Romancier et journaliste indépendant Marc Obregon publie un roman dystopique : "Omegatown". Victor Trévise, la réinsertion, il n'en attend pas grand-chose. Après 20 ans passés à l'ombre, Paris est méconnaissable : surveillance globale, intelligences artificielles omniprésentes et gentrification forcenée ont transformé la ville en immense parc d'attractions pour veaux augmentés. Le ministère des Recouvrements a confié une mission à Victor : surveiller la famille d'un ingénieur bien sous tous rapports, mais dont les sombres secrets pourraient changer la face du monde... Flanqué d'une IA thérapeute sortie d'un film de Godard et d'une gueule de bois carabinée, Victor Trévise va mener son enquête dans une ville au bord du gouffre. L'auteur poursuit sa quête de révélation de la modernité à travers ce nouveau roman.
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00:00 [Générique]
00:06 Bonjour à tous, bienvenue pour ce nouveau numéro du Zoom de TV Liberté.
00:10 Aujourd'hui, j'ai le grand bonheur de recevoir Marc Aubregon.
00:13 Bonjour Marc.
00:14 Bonjour Ramy.
00:15 Vous êtes journaliste à l'incorrect, romancier,
00:19 et vous publiez "Omegatown" aux éditions du Verbe-O,
00:22 un ouvrage disponible sur la boutique tvl.fr.
00:26 Il s'agit d'une œuvre de science-fiction épatante, vraiment,
00:30 le mariage d'une histoire puissante et d'une poésie rare,
00:34 si rare chez les écrivains d'aujourd'hui.
00:37 Alors pouvez-vous, Marc Aubregon, nous présenter cette histoire ?
00:41 Alors, en deux mots, c'est l'histoire d'un retour au pays,
00:43 c'est l'histoire d'un héros dans un futur insitué,
00:45 mais qu'on devine étant comme 2030, 2035.
00:48 Et donc, le héros revient dans sa ville natale qui est Paris,
00:55 dix ans après avoir été éloigné de la France par une guerre,
00:59 qu'on devine à l'étranger, mais on ne sait pas trop où elle est assituée.
01:03 Et donc il revient au pays après dix ans d'éloignement,
01:06 et donc il découvre, il va redécouvrir un Paris métamorphosé,
01:09 gentrifié à outrance, dominé par les IA, intelligence artificielle.
01:14 Donc en gros, un Paris qui n'est pas si éloigné du Paris actuel, contemporain,
01:17 mais évidemment j'ai poussé tous les curseurs un peu à fond
01:19 pour obtenir ce Paris 2030 qui est donc une sorte de Paris,
01:24 un peu parodique du Paris dans lequel on est actuellement,
01:27 donc science-fictif, un peu poétisé également, pour résumer.
01:30 – Qu'est-ce qui vous a donné l'inspiration d'écrire sur cette thématique dystopique ?
01:34 – En fait, moi je suis un grand amateur de littérature cyberpunk,
01:38 c'est un sous-genre de la SF qui consiste un peu à imaginer un futur proche,
01:42 si possible dominé par les grandes puissances oligarchiques,
01:47 par les entreprises, donc un futur qui est très proche de notre réalité.
01:51 Donc les plus grands, c'est Dantec, c'est Philippe Cadic aussi,
01:54 qui en a été un peu l'apôtre.
01:57 Et donc moi j'ai toujours adoré cette littérature,
01:58 et j'ai toujours voulu la tendre un peu pour l'expérimenter un peu
02:04 à l'aune d'une littérature plus française,
02:06 c'est-à-dire à l'aune d'une littérature qu'on appelle blanche,
02:09 et que j'aime particulièrement, comme celle par exemple de "Entre deux guerres",
02:13 comme celle de Driel à Rochelle, comme celle de Céline,
02:16 donc mon but c'était un peu de faire cette sorte d'hybridation
02:19 entre la science-fiction d'un côté et de l'autre,
02:22 une littérature blanche proche des auteurs que j'aime.
02:25 Et donc de mélanger comme ça les thèmes,
02:26 et mélanger aussi les points de vue poétiques.
02:28 – Vous vous rendez un particulièrement hommage à la langue française
02:31 dans cet ouvrage, et vous plantez rapidement le décor de ce monde dystopique
02:37 avec une réflexion marquante du narrateur au début du texte,
02:41 je le cite "après avoir été en prison en prison,
02:44 je serai en prison en ville comme tout le monde",
02:47 alors il y a eu un petit passage en prison pour le narrateur,
02:50 "après avoir été en prison en prison, je serai en prison en ville comme tout le monde",
02:53 est-ce cela la condition de l'homme moderne selon vous ?
