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Transcription
00:00 Madame la Présidente, Monsieur le Président de la Commission des lois, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les sénateurs,
00:12 j'ai l'honneur, au nom du gouvernement de la République, de demander au Sénat l'inscription dans notre Constitution de la liberté des femmes à disposer de leur corps.
00:28 Oui, j'ai l'honneur de venir devant vous pour la troisième fois en moins d'un an et demi afin de vous présenter un texte de compromis
00:41 qui, sans rogner sur l'ambition qui est la nôtre, apporte les garanties juridiques indispensables à l'œuvre du constituant.
00:53 J'espère sincèrement, Mesdames, Messieurs les sénateurs, que cette fois-ci sera la bonne.
01:02 La bonne, car ce projet de loi, une fois n'est pas coutume, a été précédé de longs travaux parlementaires à l'Assemblée nationale, au Sénat.
01:14 Les votes ont eu lieu, dans des versions différentes, à l'Assemblée nationale, au Sénat.
01:21 Ce texte, très largement adopté à l'Assemblée nationale, arrive désormais devant le Sénat.
01:29 Ce texte, vous l'aurez compris, n'est pas une création de la chancellerie,
01:37 mais bel et bien une proposition de compromis qui reprend, quasi intégralement, la version votée par la Chambre haute.
01:51 Si je parle de compromis, c'est parce qu'une loi constitutionnelle, plus que toutes les autres, doit se concevoir dans une logique de dialogue et de co-construction.
02:05 Voter une révision constitutionnelle, ce n'est pas voter la version de l'Assemblée ou rien.
02:12 Ce n'est pas non plus voter la version du Sénat ou rien.
02:17 Voter une révision constitutionnelle, c'est faire converger les Chambres, car elles disposent toutes deux d'un droit de veto.
02:25 C'est pourquoi j'ai souhaité que le texte que je vous propose parte de la version votée par le Sénat,
02:33 et surtout, en respecte les lignes fondamentales, en particulier sur l'encadrement de sa portée.
02:43 Les Françaises, les Français nous regardent et attendent que nous soyons tous, collectivement,
02:51 à la hauteur de l'attente populaire, à la hauteur des combats passés, à la hauteur de la vocation universelle de la France.
03:02 J'ai toujours eu, pour le Sénat et la qualité de ces débats, un tropisme assumé.
03:11 Et combien de fois ai-je vu ici, malgré les oppositions de fond, des convergences dessinées à la condition que des arguments solides soient développés.
03:23 C'est précisément, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, ce que j'entends faire cet après-midi.
03:29 Mon état d'esprit est celui d'un garde des Sceaux déterminé à convaincre,
03:36 mais avant tout, respectueux des consciences de toutes et de tous dans cet hémicycle.
03:43 J'en viens aux raisons qui m'amènent aujourd'hui devant vous, et je voudrais m'arrêter sur la nécessité de cette réforme.
03:52 La nécessité politique, d'abord.
03:56 J'entends qu'un certain nombre d'entre vous ne souhaite pas importer des débats d'outre-Atlantique,
04:06 mais, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, nul besoin d'aller si loin.
04:11 Les exemples polonais ou hongrois en Europe devraient suffire à vous convaincre.
04:18 Je rappelle qu'alors que l'extrême droite était au pouvoir,
04:22 il y a de cela encore quelques mois, les Polonaises ne pouvaient avorter qu'en cas de viol, d'inceste ou quand leur vie était en danger.
04:34 Il a fallu qu'un parti modéré revienne, heureusement, au pouvoir,
04:39 pour qu'enfin, enfin, l'espoir renaisse quant au rétablissement de cette liberté de la femme.
04:47 En Hongrie, les femmes qui souhaitent avorter sont forcées d'écouter au préalable les battements de cœur du fœtus qu'elles portent.
04:59 Elles attendent toujours qu'une future majorité mette un terme à leur calvaire.
05:07 C'est, parenthèse, insupportable dans les droits des femmes qui sont au mieux des éclipses, au pire des nuits profondes.
05:15 Voilà précisément ce que nous voulons empêcher grâce à cette révision constitutionnelle.
