• l’année dernière

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Le Carrefour de l'info sur Arabelle.
00:04 Bonjour, bonjour à tous.
00:08 Aujourd'hui, tout de suite, la suite de notre dossier sur les 60 ans de l'immigration marocaine en Belgique.
00:14 Notre invité dans quelques instants, Hazen Bousseta, professeur associé à l'université de Liège,
00:18 chercheur au FNRS et membre du Centre d'études et de l'ethnicité et des migrations.
00:23 Chez nous, trois vols sur dix, annulés par Bruxelles Airlines lors de cette deuxième journée de grève.
00:29 Plusieurs liaisons au départ et à l'arrivée à l'aéroport Bruxelles Nationales sont annulées.
00:33 A l'international, bien sûr, le Proche-Orient, ces nouvelles tensions cette fois au Sud-Liban.
00:37 La spirale de la violence inquiète et fait craindre un dérapage plus grave.
00:41 Une revue de presse tout à l'heure.
00:43 Et puis, en deuxième partie de mission, comme tous les jours, nous irons au Maghreb,
00:46 notamment en Tunisie où le gouvernement a décidé d'interdire le recours à la sous-traitance dans le secteur public.
00:51 Une décision qui, selon la presse locale, met des centaines de milliers d'emplois en danger
00:56 et risque de mener les institutions de l'État dans l'impasse.
00:59 Voilà donc pour les principaux titres que nous allons développer ensemble dans quelques instants.
01:03 Faux de l'info sur Arabelle.
01:06 Il y a soixante ans, presque jour pour jour, la Belgique et le Maroc signaient la convention d'occupation des travailleurs marocains.
01:14 C'était le 17 février 1964.
01:17 Un accord qui allait poser les bases de cette immigration marocaine en Belgique.
01:20 Et nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui Hassan Bousseta, qui est professeur associé à l'Université de Liège,
01:26 chercheur au FNRS et membre du Centre d'études de l'ethnicité et de l'immigration.
01:30 Bonjour professeur.
01:31 Bonjour.
01:32 Merci d'être avec nous sur Arabelle.
01:34 Alors cet accord bilatéral sur cette fameuse main d'œuvre de 1964,
01:38 qui a marqué un tournant dans l'histoire de l'immigration,
01:40 il faut peut-être un petit peu d'histoire, un petit coup d'œil dans le rétroviseur
01:44 pour noter que cette présence marocaine ne date pas de 1964.
01:48 Non, absolument pas.
01:50 Donc il y a une présence marocaine qui est antérieure à l'accord de 1964.
01:55 1964, c'est une période où le Maroc sort de l'indépendance,
01:59 avec tous les défis de cette période,
02:02 c'est-à-dire qu'il faut reconstruire l'État, il faut reconstruire l'industrie, l'économie,
02:07 et il y a des grandes difficultés sociales.
02:09 Et donc on est...
02:11 La période qui va de l'indépendance jusqu'au milieu des années 60
02:14 a été qualifiée par certains collègues marocains
02:18 comme l'âge d'or de l'émigration marocaine.
02:20 Il y a beaucoup de sorties du territoire à cette époque-là,
02:24 et en Belgique, on a une demande qui est très forte.
02:26 On a une demande qui est très forte, et en particulier de l'industrie charbonnière,
02:30 c'est-à-dire des mines, qui ont besoin d'hommes pour descendre,
02:34 aller chercher le charbon, pour alimenter l'industrie et pour alimenter l'économie.
02:40 Et donc c'est cette fédération, notamment la FEDESHAR, la Fédération des Charbonnages,
02:45 qui fait pression sur le gouvernement belge pour aller recruter au Maroc et en Turquie,
02:49 parce qu'en 1964, la Belgique va signer un accord avec le Maroc, mais aussi avec la Turquie.
02:55 Et c'est là que commence un chapitre.
02:57 Mais ce n'est pas le seul, parce que...