02:56 – En tout cas c'est une question que je pense que tout citadin peut se poser,
02:59 que tout salarié humain peut se poser,
03:00 que tous ceux qui prennent quotidiennement le RER entassé comme des moutons,
03:05 puis voûter sur leur téléphone portable peuvent se poser,
03:07 car en effet finalement leurs conditions humaines comportent assez peu de liberté,
03:11 de plus en plus de sidération technologique,
03:15 et du coup chacun est un peu dans sa bulle, dans son silo numérique,
03:18 donc on peut vraiment se demander si on n'est pas en prison,
03:21 dans une sorte de prison à ciel ouvert finalement.
03:23 Après justement, moi je pense que non,
03:26 je pense qu'on a encore heureusement notre propre vérité
03:28 qui est la foi, qui est le libre arbitre,
03:30 et qui nous permet d'en sortir à chaque seconde, à chaque respiration en fait.
03:34 Mais après d'un point de vue, le héros qui n'est pas moi
03:37 mais qui est une version un peu amoindrie de moi,
03:39 se pose la question parce qu'il est lui-même fragilisé par son expérience, par son vécu.
03:43 – Et enserré dans un réseau de contraintes, d'obligations.
03:47 – Oui car dans le futur que j'imagine effectivement,
03:49 en fait notre héros doit encore des années de service à l'État,
03:53 et par conséquent l'intégralité de son cerveau.
03:54 – Au ministère du recouvrement.
03:55 – C'est ça, tout à fait, qui est un ministère que j'ai imaginé,
03:58 et donc il doit des années encore à ce ministère,
04:01 et donc en fait toutes ses pensées appartiennent théoriquement à l'État,
04:05 c'est le postulat de départ du roman.
04:07 – Mais il va devoir rendre un service à ce ministère du recouvrement
04:12 en menant une enquête sur une famille, la famille Baker.
04:14 – C'est ça en fait, moi j'aime aussi beaucoup les thrillers,
04:17 donc c'est vrai qu'à la base il y a un argument qui est quasiment policier,
04:19 qui est qu'en fait ce héros qui s'appelle Victor Trevis,
04:24 va devoir en effet enquêter sur une famille dont le père est ingénieur,
04:28 et qui est soupçonné de faire circuler des renseignements capitaux
04:32 sur des entreprises d'État, potentiellement à l'étranger.
04:37 Et donc notre héros va enquêter sur cette famille,
04:39 il va tomber assez vite sur la fille de l'ingénieur en question,
04:43 qui est suspectée d'être peut-être la voie par laquelle les infos circulent,
04:47 en fait, s'échappent.
04:49 – Alors la finesse prospective d'"Omega Town" est vraiment frappante.
04:53 Comment travaille-t-on comme écrivain sur un tel ouvrage ?
04:56 Est-ce qu'on se documente ? Est-ce qu'on lit des rapports de prospective ?
05:00 Comment on fait pour imaginer le monde de demain ?
05:02 – Alors sur ce coup-là justement,
05:04 j'évite à tout prix les rapports de prospective,
05:06 dans la mesure où je pense que ça peut casser un peu l'ambition poétique.
05:10 Finalement pour moi la science-fiction c'est avant tout
05:12 une sorte d'avant-garde poétique, plus qu'une prospective.
05:15 La science-fiction c'est plus quelque chose comme une sorte d'exercice poétique
05:18 sur le mode du "et si".
05:19 Et donc pour moi, j'ai juste posé les contraintes,
05:22 comme des contraintes poétiques, un peu type Oulipo,
05:25 "Et si dans un futur proche, Paris était entièrement dominée par des IA ?"
05:28 "Et si dans un futur proche, on pouvait louer notre cerveau
05:32 à des sociétés privées ?" etc.
05:34 Donc ce sont des intuitions qui relèvent de la SF,
05:38 qui relèvent de la technologie, mais qui sont poétisées par avance.
05:41 J'évite surtout justement de lire des choses sérieuses là-dessus,
05:44 et je préfère laisser aller mes propres intuitions,
05:48 qui j'espère vont s'avérer fausses pour certaines,
05:50 après on verra pour d'autres si elles s'avèrent vraies.
05:52 La plupart sont finalement des hyper-trophies de ce qui existe déjà maintenant en l'occurrence.