05:24 Par ailleurs, si je veux bien concéder que l'IVG ne soit pas immédiatement menacée dans notre pays,
05:33 je récapitule que ce n'est pas sur Fox News, mais bel et bien en France,
05:40 sur une chaîne française, qu'avant-hier encore, on associait le nombre d'avortements au nombre de morts du cancer et de morts liées au tabac.
05:53 J'ajoute également que l'on n'écrit pas la Constitution seulement pour le présent, mais d'abord et surtout pour l'avenir.
06:06 Certains affirment que l'IVG ne serait pas menacée, tant mieux s'ils ont raison,
06:11 mais si l'avenir leur donnait tort, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, il serait trop tard.
06:17 D'ailleurs, quand le Président Chirac a proposé la constitutionnalisation de l'abolition de la peine de mort,
06:24 cette dernière était-elle menacée ?
06:27 J'ai entendu le Président Larcher dire que la Constitution ne devait pas être un catalogue de droits sociaux et sociétaux.
06:39 Je respecte son point de vue.
06:42 Même si le Président Larcher, j'en suis sûr, me le concèdera,
06:48 le principe d'une constitution est aussi de réunir l'ensemble des droits et libertés fondamentaux,
06:55 dont certains droits sociaux, comme en témoigne le préambule de 1946.
07:03 (Applaudissements)
07:08 La liberté de recourir à l'IVG n'est pas une liberté comme les autres,
07:13 car elle permet aux femmes de décider de leur avenir.
07:17 Une démocratie ne peut maîtriser pleinement son destin
07:22 si les femmes qui y vivent n'ont pas la liberté de maîtriser le leur.
07:29 J'en viens maintenant, Mesdames et Messieurs, à la nécessité juridique de cette révision.
07:37 Disons les choses très clairement.
07:40 Trois principes sont en débat aujourd'hui.
07:43 La liberté de la femme de recourir à une IVG,
07:48 la liberté de conscience, en l'occurrence des médecins, des sages-femmes,
07:54 et enfin le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
08:02 Sur les trois libertés et principes évoqués,
08:06 seuls deux ont déjà valeur constitutionnelle.
08:12 D'abord, le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine
08:17 a été consacré expressément comme principe à valeur constitutionnelle
08:25 par le Conseil constitutionnel à l'occasion de sa décision du 27 juillet 1994.
08:35 Ensuite, la liberté de conscience,
08:39 et je veux ici m'adresser en particulier au Président Retailleau et au Sénateur Millon.
08:47 Cette liberté, et donc celle des médecins, des sages-femmes,
08:52 a été reconnue expressément par le Conseil constitutionnel
08:58 comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République
09:03 dans sa décision du 27 juin 2001.
09:07 Cette liberté de conscience a donc, elle aussi, valeur constitutionnelle.
09:14 Ce n'est pas le cas, en revanche, de la liberté de recourir à l'IVG.
09:20 J'insiste, ce n'est pas le cas de la liberté de recourir à l'IVG
09:27 qui, elle, est simplement rattachée à la liberté de l'article 2 de la déclaration de 1789
09:36 sans que, d'aucune manière, elle ne soit consacrée comme un quelconque principe à valeur constitutionnelle
09:46 ou principe fondamental reconnu par les lois de la République.
09:51 L'objectif de ce projet de loi est donc de protéger l'IVG dans notre Constitution.
10:00 Actuellement, rien n'empêcherait une majorité au Parlement
10:07 de contraindre excessivement, drastiquement, cette liberté des femmes
10:14 ou encore, pire, de l'abolir.
10:18 Il est donc nécessaire d'agir, mais d'agir de manière calibrée, prudente, sous-pesée.
10:26 Que les choses soient très claires, le gouvernement n'entend pas créer un droit absolu, sans limite, opposable.
10:33 Il s'agit aujourd'hui de protéger cette liberté de la femme, pas de l'étendre.
10:39 Pour dire les choses plus simplement encore,
10:42 le gouvernement veut éviter qu'une majorité future puisse mettre à mal la liberté des femmes de disposer de leur corps.
10:52 Pour ce faire, le projet de loi reprend, je l'ai dit, une rédaction très proche
11:00 de celle qui avait été adoptée par le Sénat il y a un an.