02:59 - Mais est-ce qu'on peut dire, professeur, que ça remonte aussi juste après la Deuxième Guerre mondiale ?
03:02 C'est une période de l'entre-deux-guerres, c'est ça ?
03:03 - Dans l'entre-deux-guerres, il y a déjà une présence marocaine
03:06 qui est le produit indirect de la colonisation française au Maroc.
03:11 Parce qu'il faut savoir que pendant la Première Guerre mondiale,
03:15 la France a créé le service des travailleurs coloniaux.
03:19 Et elle a créé ce service, pourquoi ?
03:20 Parce qu'il fallait des ouvriers à l'arrière du front pour l'industrie de la défense militaire.
03:26 Et on a fait venir des travailleurs du Maroc.
03:30 Et ils sont arrivés en France, ils sont arrivés dans 3-4 régions.
03:35 La région lyonnaise, la région parisienne, un peu l'Atlantique, la région nantaise,
03:40 et puis beaucoup dans le nord, dans la région du Nord et du Pas-de-Calais.
03:45 Et par là, certains sont venus vers la Belgique, vers la région du Borinage,
03:49 vers la région du Centre, la région de Charleroi et la région liégeoise.
03:52 Et donc il y a déjà plusieurs milliers de Marocains en 1920, 1921, 1922,
03:58 à un point tel, d'ailleurs, c'est quelque chose qui n'est pas très connu,
04:02 mais en 1931, il y a un accord entre la Belgique et le Maroc.
04:06 Alors c'est l'administration française, l'administration coloniale française au Maroc,
04:10 qui signe cet accord.
04:12 Et tenez-vous bien, c'est un accord sur la réparation des accidents dus au travail.
04:16 Ce qui veut dire que dans les années 1920, il y a déjà beaucoup de Marocains
04:20 qui travaillent dans les mines.
04:22 Ils travaillent dans des conditions de vulnérabilité terribles.
04:24 Il n'y a pas de sécurité sociale, et quand on a un accident, on perd son travail,
04:28 et puis on se retrouve souvent dans des conditions d'existence
04:32 qui sont vraiment très vulnérables.
04:34 Et c'est pour ça que l'administration coloniale, la résidence générale de France au Maroc,
04:38 signe avec la Belgique un accord qui n'est pas très connu,
04:42 mais qu'on a redécouvert en s'intéressant à l'histoire de l'immigration marocaine.
04:46 Vous avez raison de le dire, elle est bien antérieure à 1964,
04:50 et si on veut, on peut même remonter plus haut encore.
04:53 La première mission d'étudiants marocains en Belgique, elle date du XIXe siècle.
04:57 Et ce sont des étudiants qui vont venir dans la région liégeoise pour apprendre la métallurgie.
05:01 D'accord. Ça remonte à bien longtemps.
05:04 Ça remonte à bien longtemps, et donc il y a plusieurs foyers pour lire l'histoire.
05:08 On a des foyers courts qui sont l'histoire de l'immigration,
05:11 puis on a des foyers plus longs, l'histoire de la Belgique et du Maroc,
05:14 et en réalité, l'histoire méditerranéenne, on peut remonter encore bien plus haut,
05:20 parce qu'il y a des relations bien antérieures.
05:23 On va revenir à 1964, si vous le voulez bien.
05:26 Cette contribution essentielle à l'économie de la Belgique,
05:29 vous avez parlé des charbonnages, il faut aussi rappeler que les conditions,
05:32 vous l'avez dit, en Filigrane, étaient très dures.
05:34 On travaillait 56 heures par semaine, 7 jours sur 7.
05:37 Il faut peut-être rafraîchir les mémoires.
05:40 Absolument, ce n'est pas du travail facile.
05:42 Et d'ailleurs, la Convention, elle veut surtout des jeunes hommes dans la force de l'âge,
05:47 qui sont en pleine santé, parce que le travail est errintant.
