• il y a 7 mois
Le parcours singulier de Fouad Elkoury, entre photo journalisme et photo d'art, de ses débuts qui nous plongent dans l'histoire complexe et tragique du Liban, du conflit israélo-palestinien, à ses voyages du port de Marseille à Istanbul, de la Turquie à l'Égypte, des années 70 à aujourd'hui, jalonné des clichés qui firent sa renommée. Une rencontre intime et privilégiée avec l'un des plus grands photographes du monde arabe, à travers ses archives personnelles, ses récits de voyage et de vie. Pour revenir sur le parcours du photographe, Jean-Pierre Gratien reçoit le journaliste Pierre Haski. Le directeur de la photographie de Polka, Dimitri Beck et le réalisateur du documentaire Kamy Pakdel.

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Transcription
00:00:00 Générique
00:00:01 ...
00:00:16 -Bienvenue à tous.
00:00:17 En haut de l'affiche de ce débat d'octobre,
00:00:19 l'un des photographes majeurs du monde arabe,
00:00:22 Fouad El Khoury. Qui était-il au Liban,
00:00:25 dans les territoires palestiniens, en Turquie et ailleurs ?
00:00:28 Ce sont les principaux clichés qui ont jalonné sa carrière.
00:00:32 Vous allez le découvrir avec le documentaire
00:00:34 qui va suivre, intitulé "Fouad El Khoury par Fouad".
00:00:38 Puis, son réalisateur, Camille Pagdel,
00:00:41 ainsi que les journalistes Pierre Asqui
00:00:43 et le directeur photo du magazine Polka, Dimitri Bec,
00:00:47 seront à mes côtés sur ce plateau.
00:00:49 Avec eux, nous nous interrogerons sur le singulier chemin parcouru
00:00:53 que fut celui de Fouad El Khoury
00:00:56 entre photojournalisme et photo d'art. Bon doc.
00:00:59 Musique douce
00:01:01 ...
00:01:08 -Fouad El Khoury est considéré
00:01:10 comme un des photographes majeurs du monde arabe.
00:01:13 Je l'ai rencontré il y a plus de 20 ans
00:01:15 et nous avons édité des livres ensemble.
00:01:17 Ce qui m'intéresse le plus dans son travail,
00:01:21 c'est sa manière si singulière de sillonner le monde
00:01:24 pour photographier l'inconnu, la vie et la condition humaine.
00:01:28 ...
00:01:31 Ces dernières années, Fouad vit au Liban.
00:01:33 Pour diverses raisons,
00:01:35 il ne souhaite pas commencer le film au Liban.
00:01:37 Donc, je lui ai demandé de nous retrouver à Paris,
00:01:40 où se trouvent ses archives, pour nous raconter son parcours.
00:01:44 ...
00:02:12 -Bonjour.
00:02:13 ...
00:02:40 ...
00:02:47 C'est pas évident de revoir ces photos si longtemps après.
00:02:51 Ça remue beaucoup de choses.
00:02:52 C'est comme un voyage dans le temps.
00:02:56 ...
00:03:13 ...
00:03:33 -Je fais du café pour un régiment.
00:03:35 ...
00:03:42 Sonnerie.
00:03:43 -Salut, cher ami.
00:03:47 Oui, comment tu vas ?
00:03:49 Oui, oui, c'est bon.
00:03:51 Je vais enlever les pompes.
00:03:53 Mais Godas, le motard !
00:03:56 -Je croyais que tu faisais plus de moto.
00:03:59 -J'ai ressorti le scooter.
00:04:01 Je l'avais laissé au garage, je l'ai repris ce matin.
00:04:04 -Hm.
00:04:05 Alors, comment ça va ?
00:04:08 C'est quoi, ce manteau ? C'est quelque chose qui a été peint ?
00:04:11 -Je ne me souviens pas. Je l'ai trouvé dans l'armoire.
00:04:15 Je me suis dit, pourquoi pas le mettre ?
00:04:17 -Il est très beau.
00:04:18 Bon, finalement, pendant des années, tu m'as gonflé
00:04:21 en me disant que le Liban, c'était nul.
00:04:23 -Que quoi ? -Le Liban, c'était nul.
00:04:25 Quand j'y habitais, tu me disais que je détestais ça.
00:04:28 Et maintenant, t'es planqué dans les montagnes
00:04:31 et tu ne passes plus à Paris. -Oui.
00:04:34 Mais c'est vraiment très beau.
00:04:36 -Tu vis vraiment seul ou t'es...
00:04:38 -Ah, je vis seul.
00:04:40 Il y a un chien qui est venu.
00:04:41 Et je l'ai adopté.
00:04:44 Je l'ai appelé Turtle.
00:04:46 Mais je crois que ça ne lui a pas du tout plu.
00:04:49 Je lui ai changé son nom. Au bout de trois jours,
00:04:51 je l'ai appelé Tiger. Là, ça va.
00:04:53 Mais depuis l'explosion,
00:04:55 j'ai dû passer, quoi, 1 000 soirées ?
00:04:58 2 000 soirées, tout seul ?
00:05:00 Tout seul !
00:05:02 Tous les soirs !
00:05:04 -Oui, c'est même une expérience métaphysique.
00:05:07 C'est plus des mêmes puns.
00:05:09 Mais tu dis que c'est à partir de l'explosion...
00:05:12 -Quand j'ai perdu la maison. -Oui, c'est ça.
00:05:15 -Je vais te dire, j'ai eu une vie difficile.
00:05:19 Très difficile.
00:05:20 Et probablement parce que je l'ai choisi.
00:05:25 Et surtout, j'ai eu...
00:05:30 J'ai eu une enfance privilégiée.
00:05:33 Tu penses que quand on te donne une enfance privilégiée,
00:05:37 tu es enrobé d'un voile protecteur ?
00:05:39 Mais en fait, c'est un énorme mensonge.
00:05:43 J'y arrivais plus.
00:05:45 Tu vois, ni à croire ce qu'on me disait à l'école,
00:05:48 ni à croire ce que me disaient mes parents.
00:05:51 Dieu, quelqu'un d'une art.
00:05:53 Le paradis, l'enfer.
00:05:56 J'avais une colère en moi énorme.
00:05:59 Et dès que je sortais de la maison, ce muet en rage,
00:06:02 j'étais toujours contre. Jamais avec.
00:06:05 C'est très simple.
00:06:06 Et donc, il fallait que cette rage, elle sorte.