11:07 Je l'ai dit devant la délégation aux droits des femmes, dont je veux ici saluer les membres
11:14 et la présidente Dominique Vérien,
11:18 que le projet de loi présenté est à 95% celui du Sénat.
11:28 Je réitère ce propos aujourd'hui devant vous.
11:32 Jugez-en par vous-même.
11:34 D'abord, cette version retient l'emplacement choisi par le Sénat,
11:39 à savoir l'article 34, qui nous semble être l'emplacement pertinent pour cette révision constitutionnelle.
11:47 Ensuite, cette rédaction accorde, tout comme l'avait fait le Sénat,
11:55 une place centrale à la loi pour déterminer les conditions d'exercice de cette liberté
12:01 et préserve ainsi le rôle du Parlement pour assortir cette liberté de conditions qu'il estime appropriées.
12:11 Enfin, contrairement au vote initial de l'Assemblée, le gouvernement s'est rangé derrière le choix
12:19 exprimé par le Sénat de définir le recours à l'interruption volontaire de grossesse comme une liberté.
12:28 Je vais m'arrêter un instant, mesdames et messieurs les sénateurs,
12:32 sur un point qui, je le sais, suscite des débats parmi vous, à savoir le mot « garantie ».
12:40 Je veux vous rassurer tout de suite. Je veux en particulier rassurer le sénateur Philippe Bas.
12:49 Ce terme ne devrait pas vous inquiéter, car contrairement à ce que j'ai pu entendre,
12:56 il ne crée en aucune manière un droit opposable.
13:01 Par ces mots, le gouvernement entend préciser l'intention qui guide la plume du constituant,
13:09 car il ne faut pas perdre de vue que le texte emporte modification de l'article 34 de la Constitution,
13:18 exactement comme vous l'avez voulu.
13:21 Or, nous savons que l'article 34 de la Constitution est avant tout un article de procédure dédié à la compétence du législateur.
13:31 Le terme « garantie » permet de rendre clair le fait que l'objet de cette révision constitutionnelle
13:39 n'est pas simplement d'attribuer une compétence au législateur, qu'il avait au demeurant déjà,
13:45 mais de guider l'exercice de sa compétence dans le sens de la protection de cette liberté,
13:53 notamment contre des tentatives législatives de la restreindre drastiquement.
14:00 Car oui, le gouvernement souhaite, en l'inscrivant dans la Constitution, protéger la liberté de recourir à l'IVG,
14:09 et non pas, je le redis, de l'étendre.
14:12 D'ailleurs, dans son avis, le Conseil d'État confirme de manière limpide cette position qui est la nôtre.
14:20 Je le cite.
14:22 « Que par elle-même l'inscription de la liberté de recourir à une interruption volontaire de grossesse dans la Constitution,
14:29 dans les termes que propose le gouvernement, ne remet pas en cause les autres droits et libertés que la Constitution garantit,
14:40 telles que, notamment, la liberté de conscience, qui sous-tend la liberté des médecins et des sages-femmes de ne pas pratiquer une IVG,
14:51 ainsi que la liberté d'expression. »
14:56 Enfin, mesdames et messieurs les sénateurs, je veux m'adresser à ceux qui évoquent un ovni juridique en ce qui concerne la liberté garantie.
15:08 Je veux là aussi les rassurer pleinement.
15:12 Il suffit de reprendre l'article 61-1 de la Constitution, qui renvoie déjà aux droits et libertés que la Constitution garantit.
15:25 L'article 13 évoque également la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la nation.
15:34 Enfin, dans le titre 12, si cher au Sénat, les articles 72 et 73 évoquent même le cas de « droits constitutionnellement garantis ».
15:50 Le terme « garantis », vous le voyez, n'a rien d'incongru. Le texte est clair, tout comme son intention.
15:58 Et qu'il me soit permis de prendre un exemple. Même après l'adoption de cette révision,
16:04 une loi qui viendrait apporter à 8 mois et demi de grossesse le délai maximum pour pratiquer une IVG serait censurée.
16:16 Je veux être très clair là-dessus. L'équilibre de la loi Veil sera donc respecté.
16:23 Et si je devais résumer en une phrase l'esprit de cette révision constitutionnelle, je dirais « protection de la loi Veil, pas extension ».