05:51 Le travail de la mine, c'est un travail dans des conditions extrêmes.
05:55 Il faut quand même se rappeler que personne ne voulait plus descendre dans la mine.
05:59 Et cet accord, il intervient après la catastrophe du bois du Casier, à Marcinelle,
06:03 où plus de 300 personnes vont trouver la mort, et notamment de nombreux Italiens.
06:07 Les Italiens, lorsqu'ils découvrent ça, ils ne veulent plus envoyer leurs travailleurs.
06:12 Et donc, ce sont beaucoup de Marocains et Turcs qui vont arriver.
06:15 Il faut quand même dire une chose, c'est que l'accord, il est de 1964,
06:19 et le secteur minier, il commence à montrer des signes de ralentissement économique dès 1967.
06:25 À partir de 1967, on a déjà des fermetures de puits.
06:29 On ferme déjà certaines unités de production.
06:31 Et on va y revenir dans quelques instants.
06:33 On voit que c'est une expérience humaine aussi,
06:35 marquée par pas mal de défis et de sacrifices de ces Marocains,
06:38 qui ont quitté leur pays pour venir travailler dans les mines.
06:41 Mais plus tard aussi, on le sait, pour construire les tunnels et les métros.
06:46 Est-ce qu'il est important pour vous, professeur Bousta,
06:49 comme vous le dites, de préserver cette mémoire de l'immigration marocaine en Belgique ?
06:53 Oui, je crois que c'est essentiel, c'est vital.
06:56 Vous savez, il y a deux écueils qu'il faut éviter, deux difficultés qu'il faut éviter.
07:02 C'est quand la mémoire devient tellement lourde qu'elle devient paralysante,
07:05 et quand il n'y a pas de mémoire.
07:07 C'est l'excès et le trop peu qu'il faut éviter.
07:09 Je crois qu'il faut cultiver une mémoire,
07:11 pour au moins savoir ce qu'a été la trajectoire de nos populations.
07:16 Beaucoup de jeunes aujourd'hui ignorent pourquoi leurs grands-parents se sont arrivés un jour.
07:20 Je crois que c'est important de continuer à rappeler ce qu'a été l'histoire du travail.
07:25 Parce que ce qui, aujourd'hui, fait que nous sommes là,
07:29 c'est qu'il y a une histoire du travail.
07:31 La Belgique avait besoin de travailleurs.
07:33 On a tendance aujourd'hui à voir l'immigration marocaine
07:35 sous l'angle du rapport entre l'islam et l'Occident,
07:39 l'islam et la laïcité.
07:41 Mais l'histoire de l'immigration marocaine, c'est d'abord l'histoire de travailleurs.
07:44 Et je crois qu'il faut le rappeler.
07:46 C'est lié à l'histoire sociale de la Belgique.
07:48 Et donc je crois que c'est important pour les jeunes générations
07:51 de ne pas construire des identités fantasmées,
07:55 et de rappeler dans quel contexte tout cela s'est fait.
08:00 - 1964, il s'agit bien d'une commémoration,
08:04 et non pas d'une célébration, une différence de taille.
08:07 - Absolument, parce que ce qui est la base de la réflexion,
08:12 c'est de se dire "nous sommes venus parce qu'il y avait une volonté d'Etat".
08:15 Ce sont les Etats qui ont souhaité cette immigration.
08:18 Mais l'accord qu'ils signent entre eux, c'est un accord dont on n'a jamais voulu célébrer.
08:23 On est très clair par rapport à ça.
08:25 C'est un accord déséquilibré entre deux pays.
08:28 Le Maroc a un moment où c'est vraiment un grand défi pour lui.
08:32 C'est jamais vraiment de gaieté de cœur qu'on abandonne une partie de sa jeunesse qui va travailler ailleurs.
08:38 - Ou de sa famille, de sa femme, de ses enfants.