05:56 – Oui d'ailleurs, en vous lisant,
05:58 ça m'a inspiré notamment une question,
06:01 parfois quand on regarde le caractère prophétique de certaines œuvres littéraires,
06:06 on se demande si les auteurs du chaos contemporain
06:10 n'y ont pas eux-mêmes trouvé une part d'inspiration, qu'en pensez-vous ?
06:15 – Vous savez, effectivement, ce sont les artistes qui écrivent leur L,
06:18 je pense notamment au célèbre écrivain Philippe Cadic,
06:20 écrivain de SF assez connu, qui s'est rendu compte à la fin de sa vie
06:24 que le monde dans lequel il vivait, c'était celui qu'il avait écrit.
06:28 Et donc il se demandait à la fin, dans une sorte de cauchemar un peu solipsiste,
06:31 s'il n'était pas lui-même la cause de cette descente du monde
06:36 dans une sorte de cauchemar dystopique.
06:38 Et donc c'est vrai qu'on peut se poser la question,
06:40 quand on voit qu'aujourd'hui le monde devient de plus en plus caricatural,
06:43 presque parodique, on peut se demander dans quelle mesure le monde
06:46 ne copie pas finalement l'art.
06:48 Vous savez la fameuse phrase de Huysmans sur la nature qui imite l'art.
06:52 Donc là on a vraiment plein de dents.
06:54 - Justement, sur la forme de votre écrit, vous avez été l'auteur aussi d'essais.
07:00 Les anticipations tragiques présentes dans "Oméga-Tan"
07:06 on n'aura peut-être pas pu passer avec la même force
07:09 à travers un texte politique ou universitaire.
07:14 N'y a-t-il pas un avantage au roman, justement, pour décrire le réel ?
07:18 - Oui, oui, tout à fait.
07:20 Effectivement, j'ai écrit un essai au début de ma carrière littéraire.
07:24 Je pense vraiment que la fiction permet des choses que l'essai ne permet pas.
07:27 De la mesure où quand vous écrivez une fiction,
07:29 il y a forcément des idées qui vous échappent.
07:31 Il y a forcément des symboles qui vous échappent.
07:33 Il y a forcément des poches de sens qui vous échappent.
07:35 Alors qu'un essai, qu'il soit pamphlet ou philosophique,
07:38 il contient uniquement ce que vous voulez dire.
07:42 Une pensée articulée de façon philosophique ne va dire que ce qu'elle dit elle-même.
07:47 En revanche, une fiction contient des images.
07:49 Et les images sont plus à même d'avoir plusieurs sens,
07:51 y compris des sens qui échappent à leur hauteur.
07:53 Je pense qu'une bonne œuvre de fiction va, un peu comme une sorte d'attanoir,
07:58 une sorte de chose alchimique, va condenser et distiller quelque chose qui échappe
08:03 et qui va contenir une sorte de vérité supplémentaire, surnuméraire, quelque part.
08:08 - Il y a un paradoxe qui m'a frappé dans "Omega Town".
08:11 "Omega Town", c'est un espace politique totalitaire
08:15 où les moindres faits et gestes des individus sont sous contrôle de la puissance centrale.
08:20 Néanmoins, vous y anticipez l'élection d'une candidate anti-système souverainiste.
08:26 Alors, comment peuvent coexister ces deux réalités ?
08:29 D'un côté, un système politique apparemment fonctionnel
08:32 et en même temps, une emprise totale sur les esprits.
08:35 - Alors, en fait, si j'ai pensé à ça, c'est parce que je pense tout simplement
08:39 que les candidats souverainistes de par le monde sont également des joueurs du système.
08:44 Et donc, en tant que tel, je pense que souvent, même s'ils ont cessé au départ,
08:48 je pense qu'ils affectent aussi beaucoup des idées "populistes"
08:52 pour pouvoir se faire élire et qu'ensuite, après,
08:54 ils vont finalement être comme d'autres des vaisseaux du système de l'hiérarchie.
08:58 Donc, voilà, c'était juste une petite façon aussi de dire que c'est très possible
09:03 qu'après Macron, on vienne un candidat populiste
09:05 et que pour autant, ça ne sera pas forcément l'échappatoire
09:08 dont rêvent beaucoup de nos concitoyens.
09:11 - Est-ce à dire que face au monde post-moderne ou hyper-moderne qui vient
09:15 et dont on perçoit déjà les ferments, l'action politique est impuissante ?
