• il y a 8 mois
La Controverse de Valladolid (Dispute à Valladolid)

"La Controverse de Valladolid" est un film franco-espagnol réalisé par Jean-Daniel Verhaeghe et sorti en 1992. Il s'agit d'un drame historique qui explore la célèbre controverse de Valladolid, un débat théologique et juridique qui s'est tenu en Espagne en 1550.

Voici un résumé du film :

Le film retrace le débat qui a opposé deux figures importantes de l'époque coloniale espagnole :

Bartolomé de Las Casas, un missionnaire dominicain qui défendait les droits des indigènes d'Amérique et affirmait qu'ils possédaient une âme et pouvaient être convertis au christianisme.
Juan Ginés de Sepúlveda, un juriste et philosophe qui soutenait la position de la couronne espagnole et justifiait la conquête et l'assujettissement des indigènes.
Transcription
00:00:00 (Bruits de pas)
00:00:23 (Coup de feu)
00:00:25 (Bruits de pas)
00:00:37 (Bruit de porte)
00:00:39 (Bruit de pas)
00:00:41 (Bruits de pas)
00:00:49 (Bruit de porte)
00:00:51 (Bruit de porte)
00:00:55 (Bruit de pas)
00:01:10 (Bruits de pas)
00:01:31 Mes chers frères, recevez la bénédiction de notre Saint Père.
00:01:35 (Coup de feu)
00:01:38 (Prie en japonais)
00:01:43 (Prie en japonais)
00:01:45 Prions Dieu qui nous accorde ici sa lumière.
00:01:48 (Prie en japonais)
00:01:52 (Prie en japonais)
00:02:04 (Bruits de pas)
00:02:16 (Bruits de pas)
00:02:32 (Prie en japonais)
00:02:51 (Coup de feu)
00:02:53 (...)
00:03:22 (Bruits de pas)
00:03:24 (Prie en japonais)
00:03:27 Mes chers frères,
00:03:29 (Bruits de pas)
00:03:32 Depuis que, par la grâce de Dieu,
00:03:35 le royaume d'Espagne a découvert et conquis les ânes de l'Ouest,
00:03:41 que certains appellent déjà le Nouveau Monde,
00:03:45 nous avons vu s'élever un grand nombre de questions difficiles,
00:03:51 que rien dans l'histoire du monde ne laissait prévoir.
00:03:54 Une de ces questions, qui est de première importance,
00:03:59 n'a jamais reçu de réponse claire et complète.
00:04:06 C'est elle qui nous réunit ici.
00:04:10 Ces terres nouvelles ont des habitants
00:04:15 qui ont été vaincus et soumis au nom du vrai Dieu.
00:04:23 Cependant, depuis une trentaine d'années,
00:04:25 des rumeurs se sont répandues en Europe,
00:04:30 disant que les indigènes de Mexico et des îles de la Nouvelle-Espagne
00:04:36 ont été très injustement maltraités par les conquérants espagnols.
00:04:44 Ces rumeurs, que les ennemis de l'Espagne, la Hollande, l'Angleterre, la France,
00:04:51 peuvent avoir exagérées,
00:04:55 sont parvenues à s'assainter le pape,
00:05:00 qui s'en est montré vivement ému,
00:05:04 d'autant plus que ces traitements s'exarceraient au nom de notre sainte religion.
00:05:13 À plusieurs reprises, le Saint-Père a manifesté sa compassion
00:05:17 pour les populations des terres nouvelles,
00:05:22 mais ses instructions, à ce qui semble,
00:05:26 n'ont pas toujours été respectées,
00:05:28 pas plus d'ailleurs que les lois et règlements de la Coronne.
00:05:35 Aujourd'hui, le Saint-Père m'a envoyé jusqu'à vous avec une mission précise.
00:05:41 Décider si ces indigènes sont des êtres humains achevés et véritables,
00:05:49 des créatures de Dieu,
00:05:52 nos frères dans la descendance d'Adam,
00:05:55 ou si, au contraire, comme on l'a soutenu,
00:05:58 ils sont des êtres d'une catégorie distincte,
00:06:03 voire même les sujets de l'Empire du Diable.
00:06:10 À la fin de notre débat,
00:06:13 la décision que je prendrai sera ipso facto confirmée par le Saint-Père
00:06:18 et deviendra par conséquent irrévocable.
00:06:24 Nous avons réuni ici, à Valladolid,
00:06:31 dans ce couvent où Frère Gregorio a eu la bonté de nous accueillir,
00:06:36 quelques témoins et participants.
00:06:38 Et tout d'abord le très illustre Frère Bartholomé de Las Casas,
00:06:43 qui connaît bien les terres nouvelles
00:06:45 et qui a plusieurs fois pris la défense de ses indigènes en face.
00:06:50 Nous avons Maître Sepulveda lui-même.
00:06:54 Ses œuvres philosophiques sont très bien connues.
00:06:57 Son érudition et la pénétration de son esprit nous seront précieuses.
00:07:07 Si parmi vous quelqu'un désire parler, qu'il le fasse savoir en levant la main.
00:07:16 J'espère que Dieu nous assistera
00:07:21 et que par sa grâce nous serons gardés toute conscience et dignité.
00:07:30 Frère Bartholomé, vous avez la parole.
00:07:33 Éminence,
00:07:43 notre Seigneur Jésus a dit "Je suis la vérité et la vie".
00:07:49 Je vais m'efforcer de dire la vérité sur ceux à qui nous sommes en train d'enlever la vie.
00:07:56 Car c'est la vérité et nous sommes en train de les détruire.
00:08:02 Depuis la découverte et la conquête des Indes,
00:08:05 les Espagnols n'ont pas cessé d'asservir, de torturer et de massacrer les Indiens.
00:08:12 Ce que j'ai à dire est si affreux que je ne sais pas par où commencer.
00:08:16 Il y aurait là de quoi remplir un énorme livre.
00:08:19 Parlez à votre aise.
00:08:21 Depuis les tout premiers contacts,
00:08:24 les Espagnols n'ont pas eu animé et poussé que par la terrible soif de l'or.
00:08:29 C'est tout ce qu'ils réclament, de l'or.
00:08:31 De l'or, apportez-nous de l'or.
00:08:34 Au point qu'en certains endroits, les habitants des terres nouvelles disaient
00:08:38 "Mais qu'est-ce qu'ils font avec tout cet or ? Ils doivent le manger."
00:08:41 Tout est soumis à l'or.
00:08:43 Tout.
00:08:45 Aussi, depuis le début, les malheureux Indiens sont-ils traités comme des animaux,
00:08:51 privés de raison.
00:08:53 D'abord, on les marque comme esclaves au fer rouge du nom de leur propriétaire,
00:09:02 au visage.
00:09:04 Quand ils passent d'un propriétaire à l'autre,
00:09:07 on les marque encore et encore.
00:09:09 Ces marques s'accumulent sur leur visage,
00:09:13 qui devient comme du vieux papier.
00:09:16 Par la suite, on les a jetés en masse dans des mines d'or et d'argent.
00:09:23 Et là, ils meurent par milliers.
00:09:25 Une effroyable puanteur se dégage de ces mines,
00:09:28 qui sont pires que l'enfer, noires et humides.
00:09:31 Les puits sont survolés par des troupes d'oiseaux charognards si innombrables
00:09:35 qu'ils masquent le soleil.
00:09:36 Vous parliez aussi de massacres.
00:09:39 Oui.
00:09:40 Eminent, c'est par millions qu'ils ont été exterminés.
00:09:44 Oui, par millions, comme des bêtes à l'abattoir.
00:09:49 Par quels procédés ?
00:09:50 Tout est bon.
00:09:52 Quelquefois, on les embroche par groupe de treize.
00:09:55 On les entoure de paille sèche, on y met le feu.
00:09:58 Autrefois, on leur coupe les mains et on les lâche dans la forêt,
00:10:02 en leur disant "allez porter les lettres".
00:10:04 Ce qui signifie ?
00:10:06 Allez porter le message.
00:10:09 Allez montrer aux autres qui nous sommes.
00:10:12 Oui.
00:10:15 Et pourquoi par groupe de treize ?
00:10:17 Pour honorer le Christ et les douze apôtres.
00:10:21 Oui, je vous dis la vérité.
00:10:26 Le Seigneur a été honoré par toutes les horreurs humaines.
00:10:30 Tout a été imaginé.
00:10:34 Quelquefois, on saisit les enfants par les pieds
00:10:37 et on leur fracasse le crâne contre des roches.
00:10:41 Ou bien on les met sur le grill, on les noie,
00:10:44 on les jette à des chiens affamés qui les dévorent comme des porcs.
00:10:47 On fait des paris à qui ouvrira un ventre de femme d'un seul coup de couteau.
00:11:00 Frère Bartholomé, vous nous parlez de la triste misère de la guerre
00:11:04 qui est commune à tous les peuples.
00:11:06 La guerre ?
00:11:07 Mais ici...
00:11:08 Quelle guerre ?
00:11:09 Ces peuples ne nous faisaient pas la guerre.
00:11:11 Ils venaient à nous, tous souriants, le visage gai,
00:11:15 curieux de nous connaître, chargés de fruits et de présents.
00:11:19 Et nous leur avons apporté la mort.
00:11:21 Au nom du Christ.
00:11:23 Eminence, n'est-ce pas là un blasphème ?
00:11:25 La sainteté du lieu nous autorise à tout entendre.
00:11:28 De toute manière, nous ne pouvons rien cacher à Dieu.
00:11:30 Continuez.
00:11:31 Tout ce que j'ai vu, je l'ai vu se faire au nom du Christ.
00:11:35 J'ai vu des Espagnols prendre la graisse d'Indiens vivants
00:11:40 pour panser leurs propres blessures.
00:11:42 Vivants.
00:11:44 Je l'ai vu.
00:11:45 J'ai vu nos soldats leur couper le nez, les oreilles, la langue, les mains.
00:11:55 Les seins des femmes et les verges des hommes, oui, les tailler.
00:11:59 Comme on taille un arbre pour s'amuser.
00:12:02 Pour se distraire.
00:12:04 J'ai vu à Cuba, dans un lieu qui s'appelle Caonao,
00:12:11 une troupe d'Espagnols féral tenant le lit d'un torrent desséché.
00:12:14 Là, ils aiguisèrent leurs épées sur des pierres.
00:12:18 Puis ils s'avancèrent vers un village et dirent,
00:12:20 tiens, si on essaie, elles tranchent entre nos armes.
00:12:24 Un premier Espagnol tire à son épée, les autres en firent autant.