08:41 - Absolument, et des familles sont parfois aussi déchirées,
08:44 parce que souvent c'est des pères de famille qui viennent,
08:46 qui laissent derrière eux les enfants, et qui feront venir plus tard.
08:48 Mais c'est jamais quelque chose qu'on fait de gaieté de cœur.
08:51 Donc c'est un accord qu'on ne célèbre pas.
08:53 Ce qu'on célèbre, c'est la présence marocaine, qui en a été la conséquence.
08:56 Ce sont les conséquences de l'accord qu'on peut célébrer,
08:59 parce qu'il y a une trajectoire de 60 années avec beaucoup de réussite,
09:03 beaucoup d'échecs aussi, beaucoup de souffrance, beaucoup de douleurs.
09:06 Mais une communauté qui a fait un très long parcours dans cette société.
09:10 Et c'est, je crois, ça qu'il faut mettre au cœur de ces commémorations.
09:15 Commémorer, c'est toujours une manière de se projeter vers l'avenir.
09:19 C'est de regarder dans le rétroviseur pour dire,
09:21 voilà, et voilà comment on se projette dans l'avenir.
09:24 – Alors, vous avez évoqué tout à l'heure la crise qui va apparaître
09:27 à la fin des années 60, des années 70, avec le choc pétrolier,
09:32 qui a aussi engendré le chômage et les tensions sociales.
09:34 Le gouvernement belge a décidé à ce moment-là de fermer le robinet,
09:37 comme on dit, de mettre fin à sa politique d'immigration de main d'œuvre.
09:40 La suite, cette nouvelle génération après, née sur le sol belge,
09:44 elle s'est trouvée un petit peu confrontée entre identités hybrides,
09:48 entre racines marocaines et culture belge, votre sentiment ?
09:51 – Oui, alors, moi je rappelle souvent, il y a des phases.
09:55 En 1964, il y a un 500 marocains en Belgique.
10:00 En 1974, il y en a 40 000.
10:04 Le multiplicateur est de 1 000 dans une période relativement courte.
10:11 Donc il y a eu une explosion.
10:13 Donc beaucoup d'arrivées de pères de famille, de travailleurs célibataires
10:16 qui constitueront des familles plus tard.
10:18 Et puis à partir de 1974, on arrête l'immigration.
10:21 Et là va commencer quelque chose qu'il faut bien avoir à l'esprit,
10:25 c'est que les familles vont commencer à être confrontées à la crise.
10:28 Puisque, je l'ai dit, les mines commencent à fermer.
10:30 Et toutes les années 1970, on voit des familles ou des pères de famille
10:34 perdre leur travail.
10:35 Donc ce qui veut dire qu'il y a moins d'argent dans les familles,
10:38 il y a moins de ressources.
10:39 Mais au même moment, les besoins augmentent.
10:41 Les besoins de scolarisation, les besoins d'encadrement,
10:43 les besoins de logement, tous les besoins augmentent au même moment.
10:47 Et donc on a ce que moi j'appelle là un rendez-vous manqué.
10:50 Le grand rendez-vous manqué, c'est entre 1974 et la fin des années 80,
10:54 où les besoins des familles sont énormes,
10:57 et où les familles ne peuvent pas offrir tout ce qui est nécessaire.
11:01 Et la société ne voit pas ce problème arriver,
11:03 parce que la société pense que les travailleurs immigrés
11:06 sont destinés à rentrer chez eux.
11:08 Et qu'ils vont partir à un moment donné.
11:10 Tout le monde vit dans le mythe du retour.
11:11 Et donc on ne prend pas au sérieux pendant cette période-là.
11:14 Et les conséquences, on va les payer un peu plus tard.
11:17 Parce qu'on n'a pas eu les politiques d'intégration,
11:19 on n'a pas eu les politiques d'accompagnement de la migration.
11:21 Et justement, vous amenez ma question suivante, Professeur Hassan Bousta.
11:25 Est-ce qu'on peut parler aujourd'hui d'une intégration réussie
11:28 ou d'une intégration incomplète pour ces Marocains ?