00:06:09 Il fallait qu'elle s'exprime.
00:06:11 J'avais que l'appareil photo.
00:06:14 -Tu peux me montrer quelques photos ?
00:06:19 -Oui, les premières photos.
00:06:22 -Les premières que t'as faites, enfant ? -Oui.
00:06:25 ...
00:06:32 "Comme je suis maniaque du classement,
00:06:34 "je trouve tout très vite."
00:06:36 Ah, voilà. La photo.
00:06:38 1966. Regarde, c'est écrit, 1966.
00:06:42 -C'est vachement bête. Fais voir.
00:06:44 -C'est mon frère et ma soeur.
00:06:46 -Ta soeur a l'air fâchée contre ton frère.
00:06:50 Tu leur as montré ? -Non.
00:06:52 ...
00:06:55 -Regarde, je suis maniaque, je vais les ranger, tu me permets.
00:06:58 ...
00:07:09 Ca, c'est la série "Civil War".
00:07:12 "Guerre civile".
00:07:13 ...
00:07:15 C'était pas une série, quand j'ai fait ces photos.
00:07:18 C'était entre 1979 et 1982.
00:07:23 Je n'avais aucune idée que j'allais devenir photographe.
00:07:26 Donc, là, je faisais un peu des photos au hasard.
00:07:30 ...
00:07:35 C'était une période de guerre.
00:07:38 Et je pensais que si je restais à la maison,
00:07:42 à me tairer,
00:07:43 à avoir peur, je...
00:07:47 ...
00:07:48 Ca serait dramatique.
00:07:51 Et donc, je me forçais à sortir
00:07:55 pour pouvoir faire au moins une photo
00:07:59 que je sentais importante.
00:08:01 En fait, sentir, c'est aussi important que voir.
00:08:05 Et puis, évidemment, il y a toujours des éléments
00:08:10 qui rentrent en compte et qu'on ne peut pas contrôler.
00:08:13 Par exemple, là, pour la première fois de ma vie,
00:08:16 alors que cette photo, elle a été faite
00:08:18 il y a au moins 40 ans,
00:08:20 c'est la première fois que je vois cet homme.
00:08:23 ...
00:08:36 Toujours la même chose, il y a un élément qui m'attire
00:08:39 dans un univers où cet élément n'est pas censé être.
00:08:44 Je crois que c'est un peu la ligne
00:08:48 de ces photos.
00:08:50 ...
00:09:01 Je pense qu'on a tous dû descendre dans un abri.
00:09:04 Tout d'un coup, je me rappelle même de l'odeur.
00:09:08 ...
00:09:12 On ne demandait pas la permission de prendre des photos.
00:09:15 C'est...
00:09:17 Ça semblait naturel, spontané.
00:09:19 On était tous unis par quelque chose
00:09:21 qui était plus fort que nous,
00:09:23 qui s'appelait la guerre et qui nous faisait du mal.
00:09:26 Donc, entre nous, on se permettait tout.
00:09:29 Alors, bien entendu, il y a des moments
00:09:34 pendant toute guerre où on peut...
00:09:38 Il y a de la détente, il y a...
00:09:42 On a envie de sortir parce qu'il n'y a pas de combat,
00:09:45 il y a du soleil et que...
00:09:47 on n'en peut plus d'être à la maison.
00:09:50 Alors, dans toutes les rédactions,
00:09:54 ils étaient persuadés que l'homme à droite
00:09:58 était un chrétien et l'homme à gauche, un musulman.
00:10:02 Or, tous les deux sont du même village
00:10:05 et tous les deux sont chrétiens.
00:10:08 L'homme à gauche a la tenue du paysan
00:10:12 et l'homme à droite doit être un prêtre.
00:10:15 J'avais beau expliquer qu'ils étaient tous deux chrétiens,
00:10:19 ça ne changeait rien à leurs idées.
00:10:21 En fait, ce n'est pas des miliciens.
00:10:30 Un metteur en scène allemand
00:10:34 faisait un casting
00:10:36 et au début, je ne les montrais jamais.
00:10:38 Mais après, devant l'attitude des gens
00:10:42 qui, quand ils les voyaient, voulaient les publier
00:10:46 comme étant des miliciens, je me suis laissé aller les publier.
00:10:49 Ça a commencé à m'amuser à un certain moment
00:10:53 parce qu'il n'y avait plus de vrai et de faux.
00:10:56 Quelque part, il y avait beaucoup de faux.
00:10:59 Musique douce
00:11:02 ...
00:11:10 Je ne sais pas si c'est facile de prendre des photos pendant la guerre
00:11:15 parce que tout semble incongru, tout semble absurde.
00:11:18 ...
00:11:29 En même temps, toutes ces photos de guerre
00:11:31 pourraient faire penser à quelqu'un qui est photographe de guerre.
00:11:34 Pas du tout. Moi, je n'ai jamais été un photographe de guerre.
00:11:36 Je déteste ça.
00:11:37 Donc je m'éloignais de ce qui semblait être
00:11:42 la chose importante à photographier
00:11:45 pour m'éloigner du documentaire.
00:11:48 Et faire en sorte que l'ambiance qu'il y avait autour
00:11:52 puisse être captée.
00:11:55 Voilà. Je ne suis pas un photographe de guerre,
00:11:58 je suis un photographe ou un capteur d'émotions.
00:12:02 ...
00:12:20 -Pour Edfran, c'est quelque chose que j'ai toujours senti chez toi.
00:12:23 Il y a un désespoir profond sur le monde arabe,
00:12:26 tant sur la Palestine que la Syrie,
00:12:29 et aujourd'hui, Béroude.
00:12:31 On a l'impression qu'il y a une fatalité.
00:12:33 -Je crois que... Je ne sais pas si c'est un mot arabe,
00:12:35 si c'est un mot persan ou un mot turc, j'en sais rien.
00:12:38 "Barzakh".
00:12:39 Et "barzakh",
00:12:41 c'est ce qui est entre la marge et la mort.
00:12:46 ...
00:12:48 Parce que le jour où il y a eu l'explosion,
00:12:51 si je ne m'étais pas retenu
00:12:53 à un barreau, une barre,
00:12:57 j'aurais fait une chute de 12 m.
00:13:00 De 52 à...
00:13:02 à 2020,
00:13:05 c'est-à-dire pendant 68 ans,
00:13:07 j'ai vécu à mille à l'heure.