00:12:27 Et ils se mirent à y ventrer à l'aveuglette,
00:12:31 tous les habitants qui étaient assis bien tranquilles.
00:12:33 Tous massacrés, le sang ruisselait de partout.
00:12:36 Vous étiez présent ?
00:12:38 J'étais le raumonier.
00:12:41 Je courais comme un fou de tous côtés,
00:12:44 c'était un spectacle d'horreur et d'épouvante.
00:12:46 Et je l'ai vu.
00:12:52 Une autre fois, éminence,
00:12:54 j'ai vu un soldat en riant planter sa dague dans le flanc d'un enfant,
00:12:59 et cet enfant allait de ci, de là, en tenant à deux mains ses entrailles qui s'échappaient.
00:13:03 Toujours à Cuba.
00:13:05 On s'apprêtait à mettre à mort un de leurs chefs, un cacique, sans aucune raison.
00:13:11 Il y a le bruit des vifs.
00:13:13 Alors un moine s'approcha de l'homme pour lui parler un peu de notre foi.
00:13:17 Il lui demanda s'il désirait aller au ciel où sont la gloire et le repos éternels,
00:13:21 au lieu de souffrir en enfer.
00:13:23 Le cacique lui dit, est-ce que les chrétiens vont au ciel ?
00:13:27 Oui, dit le moine.
00:13:28 Certains d'entre eux y vont.
00:13:30 Alors, dit le cacique,
00:13:33 je préfère aller en enfer pour ne pas me retrouver avec des hommes aussi cruels.
00:13:38 J'ai vu des cruautés si grandes qu'on n'oserait pas les imaginer.
00:13:49 Aucune langue, aucune récine peut dire ce que j'ai vu.
00:13:51 Luminance, les chrétiens ont oublié toute crâne de Dieu.
00:14:02 Ils ont oublié qui ils sont.
00:14:04 Oui, des millions, je dis bien des millions.
00:14:09 A Cholula, au Mexique, et à Tapehaca, c'est toute la population qui fut égorgée.
00:14:16 Au cri de Saint-Jacques, et c'était facile,
00:14:19 parce que ces hommes n'avaient pas d'armes à feu comme les nôtres, ni de chevaux.
00:14:24 Savez-vous, éminence,
00:14:30 qu'en certains endroits, les Espagnols se servent du sang de ces hommes pour arroser leur terre ?
00:14:35 Les capitaines en emmenaient de longs cortèges enchaînés en expédition,
00:14:40 et de temps en temps, ils disaient aux soldats,
00:14:42 "Coupez un morceau de la cuisse de ce drôle-là et donnez-le aux chiens."
00:14:45 Comme s'il s'agissait de quartiers de moutons.
00:14:48 Dans certains camps, il y avait des étalages, des boucheries de chair humaine,
00:14:52 des cuisses, des poitrines, attachées à des gouttes.
00:14:55 Les Indiens, ils les nourrissaient de chair indienne, ça ne coûtait rien.
00:14:59 On a même raconté que les Espagnols en mangeaient.
00:15:04 Allons ! Allons !
00:15:07 Allons !
00:15:08 Il est dans la nature humaine, frère Bartholomé, de raconter beaucoup et de réfléchir peu.
00:15:21 Je vous ai laissé parler, j'ai remarqué votre émotion, votre véhémence.
00:15:29 J'ai bien écouté.
00:15:34 Mais je vous rappelle que ce n'est pas cette question-là qui nous préoccupe.
00:15:39 Nous ne devons pas décider sur la cruauté des Espagnols,
00:15:46 nous devons décider sur la nature et qualité de ces Indigenes.
00:15:51 Vous me comprenez ?
00:15:52 Oui, je vous comprends.
00:15:55 C'est pourquoi je vous demande, vous qui les connaissez, comment sont-ils ?
00:16:03 Je suppose que nous n'allons pas retenir l'hypothèse de l'Empire du Diable.
00:16:06 Bien.
00:16:10 Je n'ai évoqué cette légende que pour mieux en montrer l'excès.
00:16:13 Satan n'a pas de frontières dans ses états, ça serait trop facile d'y mettre des barrières.
00:16:18 Il est partout.
00:16:20 Et tout d'abord en nous-mêmes.
00:16:23 Alors comment sont-ils ?
00:16:25 Comme l'a dit Christophe Colomb lui-même, le premier qui les rencontra,
00:16:31 "Je ne peux pas croire qu'il y ait au monde meilleurs hommes."
00:16:35 C'est-à-dire ?
00:16:36 Ils sont beaux, éminence, de belle allure.
00:16:39 Ils sont pacifiques et doux, comme des brebis,
00:16:43 sans convoitise du bien d'autrui,
00:16:45 généreux, dépourvus d'artifice.
00:16:48 Ils vous ont toujours fait bon accueil ?
00:16:51 Toujours.
00:16:52 Sans duplicité, sans traîtrise ?
00:16:55 Avec la plus totale ingénuité.
00:16:56 Ils sont incapables de mensonges.
00:17:00 Je ne peux pas mieux dire, ils étaient comme l'image du paradis, avant la faute.
00:17:04 Est-ce qu'ils vous paraissent intelligents ?
00:17:06 À coup sûr, ils le sont.
00:17:08 De la même intelligence que nous ?
00:17:10 Sans aucun doute.
00:17:11 Pourtant, ils paraissent parfois très ignorants,
00:17:14 et très crédules.
00:17:16 Ils ont été impressionnés par des présages.
00:17:20 L'empereur du Mexique a même voulu se donner la mort.
00:17:24 Moctezuma, oui, on l'a dit, je n'étais pas là.
00:17:28 Une antique croyance prédisait que leur plus grand héros reviendrait un jour de l'Orient.
00:17:32 Cortés, un très habile capitaine, qui a été votre ami, je crois,
00:17:36 a été informé de cette prophétie.
00:17:39 Il en a joué au début, mais leurs yeux se sont vite ouverts.
00:17:42 Ils ont rapidement compris que les Espagnols ne venaient pas du ciel.
00:17:45 Quand Moctezuma vint à la rencontre de Cortés la première fois,
00:17:50 chargé de cadeaux magnifiques,
00:17:52 il lui dit, je suis de chair et de sang, comme vous.
00:17:56 Ils sont capables de sentiments chrétiens ?
00:17:59 Assurément.
00:18:01 Ils accueillent favorablement notre foi,
00:18:04 mais quelle image leur en donnons-nous ?
00:18:07 Que peuvent-ils penser d'un dieu que les chrétiens,
00:18:10 les chrétiens qui les exterminent, tiennent pour juste et bon ?
00:18:14 Savez-vous ce qu'un homme un jour m'a confié ?
00:18:18 Hypno ?
00:18:20 Il m'a dit, oui, je me sens déjà un peu chrétien,
00:18:25 parce que je sais déjà mentir un peu.
00:18:27 Dites-nous maintenant,
00:18:32 comment ont-ils réagi aux atrocités dont vous nous parlez ?
00:18:35 Féminence, je vous l'ai dit.
00:18:37 Leur naturelle est si doux et nous avons frappé si fort
00:18:40 qu'ils n'ont jamais trouvé la force de nous résister.
00:18:43 Alors ils sont allés vers le désespoir.
00:18:45 Les mères ont tué leurs bébés,
00:18:47 pour qu'ils ne deviennent pas nos esclaves.
00:18:50 On a vu grand nombre d'enfants naître morts à cause de certaines herbes
00:18:54 que leur mère avait prises.
00:18:55 Vous rappelez-vous, éminence, la forte parole de l'éclésiaste ?
00:19:00 Laquelle ?
00:19:02 Elle fut un choc pour moi,
00:19:04 quand par hasard un jour elle me tomba sous les yeux.
00:19:06 Le pain des pauvres, c'est leur vie.
00:19:09 Celui qui les en prive est un meurtrier.
00:19:12 Eh bien, ces créatures en sont arrivées à ne plus aimer la vie.
00:19:16 D'ailleurs, les hommes n'approchent plus de leurs femmes
00:19:19 pour ne pas avoir de descendants.
00:19:20 En plus, des maladies nouvelles les accablent.
00:19:23 Que nous leur avons apporté par le viol, le plus souvent.
00:19:26 Oui, ils ont perdu tout désir de vivre.
00:19:31 On voit tout un peuple immense qui agonise au nom du Christ.
00:19:36 Il n'en restera bientôt plus un seul.
00:19:40 Donc, selon vous, frère Bartholomé,
00:19:42 ils sont des créatures de Dieu.
00:19:44 Ils sont notre prochain.
00:19:46 Ils ont été rachetés par le sang du Christ.
00:19:51 Oui, Eminence, tout comme nous.
00:19:53 Professeur, désirez-vous intervenir maintenant ?
00:19:56 S'il plaît à votre Eminence.
00:20:00 Frère Bartholomé,
00:20:12 tout jeune déjà, vous avez été attiré par le Nouveau Monde.
00:20:24 J'y suis parti à 18 ans.
00:20:26 N'y avez-vous pas reçu des terres que vous avez administrées ?
00:20:30 Si, je les ai même bien gérées, je crois.
00:20:33 Plus tard, après votre ordination,
00:20:35 n'avez-vous pas chanté votre première messe dans le Nouveau Monde ?
00:20:38 Si.
00:20:41 Devenu membre de l'Église,
00:20:44 n'avez-vous pas tenté à plusieurs reprises de fonder une colonie,
00:20:48 de réunir autour de vous des indigènes et des Espagnols,
00:20:51 et de les faire travailler ?
00:20:53 J'ai essayé, à Cumana en particulier.
00:20:55 Vous étiez partisan d'une conquête pacifique.
00:20:58 Vous vouliez établir le pays de la vraie paix.
00:21:03 Plus tard, au Guatemala.
00:21:05 N'est-il pas vrai qu'un échec sanglant s'en suivit ?
00:21:09 À Cumana, oui.
00:21:10 Mes associés Espagnols se sont révélés des loups enragés.
00:21:13 Ne trouvez-vous pas étrange que la faute en revienne toujours aux Espagnols ?
00:21:19 Que voulez-vous dire ?
00:21:21 Étrange ?
00:21:23 Je vous écoutais parler, je vous regardais,
00:21:30 et une chose me devenait claire,
00:21:33 que je soupçonnais d'après vos écrits.
00:21:38 Depuis le début, ces peuples-là nous ont fascinés,
00:21:42 et, pourrait-on dire, séduits.
00:21:46 Pourquoi, je ne sais pas,
00:21:50 mais on voit bien que vous parlez avec excès.