09:20 - En tout cas, c'est-à-dire que pour moi, la démocratie est un système
09:23 qui est complètement grippé et qui n'a plus de valeur affective
09:25 dans la mesure où aujourd'hui, les États, effectivement, ont depuis bien longtemps,
09:29 la France depuis au moins Maastricht, perdu leur pouvoir, perdu leur souveraineté
09:32 et par conséquent, ne sont juste que des courroies de transmission
09:35 entre différents, je dirais, sauf leurs faibles compétitivités,
09:37 états profonds, en tout cas, pouvoirs stratifiés.
09:40 - Ça vous paraît réversible, ce mouvement, où il y a une telle logique de l'histoire
09:44 impulsée par l'innovation technologique notamment,
09:47 que, en gros, c'est un état des choses avec lequel on va devoir composer
09:51 et trouver des interstices un peu de liberté dedans ?
09:54 - Alors, c'est une très bonne question.
09:55 Réversible, je ne pense pas.
09:57 Je pense qu'il faudrait une sorte de guerre civile mondiale peut-être
09:59 pour que ce soit vraiment réversible.
10:00 Ça n'arrivera pas puisque malheureusement, la technologie provoque
10:04 une sorte de sidération globale qui fait que finalement,
10:06 personne n'a vraiment envie de, comment dire, de retourner la réalité
10:10 d'une guerre civile mondiale.
10:11 Tout le monde, finalement, préfère continuer à consommer,
10:13 préfère continuer à être diverti.
10:15 Donc, je pense que ce monde n'est pas réversible.
10:19 En revanche, je pense que la vérité finira toujours par advenir
10:23 et par conséquent, ça reste une question de temps,
10:25 mais ce monde, évidemment, cette post-modernité dans laquelle on est,
10:28 finira bien par exhaler ses derniers soupirs
10:31 et peut-être plus prochainement qu'on ne le pense, c'est sûr.
10:34 Car le mensonge arrive toujours à sa fin.
10:37 Et voilà.
10:38 – Oui, puis j'ai vu que vous parliez dans une interview par ailleurs
10:41 du syndrome Windows, c'est-à-dire que plus la technologie avance,
10:46 plus paradoxalement, elle est aussi touchée par des dysfonctionnements
10:50 un peu inattendus.
10:52 C'est peut-être une voie pour le sursaut collectif ?
10:55 – Oui, alors c'est vrai qu'on parle beaucoup de, par exemple,
10:58 de façon dont un bug généralisé pourrait effectivement faire
11:01 une sorte de reboot total de la civilisation terrienne,
11:04 de l'espace humain.
11:06 On pourrait évoquer plein d'hypothèses d'un retour à une civilisation
11:13 plus vierge, mais est-ce que, malgré tout,
11:18 je ne pense pas que ce soit aussi simple.
11:20 Je pense que la technologie porte en elle-même sa métastase.
11:24 L'ère technoscientiste, c'est seulement une sorte de métastase du capital
11:29 et en tant que telle, finalement, la métastase, ça veut dire
11:31 qu'il y a une surproduction de valeurs, une surproduction de produits,
11:35 mais en même temps, il y a une lente érosion en même temps.
11:39 Donc en fait, c'est deux mouvements qui vont ensemble,
11:41 c'est une surproduction et en même temps une érosion.
11:44 Donc voilà, je pense que les choses vont bien finir par s'égaliser
11:49 et donc est-ce que nous, de nos vivants, on va le connaître ?
11:52 Je ne pense pas, mais nos enfants sûrement.
11:55 – Et puis vous avez une analyse dans "Mégatintes"
11:57 que je trouve particulièrement honnête aussi sur ce futur possible
12:01 en démontrant qu'il est à la fois porteur de malheurs collectifs,
12:04 des êtres humains, drogués, toutes sortes de substances
12:08 qu'imprime le système d'ailleurs directement via des imprimantes
12:11 pour leur permettre de tenir le coup, tout simplement,
12:13 dans ce monde inhabitable.
12:15 Et en même temps, c'est aussi la réalisation du fantasme
12:19 un peu de tout un chacun.
12:20 La couverture du livre renvoie à Anna Karina, l'actrice,
12:25 et il fait figure dans cet ouvrage de conseiller spécial
12:29 sous la forme d'un hologramme pour le narrateur.
12:32 C'est aussi le monde dont il aurait pu rêver
12:35 et auquel il n'aurait jamais eu accès dans la France de 2022, ou 2024 pardon.