00:13:11 On avait des millions de choses à dire, à faire,
00:13:14 on était présomptueux,
00:13:16 on voulait se faire une place,
00:13:18 on avait tout le temps des projets, des copains, des copines.
00:13:22 Tout s'enchaînait.
00:13:25 Et là, en un coup, en un jour,
00:13:28 je suis devenu un vieillard.
00:13:30 -C'est une résignation, c'est quoi ?
00:13:36 -Oui, il y a un peu de résignation,
00:13:38 et ça m'énerve que tu le dises, d'ailleurs.
00:13:41 C'est pas beau de se résigner.
00:13:44 C'est bien de combattre.
00:13:46 Mais il faut beaucoup d'énergie,
00:13:50 que je pense que je n'ai plus.
00:13:53 Et en même temps, je pense que la vie à la campagne...
00:13:58 procure une certaine sagesse, oui.
00:14:01 -Mais maintenant,
00:14:09 qu'est-ce que tu photographies ?
00:14:11 -Je photographie plus l'humain.
00:14:14 -Dans les archives de Foyen, j'ai trouvé un film
00:14:21 que nous avons réalisé ensemble il y a presque 20 ans.
00:14:26 Ce film raconte un moment clé de sa vie.
00:14:29 Foyen le revoit pour la première fois.
00:14:34 -Foyen El Khouri est né à Paris en 1952.
00:14:42 Son premier travail photographique
00:14:43 témoigne de la vie quotidienne au Liban
00:14:45 pendant la guerre civile.
00:14:47 Il effectue ensuite de nombreux travaux dans la région,
00:14:50 notamment en Égypte, dans les territoires occupés,
00:14:52 et en Turquie.
00:14:53 -C'était en 82, l'été,
00:14:55 le siège de Beyrouth avait commencé depuis environ un mois.
00:14:59 Après un accord politique, les Palestiniens ont dû partir.
00:15:03 Moi et mon frère,
00:15:05 on a été au QG de Arafat pour lui dire au revoir.
00:15:10 Son porte-parole nous a fait comprendre
00:15:12 que c'était dangereux pour nous de rester,
00:15:15 parce qu'on était chrétiens,
00:15:16 et que les chrétiens et les forces israéliennes
00:15:19 allaient probablement envahir la ville.
00:15:21 On est rentrés chez nous,
00:15:24 et la nuit, quelqu'un est venu nous donner des habits de miliciens.
00:15:28 On s'est retrouvés le matin au port.
00:15:30 Et là, on a été embarqués sur le bateau.
00:15:37 Puis Arafat est arrivé sur le bateau.
00:15:41 Et donc, je faisais des photos,
00:15:43 un peu comme on fait des photos de ses parents,
00:15:45 de ses amis, de ses enfants.
00:15:48 Et à l'arrivée à Athènes, à mon grand étonnement,
00:15:52 je me suis retrouvé avec...
00:15:54 une personne de Sigma
00:15:57 qui voulait absolument m'acheter mon reportage.
00:16:01 Et moi, j'étais pas du tout dans cet esprit-là.
00:16:03 Je débarquais, je ne savais pas ce que j'allais faire.
00:16:06 J'avais quitté Beyrouth, je ne savais pas où aller habiter.
00:16:08 J'ai surtout demandé une carte de séjour,
00:16:12 un logement, enfin, un salaire.
00:16:16 Je me suis toujours demandé pourquoi Arafat
00:16:19 m'avait fait venir sur le bateau avec lui.
00:16:22 Je pense qu'il avait envie d'avoir quelqu'un
00:16:25 qui puisse documenter ce moment, certainement.
00:16:28 Et je pense qu'il voulait aussi que ce soit
00:16:32 des journalistes arabes.
00:16:35 Et...
00:16:38 Mais je ne sais pas s'il avait en tête aussi
00:16:42 de vouloir, quelque part, préserver ma vie,
00:16:45 parce qu'il savait ma vie en danger.
00:16:48 Je n'ai jamais su.
00:16:51 J'aime bien ce film.
00:16:52 Ça fait toujours plaisir de se voir plus jeune
00:16:56 et d'entendre...
00:16:58 pas trop de conneries.
00:17:02 De toute cette série de photos que j'ai faites
00:17:05 sur le bateau qui s'appelait Atlantis,
00:17:08 j'en retiendrai deux.
00:17:10 Une...
00:17:12 Ah, c'est celle-là.
00:17:14 Que la plupart des gens retiennent,
00:17:17 mais que moi, je n'aime pas, mais je la montre.
00:17:19 En revanche, il y en a une... Ah, voilà.
00:17:22 Je trouve que...
00:17:25 Elle dit tout.
00:17:26 Elle est prise de dos.
00:17:28 Faire un portrait de dos, c'est plutôt rare.
00:17:32 Et rien qu'avec ce bout de tissu, la keffieh,
00:17:34 il est immédiatement reconnaissable.
00:17:37 Disons que ce voyage hors de Beyrouth,
00:17:42 on peut l'appeler une fuite,
00:17:44 et le fait qu'une agence photo soit au rendez-vous
00:17:47 à l'arrivée au Piret,
00:17:49 on fait que j'ai découvert que je pouvais
00:17:53 peut-être entrer dans la cour des grands
00:17:55 et devenir photographe à part entière.
00:17:58 Et je le suis toujours.
00:18:15 Ça, c'est des photos de Palestine.
00:18:17 J'ai tout fait pour trouver une commande
00:18:22 et me rendre dans les territoires palestiniens.
00:18:25 C'était comme une nécessité.
00:18:29 J'ai juste obéi à quelque chose de plus fort que moi.
00:18:35 Je dois dire que j'étais...
00:18:40 pas du tout neutre dans cette affaire.
00:18:45 Il y avait clairement un point de vue
00:18:48 de montrer les Palestiniens
00:18:51 sous un jour...
00:18:53 plus clément.
00:18:55 Alors je me suis rendu à Jérusalem.
00:19:00 J'ai commencé à sillonner les rues.
00:19:13 C'est écrit en arabe,
00:19:15 "Sura n'adira li ahali beit safafa al-arab".
00:19:18 Une photo rare pour les habitants de Beit Safafa,
00:19:21 qui était un quartier tout près de Jérusalem,
00:19:24 où on a érigé un fil de fer barbelé
00:19:26 pour séparer ce qui était un nouveau pays, Israël,
00:19:30 et ceux qui sont restés dans la partie libre de la Palestine.
