“C’est pas dans notre ADN de ne pas soigner tout le monde !” s’emporte Henri Duboc, MCU-PH à l’AP-HP, qui se désole du système de santé à deux vitesses en train d’émerger. À la ville ou à la campagne, les Dr Elodie Malvezin et Emilie Couderc constatent aussi l’allongement des délais de prise en charge et l’apparition de déserts médicaux.
En écho au Gros dossier "Doc Lanta" du magazine n°57, What's Up Doc a rencontré trois médecins aux profils différents, qui témoignent de la crise du système de santé français… Mais imaginent aussi les solutions pour se sauver du naufrage.
En écho au Gros dossier "Doc Lanta" du magazine n°57, What's Up Doc a rencontré trois médecins aux profils différents, qui témoignent de la crise du système de santé français… Mais imaginent aussi les solutions pour se sauver du naufrage.
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00:00 On en est au cinquième Indiana Jones là. C'est à dire que la pénurie, c'est pas nouveau, c'est un truc qu'on est habitué à gérer depuis des années.
00:07 Le problème c'est qu'on est des bons élèves. Vous êtes un soldat et puis l'arrière commence à vous envoyer des balles qui rentrent pas dans les fusils,
00:13 donc ce que fait normalement un soldat, c'est qu'il va voir le chef et il dit "c'est de la merde ça".
00:17 Nous c'est pas notre ADN, nous c'est "il faut continuer à se battre et fermer sa gueule".
00:22 Donc vous laissez tomber le fusil, vous y allez à la baïonnette, donc ça prend plus de temps.
00:28 Et puis une fois que la baïonnette elle est pétée, vous y allez avec les mains, et puis après vous êtes comme un con parce que vous avez plus de doigts.
00:35 Je suis une aventurière de la pénurie médicale française depuis quelques années.
00:49 Nous on a un centre de santé qui est un centre de santé polyvalent et que depuis 2018-2019,
00:58 on commence à avoir de grosses difficultés à recruter des médecins, que ce soit des généralistes ou des spécialistes.
01:04 On est un peu aussi coupable d'être des bons soldats et des bons élèves.
01:07 Ça fait des années qu'on nous serait, en nous expliquant qu'en fait si on est moins nombreux, ça coûtera moins cher,
01:13 parce que les gens en fait ils vont moins voir le docteur.
01:16 Cette équation elle est débile. Oui il y a manière de faire plus qualitatif, mieux organisé, etc.
01:21 Mais au bout d'un moment quand il n'y a plus du tout de moyens, voilà.
01:23 Donc la pénurie on la gère, on a bien fait, on a rendu la copie pendant le Covid.
01:28 Et bien là il faut gérer maintenant non plus la pénurie, mais le désert.
01:33 On est devenu désert médical sur le dernier zonage ARS parce que nos collègues médecins partent en retraite et ne sont pas remplacés.
01:42 On a quelques installations sur le secteur, mais on a beaucoup plus de départs que d'installations.
01:49 Donc on se retrouve en zone ZIP+ du fait de la démographie médicale en fait, tout simplement.
01:56 L'Ive de la Santé c'est probablement là maintenant tout de suite en France un des jobs les plus pourris de la Terre.
02:05 C'est à dire que c'est une machine à baffe.
02:07 J'espère sincèrement que les médecins ne feront pas ce qu'ils font d'habitude.
02:10 C'est à dire pas les médecins, les soignants.
02:12 Il faut être divisé, il ne faut pas se diviser, il faut être uni pour que les baffes ce soit sur les bonnes personnes qu'on les donne.
02:19 Et pas sur un ministre qui est docteur, il aura plein de qualités, plein de défauts, peu importe.
02:24 Mais il faut qu'on arrête ces divisions systématiques parce que là nous on ne risque rien les docteurs.
02:28 Tout le monde veut nous voir, je ne sais plus où foutre les malades.
02:31 Je ne sais pas, je ne sais pas comment répondre à l'offre.
02:34 Donc si plus de système de santé, démerdez-vous la jungle, tout payant, moi je ne risque rien.
02:39 Nous on ne risque rien les soignants, simplement ce n'est pas dans notre ADN de ne pas soigner tout le monde.
02:44 Dans ce pays il y a un grand principe qui est l'équation de départ, c'est que tout le monde soit bien soigné.
02:50 Et la médecine de la deux vitesses qui est en train d'émerger, ce n'est même pas celle d'avoir un chéquier,
02:54 ce n'est même pas celle-là pour dire je veux aller vite, etc.
02:57 C'est celui qui a le numéro de téléphone de la bonne personne.
03:01 Avant des coups de fil, "ouais allô tu peux me filer un coup de main, machin, il y a la tente de la voisine, bidule, ou le mail de...
03:06 cher confrère pourriez-vous voir, j'en avais un par semaine, une fois par semaine une demande de coup de main.
03:10 Là putain c'est trois par jour, quatre par jour, c'est pas possible, c'est pas possible.
03:15 Avec des créneaux de consulte complètement dingos, avec cette sensation qu'en fait même si je me plie en 12 000, ça ne va pas suivre.
