, mais pas dans celui-là".
07:16 Vous êtes heurté aussi par les "mais".
07:18 Oui c'est horrible, mais.
07:20 Parce que ces "mais", vous les avez entendus, et j'imagine dans la bouche de certains qui
07:23 étaient parfois vos interlocuteurs, dans ce dialogue interculturel qui vous est si
07:27 cher, comment on se relève de ces "mais" pour reprendre le dialogue ?
07:30 C'est quasiment une mission impossible, je crois.
07:32 C'est ce qui m'a le plus bouleversée dans ces dernières semaines, c'est que je me suis
07:35 rendue compte que j'étais entourée de gens qui plaçaient du "M.I.S.", du "mais" dans
07:38 leurs phrases.
07:39 "Oui, il s'est passé un truc horrible le 7 octobre, mais...", "Oui, il y a des enfants
07:43 qui meurent à Gaza, mais...", "Oui, il y a...", mais en permanence, des gens, au lieu d'être
07:48 capables de dénoncer une pleine empathie pour la souffrance de l'autre, particulièrement
07:54 - excusez-moi, mais quand on vit à des milliers de kilomètres, on n'est pas sur le terrain,
07:57 c'est pas nos enfants ou notre famille, là, tout de suite, nécessairement, qui meurent,
08:01 qui vit, qui vit des bombardements, qui vit le terrorisme, etc. - il y a quelque chose
08:04 d'assez indécent dans cette relativisation, qui est incapable de percevoir la douleur des
08:11 uns et des autres, le narratif légitime des uns et des autres.
08:16 En fait, moi, ce qui me rend folle, par-dessus tout, de rage et de tristesse, c'est que les
08:21 gens vous parlent du conflit israélo-palestinien comme si c'était un western ou un match de
08:25 foot, c'est-à-dire de façon complètement simplifiée, totalement ignorante, en plus
08:30 de l'histoire, la plupart du temps, comme si c'était tellement facile, si c'était
08:33 tellement facile à résoudre, j'ose espérer qu'on l'aurait résolu depuis longtemps.
08:37 Donc, ça demande un minimum d'humilité et tout simplement d'humanité pour en parler
08:42 un peu dignement.
08:43 - Delphine Orvilleur, avant de vous laisser, j'ai une question un peu plus politique.
08:47 Il y a la visite en ce moment en France de l'émir du Qatar, qui est reçu avec les honneurs
08:51 en grande pompe dans ce pays, alors qu'on sait que ce pays protège et finance le Hamas.
08:56 Est-ce que cette venue, comme pour certains, vous interpelle ou vous questionne ?
09:02 - Oui, évidemment, ça m'interpelle, ça me questionne, ça me dérange, évidemment.
09:07 Alors, je ne suis pas complètement naïve, je sais que parfois, la politique se joue
09:11 ainsi et j'ai envie de croire que peut-être si certaines conversations et si le jeu politique
09:16 peut mener à aborder les sujets clés, en l'occurrence, la question de la libération
09:21 des otages et du cessez-le-feu, c'est-à-dire deux mots qu'à mon sens, on ne peut pas prononcer
09:26 l'un sans l'autre.
09:27 Alors, je veux bien jouer ce jeu, y réfléchir, mais on ne peut pas faire comme si c'était
09:31 complètement anodin, effectivement, d'inviter ce pays aujourd'hui.
09:34 - Ce livre s'ouvre sur les mots d'un poète palestinien, il se referme sur les mots d'un
09:38 poète israélien, vous, la militante d'une solution à deux états, vous dédiez ce livre
09:42 dans les premières pages à ses enfants de Paris, Tel Aviv ou Gaza, qui se relèveront
09:46 de la haine et sauront être des bougies dans le noir.
09:48 Comment se relever de la haine ? On se dit que les générations de part et d'autre de
09:54 cette frontière vont être marquées pendant des décennies, qu'on repart pour 30 ans en
09:59 arrière en quelque sorte, aujourd'hui.
10:00 - Oui, j'ai peur qu'effectivement, ni ma génération, ni peut-être celle de mes enfants
10:06 ne voient la paix, parce que le traumatisme est tel de part et d'autre qu'aujourd'hui,
10:12 là-bas, il n'y a plus de capacité empathique pour l'autre.
10:16 Mais c'est la raison pour laquelle je crois précisément que nous, à distance, on a
10:19 un rôle à jouer, se poser la question constamment de quelle manière, non seulement on n'ajoute
10:25 pas de l'huile sur le feu, mais de quelle manière on peut être des agents de lumière
10:30 et précisément, à distance, se poser la question de comment faire pour ne pas faire
10:34 partie nous-mêmes du problème, mais être une force de proposition, une force lumineuse,
10:41 une force d'apaisement, une force d'empathie.
10:43 Et c'est la responsabilité de chacun des enseignants, des parents, des journalistes,
10:48 des politiques, de chacun d'entre nous de ne pas nourrir cette machine à haine.
10:52 - Merci beaucoup Delphine Orvilleur.
10:54 Vous l'écrivez, Nérabin, Comment ça va pas ? Votre livre est en librairie aux éditions
10:58 Grasset.
10:59 Vous y écrivez que parler en temps de guerre est mission impossible.
11:01 On vous remercie toutefois pour vos mots ce soir dans RTL.
11:03 Bonsoir, vous étiez notre invité.
11:05 La suite dans l'émission, c'est RTL Inside.
11:08 - RTL Inside au procès du baron de la drogue le plus dangereux d'Europe, aux Pays-Bas,
11:13 avec un tribunal bunkérisé et des avocats masqués.
11:15 - Et puis la visoconférence d'Alex Vizorek.
11:17 Quel est le programme Alex ce soir ? - Restez, je ne chanterai pas aujourd'hui.
11:21 - Oh non, c'est dommage.
11:24 C'était sympathique hier.
11:26 - Ça me touche, ça me touche, je ne m'attendais pas.
11:27 - A tout de suite.
11:29 Julia Sélier, Isabelle Choquet et Cyprien Sénier.
11:32 *Bruit de la vidéo qui s'arrête*