00:19:35 Mais en fait, ça, c'est tout le drame des Palestiniens.
00:19:39 Musique sombre
00:19:42 ...
00:19:48 Moi, je ne me rendais pas compte
00:19:51 qu'ils vivaient dans un tel univers carcéral
00:19:55 où tout était bouché, fermé,
00:19:57 par des grillages, par des fils de fer barbelé,
00:20:00 par des tonneaux.
00:20:01 J'ai essayé de traquer cette espèce d'encerclement.
00:20:07 ...
00:20:10 Je me baladais, j'avançais,
00:20:12 comme d'habitude, sans vraiment savoir où j'allais.
00:20:16 Dès que j'avais une rencontre,
00:20:19 elle me prenait par la main, si je puis dire,
00:20:23 et puis je la suivais.
00:20:24 ...
00:20:28 Quand la photo est bonne, quand elle est forte,
00:20:31 quand elle nous incite à nous poser des questions,
00:20:34 ça, c'est la photo qui m'intéresse.
00:20:36 ...
00:20:38 J'ai toujours l'impression
00:20:41 que je vais faire l'image...
00:20:43 ...
00:20:45 qui va troubler les gens.
00:20:47 ...
00:20:51 Il y en a un qui joue, l'autre qui prie.
00:20:53 ...
00:20:56 Ça, c'est une photo que j'ai longtemps aimée.
00:21:00 J'ai l'impression qu'on pourrait illustrer un roman
00:21:04 de William Faulkner.
00:21:06 Avec cette image.
00:21:07 Cette espèce de maison qu'on a plantée là,
00:21:10 au milieu de nulle part,
00:21:12 et ses oiseaux.
00:21:14 ...
00:21:17 Ouais.
00:21:18 ...
00:21:26 Je m'étais lancé comme un flibustier,
00:21:28 armé avec mes deux appareils photo.
00:21:31 J'étais sûr d'arriver à convaincre les gens
00:21:35 qu'ils devaient porter un autre regard sur les Palestiniens,
00:21:38 grâce à moi.
00:21:39 ...
00:21:43 Oui, grâce à moi.
00:21:44 ...
00:21:53 Lui, j'ai oublié son nom.
00:21:55 Il est adossé sur le mur de sa maison.
00:21:58 Et devant lui, il y a...
00:22:00 C'est une nouvelle colonie qui s'est créée.
00:22:03 Ils ont entouré sa maison de barbelés.
00:22:05 Et le barbelé, vraiment à un mètre du mur de la maison.
00:22:09 ...
00:22:13 Il y a maintenant, quand on voit les journaux télévisés,
00:22:17 il y a des bandeaux en bas, souvent.
00:22:19 Et puis, il y a des brèves qui passent.
00:22:23 Et tous les jours, on peut voir une brève,
00:22:26 un Palestinien tué dans les territoires occupés.
00:22:28 Ou deux, ou trois, ou quatre.
00:22:32 Voilà, ça passe, c'est devenu normal.
00:22:34 ...
00:22:40 Malgré tout, j'ai vu tout ça,
00:22:42 j'ai tout photographié.
00:22:44 Et les photos ne servent à rien.
00:22:47 En tout cas, mes photos n'ont servi à rien.
00:22:50 Donc, c'est une série ratée.
00:22:52 ...
00:22:58 J'ai beaucoup de peine à le dire.
00:23:00 ...
00:23:06 Au fond, la photo n'a pas le pouvoir
00:23:09 que je voulais lui attribuer à l'époque.
00:23:12 ...
00:23:16 Et ça, c'est une route qui ne mène nulle part.
00:23:20 Ça s'appelle "End of the road".
00:23:22 Et ça pourrait être le nom de la série, d'ailleurs.
00:23:27 ...
00:23:30 J'étais parti avec beaucoup d'espoir,
00:23:33 et le fait d'avoir rien pu faire...
00:23:37 ...
00:23:39 m'a beaucoup désenchanté, je dois dire.
00:23:41 ...
00:23:58 C'est pas de très bons souvenirs, tout ça.
00:24:00 ...
00:24:05 Ça, c'est probablement mon ami Pierre.
00:24:07 ...
00:24:10 Ah, te voilà !
00:24:12 -Hello.
00:24:13 -Hello.
00:24:14 -Je vais apporter le café.
00:24:16 ...
00:24:22 Pour moi, le voyage en Palestine,
00:24:26 je l'ai désiré de toutes mes forces.
00:24:28 J'étais là avec l'idée
00:24:31 que si j'arrivais à enlever du mot "palestinien"
00:24:35 le mot "terroriste" que les Israéliens aiment bien remplacer
00:24:40 ou même accoler,
00:24:42 j'aurais réussi.
00:24:44 Et puis, tu sais, quand tu es engagé pour une cause,
00:24:48 tu as l'impression que tu penses que ta vie a un sens.
00:24:52 -Moi, je partage avec toi cette idée
00:24:56 qu'on avait, qui était sans doute exagérément naïve
00:25:00 ou volontariste,
00:25:02 que par notre travail, on pouvait changer les choses.
00:25:05 -C'est incertain.
00:25:06 -Tu écris dans ton petit livre sur la photographie,
00:25:09 à un moment, tu pensais qu'en montrant tes photos
00:25:13 des Palestiniens aux Israéliens,
00:25:15 tu allais provoquer un tel choc qu'ils allaient dire
00:25:18 "mais oui, on a été injustes avec eux,
00:25:20 "et on va changer les choses."
00:25:23 J'ai une question.
00:25:25 À partir du moment où tu dis,
00:25:27 "en 95, fin des illusions,
00:25:30 "je ne crois plus à..."
00:25:32 -A ce qu'on nous promet.
00:25:34 -Non seulement à ce qu'on nous promet,
00:25:36 mais aussi à ma capacité, avec mes photos, à changer le monde.
00:25:40 C'est quoi, le moteur, après ?
00:25:42 -Je rentre à Paris,
00:25:43 et je suis...
00:25:46 Et je suis déçu.
00:25:53 Et je regarde mes photos, je les trouve nulles.
00:25:55 Et je mets la faute...
00:25:57 Enfin, le fait que je n'ai pas pu changer l'avis des gens
00:26:01 par rapport aux Palestiniens est de ma faute,
00:26:04 parce que mes photos ne sont pas suffisamment fortes.
00:26:07 Toi, à quel moment tu te dis...