11:32 C'est évidemment très difficile de caractériser des parcours très différents.
11:36 Pour beaucoup de Marocains aujourd'hui,
11:38 on a vraiment une élite qui est reconnue, qui est installée,
11:41 on le voit dans le monde scientifique, dans le monde politique, dans le monde culturel.
11:46 Il y a des très très belles réalisations des Belgos-Marocains.
11:49 Mais dans le même temps, il y a aussi beaucoup de difficultés.
11:52 Énormément de tensions sociales.
11:54 On voit aujourd'hui par exemple, tout le débat qui tourne autour des drogues à Bruxelles.
12:00 On voit que la drogue est en train de déstructurer de nombreuses familles marocaines.
12:04 On a vu notamment avec aussi l'engagement sur des territoires de guerre à l'étranger.
12:10 L'engagement de plus de 500 jeunes Belgo-Marocains,
12:14 en majorité Belgo-Marocains, à partir en Syrie.
12:17 Donc on a des tas de vulnérabilités, de fragilités qu'il faut pouvoir regarder en face.
12:21 C'est une intégration qui est polymorphe, elle est segmentée.
12:27 Il y en a pour qui ça se passe très très bien, et d'autres parfois dans les mêmes familles.
12:32 Donc ça défie un peu les règles de la sociologie, qui veut que les difficultés se reproduisent.
12:37 Mais ici parfois on a les succès et les échecs dans les mêmes familles, ce qui est assez paradoxal.
12:42 Vous tempérez un petit peu les propos de l'ancien ministre André Flahaut,
12:46 qui parle d'expérience d'intégration réussie de la communauté marocaine.
12:50 Je le lis, je le cite, dans la Société Belge,
12:53 qui peut montrer l'exemple pour le reste de l'Europe,
12:55 à un moment marqué par la montée des extrémismes et des politiques anti-migratoires.
12:59 Un bémol quand même.
13:01 Je pense que c'est très positif, je partage l'esprit.
13:05 Maintenant il faut aussi voir que c'est cette dualisation,
13:09 qu'il y a une dualisation dans la population marocaine.
13:12 Et je crois que l'enjeu c'est aussi de permettre qu'il y ait des formes de solidarité,
13:17 de permettre à ceux qui vivent des grandes difficultés de pouvoir s'en sortir,
13:21 que les succès ne soient pas limités.
13:24 Parce que si on prend le modèle de ceux qui réussissent bien,
13:30 bien souvent la première chose qu'ils font c'est de quitter le quartier,
13:32 c'est d'aller s'installer ailleurs.
13:34 Et donc finalement, on pourrait imaginer d'autres scénarios
13:38 où ceux qui ont des succès peuvent contribuer à encourager d'autres,
13:43 à les accompagner, à être...
13:45 Alors ça ne veut pas dire qu'on doit vivre dans une micro société fermée des belgos marocains,
13:49 on vit dans une société large où en réalité les enjeux sont partagés avec beaucoup d'autres.
13:55 Mais disons qu'il y a cette réalité qui fait qu'on a encore de très grandes difficultés sociales à affronter.
14:03 Et dans l'enseignement c'est un secteur où...
14:07 Alors je dois ajouter absolument, parce que pour bien comprendre la situation des belgos marocains,
14:12 il faut bien voir que les belgos marocains vivent dans une très grande concentration spatiale.
14:17 Donc il y a en Belgique 580 communes.
14:21 Si on prend 10 communes sur ces 580, et je vais les citer,
14:26 si on prend 10 communes, il y a 10 communes où on trouve 2/3 de l'immigration marocaine.
14:30 - C'est énorme.
14:31 - C'est une concentration spatiale énorme et elle est surtout...
14:34 Donc un belgo marocain est à Bruxelles.