00:21:54 Je parle de ce que j'ai vu.
00:21:56 L'excès dans les faits, il n'est pas dans mes paroles.
00:21:59 Cependant, je ne vous apprendrai rien en vous disant que des voyageurs très raisonnables,
00:22:04 et qui, comme vous, sont allés là-bas,
00:22:07 vont jusqu'à vous accuser d'avoir, par moments, perdu la tête.
00:22:11 Si j'ai perdu la tête, Éminence, pourquoi m'avoir appelé ici ?
00:22:16 Qu'est-ce que je fais parmi vous ? Si je suis fou ?
00:22:19 Non, vous n'êtes pas fou.
00:22:21 Mais le propre de l'erreur est de se prendre pour la vérité.
00:22:24 Nous le savons tous.
00:22:26 Et quelque chose en vous, c'est voilé,
00:22:33 brouillé,
00:22:35 c'est dévié de la vérité.
00:22:37 Ces Indiens dont vous nous parlez,
00:22:44 vous avez été aveuglés sur leur véritable nature.
00:22:48 Par exemple ?
00:22:51 Vous dites avec insistance qu'ils sont doux comme des brebis.
00:22:58 Mais s'ils sont comme des brebis, alors ils ne sont pas des hommes.
00:23:03 Qui peut dire que l'homme est doux ?
00:23:05 Mais le Christ le dit. Il ne cesse de le dire.
00:23:08 Si l'on vous frappe, tendez l'autre dos.
00:23:10 Oui, mais il dit aussi, je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée.
00:23:17 Le Christ aime ce combat. Il aime cette conquête.
00:23:22 Sinon, croyez-vous qu'il aurait permis ce nouveau massacre des innocents ?
00:23:26 Et pourquoi l'a-t-il permis, à votre avis ?
00:23:28 D'abord, les Indiens méritent leur sort.
00:23:31 Parce que leur péché et leur idolâtrie sont une offense constante à Dieu.
00:23:34 Les guerres que nous menons contre eux sont justes.
00:23:37 Mais de quel péché parlez-vous ?
00:23:39 Qui est brouillé ici ? Qui est aveugle ?
00:23:42 Je vous pose une question.
00:23:45 Ce jeune garçon dont vous avez parlé,
00:23:50 à qui un soldat perça le ventre et qui tenait ses entrailles à la main,
00:23:55 vous l'avez vu ?
00:23:58 De mes yeux, vu.
00:24:01 Et qu'avez-vous fait dans cette occasion ?
00:24:02 Je l'ai rattrapé. Je lui ai vu parler de Dieu, du Christ, comme j'ai pu.
00:24:08 Je l'ai baptisé. Il est mort dans mes bras.
00:24:10 Le salut de son âme vous a donc paru important ?
00:24:12 Évidemment ! Je ne pouvais rien sauver d'autre.
00:24:16 Eminence, je retiendrai d'abord ce point-là, le salut de l'âme.
00:24:24 Vous supposez donc qu'ils en ont une ?
00:24:29 Je reviendrai naturellement sur ce point.
00:24:31 Auparavant, il me faut rappeler un certain nombre de faits que
00:24:39 l'émotion de mon adversaire a pu masquer.
00:24:45 Nous vous écoutons.
00:24:48 Je pose d'abord la question générale.
00:24:57 N'est-il pas établi, n'est-il pas parfaitement certain
00:25:02 que tous les peuples de la Terre, sans exception,
00:25:05 ont été créés pour être chrétiens un jour ?
00:25:09 Oui, cette vérité est établie.
00:25:13 Et que nous devons tout faire pour les mener à la vraie foi ?
00:25:19 Ça ne peut se discuter.
00:25:23 Tous les humains, sans exception, sont prédestinés.
00:25:27 Ils font tous partie du corps mystique du Christ.
00:25:31 Car la religion chrétienne est une voie universelle.
00:25:35 La miséricorde divine a été accordée à tous les peuples
00:25:40 pour qu'ils renoncent à l'infidélité.
00:25:43 N'est-ce pas vrai ?
00:25:45 C'est véritablement vrai.
00:25:47 Vos frères franciscains soutiennent même que le règne de Dieu sur Terre
00:25:52 est proche, et que le bonheur céleste va bientôt se manifester.
00:25:59 Oui. Dès que les derniers infidèles seront convertis,
00:26:06 nous en sommes très convaincus.
00:26:08 Notre victoire sur les morts fut une première preuve
00:26:13 de la bonne grâce de Dieu.
00:26:15 La facilité avec laquelle les nouvelles terres ont été conquises
00:26:21 est un autre signe très clair.
00:26:23 Et comment les indiens pourraient-ils croire que nous agissons au nom de Dieu ?
00:26:27 Partout où nous allons, ils nous appellent "Yares", ce qui signifie "démon".
00:26:31 Pour eux, c'est nous qui venons de l'enfer et qui avons le diable pour maître.
00:26:34 Vous le croyez ?
00:26:36 Frère Bartholomé, vous croyez très sincèrement
00:26:41 que les Espagnols sont des démons ?
00:26:44 Oui, Minence.
00:26:50 Sur ces terres lointaines, quelque chose de démoniaque s'est emparé des conquérants.
00:26:54 Ils sont devenus des démons, oui, je le crois.
00:26:58 Des démons ?
00:27:00 Oui. Si bien que la foi que j'apporte apparaît comme travestie, comme déformée,
00:27:08 quel rapport à l'Évangile avec les bombardes ?
00:27:11 Comment puis-je prêcher ?
00:27:14 Au lieu d'aller convaincre,
00:27:17 à cause du sang qui nous accompagne, nous contrecarrons le dessein de Dieu.
00:27:21 Puisque vous dites que les indigènes sont non-semblables,
00:27:27 ils sont donc aussi des démons ?
00:27:31 Pardonnez-moi, Minence, je ne peux recevoir cet argument, il est mal articulé.
00:27:39 Redressez-le.
00:27:41 De part et d'autre, ils sont des hommes.
00:27:45 Mais la soif de l'or transforme les nôtres en démons.
00:27:48 Continuez, Professeur.
00:27:51 Tous les peuples de la Terre sont donc destinés à être chrétiens,
00:28:01 à être touchés par la parole du Christ.
00:28:04 Or, voici que nous découvrons une population inconnue
00:28:11 qui n'a jamais entendu parler de notre Seigneur,
00:28:15 de la rédemption, de la croix...
00:28:18 Ah, mais si ! On a trouvé des traces des croix !
00:28:21 Non ! Non ! Rien de sérieux !
00:28:25 Vous vous êtes vainement efforcé de prouver que ce continent avait été visité par un des apôtres. C'est faux !
00:28:34 Jamais la parole du Christ n'a été portée sur ces terres.
00:28:38 Ce qui signifie quoi ?
00:28:40 Ce qui signifie qu'il ne s'agit pas de créatures reconnues par Dieu.
00:28:56 Et je vais le prouver.
00:29:00 D'abord, comme on l'a dit, par l'extrême facilité de l'action.
00:29:08 300 Espagnols soumettent un empire fort de 20 millions d'habitants.
00:29:15 Et on n'y verrait pas la main de Dieu ?
00:29:20 Aucun exploit dans aucun temps n'a pu se comparer à cette conquête.
00:29:26 Même la maladie était de notre côté.
00:29:30 L'épidémie de petite Vérole fut le travail de Dieu pour éclaircir la route.
00:29:36 Les idolâtres mouraient comme des punaises car Dieu désirait les éliminer.
00:29:43 Aujourd'hui, forcés de détruire leurs temples à Mexico, ils tombent chaque jour nombreux, broyés sous les pierres.
00:29:58 Comment ne pas y voir une punition divine ?
00:30:03 De même pour les mines.
00:30:05 Je sais bien que cela peut parfois ressembler à de la cruauté humaine.
00:30:10 Mais comment expliquer que les indigènes obéissent si facilement aux Espagnols ?
00:30:15 Ne sont-ils pas déjà pliés par la main de Dieu et comme jetés dans l'enfer ?
00:30:27 On a dit aussi que dans les mines, ils meurent victimes de leur libertinage, de leur pratique sodomite.
00:30:34 Non mais qu'est-ce que j'entends ? Leur libertinage dans les mines ? Mais je dors ou je suis éveillé ?
00:30:39 Frère Bartholomew...
00:30:40 Eminence, est-ce que je dois rire ou pleurer qu'on me le dise ?
00:30:42 Taisez-vous en tout cas.
00:30:43 Me taire ? Mais je ne le peux pas !
00:30:45 Vous prétendez reconnaître par tous les signes de Dieu ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
00:30:49 Ça veut dire ne voir que les signes qui nous sont favorables.
00:30:52 Évidemment, maître Dieu de notre côté, nous avons le droit de nous reconnaître.
00:30:56 Maître Dieu de notre côté, dire Dieu c'est mon intérêt, c'est ce qui justifie mes crimes.
00:31:00 Cette fois-ci, vous allez trop loin.
00:31:02 Personne ici ne peut louter du choix de Dieu.
00:31:07 Vous montrez catégoriquement de vos terres.
00:31:10 Reprenez comme ça.
00:31:14 Assimiler les Espagnols à des démons.
00:31:21 Mais quelle aberration, quelle folie.
00:31:26 Les indigènes eux-mêmes ont reconnu que les conquérants leur étaient envoyés par quelques dieux.
00:31:30 Ils en étaient sûrs.
00:31:32 Et faire des Indiens des innocents.
00:31:36 Mais comment vous suivre ?
00:31:39 Eux qui sacrifiaient à leurs idoles des milliers, des dizaines de milliers de victimes.
00:31:45 80 000 pour la seule inauguration du grand temple de Mexico.
00:31:50 Le chiffre est loin d'être prouvé.
00:31:51 Mais c'est le plus barbare.
00:31:54 Le plus sanglant des peuples.
00:31:57 Sodomite, oui.
00:31:59 Et cannibale.
00:32:06 Vous avez oublié de le rappeler.
00:32:08 Ils allaient à ton dit le ventre gonflé de chair humaine.
00:32:12 Ils ont tué des Espagnols et ils les ont mangés.
00:32:16 Et certains pour danser revêtaient des pots de chrétiens.
00:32:19 Et vous parlez d'un paradis.
00:32:23 Un paradis.
00:32:24 Vous dites qu'ils ne savent pas mentir.
00:32:30 Mais ils vous ont trompé.
00:32:32 Continuellement.
00:32:34 Dès qu'un peuple sait parler, il sait mentir.