00:26:11 "Non, il n'y a pas moyen, j'ai beau écrire des articles,
00:26:15 "j'ai beau dénoncer, j'ai beau rapporter..."
00:26:21 Je perds l'espoir.
00:26:22 -Je pense pas qu'il y ait un jour précis.
00:26:26 En revanche, il y a des événements, des étapes.
00:26:28 Et notamment, quand j'étais correspondant à Jérusalem,
00:26:32 il y a deux, trois articles,
00:26:35 notamment un où j'avais été témoin d'un vrai crime de guerre
00:26:38 commis par des soldats israéliens à Gaza,
00:26:41 qui ont liquidé un prisonnier devant moi.
00:26:44 J'étais rentré fébrile à Jérusalem pour écrire mon article,
00:26:49 et je pensais que cet article allait...
00:26:52 faire scandale,
00:26:54 que c'était insensé, ce que j'avais vu.
00:26:58 Et le lendemain, rien.
00:27:01 -Dans ta tête, qu'est-ce que tu penses ?
00:27:04 -Tu te dis que le système est quand même sacrément bloqué.
00:27:08 Et c'est la réalité.
00:27:10 -Et tu continues à écrire.
00:27:12 -Je continue à écrire, parce que le renoncement est trop douloureux.
00:27:16 Se dire que c'est pas parce que ça ne sert à rien,
00:27:20 ponctuellement, que ça ne sert à rien dans l'absolu.
00:27:23 Et que peut-être qu'il y a une petite graine
00:27:26 qui, à un moment ou à un autre, va germer.
00:27:29 J'ai encore cette part d'illusion et de naïveté en moi,
00:27:33 et j'espère que je vais la garder jusqu'au bout.
00:27:35 -Tu l'as encore ? -Bien sûr.
00:27:36 -Jusqu'au jour d'aujourd'hui ? -Petite, toute petite.
00:27:39 -Moi, j'en ai aucune.
00:27:41 -Je suis pas sûr qu'un article ou une photo va changer le monde.
00:27:46 Ca serait... Ca serait même dangereux, d'ailleurs,
00:27:49 si c'était le cas.
00:27:50 En revanche, tu irrigues un flot
00:27:54 qui, à un moment, peut produire des choses.
00:27:56 -Comme d'habitude, tu as une vision optimiste des choses.
00:27:59 -Ha !
00:28:01 ...
00:28:31 ...
00:28:39 Voilà, on va attendre.
00:28:40 Et si la photo est bonne, je l'offrirai au réalisateur.
00:28:44 Sinon, on la déchirera.
00:28:45 ...
00:28:53 C'est trop sombre, c'est pas assez contrasté.
00:28:56 ...
00:29:00 Bon, on s'en fout.
00:29:01 ...
00:29:07 De toute façon, c'est du théâtre.
00:29:08 ...
00:29:12 C'est ce que je pensais.
00:29:13 ...
00:29:16 Alors que j'adore cette photo. C'est une des premières que j'ai faites.
00:29:20 Et elle s'appelle "Give way".
00:29:22 ...
00:29:27 C'est-à-dire...
00:29:29 Je sais pas ce que ça veut dire.
00:29:31 "Give way".
00:29:33 ...
00:29:34 Laisse le champ.
00:29:35 Laisse le champ aux autres, peut-être.
00:29:38 ...
00:30:04 Il faut quand même que je vous dise une chose.
00:30:07 C'est que j'ai porté mes chaussettes rouges.
00:30:11 C'est signe de colère et de rage.
00:30:14 ...
00:30:19 Elle ne s'en va pas, cette colère.
00:30:21 ...
00:30:23 Faudrait bien que je la...
00:30:25 ...
00:30:27 Je la calme, un jour.
00:30:29 ...
00:30:48 Moi, j'adore cette série.
00:30:50 C'est une fiction
00:30:53 que j'ai moi-même inventée.
00:30:56 Et j'avais donc proposé de faire un projet
00:31:00 sur les traces de Maxime Ducamp et de Flaubert,
00:31:05 qui, 150 ans plus tôt,
00:31:08 c'est-à-dire 1840, il me semble,
00:31:12 avaient été passer une année en Égypte.
00:31:16 Et je suis parti avec la femme que j'aimais.
00:31:19 C'était très excitant.
00:31:22 Pour une fois, je n'avais pas utilisé mon appareil
00:31:26 pour changer le monde.
00:31:27 C'était juste une partie plaisir.
00:31:32 ...
00:31:35 Dans notre périple,
00:31:37 on passait beaucoup de temps dans le désert.
00:31:40 Et de temps en temps, quand on en avait marre,
00:31:44 Nada et moi, de se regarder,
00:31:46 on revenait à la ville.
00:31:49 Donc, c'était des allers-retours constants
00:31:53 entre la rive des vivants et la rive des morts.
00:31:58 La rive des morts, c'était le désert.
00:32:00 La rive des vivants, c'était les villes.
00:32:03 ...
00:32:22 -La photographie est irréductible,
00:32:24 énigmatique et parfaitement mensongère.
00:32:27 En déclenchant l'appareil,
00:32:30 on fige un mouvement que nul n'aurait pu apercevoir.
00:32:33 Quand une photo est réussie,
00:32:36 c'est-à-dire conforme à ce qu'on a imaginé,
00:32:39 et qu'au-delà de son sens, sa lumière,
00:32:42 sa composition, son équilibre, sa technique même,
00:32:45 qu'on court pour être en harmonie,
00:32:48 il y a un moment où l'on atteint le sublime.
00:32:52 Certaines photos y parviennent.
00:32:54 Cela apporte une satisfaction profonde.
00:32:57 On a l'impression, en se rapprochant de l'intime,
00:33:00 d'avoir touché à quelques sommets.
00:33:02 ...
00:33:32 -Je sais pas pourquoi cette colline m'a inspiré.
00:33:34 Je voulais que Nada joue le rôle de l'oiseau.
00:33:38 Et donc, avec sa robe, elle devait voler.
00:33:41 Bon, ça n'a pas très bien marché.
00:33:44 Et là, elle jouait le rôle...
00:33:47 Enfin, elle jouait la chimère, quelque part.
00:33:50 ...
00:33:59 J'ai envie de grimper.
00:34:01 Et d'arriver à sa hauteur.
00:34:04 ...
00:34:07 Je crois qu'elle porte le même manteau que je porte maintenant.
00:34:11 Comment il a traversé toutes ces années, je sais pas.