14:36 Et à Bruxelles ce sont surtout les communes comme Bruxelles, Molenbeek, Skarbeek, Saint-Gilles, Saint-Jos, Forêt,
14:42 qui sont les communes où il y a la plus grande concentration des belgos marocains.
14:46 Si vous ajoutez à cela Anvers, où il y a une communauté de plus de 20 000 personnes,
14:51 vous avez ajouté Malines, Charleroi et Liège, avec 10 communes vous avez les 2/3 de l'immigration marocaine.
14:57 Ça veut dire qu'il y a une très grande concentration spatiale,
14:59 ce qui peut être un avantage redoutable, notamment en termes de participation politique,
15:05 parce que le levier pour la représentation politique est très fort.
15:09 - Justement, les élections se dessinent bientôt.
15:11 - Absolument, mais ça peut aussi être un des avantages si on regarde par exemple
15:14 la concentration des difficultés dans certaines institutions scolaires,
15:18 qui sont marquées par une grande dualité, pour ne pas utiliser des termes péjoratifs,
15:23 on voit bien qu'il y a des écoles qui sont en grande souffrance,
15:25 et qui sont dans des quartiers où il y a une forte concentration spatiale.
15:29 Or la logique voudrait qu'on mette beaucoup plus de moyens dans ces établissements,
15:33 et aujourd'hui, la réponse n'est pas à la hauteur, on le sait, pour plein de raisons.
15:41 Et donc voilà, la concentration spatiale entraîne avec elle certains avantages,
15:45 mais aussi certains inconvénients.
15:47 - Il faut ajouter aussi ce constat, le racisme et les discriminations font toujours partie,
15:51 heureusement, du quotidien de pas mal de descendants d'immigrés marocains.
15:55 - Absolument, je crois qu'on ne peut pas dire que la situation n'a pas bougé.
16:00 La situation a évolué, mais elle a évolué insuffisamment.
16:04 Si je compare, une des dates importantes, puisqu'on parle de l'histoire de l'immigration marocaine,
16:10 c'est décembre 1980, un assassinat raciste à Lacken,
16:15 qui va conduire à l'adoption de la première loi antiraciste en 1980.
16:20 Cette première loi antiraciste, elle avait du mal à être appliquée,
16:25 parce que la législation était très incomplète, la charge de la preuve était difficile à apporter.
16:32 Aujourd'hui, on a des législations qui sont plus fortes,
16:34 donc qui permettent de mieux protéger les victimes du racisme.
16:37 Mais ça reste encore insuffisant, et il y a encore beaucoup de travail à faire
16:41 pour arriver à une société où la discrimination est à zéro.
16:45 Il faut mettre le curseur à zéro, il n'y a pas d'autre objectif,
16:48 c'est celui-là, c'est que tout le monde soit traité indépendamment de ses origines et de ses appartenances.
16:54 - On parlait tout à l'heure de commémorations,
16:57 est-ce que vous estimez qu'on ne devrait pas avoir en Belgique un lieu fixe, symbolique, emblématique,
17:03 qui serait un petit peu la vitrine de cette histoire migratoire ?
17:06 - Je pense que c'est absolument nécessaire, en particulier pour Bruxelles.
17:09 Vous savez qu'à Anvers, par exemple, il y a un musée, en partie consacré à l'immigration,
17:14 c'est le Red Star Line, parce qu'Anvers a été le port de départ de nombreux immigrants vers l'Amérique.
17:20 Et Anvers a développé un musée qui valorise cette histoire.
17:24 Je crois que Bruxelles a besoin d'un grand musée de l'immigration.
17:28 Il y a un musée de l'immigration qui est porté à bout de bras par une association à Molenbeek.
17:34 Il y a plusieurs stratégies possibles, soit on commence quelque chose à partir de zéro,
17:39 mais c'est un peu compliqué, soit on commence à le faire à partir des structures existantes
17:44 et à les mettre en réseau, à les faire travailler pour développer petit à petit.
17:49 Je crois que la nécessité, oui, elle est là, elle est présente.