00:32:37 Ces Indiens sont des sauvages féroces.
00:32:40 Non seulement il est juste, mais il est nécessaire de soumettre leur corps à l'esclavage et leur esprit à la vraie religion.
00:32:48 A supposer même l'absurde.
00:32:51 A supposer qu'il soit innocent.
00:32:53 Notre guerre ne serait-elle pas justifiée ?
00:32:56 Une guerre menée pour protéger des innocents contre des chefs tyranniques ?
00:33:00 Des chefs qui mettaient à mort leurs hommes pour les dévorer ?
00:33:05 Professeur, je le répète, nous ne sommes pas là pour parler de la guerre.
00:33:08 Ces conquêtes sont chose du passé.
00:33:12 Nous sommes ici pour décider de la nature des Indiens.
00:33:17 S'ils ont une âme sans âme,
00:33:20 s'ils ont une âme semblable à la nôtre,
00:33:22 s'ils peuvent prétendre à la vie éternelle.
00:33:25 Demande clairement votre avis.
00:33:27 Aristote l'a dit très clairement.
00:33:29 Certaines espèces humaines sont faites pour régir et dominer les autres.
00:33:33 A votre avis, c'est ici le cas.
00:33:35 Oui, Eminence.
00:33:37 Ils sont esclaves par nature.
00:33:39 Cette affirmation demande des preuves.
00:33:42 Ils ignorent l'usage du métal, des armes à feu et de la roue.
00:33:49 Ils portent leurs fardeaux sur le dos comme des bêtes pendant de longs parcours.
00:33:53 Leur nourriture est détestable, semblable à celle des animaux.
00:33:57 Ils se peignent grossièrement le corps et adorent des idoles affreuses.
00:34:00 Je ne reviens pas sur les sacrifices humains.
00:34:05 J'ajoute qu'on les décrit stupides comme nos enfants ou nos idiots.
00:34:10 Ils se marient beaucoup trop fréquemment.
00:34:13 Ils ignorent la nature de l'argent et n'ont aucune idée de la valeur des choses.
00:34:18 Ils ont changé le verre cassé des barils contre de l'or.
00:34:21 Parce qu'ils n'adorent pas l'or et l'argent au point de leur sacrifier corps et âme.
00:34:25 C'est une raison pour les traiter de bêtes.
00:34:27 Le Pr. Bartholomé vous aura à nouveau la parole.
00:34:30 Rien ne sera laissé dans l'ombre.
00:34:32 Pour l'instant, restez silencieux.
00:34:35 Professeur, selon vous,
00:34:39 la possession et l'usage des armes à feu seraient une preuve de la protection divine ?
00:34:44 Une preuve très évidente.
00:34:47 Et comment les morts ?
00:34:48 Ils en possèdent, des armes à feu.
00:34:52 Ils s'en servent très bien contre nous.
00:34:54 Ils les ont copiées sur les nôtres.
00:34:56 Autre chose.
00:34:59 Vous rapportez les sacrifices sanglants qu'ils font à leurs dieux.
00:35:04 Oui, des dieux cruels, horribles, à l'image même de ce peuple.
00:35:08 Il s'agit bien d'une horreur démoniaque.
00:35:12 Nous sommes d'accord.
00:35:14 Mais...
00:35:17 S'ils ne sont pas des êtres humains du même niveau que le nôtre,
00:35:21 s'ils sont proches des animaux,
00:35:25 peut-on leur reprocher ces sacrifices ?
00:35:28 Voyez ce que je veux dire ?
00:35:31 Je reconnais la subtilité de votre éminence.
00:35:34 On ne peut leur reprocher des sacrifices humains que s'ils sont humains.
00:35:39 Éminence,
00:35:44 éminence,
00:35:45 je dis, pour le moment,
00:35:51 que leur ignorance et leur naïveté sont sans mesure.
00:35:55 Et nous ?
00:35:57 N'étions-nous pas naïfs et ignorants ?
00:35:59 N'allions-nous pas chercher les sirènes et les amazones,
00:36:02 des hommes avec la tête dans la poitrine,
00:36:04 des pygmées se drapant dans les plis de leurs oreilles ?
00:36:06 Éminence, le monde est plein de rêves et de rumeurs.
00:36:10 Ce continent nous était inconnu.
00:36:13 Nous étions sans doute presque seuls et depuis des milliers d'années.
00:36:15 La rencontre a stupéfait tout le monde.
00:36:17 Parce que rien n'était semblable.
00:36:19 Même les animaux, même les arbres étaient d'espèces différentes.
00:36:22 Ils n'avaient ni bœufs ni moutons.
00:36:25 Pourquoi, dans deux mondes si divergents,
00:36:28 les êtres à l'apparence humaine seraient-ils les seuls à être semblables ?
00:36:32 Éminence,
00:36:34 tout indique
00:36:36 que Dieu les a désignés à notre pouvoir.
00:36:41 Vous devez également savoir
00:36:43 qu'ils sont incapables de comprendre les choses les plus simples,
00:36:46 comme la rédemption du Christ
00:36:48 ou le pardon de la confession.
00:36:51 Ils n'ont aucune activité de l'âme,
00:36:53 aucune idée de l'art.
00:36:55 Je ne peux pas laisser dire ça.
00:36:57 Aucune activité de l'âme.
00:36:59 En ce moment même, à Mexico,
00:37:01 les franciscains ont ouvert un collège, n'est-ce pas vrai ?
00:37:03 Un collège où les fils des princes aztèques reçoivent notre éducation.
00:37:06 Ils ont les mêmes dispositions, les mêmes pensées.
00:37:09 Ils ont les mêmes dispositions, les mêmes résultats que les espagnols.
00:37:11 C'est vrai, certains en font même des vers latins.
00:37:13 Vous avez bien dit les fils de princes.
00:37:15 Et leur architecture, avant que nous détruisions toute leur ville ?
00:37:18 Cortés lui-même écrivait au roi d'Espagne
00:37:20 qu'il n'avait jamais rien vu d'aussi beau sur ces terres.
00:37:22 Il disait exactement
00:37:24 rien de comparable en Espagne,
00:37:26 la plus belle chose du monde.
00:37:28 Et que dire de cette phrase ?
00:37:30 Quelques-uns d'entre nous
00:37:32 se demandaient si ce que nous voyions là n'était pas un rêve.
00:37:35 Un rêve.
00:37:38 Le conquérant qui a besoin de renfort ne voit pas de ride à sa conquête.
00:37:40 Et leur système d'irrigation, et leur écriture,
00:37:42 et leur arithmétique, et leur habileté au dessin,
00:37:45 et leur connaissance du ciel,
00:37:47 leur calendrier,
00:37:49 qu'on dit plus précis que le nôtre.
00:37:51 Comment des barbares sans Dieu
00:37:53 ont-ils accompli tant de choses ?
00:37:55 Et l'organisation de leur société,
00:37:57 et leur parc d'animaux sauvages ?
00:37:59 Mais nous n'avons rien de semblable en Europe, absolument rien !
00:38:01 C'était leur guerre pour défendre tout ça qui était juste.
00:38:04 Ce n'était pas la nôtre.
00:38:07 Je crois que vous n'avez jamais fait le voyage aux Nouvelles-Indes.
00:38:09 Non.
00:38:11 Je n'ai pas le pied très navigateur.
00:38:15 Pour que, cependant, vous puissiez vous faire une idée
00:38:18 de leur art,
00:38:20 j'ai fait venir de là-bas une de leurs idoles en pierre sculptée.
00:38:25 Puis-je vous la montrer ?
00:38:27 Maintenant ?
00:38:29 Puisque nous en parlons.
00:38:31 Arrêtez.
00:38:32 Enlevez la bâche.
00:38:56 Enlevez la bâche.
00:38:57 Il s'agit d'un dieu
00:39:05 qu'ils appellent le serpent à plumes.
00:39:08 Qu'ils aquatent.
00:39:12 Et ils l'adorent ?
00:39:17 Oui, dans tous leurs temples.
00:39:19 Des temples qui dégagent une affreuse odeur de charnier.
00:39:25 Voici les monstres devant lesquels ils se prosternent.
00:39:27 Devant lesquels les prêtres,
00:39:30 si on peut employer ce mot,
00:39:33 ouvraient la poitrine des hommes vivants d'un coup de couteau en pierre
00:39:39 et y plongeaient la main pour arracher leur cœur saignant.
00:39:44 Attention.
00:39:45 C'est en effet très laid.
00:40:02 C'est affreux.
00:40:04 C'est réellement repoussant.
00:40:06 Comment comparer cette pierre au chef d'œuvre des italiens ?
00:40:11 Ou de Berruguete ?
00:40:12 Et ils tiennent ceci pour de la belle sculpture.
00:40:19 Eminence, ceci n'est qu'un exemple, un fragment.
00:40:22 Il faudrait voir l'ensemble.
00:40:23 Ils font aussi des fresques, des tissus, des figurines en terre cuite.
00:40:27 Ils façonnent des pierres dures.
00:40:29 On ne peut pas comparer ce qui ne se compare pas.
00:40:32 Ils ont de véritables artistes.
00:40:33 Avec des plumes d'oiseaux, par exemple.
00:40:36 Nous allons nous arrêter aux plumes, frère Bartholomew.
00:40:39 Vous êtes très échauffé.
00:40:40 Vous avez besoin de quelques repos.
00:40:42 Moi-même, il me faut réfléchir.
00:40:46 Nous reprendrons la dispute demain matin.
00:40:49 Qu'est-ce que vous faites là ?
00:41:01 Qu'est-ce que vous faites là ?
00:41:03 Arrêtez-vous !
00:41:05 Arrêtez-vous !
00:41:08 Arrêtez-vous !
00:41:09 Arrêtez-vous !
00:41:11 Et que faites-vous dans ce monastère ?
00:41:13 Nous venons des terres nouvelles du Mexique. Nous vivons là-bas.
00:41:16 Nous avons entendu parler de ce débat, de cette rencontre.
00:41:19 Vous avez des fermes là-bas ?
00:41:21 Vous les exploitez ?
00:41:23 Oui, Eminence.
00:41:24 Des mines aussi ?
00:41:27 Oui, quelques mines.
00:41:29 Vous en arrivez directement ?
00:41:32 Nous avons débarqué il y a trois jours.
00:41:37 Je vais vous voir après le compli.
00:41:38 Mais qu'est-ce que ça fait là, ça ?
00:41:44 Ce n'est rien, c'est un moine. Ne vous occupez pas de ça.