00:34:14 Surtout qu'entre-temps, on a voyagé
00:34:18 des dizaines de fois,
00:34:20 on s'est séparés, on s'est retrouvés.
00:34:22 Je pense que c'est une chanson.
00:34:24 ...
00:34:35 -Il y avait des jours où Nada était inspirée.
00:34:38 Elle prenait des initiatives.
00:34:40 Des jours où moi, j'étais inspiré.
00:34:42 Mais les jours où tous les deux, on était inspirés,
00:34:45 c'était de loin les meilleurs.
00:34:47 Et donc, c'était comme un espèce de roman qu'on construisait à deux.
00:34:54 Mais ni elle ni moi, on ne savait où on allait.
00:34:57 ...
00:35:04 Alors, il y avait cette femme
00:35:06 que Flaubert et Maxime Ducamp
00:35:09 ont tour à tour aimé.
00:35:11 Elle s'appelait Kutschuk Hanem.
00:35:14 Kutschuk Hanem, en turc, ça veut dire "la petite dame".
00:35:19 Et dans les textes de Flaubert, elle était...
00:35:23 avec sa peau cafetée, ses bijoux, ses...
00:35:27 Elle était la plus belle.
00:35:30 Et donc, j'ai tenté, avec Nada,
00:35:34 de refaire une Kutschuk Hanem.
00:35:37 Cette photo, je l'ai intitulée Kutschuk Hanem.
00:35:42 ...
00:35:48 Voilà, c'est Nada qui rend visite à un dieu,
00:35:50 un pharaon, pardon.
00:35:52 ...
00:35:53 Il est dans sa maison éternelle.
00:35:55 Et il a tout prévu.
00:35:57 Le soleil, les...
00:36:01 le petit escalier.
00:36:03 Se dire qu'on a passé un an et demi
00:36:08 à faire exactement les figures qu'on voulait,
00:36:11 il y a quelque chose de très agréable à se laisser aller au plaisir.
00:36:15 Je n'ai jamais plus fait de...
00:36:20 travail dans ce sens.
00:36:22 Mais je suis content d'avoir fait celui-là.
00:36:27 Merci, Nada.
00:36:30 ...
00:36:42 Voilà, c'est une photo de...
00:36:44 de Zaid.
00:36:46 Il a 11 jours.
00:36:48 Je l'étais en dur, en train de lire,
00:36:50 et il était à côté de moi.
00:36:53 Il est presque plus petit que le livre.
00:36:56 Je crois qu'il est plus petit que le livre.
00:36:59 ...
00:37:05 Avec sa mère.
00:37:06 ...
00:37:12 Ça, c'est mon pied, on était sur le hamac.
00:37:15 ...
00:37:20 Je ne sais pas ce qui me poussait à prendre des photos de lui.
00:37:23 C'est beaucoup plus tard que j'ai réuni toutes ces images en une série
00:37:27 que j'ai fini par appeler "Histoire de Zaid".
00:37:30 ...
00:37:35 Ça aussi, c'est beau.
00:37:37 ...
00:37:45 Et ça, c'est quand il grimpe dehors.
00:37:48 On s'amusait comme des fous.
00:37:51 ...
00:37:55 Ah, incroyable !
00:37:57 ...
00:38:00 Ça, c'est la naissance de Nil,
00:38:02 son frère.
00:38:05 Ça, c'est quand ils ont commencé
00:38:07 à prendre conscience l'un de l'autre,
00:38:10 les deux frères.
00:38:13 ...
00:38:19 Et la photo,
00:38:20 elle sert aussi à...
00:38:23 à se fabriquer une mémoire.
00:38:27 ...
00:38:29 Je serais tout oublié, sinon.
00:38:31 ...
00:38:36 Voilà.
00:38:37 ...
00:39:01 -En fait, c'est moi qui avais envie de te voir,
00:39:03 parce qu'il m'a parlé de toi pendant...
00:39:06 longtemps.
00:39:08 Non, je dis n'importe quoi. Je suis très intimidé.
00:39:12 ...
00:39:15 Toi, tu aimes la photo ? -Oui, j'aime beaucoup la photo.
00:39:18 -Vraiment ? -Oui.
00:39:19 -Et tu en fais ? -J'ai eu un appareil,
00:39:22 qui était un ancien appareil de ma papa.
00:39:24 -Mais c'est des photos numériques ?
00:39:26 -Oui, c'est numérique, mais c'est un vieil appareil de 2005, je pense.
00:39:30 Avec un flash tout petit, on dirait un petit pistolet.
00:39:33 -OK. Et qu'est-ce que tu fais des photos ?
00:39:36 -Je fais que des photos de vacances ou de soirées avec.
00:39:39 J'aime bien photographier des moments où...
00:39:42 Pas forcément posés, mais un peu spontanés,
00:39:45 des moments que j'aime bien.
00:39:47 -Et le fait qu'il y ait tellement de photos
00:39:49 dans tous les réseaux sociaux, tellement de millions d'images...
00:39:53 Je me demande si aujourd'hui,
00:39:55 j'aurais pu, moi,
00:39:57 prendre l'appareil photo de mon père, comme tu as fait toi,
00:40:02 et me mettre à faire des photos
00:40:04 en essayant d'avoir une écriture propre à moi.
00:40:08 Dans ma génération, on devait être
00:40:11 un millier de photographes, en France.
00:40:14 La génération d'avant, il devait être une centaine.
00:40:17 Et celle d'avant, il devait être une dizaine.
00:40:20 Mais aujourd'hui, tous ceux qui ont un smartphone
00:40:24 font des photos.
00:40:26 -Est-ce que tu crois qu'ils sont photographes, ceux-là ?
00:40:29 -Je pense pas.
00:40:31 -Alors pourquoi ils font des photos ?
00:40:36 -Parce qu'ils aiment ça.
00:40:38 J'ai une photo que je trouve jolie que j'ai prise.
00:40:41 C'est la fin du repas.
00:40:42 Tous les bols, toutes les choses vides,
00:40:44 tout un peu mélangé comme ça.
00:40:46 Je l'ai prise en photo après et je trouve ça joli.
00:40:49 -C'est drôle. Je viens de penser...
00:40:52 J'habitais Londres, et il y a eu une fête chez moi.
00:40:55 Il y avait des bouteilles, des plats, des fourchettes.
00:40:58 Tout était sale, la table était dégueulasse.