12:40 – Là, c'est une sorte d'extrapolation d'une réalité qui existe maintenant,
12:43 c'est celle du chatbot en fait.
12:45 En gros, le héros a une sorte de psychiatre numérique
12:47 qui ressemble à Anna Karina, parce que lui, il l'a voulu,
12:51 il l'a demandé comme telle.
12:53 Et donc, j'imagine ce futur où nos chatbots seront visibles
12:56 sous forme d'hologrammes et donc on pourra interagir avec eux,
12:59 comme avec des amants, des maîtresses, peut-être le désir en moins,
13:03 parce que ça reste des hologrammes, mais en tout cas,
13:05 on pourra interagir avec eux.
13:07 Donc effectivement, moi je me suis amusé à imaginer ça
13:09 parce que je pense qu'effectivement, d'un point de vue de la fiction,
13:12 la technologie enchante également la fiction, si vous voulez.
13:15 Je pense que contrairement à un essai
13:17 où j'aurais pu complètement dénoncer la technologie,
13:20 je trouve qu'à l'inverse, dans le cadre d'un roman,
13:23 elle peut aussi servir à magnifier certaines choses
13:25 et à poétiser un peu le monde dans lequel on est.
13:27 Donc imaginer un chatbot sous forme d'Anna Karina,
13:29 pour moi c'est le meilleur moyen de renverser un peu
13:31 cette technophobie naturelle.
13:35 Oui, avec des dialogues d'ailleurs extrêmement profonds
13:39 entre le protagoniste et cette Anna Karina,
13:41 y compris de la part d'Anna Karina.
13:44 Et cette question donc, au moment où la frontière devient si ténue
13:48 entre l'homme-robot et le robot-homme, l'humanoïde,
13:54 finalement, contre qui diriger nos efforts,
13:58 ne sommes-nous pas nous-mêmes en réalité responsables
14:00 du mouvement qu'on dénonce, en finissant par nos inclinaisons,
14:04 tout simplement, de nous comporter de façon robotique ?
14:07 Oui, tout à fait, effectivement, on peut se poser la question
14:10 si les IA, ces algorithmes, à force d'interagir avec nous,
14:13 ne vont pas devenir plus humains que nous,
14:15 alors que nous, on devient peu à peu des périphériques.
14:17 Je suis allé dans les métros pour voir que 99% des personnes
14:20 sont désormais attachées à leurs téléphones portables
14:23 et se contentent de scroller indéfiniment,
14:26 comme ça, avec l'air un peu pesant, etc.,
14:28 font scroller leurs réseaux sociaux.
14:30 Donc on peut se poser la question si nous, en fait,
14:32 via la technologie, on perd peu à peu notre humanité,
14:34 alors qu'au contraire, c'est cette humanité qu'on perd finalement
14:36 et est en train d'infuser peu à peu la technologie.
14:38 Donc on peut imaginer, en étant un peu, effectivement,
14:41 peut-être un peu optimiste, que les IA,
14:43 que les téléchanges officiels vont se doter d'humanité, peut-être,
14:46 pour nous remplacer, peut-être, à terme.
14:48 C'est peut-être ça, le vrai grand emplacement, peut-être.
14:51 – Alors, Marc Aubregon, le narrateur de votre ouvrage,
14:54 "Megatonne", a été, vous l'avez dit,
14:56 soldat d'une guerre opposant les forces de l'OTAN,
14:59 qu'on identifie comme l'OTAN,
15:01 à celles d'un grand pays, la Russie, je crois.
15:04 Alors, par-delà les disputes géographiques,
15:07 diriez-vous, justement, que le vrai clivage,
15:09 aujourd'hui, se situe là, entre une vision un peu technonyliste
15:12 qui serait celle d'"Omegatown",
15:15 et des communautés humaines authentiques ?
15:18 – Alors, des communautés humaines authentiques,
15:20 est-ce qu'il en reste réellement ?
15:22 On peut se poser la question.
15:24 C'est vrai que je décris un monde qui est sur-communautarisé,
15:28 dans la mesure où tout le monde va se rapprocher,
15:31 par affinité esthétique, par affinité de divertissement, de culture.
15:37 Mais c'est vrai que ce qui manque, au fond, c'est le socle civilisationnel.
15:40 Donc, là, qu'il s'agisse d'une religion, ou je dirais d'une métaphysique.