00:41:47 Je suppose que vous vous inquiétez pour vos exploitations ?
00:42:02 Pour vos revenus ?
00:42:06 Pourquoi êtes-vous ici ?
00:42:07 C'est normal.
00:42:10 C'est humain.
00:42:12 Si Dieu a placé de l'or dans la terre, c'est bien pour que nous le trouvions.
00:42:16 Et que nous l'utilisions.
00:42:18 Mais...
00:42:20 Ne croyez pas que Rome ne soit pas informée de ce qui se passe.
00:42:25 Nous avons envoyé des émissaires secrets.
00:42:29 Nous avons leur rapport précis.
00:42:35 Mais, Eminence...
00:42:36 Notre situation n'est pas facile.
00:42:40 Il a fallu faire de gros efforts pour mettre la terre en culture.
00:42:44 Le pays est rude et hostile.
00:42:46 Moi, j'ai un frère qui est mort.
00:42:48 Les Indiens n'aiment pas travailler pour nous.
00:42:50 Ils préfèrent quelquefois mourir, c'est vrai.
00:42:52 Mais la vie d'un homme n'est rien pour eux, alors.
00:42:54 On dirait qu'ils se tuent pour passer le temps.
00:42:57 Je ne suis pas sûr que quand on est mort, le temps passe plus vite.
00:43:00 Nous faisons tout ce que nous pouvons pour eux.
00:43:04 Nous leur apprenons nos outils, nous leur apprenons la langue.
00:43:06 Mais, naturellement, on s'inquiète.
00:43:09 Si nos conditions doivent changer, si ce qu'on nous a dit n'est plus vrai...
00:43:13 Vous êtes de bons chrétiens ?
00:43:15 Certainement, Eminence.
00:43:17 Vous vous confessez, vous recevez la communion ?
00:43:19 Chaque semaine, Eminence.
00:43:21 Nous aurons bientôt un évêque dans notre province.
00:43:24 Alors faites confiance à l'Église.
00:43:26 Elle est notre mère à tous.
00:43:28 Elle ne fait rien à la légère et quoi qu'elle décide, elle a raison, elle a toujours raison.
00:43:33 Par conséquent, vous devez montrer votre obéissance.
00:43:36 Retirez-vous.
00:43:38 Demain, si vous le désirez, vous pourrez assister à la controverse.
00:43:45 N'est-ce pas un peu imprudent ?
00:43:48 Dieu parle par toutes les voix.
00:43:51 Voulez-vous autre chose ?
00:43:52 Non, c'est très bien. Bonne nuit.
00:43:54 Dormez en paix, Eminence.
00:43:56 Amen.
00:43:58 *Chant en latin*
00:44:01 *Chant en latin*
00:44:05 *Chant en latin*
00:44:08 *Chant en latin*
00:44:38 *Chant en latin*
00:44:44 *Chant en latin*
00:45:03 *Chant en latin*
00:45:29 *Chant en latin*
00:45:36 Que la lumière du Seigneur soit avec nous
00:45:58 aujourd'hui comme hier.
00:46:00 Amen.
00:46:01 Hier, le professeur Sepulveda nous a gratifiés d'un joli coup de théâtre.
00:46:17 En produisant son serpent à plumes, il a obtenu son effet.
00:46:24 Aujourd'hui, c'est à mon tour de vous présenter ma surprise.
00:46:28 Je me suis longtemps demandé quel serait le meilleur moyen pour décider en conscience,
00:46:36 et j'ai finalement choisi de faire venir ici, en Espagne, quelques spécimens de cette espèce indienne.
00:46:44 Il m'a semblé que les ayant sous les yeux, nous serions plus à l'aise
00:46:50 pour les examiner longuement et voir s'ils sont ou s'ils ne sont pas semblables à nous.
00:46:57 Qu'ils entrent maintenant.
00:47:01 Eminence, vous avez envoyé une mission là-bas ?
00:47:03 Oui, ça m'a pris des mois.
00:47:05 Apparemment, nous avons ici un homme seul qui est en Espagne d'ailleurs depuis quelque temps.
00:47:33 Il s'agit d'une espèce d'acrobate, je crois.
00:47:38 Et puis une famille, le père, la mère, un enfant.
00:47:43 Leur nom est trop compliqué, je ne peux pas le lire.
00:47:46 D'ailleurs, ça n'a pas d'importance.
00:47:48 Ils arrivent de Mexico. Nous allons les examiner sans partialité.
00:47:55 Frère Emiliano, qui a appris leur langue, pourra nous servir d'interprète
00:48:01 pour éviter de perdre du temps, j'ai demandé un rapport à des médecins sur leur constitution physique
00:48:07 qui est en tout point semblable à la nôtre, à une différence près.
00:48:12 Les hommes n'ont pas de barbe et presque pas de poils sur le corps.
00:48:18 Est-ce que cela nous donne une indication ?
00:48:21 Je me le suis demandé, mais je n'ai rien trouvé dans les écritures qui disent
00:48:27 qu'un homme créé par Dieu à son image doit nécessairement posséder une barbe.
00:48:34 Quelqu'un se souviendrait-il d'une phrase ?
00:48:36 Je voudrais aussi bien établir un point.
00:48:40 Est-il sûr que leurs femelles peuvent être fécondées par les Espagnols ?
00:48:48 Oui, c'est bien sûr. C'est bien sûr.
00:48:51 Le cas s'est produit ?
00:48:53 Souvent, éminence, des milliers de femmes ont été violées.
00:48:56 Et fécondées ?
00:48:57 Assurément, beaucoup d'entre elles.
00:48:59 Je vous pose cette question parce qu'on a raconté que des femelles de chimpanzés en Afrique
00:49:04 avaient été engrossées par des Portugais.
00:49:08 Mon enseignement, oui, ce n'était qu'invention pure.
00:49:12 Vous confirmez le fait ?
00:49:15 Oui, éminence, ça ne fait aucun doute.
00:49:17 Les enfants qui naissent de ces unions sont viables et bien formés ?
00:49:22 Sauf exception, oui, éminence.
00:49:26 Je vous remercie.
00:49:27 Avant toute autre chose, éminence, ces hommes et cette femme ont froid.
00:49:32 Ils viennent d'un pays plus chaud que le nôtre et ils sont sensibles au froid, tout comme nous.
00:49:36 Regardez-les, ils tremblent. Ils sont malades.
00:49:39 D'ailleurs, la plupart de ceux qu'on a transférés en Espagne sont morts,
00:49:43 ce qui permet de dire qu'ils étaient plus faibles que nous et que la main de Dieu les frappait.
00:49:48 Des couvertures ?
00:49:49 Ma camo, chez Mama Utica.
00:49:51 Vous aussi, vous parlez leur langue ?
00:49:53 A peine une centaine de mots.
00:49:55 Ceux-là, vous les connaissez ?
00:49:57 Non, éminence.
00:49:58 D'après leurs vêtements, quelle place tenaient-ils dans leur société ?
00:50:01 C'est difficile à dire. Ils ont mis leurs vêtements de fête.
00:50:04 D'ailleurs, de plus en plus, ils s'habillent comme nous.
00:50:06 Parce qu'ils préfèrent nos habits ?
00:50:08 Parce qu'on les y force.
00:50:09 Allez, près d'eux. Demandez-leur qui ils sont.
00:50:12 À celui-ci, surtout. Oui, celui-là. Voilà.
00:50:19 Certains désirent les examiner de plus près. Libre à eux.
00:50:23 Rien ?
00:50:29 Il dit être le fils d'un employé au registre de l'Empereur.
00:50:37 Ses parents sont morts.
00:50:39 Il travaille aujourd'hui pour les Espagnols à Mexico, comme maçon.
00:50:43 Est-ce qu'il a entendu parler de la vraie foi ?
00:50:46 Il croit au Dieu. Demandez-lui.
00:50:49 Oui.
00:50:50 Il dit qu'il est fidèle au Dieu de ses ancêtres.
00:50:53 Il dit qu'il est fidèle au Dieu de ses ancêtres.
00:50:57 Éminence, il dit qu'il reste fidèle au Dieu de ses ancêtres.
00:51:02 À ces horreurs ?
00:51:03 Oui, éminence.
00:51:04 C'est pourquoi il s'obstinait à cette absurdité.
00:51:06 On leur a parlé, on leur a expliqué.
00:51:08 On leur a raconté les miracles.
00:51:10 Très souvent, éminence, nous avons même soutenu des disputes.
00:51:13 On leur a parlé de la Sainte Vierge.
00:51:15 Bien sûr, ça les intéresse d'ailleurs, mais...
00:51:17 Qu'on apporte une masse de fer, un gros marteau. Allez, allez.
00:51:21 Qu'est-ce qu'ils offrent comme argument ?
00:51:24 Ils disent que c'est la croyance de nos pères. Nous avons toujours vénéré ces dieux-là.
00:51:28 Nous ne voulons pas que soit détruite l'antique règle de vie.
00:51:31 On leur a bien dit que leur Dieu n'avait pas su les protéger.
00:51:34 Que leur religion est folle et sans force devant la nôtre.
00:51:38 On leur leur a dit.
00:51:39 Et qu'est-ce qu'ils trouvent à répondre ?
00:51:41 Ils leur défaitent les troubles.
00:51:43 Notre prédication les embarrasse, les intrigue.
00:51:47 Ils pensaient que rien ne devait changer.
00:51:49 Ils disent que la parole des dieux est devenue obscure, nous ne la comprenons plus.
00:51:53 Oui, nos dieux ont choisi le silence. Qui viendra pour nous redonner la parole ?
00:51:57 Ils demandent aussi que plus rien ne sera comme autrefois.
00:52:00 Devons-nous disparaître à jamais ?
00:52:02 Ils sont donc très entêtés à ne pas voir la vérité.
00:52:04 Mais non, beaucoup sont déjà convertis.
00:52:06 Les rapports que j'ai demandé de mon côté mettent ces conversions en doute.
00:52:10 Et Frère Emiliano...
00:52:11 Mais tout attachement à leur croyance est tout naturel.
00:52:13 Tous les peuples sont ainsi.
00:52:14 Tous les peuples sont attachés à leur possède.
00:52:16 Ils sont curieux de nous, je l'ai dit.
00:52:18 Ils nous regardent comme nous les regardons.
00:52:20 Ils nous écoutent, ils nous comprennent.
00:52:22 Beaucoup d'entre eux nous suivent, mais ils ont vécu seuls pendant très longtemps coupés de tout.
00:52:26 Un instant, un instant.
00:52:28 Oui ?