00:41:01 J'ai fait cette même photo que tu viens de décrire.
00:41:04 Je sais pas ce qui nous a attirés.
00:41:09 Moi, je pense que c'était un sentiment de désolation qui m'a...
00:41:13 -C'est vrai ?
00:41:15 -Désolation.
00:41:16 -Est-ce que tu t'es déjà pris en photo ou pas ?
00:41:21 -Je me suis fait photographier chez les photographes
00:41:25 tout le long de ma vie.
00:41:26 J'ai comme ça une collection de photos de moi
00:41:29 chez les photographes, dans les studios,
00:41:32 des villes que je traversais.
00:41:34 Donc, si je les ordonnais, on me verrait grandir.
00:41:39 -C'est super. -Ouais.
00:41:40 Tu n'as pas l'ambition de changer le monde avec tes photos ?
00:41:46 -J'aimerais bien, mais je sais pas si ça passera.
00:41:50 -Mais tu as l'ambition de changer le monde ?
00:41:52 -Un peu. -Ah, quand même.
00:41:55 Musique douce
00:41:57 -J'espère que tu y arriveras.
00:41:59 ...
00:42:04 Je crois que ça, c'est la première.
00:42:06 Tu vois, je porte des T-shirts rayés,
00:42:09 comme ma mère les aimait.
00:42:11 Mais j'ai continué à faire la même chose
00:42:16 et à marquer les dates et les lieux.
00:42:18 ...
00:42:23 Ça, c'est pas mal.
00:42:24 "Benares".
00:42:26 Alors là, c'est écrit dans une langue que je ne comprends pas.
00:42:32 "Photo moderne, rue de Paris,
00:42:35 "république de Djibouti."
00:42:38 Et ça, là, c'est un pays arabe quelconque,
00:42:42 "studio Najib".
00:42:43 Ça, c'est pas fou. Je sais pas où c'est, ça.
00:42:46 ...
00:42:49 Ça, c'est moi dans les nuages.
00:42:51 ...
00:42:54 Ah !
00:42:55 ...
00:42:59 C'est ça. Thessalonique.
00:43:01 C'est pas vraiment un portrait, ça.
00:43:04 C'est Villia, en Espagne.
00:43:08 Et ça, les tours, le World Trade Center.
00:43:11 Je ne sais même pas qui est cette femme.
00:43:14 Moi, avec le tigre.
00:43:17 Non, mais ça, c'est quand même dément.
00:43:21 Chypre coupée en deux et moi au milieu.
00:43:23 ...
00:43:26 Voilà, je suis sûr qu'il y en a encore d'autres, mais bon...
00:43:29 ...
00:43:34 -On y va quand tu veux.
00:43:36 ...
00:43:40 -OK.
00:43:41 ...
00:43:43 Aujourd'hui, je suis un peu triste,
00:43:46 donc peut-être que je vais pas être très brillant.
00:43:50 ...
00:43:51 Je me souviens avoir pris la décision d'aller en Turquie
00:43:54 quand j'ai trouvé que les choses étaient devenues trop faciles.
00:43:58 J'ai cherché dans ma tête le pays
00:44:00 où je pourrais être le plus déstabilisé.
00:44:03 Je ne connaissais ni la langue, ni les gens, ni la ville, ni rien.
00:44:09 Et donc, j'ai commencé à apprendre le turc,
00:44:12 ce qui allait me permettre de prendre des autobus
00:44:15 et de sillonner le pays.
00:44:18 ...
00:44:21 Cette série, je l'ai appelée
00:44:24 "Sur les routes", "On the road".
00:44:27 Je crois que j'ai dû absolument décevoir
00:44:30 ceux qui m'ont donné l'argent pour faire des photos.
00:44:33 Parce que maintenant que je regarde ces photos
00:44:37 que j'ai pas vues depuis si longtemps,
00:44:39 il y a beaucoup de... Il n'y a que de la solitude.
00:44:42 C'est ce que j'ai photographié, mon état à moi.
00:44:46 ...
00:45:15 Ca me touche de voir cette photo
00:45:17 parce que j'ai l'impression que ce vendeur ambulant
00:45:19 qui n'a rien à vendre,
00:45:21 c'est mon reflet.
00:45:23 Je crois que c'est à ce moment-là
00:45:27 que j'ai commencé à sentir que je tournais en rond.
00:45:30 Je me demandais ce que je faisais.
00:45:35 J'avais l'impression de répéter les mêmes images...
00:45:38 jour après jour.
00:45:43 Jour après jour.
00:45:44 S'ajouter presque une douleur, une douleur physique.
00:45:51 Je sentais que j'étais mal.
00:45:55 Ca, tout ça, c'est de la détresse à l'état pur.
00:46:00 On peut pas mieux faire.
00:46:01 Un bus...
00:46:05 vide et inutile, garé là, une table vide,
00:46:09 des immeubles en ruines.
00:46:13 Et d'ailleurs, qu'est-ce que je faisais là, moi ?
00:46:15 ...
00:46:23 Je crois qu'aucun d'eux ne m'a vu en train de les photographier.
00:46:26 Aucun.
00:46:27 ...
00:46:37 En fait, quand je suis rentré à Paris,
00:46:39 j'ai fini par aller voir un médecin.
00:46:42 Et la douleur que je ressentais, c'était en fait le cancer.
00:46:46 "Vous avez un petit cancer", il m'a dit.
00:46:50 Alors j'ai sorti une cigarette, tout à fait normale,
00:46:53 et je lui ai dit "Est-ce que je peux fumer une petite cigarette ?"
00:46:57 Il m'a dit oui.
00:46:59 Et j'ai des amis qui ont commencé à défiler à la maison,
00:47:04 notamment une femme qui s'appelle Francine,
00:47:08 à qui j'envoyais des mails de temps en temps depuis la Turquie.
00:47:12 Et donc, Francine me dit...
00:47:15 "Mes photos de Turquie, tu me les as toutes décrites,
00:47:19 "mais je ne les ai jamais vues.
00:47:21 "J'aimerais bien que tu me les montres."
00:47:24 Et ça a été le début d'une nouvelle aventure...
00:47:27 que j'ai finalement...
00:47:30 appelée "Lettre à Francine".
00:47:34 ...
00:47:38 -Ouais !
00:47:39 -Je suis jamais venu ici.
00:47:43 -Eh ben voilà, l'atelier.
00:47:45 -Avant, c'était quoi ?