17:52 Je crois que c'est absolument nécessaire qu'il y ait des grandes institutions comme en France,
17:56 le Palais de la Porte Dorée, la Cité Nationale de l'Immigration,
17:59 qui est un bel exemple de musée de l'immigration.
18:03 Le musée par excellence, le musée de l'immigration que le monde entier pourrait envier,
18:10 c'est celui de New York, c'est celui d'Ellis Island,
18:12 qui est vraiment le musée de l'histoire de l'immigration américaine.
18:15 Et ça, évidemment, c'est l'exemple type.
18:19 On est encore loin de ce résultat en Belgique, mais je pense qu'on devrait y penser sérieusement
18:24 parce que, voilà, aujourd'hui c'est un fait établi et la migration n'est pas à l'arrêt.
18:29 Il y a encore des gens qui arrivent.
18:30 Donc c'est quelque chose qui est constitutif de nos sociétés.
18:33 Je pense que c'est important que ces différentes histoires,
18:36 l'immigration marocaine, turque, italienne, espagnole, grecque,
18:40 toutes ces vagues d'immigration qui se sont intégrées dans la société belge
18:44 puissent retrouver des traces de leur parcours dans un lieu comme un musée.
18:49 Un musée pour un devoir de mémoire, mais pas que, aussi,
18:53 pour tisser des liens sociaux et mettre en valeur justement
18:56 toutes ces contributions des populations immigrées.
18:58 Absolument, et puis préserver les archives.
19:00 Donc il y a tout un travail de préservation des archives privées.
19:04 On a pu en sauver quelques-unes, les archives militantes, par exemple,
19:09 qui sont dans certains centres, mais il reste beaucoup à faire.
19:12 L'histoire des expressions culturelles, artistiques, la chanson.
19:18 Le Burse Skaubur vient de redécouvrir un film qui avait été fait
19:24 par un réalisateur marocain dans les années 70, qu'on croyait perdu.
19:27 On l'a retrouvé.
19:29 Donc il y a encore tout un enjeu de préservation des archives.
19:32 Peut-être, avant de quitter, une dernière question, professeur.
19:35 Un message à faire passer ou un conseil à donner, je pense notamment aux jeunes,
19:40 de ne pas oublier un peu leur histoire et leur identité.
19:42 Oui, absolument. Moi, je crois que le dialogue intergénérationnel est important.
19:46 Vous savez, beaucoup des grands-parents restent assez muets sur ce qu'ils ont vécu,
19:52 en considérant que leur histoire n'en vaut pas la peine.
19:55 Ou en l'occultant en certaines parties.
19:58 Je crois que c'est important d'ouvrir ces dialogues dans les familles,
20:02 pour ne pas se construire des identités fantasmées.
20:04 Je crois qu'il faut qu'on soit lucide sur d'où on vient,
20:09 et qu'on puisse l'illustrer et contribuer à partir de là à la société.
20:15 Parce que nous ne sommes pas seuls, nous sommes dans une société multiculturelle
20:18 où il faut jeter des ponts avec les autres en permanence
20:22 et construire ensemble quelque chose de plus apaisé.
20:25 Parce qu'on voit bien que la migration et l'intégration sont des sujets
20:28 qui sont encore très très compliqués.
20:31 Ce sont des sujets extrêmement chauds, passionnels.
20:34 Et on voit que dans toutes les élections qui arrivent,
20:37 il y a des crispations sur ces questions.
20:39 Et il faut continuer à se battre pour pacifier ces questions.
20:42 Voilà, c'était donc la conclusion de Hassane Bousseta.
20:45 Je rappelle que vous êtes professeur associé à l'Université de Liège,
20:48 et professeur au FNRS, membre du Centre d'études de l'ethnicité et des migrations.
20:52 Merci pour votre analyse.
20:53 Merci.
20:54 On se retrouve dans quelques instants pour la suite de votre CAFO de l'Info.

Recommandations