00:52:29 Je voudrais dire à Frère Bartholomé une chose très simple.
00:52:33 Dites-la simplement.
00:52:34 De deux choses, l'une et une seulement.
00:52:37 Ou bien ils sont pareils à nous.
00:52:40 Dieu les a créés à son image et est rédempté par le sang de son Fils.
00:52:46 Et dans ce cas, ils n'ont aucune raison de refuser la vérité.
00:52:50 Ou bien...
00:52:53 ils sont d'une autre espèce.
00:52:56 Quel est votre sentiment sincère pour ceci ?
00:53:01 Qu'ils sont d'une autre catégorie.
00:53:06 Et...
00:53:07 nés pour être dominés,
00:53:10 comme la forme domine la matière,
00:53:14 comme l'âme domine le corps,
00:53:16 comme l'homme domine l'animal,
00:53:19 comme l'époux domine l'épouse,
00:53:21 et le père l'enfant.
00:53:23 C'est un ordre naturel,
00:53:27 établi pour le bien de tous.
00:53:34 Celui qui est né esclave,
00:53:36 s'il reste sans maître, il est perdu.
00:53:39 Il se laisse effacer de la terre.
00:53:43 Tout cela n'est qu'un jeu de parole.
00:53:45 Nous mangeons du sophisme, ici.
00:53:47 On ne peut pas décider de leur nature avec des finesses de logicien.
00:53:51 Je comprends que la logique vous gêne,
00:53:53 car vous parlez sans cesse dans la contradiction.
00:53:56 Vous répétez qu'ils sont doux et humbles,
00:53:59 et que les Espagnols sont des monstres cruels,
00:54:01 et vous dites en même temps qu'ils sont pareils à nous.
00:54:04 Nous voyons qu'ils refusent notre foi,
00:54:08 mais si le Christ le voulait, ils seraient tous chrétiens.
00:54:11 N'est-ce pas vrai ?
00:54:13 N'est-ce pas vrai ?
00:54:15 Le fait qu'ils rejettent l'Évangile est bien la preuve de cette méchanceté que je dis.
00:54:22 Ils sont placés par naissance,
00:54:27 hors de l'effet de la grâce divine.
00:54:30 Ils ne rejettent pas le Christ.
00:54:32 C'est le Christ qui ne veut pas d'eux dans son royaume.
00:54:35 Ouvrez-les.
00:54:40 Vous.
00:54:44 Oui, vous.
00:54:45 Approchez.
00:54:47 Frappez sur le rideau.
00:54:51 Mais observons leur réaction.
00:54:56 Allez.
00:54:57 Allez.
00:55:00 Allez, frappez.
00:55:02 N'ayez pas peur, tout de même.
00:55:04 Frappez, ils ont l'habitude.
00:55:06 Vous avez vu ? Il a failli intervenir.
00:55:13 Oui, mais sa femme l'a retenu.
00:55:16 Qu'est-ce que ça prouve ?
00:55:18 Ça prouve qu'ils sont capables de penser, de peser le pour et le contre.
00:55:21 Ils ont sensible à la douleur ?
00:55:22 Vous ne voudriez pas essayer ici, dans un monastère ?
00:55:25 Oui, ils souffrent.
00:55:28 Je peux vous assurer qu'ils souffrent quand ils se plaignent.
00:55:31 La douleur morale.
00:55:32 La tristesse.
00:55:33 Peuvent-ils être mélancoliques ?
00:55:35 Je vous l'ai dit. Nous leur donnons toutes les raisons d'être tristes.
00:55:38 Souffrent-ils d'être loin de leur terre ?
00:55:40 Est-ce que leur Dieu se manifeste ?
00:55:42 Oublent-ils l'idée d'un châtiment dans l'éternité ?
00:55:44 Oui, ils ont une sorte d'enfer.
00:55:46 Est-ce qu'ils ont un paradis ?
00:55:48 Oui, ils vivent après la mort et ils ont la notion de l'âme.
00:55:51 Parfaitement.
00:55:52 Est-ce qu'ils croient au pardon des péchés ?
00:55:54 Est-ce qu'ils croient à la résurrection de la terre ?
00:55:56 Ils honorent leur mort.
00:55:57 Est-ce qu'ils se souviennent des choses du passé ?
00:55:59 Est-ce qu'ils croient dans la sainteté ?
00:56:00 Est-ce qu'ils ont de l'amour pour leur Dieu ?
00:56:02 Est-ce qu'ils croient en l'humilité des passagers ?
00:56:03 Est-ce qu'ils pratiquent la prière ?
00:56:04 Est-ce qu'ils croient au clair d'accord ?
00:56:06 Est-ce qu'ils croient aux âmes sacrement ?
00:56:07 Est-ce qu'ils les aiment ?
00:56:09 Est-ce qu'ils croient au jugement des rires ?
00:56:11 Vous, oui vous, là.
00:56:15 Venez.
00:56:16 Approchez-vous deux.
00:56:20 Saisissez l'enfant.
00:56:25 Saisissez l'enfant et menacez-le comme pour le tuer.
00:56:30 Nous verrons bien.
00:56:31 Non ! Ne leur parlez pas aux nord-italiens !
00:56:36 Écartez-vous !
00:56:38 Et vous, arrachez l'enfant !
00:56:40 Menacez-le !
00:56:41 Allez !
00:56:42 Non, mince, ne faites pas ça !
00:56:46 Saisissez l'enfant, je vous dis !
00:56:55 Non ! Non !
00:56:57 C'est fini, maintenant, arrêtez ! Arrêtez !
00:57:02 Remettez votre blâme au fourreau.
00:57:05 Et parlez-leur, maintenant, rassurez-vous.
00:57:10 Je vous en prie.
00:57:11 Je vous en prie, arrêtez.
00:57:13 Je vous en prie, arrêtez.
00:57:14 Je vous en prie, arrêtez.
00:57:15 Je vous en prie, arrêtez.
00:57:16 Je vous en prie, arrêtez.
00:57:17 Je vous en prie, arrêtez.
00:57:18 Je vous en prie, arrêtez.
00:57:19 Je vous en prie, arrêtez.
00:57:20 Je vous en prie, arrêtez.
00:57:21 Je vous en prie, arrêtez.
00:57:22 Je vous en prie, arrêtez.
00:57:23 Parlez-leur, maintenant, rassurez-les.
00:57:25 Dites-leur que c'était une erreur, un injuste, que vous voudrez quoi.
00:57:30 L'éminence !
00:57:32 Nous devons arrêter cet examen, c'est un exercice cruel et inutile.
00:57:35 Ils ont le même cœur que nous, vous le voyez bien.
00:57:38 Les animaux aussi défendent leurs petits.
00:57:40 Surtout les femelles, c'est une loi de la nature.
00:57:42 Les deux mâles n'ont pas montré grande bravoure.
00:57:46 L'un d'eux n'a même pas esquissé le moindre geste.
00:57:48 Ce n'est pas son enfant.
00:57:49 Précisément.
00:57:50 Ils n'ont aucune fraternité, aucun lien social.
00:57:53 Ils se conduisent chacun pour soi, comme des barbares dans une forêt jamais pénétrée.
00:57:57 Mais celui-là est déjà corrompu, il a connu le vin.
00:58:00 On lui a appris à mendier de l'argent, à mentir, à nous sourire, à tout propos, à courber les chines.
00:58:05 Les autres sont égarés.
00:58:07 Ils ne peuvent pas comprendre où ils sont, ni ce que nous voulons savoir.
00:58:10 Vous dites bien, ils ne peuvent pas comprendre.
00:58:12 Imaginez-vous, vous, dans un édifice inconnu, soumis à un jugement étrange,
00:58:17 au milieu de prêtres emplumés dont la parole vous échappe, vous pourriez comprendre ce qui vous arrive ?
00:58:21 Vous pourriez comprendre que d'autres hommes sont en train de juger si, oui ou non, vous êtes un homme ?
00:58:26 Puis si souvent les Espagnols les ont accueillis avec le sourire,
00:58:29 pour ensuite leur passer leur épée à travers le corps.
00:58:32 Mon Dieu, si souvent.
00:58:37 [Il chante.]
00:58:41 Il s'agit bien d'un acrobate ?
00:58:49 Oui, Eminence.
00:58:51 Quelle course est-il faite ?
00:58:53 Une espèce de jongleur, je crois.
00:58:56 Nous aurions bien besoin d'un moment de récréation.
00:59:05 Dites-lui que nous le regardons.
00:59:07 [Il parle en espagnol.]
00:59:12 [Il parle en espagnol.]
00:59:14 [Il parle en espagnol.]
00:59:16 Ils sont habiles avec leurs pieds comme les singes.
00:59:42 [Il joue.]
00:59:44 Les bouffons sont arrivés, Eminence.
01:00:07 Qu'ils entrent, qu'ils entrent.
01:00:10 Je les ai fait venir ici, quelques bouffons de cour.
01:00:14 On dit que la faculté de rire n'appartient qu'à l'homme.
01:00:19 Nous verrons bien si vos protégés sont sensibles à la drôlerie.
01:00:24 Eminence, vous voyez bien qu'ils ne sont pas disposés pour le rire.
01:00:27 Mais le rire ne se prépare pas, il est spontané.
01:00:30 Je trouve l'idée excellente.
01:00:32 Qu'ils entrent.
01:00:34 Faites leur place. La place.
01:00:38 Dépêchez-vous.
01:00:40 Faites place à la Majesté. Place à la justice et l'humour. Place.
01:01:00 [Il joue.]
01:01:02 [Il joue.]
01:01:29 Que l'on apporte le siège à leur Majesté. Vite, vite.
01:01:33 Amenez le premier voleur.
01:01:43 Qu'est-ce que tu as volé ?
01:01:58 Rien, Majesté.
01:02:00 Tu as forcément volé quelque chose.
01:02:04 Non.
01:02:05 Sinon, tu ne serais pas un voleur.
01:02:07 Qu'est-ce que tu as volé ?
01:02:12 Majesté, pitié.
01:02:14 Un petit moment.
01:02:16 Je l'ai frappé. Je dois me confesser.
01:02:27 Mia culpa, mia culpa, mia maxima culpa.
01:02:30 Pour pénitence.
01:02:32 Eminence, je vous prie d'arrêter cette mascarade.
01:02:55 Pour le respect des sacrements.
01:02:57 Les fous ont tous les droits, frère Bartholomé.
01:02:59 Mais ceci n'est pas une farce.
01:03:01 Nous parlons d'un peuple qui souffre et qui meurt.
01:03:06 D'un vrai peuple.