16:33 D'ailleurs, mesdames et messieurs les sénateurs, si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est bien pour débattre d'une révision de notre Constitution
16:43 et non pas pour voter – je le sais – quelles mesures nouvelles relevant du périmètre du ministère de la Santé.
16:51 Bien sûr que le gouvernement n'ignore pas les difficultés matérielles et concrètes qui peuvent encore exister dans l'accès
17:00 à l'interruption volontaire de grossesse, et notamment sur certaines parties de notre territoire. Mais il s'agit là d'un autre sujet
17:09 qui n'est pas d'ordre constitutionnel et qui ne relève pas du périmètre du ministère de la Justice.
17:17 Le Sénat a déjà dit « oui » à une protection dans notre Constitution de cette liberté. Je veux ici saluer l'engagement de la sénatrice Vaugelle.
17:27 Je veux aussi remercier toutes les sénatrices, tous les sénateurs qui, dans chaque groupe politique, au-delà des clivages partisans,
17:37 ont œuvré dans l'ombre du palais du Luxembourg pour convaincre leurs collègues que non, ce texte de compromis n'a pas d'effet de bord,
17:47 et que oui, il est toujours trop tard si l'on attend qu'un droit soit menacé pour le protéger.
17:55 (Applaudissements)
17:58 Si le Sénat ouvre cet après-midi la voie à un congrès, ce sera en grande partie grâce à vous toutes, grâce à vous tous.
18:12 Je veux également saluer l'engagement du sénateur Bas. Même si je sais, monsieur le sénateur, que vous préférez toujours votre version à celle du gouvernement.
18:26 Mais je suis sûr que vous savez dans votre fort intérieur que le gouvernement, dans sa version de compromis,
18:39 a largement repris votre proposition qui avait permis, il faut s'en souvenir, un premier vote historique il y a de cela un an.
18:50 Enfin, je veux saluer le travail de la Commission, de sa rapporteure, qui après ne s'être pas opposée au texte lors du passage en Commission,
18:59 a donné des avis défavorables à tous les amendements qui vous seront proposés.
19:04 Enfin, je souhaite vous faire une confidence.
19:10 Je ne serai jamais le procureur du procès en ringardise que certains veulent instruire contre le Sénat.
19:21 (Applaudissements)
19:24 Oui, mesdames et messieurs, le Sénat a été par le passé au rendez-vous de nos libertés.
19:31 En préparant ces débats, voyez-vous, je me suis plongé dans les compte-rendus des débats de la loi Veil.
19:38 Permettez-moi de rappeler qu'à l'époque, le Sénat était en avance.
19:46 Les deux principaux points de désaccord avec l'Assemblée n'étaient pas des points de sémantique, sans portée juridique,
19:56 mais des points majeurs, comme le caractère provisoire de la loi Veil, que le Sénat voulait supprimer,
20:06 et le remboursement de l'IVG par la Sécurité sociale, que le Sénat avait ajouté dans la loi contre l'avis du gouvernement.
20:15 Oui, je le crois. J'en ai la conviction profonde. Le Sénat sera aujourd'hui aussi au rendez-vous de nos libertés,
20:26 et je devrais dire en particulier de celles des femmes.
20:30 Le moment est venu où chaque sénateur doit prendre ses responsabilités décidées en son âme et conscience.
20:39 C'est en ces termes que le sénateur Jean Mézard, rapporteur de la loi Veil, concluait son propos liminaire
20:46 avant que Simone Veil ne lui réponde dans son discours. Cette responsabilité est aujourd'hui particulièrement lourde,
20:54 mais je sais que la nation peut compter sur le Sénat pour délibérer et se prononcer, disait-elle avec humanité, sagesse, sérénité.
21:05 Mesdames, Messieurs les sénateurs, je fais miens ces mots, et je vous appelle à adopter, conforme, ce projet de loi constitutionnelle,
21:16 pour qu'ensemble, nous fassions de la France le premier pays au monde à protéger dans sa constitution la liberté des femmes à disposer de leur corps.
21:30 (Applaudissements)
21:42 Oui. Mesdames, Messieurs les sénateurs, et si nous adoptions ensemble ce texte, il est grand temps, n'est-il pas vrai ?
21:55 (Applaudissements)
21:57 — Merci, M. le garde des Sceaux.
21:59 (Générique)

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