• il y a 9 mois
Le travail de Natalia Jaime-Cortez se déploie, ou plutôt se déplie, et relève d’un engagement corporel de l’artiste dont les papiers suspendus viennent dessiner des lignes dans l’espace. Le travail de la couleur est ici distancié puisque que cette dernière apparaît grâce au trempage d’un papier, inlassablement le même, dans des bains d’encre. Le geste se répète, toujours dans une absence d’outil. La main de l’artiste vient déchirer ces supports fragiles avant de les superposer dans des compositions dont émanent une subtile fragilité.
Transcription
00:00 Je suis Nathalia Jaime Cortez, je travaille au Pré-Saint-Gervais et je vis à Pantin.
00:20 J'ai une pratique d'artiste plasticienne au sens très large.
00:26 J'ai un matériau de prédilection qui est le papier qu'on a partout là et que j'utilise depuis une bonne dizaine d'années, même plus.
00:38 Toujours le même papier. Ce qui m'a intéressée c'est que c'est un papier qui vient de Thaïlande, donc c'est un papier absorbant.
00:43 Donc il a une forme de plasticité que je ne trouvais pas dans d'autres papiers plus occidentaux.
00:49 Et vraiment je le considère comme un matériau, comme un sculpteur peut travailler un matériau, la terre ou le bois.
00:56 Moi le papier c'est un matériau, ce n'est pas un support, c'est quelque chose qui va être traversé par la couleur,
01:03 qui a un recto et un verso, qui va s'installer dans l'espace.
01:09 Ces dernières années j'ai vraiment développé un travail dans l'espace in situ,
01:14 où à chaque fois je vais essayer de créer un espace dans lequel le spectateur peut circuler.
01:20 Pour cette exposition j'ai eu envie d'intégrer une histoire et un récit dans cette idée de la question de ce qu'on voit.
01:29 C'est une question du visible, de l'invisible.
01:31 Le titre de l'exposition c'est "Hier j'ai vu une baleine dans la Seine".
01:34 J'espère ne jamais voir de baleine dans la Seine, mais ça part un peu de l'idée qu'on peut voir ce qu'on veut là où on veut.
01:46 Je pense que c'est quelque chose dont j'avais très envie, peut-être pour guider,
01:50 ou une façon d'emmener le spectateur dans quelque chose, mais ça reste très ouvert.
01:56 La baleine c'est le support de cette imagination,
01:59 c'est-à-dire qu'à travers cet animal qui est très présent dans l'imaginaire de tout un chacun,
02:07 qui a une histoire forte en termes d'iconographie aussi,
02:11 la baleine l'emmène très loin.
02:14 Moi, elle m'emmène dans un endroit précis où j'ai vu des baleines il y a 5 ans maintenant,
02:23 en Argentine, en Patagonie.
02:25 Et pour moi, c'était important, c'était une évidence que j'avais envie de convoquer ce territoire dans une exposition,
02:32 et de faire un pont comme ça à travers deux lieux,
02:38 Lousie, la Seine, Paris, la ville où j'ai grandi, et l'Argentine, qui est le pays d'origine de mon père.
02:47 Dans l'exposition, il y a une pièce sonore où j'ai compté mes pas entre la salle de l'exposition et la Seine à Juvisy.
02:58 C'est quelque chose que je fais de manière un peu systématique maintenant, un peu comme un rituel,
03:05 et aussi comme une façon de bien savoir à quelle distance se trouve la Seine, parce qu'elle est assez proche.
03:13 Il y a une autre vidéo qui va être dans l'exposition où on voit des pieds qui marchent et qui courent.
03:21 Cette vidéo a été filmée justement en Patagonie.
03:24 On ressent ce corps, ces pieds, ces jambes qu'on devine qui courent et qui cherchent une orientation qui tourne un peu en rond.
03:33 Il y a cette vidéo avec ma fille où on lutte dans le vent en Patagonie,
03:38 et puis il y a cette vidéo de marche aussi où il y a quand même ce corps éprouvé,
03:41 mais de performance effectivement live.
03:44 Ce n'est pas ce que je mets en avant en ce moment, c'est autre chose.
03:48 Ce qui est apparu au printemps dernier, c'était le fait de pouvoir associer ces papiers verticaux en succession de couleurs
03:59 et de créer une grande étendue comme un paysage qu'on va regarder.
04:02 Ce qui est amusant, c'est qu'au même moment où je me mets à faire des choses comme ça, très lisses, très plates,
04:08 sans forcément avoir ce papier qui est déposé sur une tige de métal, mais là qui va être aimanté,
04:16 donc qui est vraiment comme un pan juste montré,
04:19 au même moment, à l'atelier, je me mets à faire des papiers extrêmement froissés,
04:24 tout chiffonné, à travailler vraiment sur tous mes résidus de papier qu'il y a beaucoup ici.
04:32 Et dans l'exposition, il y a au sol ces papiers qui sont concrètement,
04:41 quand je travaille sur les grandes surfaces en aplat, comme je mets beaucoup d'encre et d'eau,
04:46 ça s'écoule et il y en a partout.
04:48 Et les autres papiers viennent comme des éponges recueillir le reste du jus.
04:53 Et je les remets, je les remets, je les remets jusqu'à ce qu'ils soient assez denses et assez chargés
04:58 et qu'ils aient cet aspect un peu entre le végétal, entre l'algue sous-marine,
05:06 entre le papier qui aurait été longtemps sous l'eau et qu'on aurait repêché.
05:11 Et tout d'un coup, ça me permet d'expérimenter une autre façon de travailler
05:17 et d'être vraiment dans la sculpture, je crois, pour ces papiers, et de les déposer au sol.
05:22 Et puis, il y a cette série que j'appelle les dilutions,
05:27 qui reprend un format carré, qui est un format pareil de papier qui me suit depuis dix ans,
05:32 auquel je reviens régulièrement pour développer une série ou pour dessiner,
05:36 un peu comme un carnet de notes de recherche.
05:39 Et les dilutions, c'est vraiment comment faire pour que l'encre,
05:47 comment dire, que le dessin, si on veut parler dessin, se fasse vraiment seulement dans l'absorption de l'encre.
05:53 Je voulais ajouter que ça fait un moment que je connaissais le Centre d'art
05:59 et je pense que j'étais assez sensible au fait que ce lieu soit une école
06:03 et qu'il y ait beaucoup d'enfants, de jeunes adolescents,
06:07 de personnes qui viennent apprendre à dessiner, à peindre, à construire, à poncer, à regarder.
06:13 C'est vrai que ce n'est pas du tout une exposition pour enfants,
06:17 mais il y a quelque chose où elle est pensée aussi avec cette présence-là du regard de l'enfant
06:23 qui sera peut-être plus présent que dans d'autres lieux ou dans une galerie.
06:28 Ça, c'était important pour moi et c'est vrai que c'est toujours...
06:32 Les enfants savent très bien faire des histoires, donc je compte sur eux pour les créer.
06:39 [SILENCE]

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