01:03:07 Ce qui vous embarrasse, c'est que vos indiens n'ont même pas souri.
01:03:11 Ils n'ont pas desserré les lèvres.
01:03:12 Mais comment voulez-vous qu'ils sourient ?
01:03:14 Un voleur, ils ne comprennent pas ce mot.
01:03:16 La confession, ils ignorent.
01:03:18 Ils n'ont donc rien retenu de votre enseignement.
01:03:21 Ils sont incapables d'apprendre. Ils sont insensibles à la beauté de nos mystères.
01:03:25 Mais non !
01:03:27 Je vous ai dit non ! Ils sont sensibles comme nous.
01:03:30 Ils connaissent l'amour et la crainte, les sentiments les plus subtils.
01:03:34 Mais pour les voir, pour bien les voir,
01:03:36 nous devons les regarder avec d'autres yeux que nos yeux ordinaires.
01:03:39 Sinon, nous ne les verrons jamais comme ils sont.
01:03:41 Regardez-les comme un miroir
01:03:43 où vous cherchez votre propre visage, un visage oublié, lointain.
01:03:47 Ce miroir, vous, vous pouvez vous y reconnaître.
01:03:50 À tout moment.
01:03:52 Je le disais hier, ils vous ont brouillé la vue et l'esprit.
01:03:55 Mais regardez-les sincèrement, une fois pour toutes.
01:03:58 Rejetez votre rhétorique, sortez de vos papiers
01:04:01 et regardez-les, regardez-les avec des yeux humains.
01:04:04 Frère Bartholomé ! Frère Bartholomé !
01:04:07 Éminence, de qui nous en ont le procès ?
01:04:09 C'est de l'assassin ou de la victime ?
01:04:10 Frère Bartholomé ! Tu es accusé !
01:04:12 Vous voyez, ils ont ri. Cette fois, ils ont ri.
01:04:17 Je vous demande pardon, Éminence, mais cette fois,
01:04:19 ils ont bel et bien ri.
01:04:21 Qui les a vus rire ? Qui d'autre ?
01:04:23 Oui, je les ai vus, ils ont ri.
01:04:25 Ils ont ri, c'est vrai ! Ils ont ri, c'est vrai.
01:04:29 Posez-leur la question, demandez-leur s'ils ont ri.
01:04:33 Quiche, huamets, tziki, nikwetch.
01:04:39 Ils ne comprennent même pas ce qu'on leur demande.
01:04:45 Ils comprennent très bien, je les connais.
01:04:48 Mais ils craignent qu'on les punisse d'avoir ri.
01:04:50 Ils nous redoutent à chaque instant.
01:04:53 Nous avons perdu leur confiance. Nous leur faisons peur.
01:04:56 Faites sortir les pitres, ça suffit !
01:04:58 Allez, dehors ! Dehors !
01:05:00 Le temps nous est compté, maintenant.
01:05:17 Je dois prendre une décision cet après-midi,
01:05:19 avant de retourner à Rome.
01:05:21 Frère Bartholomé essayait de tout nous redire en quelques phrases.
01:05:28 N'en revenez pas sur les massacres.
01:05:32 Qu'ils soient des hommes comme moi, je n'en peux pas douter.
01:05:35 Car ils sont mes frères indiens, et je me reconnais en eux.
01:05:45 Moi, je n'ai préparé aucun coup de théâtre.
01:05:47 Mais quand je les vois,
01:05:53 quand je les regarde,
01:05:57 j'entends le cri de tant de sang versé.
01:05:59 Et toutes ces questions sur tant de lèvres.
01:06:03 Pourquoi vous m'assassinez ?
01:06:05 Pourquoi vous me brûlez avec mes temples,
01:06:10 avec mes livres ?
01:06:12 Pourquoi vous percez mes enfants ?
01:06:15 On me répond toujours, oui, mais ils sacrifiaient des hommes à leur Dieu.
01:06:18 Et c'est vrai.
01:06:20 Oui, c'est vrai.
01:06:21 Mais revenons un peu sur nous-mêmes.
01:06:23 Abraham s'apprêtait à sacrifier son fils à Dieu.
01:06:26 Et c'est bien parce qu'il pensait que Dieu apprécierait ce sacrifice.
01:06:30 Notre Dieu, le vrai Dieu,
01:06:33 n'a pas toujours détesté qu'on lui sacrifiait des vies humaines.
01:06:36 Il a même donné son fils en sacrifice.
01:06:39 La comparaison est très excessive.
01:06:41 Luminance, le sacrifice donne à Dieu la preuve de notre adoration.
01:06:44 Ces hommes que la vraie foi n'avait pas encore éclairé,
01:06:47 et qui subissaient aveuglément la loi naturelle,
01:06:49 offraient à leur faux Dieu ce qu'ils avaient de plus précieux.
01:06:52 L'argument est spécieux.
01:06:53 Il met en parallèle une supposition et en fait déclarer qu'il est insoutenable.
01:06:56 Professeur, c'est à moi d'en juger. N'intervenez pas.
01:06:59 De toute façon, pour anéantir ces coutumes que nous appelons barbares,
01:07:03 nous nous sommes faits plus barbares encore.
01:07:05 Comment voulez-vous qu'ils comprennent ?
01:07:07 Vous leur dites, "Il ne faut pas tuer ton semblable."
01:07:09 Sous aucun prétexte.
01:07:11 Et pour que ce soit bien clair, vous les tuez.
01:07:13 À supposer qu'il soit nos semblables, car si l'on en croit Aristote, nous aussi...
01:07:16 Le règne d'Aristote est aboli.
01:07:17 Aristote est un païen qui brûle dans les feux de l'enfer.
01:07:20 Aujourd'hui, nous parlons au nom du Christ.
01:07:22 La parole d'Aristote était une erreur terrible,
01:07:25 tyrannique, infernale.
01:07:28 Toute la philosophie chrétienne la condamne.
01:07:31 Que lisons-nous à chaque page des évangiles ?
01:07:34 Que tout homme est mon semblable,
01:07:37 et que je dois le traiter comme je voudrais qu'il me traite ?
01:07:40 Les Espagnols ont jaillis comme des loups au milieu des brebis,
01:07:43 mais le Christ a dit tout le contraire.
01:07:45 Je vous envoie comme des brebis, au milieu des loups.
01:07:48 Voulez-vous entendre saint Paul ?
01:07:52 L'entendre vraiment ?
01:07:54 Écoutez, l'apôtre,
01:07:56 il n'y a pas de juif, ni de grec,
01:07:58 il n'y a pas d'esclave, ni d'homme libre,
01:08:00 il n'y a pas de mâle, ni de femelle,
01:08:03 car vous êtes tous un dans le Christ Jésus.
01:08:05 Tous un.
01:08:07 C'est dans leur cœur que nous devons briser les idoles,
01:08:11 dans leur cœur seulement.
01:08:13 Car comment seraient-ils à la fois chrétiens et esclaves ?
01:08:17 Comment ?
01:08:19 Que proposez-vous, frère Bartholomé ?
01:08:26 J'ai appris une chose.
01:08:32 C'est que la vérité s'avance toute seule, fragile,
01:08:36 toujours attaquée par mille ennemis.
01:08:40 Le mensonge, au contraire, a beaucoup d'auxiliaires.
01:08:45 Il faut rendre aux Indiens leur liberté première,
01:08:52 car ils sont libres par nature.
01:08:55 Je propose que les Espagnols se retirent des terres nouvelles,
01:09:01 sinon l'Espagne sera maudite
01:09:03 et durement frappée par Dieu.
01:09:07 Non.
01:09:11 C'est précisément le contraire.
01:09:13 Comment ça, le contraire ?
01:09:16 On tressera des louanges à l'Espagne
01:09:19 pour avoir débarrassé la terre d'une espèce sanguinaire et maudite,
01:09:24 d'en avoir amené certains au vrai Dieu,
01:09:27 de leur avoir appris tout ce que nous savons.
01:09:29 Et surtout,
01:09:31 on reconnaîtra nos efforts pour faire apparaître la vérité.
01:09:36 Notre rencontre ici,
01:09:40 notre discussion,
01:09:42 n'a pas d'autre exemple dans l'histoire des nations.
01:09:45 Elle sera toute à la gloire de l'Espagne.
01:09:48 Vous le pensez vraiment ?
01:09:50 Oui, je le crois.
01:09:52 Je le crois fermement.
01:09:58 La question n'est pas d'abandonner les Indes.
01:10:01 Nous savons bien qu'il s'agit là d'un rêve et que toujours nous resterons là-bas.
01:10:05 La question est la seule qui se pose à tout philosophe
01:10:10 que devons-nous
01:10:12 et que pouvons-nous faire ?
01:10:14 Vous l'avez dit vous-même,
01:10:19 nous devons les faire tous chrétiens.
01:10:21 "Compélé eos intraere" a dit Saint-Luc.
01:10:25 "Compélé eos intraere" a dit Saint-Luc.
01:10:28 Force-les à entrer.
01:10:30 Hors de cela, aucun bien dans cette vie, aucun salut dans l'autre.
01:10:34 Comment les convertir ?
01:10:38 En combien de temps ?
01:10:42 A quel prix ?
01:10:44 C'est la seconde partie de la question
01:10:46 et sur ce point, frère Bartholomé, nous différons.
01:10:49 Vous dites,
01:10:53 "chrétiens et esclaves, non, les deux termes s'excluent l'un l'autre."
01:10:57 Et je dis, "moins, pourquoi pas ?"
01:11:01 Pendant quelque temps, en tout cas,
01:11:06 en attendant une conversion générale,
01:11:08 car c'est cela qui nous importe.
01:11:10 Vous dites aussi,
01:11:12 "les guerres que nous avons menées ne sont pas justes."
01:11:14 Et je dis, "moins, la guerre juste est celle qui conduit à la justice."
01:11:19 La justice !
01:11:21 Quel est le bien suprême ?
01:11:27 Vous parlez par Saint-Paul, je vous réponds par Saint-Augustin.
01:11:33 "La perte d'une seule âme non munie du baptême, a dit Saint-Augustin,
01:11:37 est un malheur plus grand que la mort d'innombrables victimes, même innocentes."
01:11:41 Le bien suprême est le salut de l'âme.
01:11:47 Voilà pourquoi nous tenons si ardemment à les convertir,
01:11:50 parce que sans cela leur âme est perdue,
01:11:53 et que rien, en ce monde ou dans l'autre, n'est plus précieux que leur âme.
01:11:58 Vous admettez donc qu'ils ont une âme ?