03:23 C'est-à-dire que là on est certains médecins généralistes sur notre centre de santé par exemple à avoir trois semaines d'attente.
03:30 On est plusieurs médecins généralistes femmes à faire de la gynéco, donc ça c'est aussi un écueil.
03:35 C'est-à-dire qu'on n'a plus du tout de gynécomède sur le territoire, ou très peu, ou alors en secteur 2.
03:41 Et on est sur le 20e arrondissement donc avec des populations aisées, mais aussi des populations défavorisées qui ne peuvent pas accéder au secteur 2.
03:47 La moitié des généralistes faisant également de la gynéco, on va être à une, deux, trois semaines d'attente pour de la médecine générale.
03:55 On a dû diminuer notre activité de gynéco pour pouvoir répondre, ne serait-ce qu'à la demande de nos patients existants.
04:00 Quand je ne suis pas là c'est compliqué de laisser mes collègues tout, donc du coup je suis un petit peu plus présente.
04:07 Et j'ai dû modifier un peu ma façon de travailler pour ne pas laisser les patients dans l'embarras.
04:14 Et puis qu'il n'y ait pas ce recours aux urgences pour des choses qu'ils ne nécessitent pas parce que nous ne sommes pas au cabinet.
04:19 Donc c'est vrai qu'on a besoin des remplaçants pour travailler.
04:21 Aujourd'hui on ne travaille plus six jours par semaine, c'est comme ça.
04:25 Et ça le restera, de toute façon il faut le faire avec cette donnée de fait.
04:31 On ne travaille toujours pas aux 35 heures, mais on ne veut plus bosser 70 heures par semaine.
04:36 Donc je crois que cette donnée-là, elle est à prendre en compte.
04:41 Et ce n'est pas qu'une histoire de féminisation de la médecine.
04:43 Nos collègues hommes, là mon collègue qui s'est installé le 27 juin, et cette semaine en congé paternité puisqu'il a eu un bébé et il a pris ses jours.
04:54 Ce qui est très très bien.
04:56 Peut-être faciliter aussi l'intégration de médecins étrangers, parce que ce n'est pas forcément évident.
05:04 Autant on peut embaucher des médecins de l'espace européen, mais l'accès à la médecine en France pour les médecins étrangers est plus compliqué.
05:12 Et puis après sinon les mesures à mettre en place, ce qui se fait un petit peu déjà, mais qu'il faudrait probablement déployer beaucoup plus,
05:20 c'est diminuer la charge administrative ou certaines charges aux professionnels de santé.
05:25 C'est-à-dire que nous en tant que médecins généralistes, là sur notre territoire par exemple, on a une population qui est assez défavorisée.
05:30 On fait énormément de psychosociales, les services sociaux sont débordés et on se retrouve à faire énormément de travail qui ne relève pas de la médecine pure.
05:38 Il y a déjà des pistes qui ont été évoquées par un certain nombre de syndicats et par des collègues, même il y a une dizaine d'années,
05:43 qui avaient fait des propositions au ministère de la Santé qui n'ont pas du tout été entendues.
05:46 C'est très chronophage, les jours enfant malade, les certificats.
05:51 Alors oui, ils ont espacé, mais on est toujours obligé de faire le baby gym, le qigong et le yoga du rire.
05:57 Bon bref, ça il faut vraiment qu'on arrête cette responsabilité médicale pour tout et pour rien.
06:03 On a vu avec le Covid que les gens étaient capables de s'autogérer.
06:06 Et il y a un moment donné, la gastro, le gars qui vomit, qui a la diarrhée, il ne nécessite pas d'être dû à J1, sauf pour l'arrêt de travail.
06:15 Et c'est du temps médical aujourd'hui que l'on a plus.
06:18 J'ai eu le privilège d'aller faire un petit master à Sciences Po et j'adorais quand on posait comme question aux décideurs,
06:24 pourquoi dans la dépense courante de santé, les ambulances ça explose alors que vous nous pétez le cul sur certains médicaments et sur certains tarifs d'hôpitaux.
06:33 La réponse était toujours la même.
06:35 Quand on poussait les gens dans leur tranchement, ils nous disaient "mais vous êtes marrants, ils peuvent bloquer le périph', ils ont des ambulances.
06:42 Donc quand on en est à ce degré de médiocrité, de bassesse, en fait moi j'ai qu'une seule envie, c'est qu'un jour,
06:49 voir émerger un front limite avec les ambulanciers et que ouais, aller bloquer le périph', un syndicalisme grégaire,
06:56 parce qu'en fait il n'y a que celui-là qui est entendu.
07:00 Pas pour nous, pas pour nous, pour les patients.
07:05 Parce que nous on n'est pas en danger.
07:07 Et j'espère que les facultés et les universités trouveront un rôle dans la santé, et pas que le soin.
07:17 Moi j'ai appris à faire de la médecine, j'ai appris à soigner, j'ai pas appris la santé.
07:20 J'ai pas appris la prévention, j'ai pas appris tout ça.
07:23 J'espère qu'on va arriver au niveau des facs à avoir d'emblée, faire rentrer ça dans la tête des étudiants.
07:30 Et des profs.
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