15:44 Et en l'occurrence, la métaphysique est devenue presque la valeur,
15:49 enfin, la clé de voûte manquante de l'univers dans lequel on est,
15:54 parce qu'en fait, les produits scientifiques sont des résultats de la métaphysique,
15:57 mais la métaphysique, en revanche, a été oubliée.
15:59 Donc, en fait, on est face à un édifice,
16:01 qui est presque soutenu par des pylônes en verre.
16:04 Et donc, c'est un peu ce que je voulais vous montrer,
16:06 avec ce roman où, finalement, le grand absent, c'est Dieu.
16:10 C'est la vérité, c'est la foi.
16:12 Parce que, finalement, pour créer ces machines, pour créer ces algorithmes,
16:15 on a quand même dû opérer, on a quand même 2 millions d'histoires chrétiennes.
16:19 Et je pense que, contrairement à ce que vous pouvez bien penser,
16:21 la science et la raison sont également les résultats du christianisme.
16:24 Donc, on pourrait en discuter longtemps, entre Platon, Aristote,
16:27 mais, voilà, moi, je pense que la raison, voire le rationalisme, le positivisme,
16:31 sont également le contrepoint nécessaire de la chrétienté.
16:35 Et sans chrétienté, finalement, on n'aurait peut-être pas pu avoir d'algorithme.
16:39 C'est un peu le paradoxe que j'ai voulu montrer dans ce livre.
16:42 – Alors, justement, votre réponse me fait penser à cette phrase de Darhari,
16:47 le fameux auteur israélien, qui expliquait, dans une interview,
16:51 il y a quelques mois, que l'intelligence artificielle
16:54 deviendrait tellement performante qu'elle serait capable de créer un nouveau dogme.
16:58 Un dogme suffisamment séduisant pour mobiliser la masse.
17:01 Est-ce qu'à ce désenchantement du monde, on ne peut pas répondre aussi
17:05 qu'on le réenchante grâce à l'intelligence artificielle ? Ou grâce au robot ?
17:09 – Vous savez, ce que disait Baudrillard, il a dit une phrase assez belle sur l'IA,
17:12 il a dit "le problème de l'intelligence artificielle, c'est qu'elle n'est ni intelligente ni artificielle".
17:15 Et en fait, je pense qu'effectivement, au fond, le noyau de l'IA, c'est l'homme,
17:19 ça reste l'homme, puisque finalement l'intelligence artificielle se contente,
17:21 en fait, de compiler, d'agréger, de recompiler et de réagréger.
17:25 Donc, est-ce que la pensée, c'est uniquement ça ?
17:27 Évidemment non, évidemment, il y a une part de la pensée qui est incompressible, qui est indécidable.
17:31 Je pense que c'est tout simplement dû, en gros, c'est la vérité avant-dernière,
17:35 comme disait Philippe Kaddik.
17:37 Donc, je pense que c'est cette vérité qui est au cœur, finalement,
17:40 de toute expérience humaine du vécu, et également au cœur de l'IA, en fait, par rebond.
17:44 Et finalement, l'IA n'est qu'une lombre portée de la pensée humaine, quelque part.
17:48 Donc, en tant que tel, je pense que l'IA peut nous apprendre, finalement, à nous rééduquer,
17:52 à nous rééduquer à la pensée.
17:53 Et d'ailleurs, j'en ai pour preuve qu'aujourd'hui, beaucoup de créateurs
17:55 sont un peu effrayés, finalement, par l'IA, parce que du coup, on se dit,
17:58 mais du coup, toutes les images sont un truc extra, mais justement,
18:00 ça va nous permettre aux créateurs, aux graphistes, aux peintres, que sais-je,
18:03 justement, de s'améliorer, de revenir peut-être à un art premier, plus artisanal,
18:07 où du coup, l'image pourra accéder à la vérité de façon plus simple
18:11 que sur un ordinateur ou par des moyens numériques.
18:14 Donc, je pense que l'IA va nous permettre peut-être d'éliminer toute médiocrité en nous
18:18 pour revenir à un art supérieur, notamment.
18:21 Une sorte d'aiguillon pour recentrer l'homme sur sa substance profonde.
18:27 Eh bien, merci beaucoup, Marc Aubrégon, vraiment, pour cet ouvrage absolument passionnant.
18:32 Lisez-le au Megatone, publiez aux éditions du Verbe-O et disponible sur la boutique tvl.fr.
18:41 N'oubliez pas de partager cette vidéo, de l'aimer, de la commenter.
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