01:12:01 Je désire être bien compris.
01:12:07 Je dis qu'ils n'ont pas une âme comme la nôtre,
01:12:14 de même qualité, ils s'en font de beaucoup,
01:12:18 et que nous n'avons aucune raison de les traiter comme nous-mêmes.
01:12:21 Mais, au cas où je me tromperais,
01:12:27 ce que je reconnais possible,
01:12:32 au cas où Aristote se tromperait,
01:12:35 si leur âme est semblable à la nôtre,
01:12:42 alors je dis qu'elle est la perle la plus précieuse de la création,
01:12:47 et qu'à tout prix nous devons la sauver.
01:12:51 Que vaut-il mieux ?
01:13:01 Une vie terrestre sans gloire, dans l'erreur et dans le péché,
01:13:07 suivie d'une éternité de souffrance,
01:13:11 ou bien une vie plus courte,
01:13:15 plus dure peut-être,
01:13:18 et plus vite frappée par la mort,
01:13:21 mais suivie d'une éternité de lumière,
01:13:27 auprès du vrai Dieu vainqueur ?
01:13:30 Est-il quelqu'un ici
01:13:39 qui ne connaisse pas la juste réponse ?
01:13:42 Vous avez terminé ?
01:13:54 Oui, Eminence.
01:13:56 Qui désire encore parler ?
01:14:03 Vous, peut-être ?
01:14:08 Non, tout a été dit, il me semble.
01:14:11 Personne.
01:14:15 Je peux dire quelque chose ?
01:14:18 Mais, approchez certainement.
01:14:21 Moi, je ne parle pas très bien, je n'ai pas appris.
01:14:27 Mais ce que j'ai à dire,
01:14:30 tout le monde ici doit le savoir.
01:14:33 Nous vous écoutons.
01:14:35 Nous sommes venus, mon ami et moi,
01:14:38 pour parler de notre installation là-bas, de notre vie.
01:14:41 Il faut travailler avec eux, on n'a pas le choix.
01:14:44 Mais ils sont sales.
01:14:46 Ils sont paresseux, ils sont voleurs, ils n'ont pas de parole.
01:14:49 Et pourquoi devraient-ils s'échiner pour vous ?
01:14:51 Frère Borthonomé, vous avez assez parlé, écoutez les autres.
01:14:54 Il faut en tout cas savoir une chose,
01:14:56 si on doit les payer,
01:14:58 les traiter comme des chrétiens, leur accorder des lois, nous occuper d'eux,
01:15:01 ça va coûter beaucoup d'argent, beaucoup.
01:15:04 C'est peut-être pas l'endroit pour parler d'argent ici, mais...
01:15:06 Allez, continuez.
01:15:08 Et cet argent, il faudra le soustraire des revenus de la couronne,
01:15:11 et aussi des revenus de l'église.
01:15:13 Ça c'est sûr, on ne pourra pas faire autrement.
01:15:15 Il fallait quand même que je le dise.
01:15:18 Dans quelles proportions ?
01:15:22 Dans des proportions énormes, énormes.
01:15:26 C'est tout le système qu'il faudra changer de fonds en combles.
01:15:28 Il faudra même que l'Espagne et l'église envoient de l'argent là-bas, au lieu de le recevoir.
01:15:32 Hein ?
01:15:34 C'est sûr, beaucoup d'argent.
01:15:36 Vous qui les connaissez bien, dites-moi,
01:15:45 pensez-vous qu'ils ont une âme ?
01:15:48 Moi, l'âme, je sais pas.
01:15:52 Ce que je sais, c'est que les miens refusent de croire aux miracles du Christ.
01:15:56 Ils voudraient que je fasse des miracles moi, comme je peux pas.
01:16:00 En plus, ils n'ont pas de reconnaissance pour tout ce qu'on leur a appris.
01:16:02 Appris ? Mais appris quoi ? La torture, la vérole.
01:16:05 Frère Bartholome, une fois de plus.
01:16:07 On leur a pas appris la torture, ils savaient déjà.
01:16:09 On leur a donné des outils, des habits, des livres.
01:16:12 Et puis, autrefois, ils étaient esclaves.
01:16:16 Et nous, on les a libérés.
01:16:18 Mais cette liberté, ils n'y sont pas habitués.
01:16:20 Ils en abusent, ils s'enfuient, ils se cachent pour pas travailler.
01:16:23 Alors ils sont faibles de corps et meurent de maladies légères.
01:16:26 Si en plus il faut les payer, autant renoncer aux Indes.
01:16:28 Au bénéfice du commerce, aussi bien qu'au salut de leur âme.
01:16:31 Ça, il fallait quand même le dire.
01:16:34 Vous ne parlez pas si mal que ça.
01:16:38 Je parle franchement, Eminence.
01:16:40 Nous allons nous interrompre ici.
01:16:50 Je donnerai ma décision cet après-midi.
01:16:55 [Chant d'un chanton]
01:16:59 [Chant d'un chanton]
01:17:02 [Chant d'un chanton]
01:17:31 Oui, entrez.
01:17:33 Eminence, une lettre du roi.
01:17:39 Vous ne la lisez pas ?
01:17:45 Je sais déjà ce que le roi veut me dire.
01:17:49 D'autres me l'ont dit.
01:17:53 [Chant d'un chanton]
01:17:56 Ma décision est prise.
01:18:04 Comme je l'ai dit, elle sera confirmée par sa sainteté et par l'Église tout entière.
01:18:11 Les habitants des terres nouvelles, qu'on appelle les Indes,
01:18:17 sont bien nés d'Adam et d'Ève comme nous.
01:18:23 Ils jouissent comme nous d'un esprit et d'une âme immortelle.
01:18:28 Ils ont été rachetés par le sang du Christ.
01:18:31 Ils sont par conséquent notre prochain.
01:18:36 Ils doivent être traités avec la plus grande humanité et justice.
01:18:43 Car ils sont des hommes véritables.
01:18:49 Cette décision sera rendue publiquée et proclamée dans toutes les églises de l'Ancien et du Nouveau Monde.
01:18:55 Eminence, pardonnez-moi.
01:18:58 Bien sûr, je respecte votre choix.
01:19:01 Mais avez-vous réellement examiné toute l'importance de ces paroles ?
01:19:07 Me soupçonnez-vous de légèreté ?
01:19:13 Non, à coup sûr.
01:19:18 Mais vous devez savoir que vous condamnez à la ruine tous les établissements espagnols.
01:19:23 Professeur, est-ce que je vous donne un instant l'impression de ne pas avoir réfléchi ?
01:19:30 Certes, non.
01:19:32 Croyez-vous que je n'ai pas mesuré ma charge ?
01:19:36 Que je n'ai pas prié pendant les nuits entières ?
01:19:40 Croyez-vous que je ne me rends pas compte de tout ce que j'engage qui ne sera plus jamais comme avant ?
01:19:47 Croyez-vous un instant que Dieu ait pu m'abandonner au moment de choisir parmi ces créatures ?
01:19:54 Non, Eminence.
01:19:57 On commettrait cependant une grande erreur en pensant que l'Église ne tient aucun compte des intérêts légitimes de ses membres.
01:20:11 Nous sommes en effet très sensibles aux coups portés à la colonisation.
01:20:18 Il existe peut-être une solution que je voudrais rappeler.
01:20:28 S'il est clair que les Indiens sont nos frères en Jésus-Christ, doués d'une âme raisonnable comme nous,
01:20:38 en revanche, il est sûr aussi que les habitants des contrées africaines sont bien plus proches de l'animal.
01:20:48 Ces habitants sont noirs, très frustes.
01:20:52 Ils ignorent toute forme d'art et d'écriture.
01:20:57 Ils n'ont construit que quelques huttes.
01:21:02 Toute leur activité est physique, c'est certain, et depuis l'époque de Rome, ils ont toujours été souvenus et domestiqués.
01:21:14 Les Africains ont déjà fait la traversée ?
01:21:21 Oui, Eminence, depuis les premiers temps de la conquête. Ils s'adaptent vite au climat. Ils sont même assez résistants.
01:21:28 Qui les expédie ?
01:21:29 Les Portugais, surtout, les capturent et les vendent très cher, d'ailleurs.
01:21:32 On ne peut évidemment que le suggérer, mais pourquoi ne pas les ramasser vous-même en quantité suffisante ?
01:21:41 Vous auriez assurément une main-d'œuvre robuste et encore moins dispendieuse.
01:21:48 Je suppose qu'en Afrique, ça se trouve facilement.
01:21:51 Leurs rois eux-mêmes les vendent. L'Église ne s'opposerait pas à ce genre d'expédition.
01:21:57 En quoi voulez-vous qu'elles s'y opposent ? Est-ce que le roi d'Espagne s'y oppose ?
01:22:01 Eminence, cela risque de devenir très rapidement un grand commerce et de conduire à tous les abus.
01:22:06 À des guerres, à des révolutions.
01:22:09 Vous entendez, frère Bartholomew, rien ne peut être pire que ce qui déjà se pratique.
01:22:15 Vous-même, il me semble, avez eu un esclave noir.
01:22:20 Pendant peu de temps et jamais, je ne l'ai tenu pour un esclave.
01:22:23 Vous étiez satisfait de son service ?
01:22:25 Très satisfait.
01:22:27 N'allez-vous pas dire vous-même, si je me souviens bien, que c'était une très bonne solution et que vous la recommandiez ?
01:22:34 Je l'ai dit, oui, hélas, dans ma jeunesse et pour épargner les Indiens.
01:22:37 Mais, Eminence, j'ai changé, comme nous changeons tous.
01:22:40 Aujourd'hui, j'ai honte de mes paroles et je dis au contraire.
01:22:42 Bon, c'est très bien, c'est très bien.
01:22:44 Que les Africains sont des hommes comme les autres, des fils d'Adam, et que ce serait là à commettre un péché mortel.
01:22:50 On ne va pas recommencer. Nous ne sommes pas ici pour ça. C'est très bien.
01:22:55 Nous ajouterons un codicil. Il préparera une rédaction.
01:22:59 Au nom de sa sainteté, je vous remercie de votre aide.
01:23:04 Rendons grâce à Dieu d'avoir été parmi nous jusqu'au dernier moment.
01:23:08 In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti. Amen.
01:23:14 (...)
01:23:42 (...)
01:24:02 (...)
01:24:27 (...)
01:24:53 (...)
01:25:22 (...)
01:25:29 (...)
01:25:46 (...)
01:26:11 (...)
01:26:28 (...)
01:26:55 (...)

Recommandations