00:47:46 -C'était l'appartement familial, au départ.
00:47:49 -Ah, c'est ça ? Tu dormais là-haut ?
00:47:51 -Je dormais là-haut.
00:47:53 C'est-à-dire que j'avais deux plombs jaunes sur le travail de mon père.
00:47:57 -Mais ça, c'est lui, jeune, qui a pris la photo.
00:48:00 -Lui. Alors je vais enlever peut-être ça.
00:48:03 -Tu regardais ton écharpe ?
00:48:04 Tu te souviens, t'avais dit que t'aimais pas...
00:48:07 -Pourquoi on t'a pas dit de l'enlever ?
00:48:09 -Bon, on va les oublier, parce qu'ils sont insupportables.
00:48:13 -Qu'est-ce que t'as dit ?
00:48:15 -Qu'est-ce que je trouve, quoi ?
00:48:17 -Toi, tu te rappelles la première fois qu'on s'est rencontrés ?
00:48:20 -Eh ben non. Je me souviens, par contre,
00:48:22 de ce que je ressentais en voyant les premières photos
00:48:26 que t'as apportées à l'agence.
00:48:28 À la différence d'un photojournaliste
00:48:30 qui va aller photographier la guerre,
00:48:33 toi, la guerre s'est invitée dans ta vie.
00:48:35 -Ah, c'est vrai. -C'est ça, hein ?
00:48:37 Et tout d'un coup, t'as pris des photos
00:48:39 parce que la guerre s'invitait dans ta vie.
00:48:41 Ce qui est formidable avec ton pays,
00:48:43 c'est qu'il fournit en permanence des catastrophes monumentales
00:48:47 auxquelles on comprend pas grand-chose,
00:48:50 et que, grâce à toi, j'avais pas besoin de comprendre
00:48:54 l'histoire du Liban, ce qui se passait au Liban,
00:48:56 mais d'essayer d'éclaircir quelque chose, quand même,
00:49:01 dans cette histoire impossible qui est racontée en permanence.
00:49:05 -Tu sais, ce film, "La lettre à Francine",
00:49:07 je l'aurais jamais fait sans toi.
00:49:09 Tu m'as bousculé
00:49:13 à une époque où j'étais pas censé être bousculé.
00:49:16 -Je me disais, qu'est-ce qu'on va faire ensemble ?
00:49:19 On va parler de sa maladie, on va être très émus,
00:49:22 et tout ça, ça n'a aucun intérêt.
00:49:24 Par contre, ce qu'on s'est fait faire ensemble,
00:49:27 c'est travailler. Il est allé en Turquie.
00:49:29 Tout ce qu'on avait échangé, je savais que tu les avais là
00:49:32 et qu'il y avait peut-être quelque chose à en faire.
00:49:35 ...
00:49:39 -Me voilà sur les routes de Turquie.
00:49:41 Le résultat est à la mesure de mes espérances.
00:49:44 Les paysages sont de toute beauté.
00:49:46 Francine, si tu voyais le dernier hôtel où j'ai passé la nuit,
00:49:50 un seul étage, la neige dehors,
00:49:52 il fait déjà nuit quand je pousse la porte.
00:49:54 À mon grand soulagement, un jeune homme timide apparaît,
00:49:57 guitare à la main, je lui demande une chambre à l'étage.
00:50:00 Il n'y a ni salle de bain, ni chauffage.
00:50:03 Dans un sursaut d'espoir, je demande une seconde couverture.
00:50:06 Il n'a plus rien à m'offrir,
00:50:08 il improvise un morceau de musique sur sa guitare.
00:50:11 En retour, je l'initie au joie de l'informatique
00:50:13 sur mon ordinateur portable.
00:50:15 J'ai fini par dormir tout habillé, sans prendre de douche.
00:50:18 -Je t'ai fait écouter ça ?
00:50:20 -Qu'est-ce qu'il y a ? Je crève d'envie de voir.
00:50:23 -C'est mon bureau.
00:50:24 Alors, ça, c'est Clémentine.
00:50:26 -Non, mais...
00:50:27 Rires
00:50:29 Non, mais reste assise.
00:50:30 -C'est de là où je...
00:50:32 -Vaut mieux que ce soit maman, non ?
00:50:34 J'adore quand vous parlez tous les deux.
00:50:36 Rires
00:50:37 -Ca, c'est pas Giacometti.
00:50:40 -Ca, c'est Giacometti dans son atelier.
00:50:43 Pour moi, c'est un homme d'une beauté absolue.
00:50:45 Tu te souviens de la première fois que t'as vu de Fouad, toi ?
00:50:49 -Je l'ai connu par toi.
00:50:50 Le soir, tu rentrais et tu racontais toutes les aventures avec Fouad,
00:50:54 de la photographie, des difficultés,
00:50:57 parce que t'es quand même un personnage pas simple.
00:51:00 C'est-à-dire que...
00:51:02 -Tu vois, moi, je me vois pas du tout comme ça.
00:51:04 -On peut témoigner, et là, je peux trouver une liste de témoins.
00:51:09 Non, y a aucun doute, tu es la personne la moins simple
00:51:13 qui m'a été donnée trois années.
00:51:15 -Parce que t'avais une manière de conduire ta vie
00:51:18 de façon incroyablement poétique et politique.
00:51:21 Même si tu dis "je ne sais pas ce qu'est un artiste", etc.
00:51:24 -Tu as cru cinq minutes le truc qu'il a raconté ?
00:51:27 Rires
00:51:29 -Il y avait chez Fouad, moi, quelque chose,
00:51:32 si on est devenu amie, c'est que t'es quelqu'un qui aime beaucoup rire.
00:51:35 -Ouais. -T'es pas...
00:51:37 Je veux dire, t'es contre l'esprit de sérieux.
00:51:40 -C'est toi qui m'as appris que la tragédie, c'était une comédie.
00:51:44 -C'est vrai. T'as été guéri de ton cancer, enfin, de oui, guéri,
00:51:48 et à la fin, il me dit "j'ai écrit une lettre de remerciement
00:51:52 à la Sécurité sociale".
00:51:54 Rires
00:51:55 Et je trouve ça absolument formidable.
00:51:58 Mais je pense que tu es la seule lettre reçue
00:52:01 par la Sécurité sociale,
00:52:03 la seule lettre de remerciement reçue par la Sécurité sociale.
00:52:07 C'est toi qui es dans le vrai. -J'avais oublié cet épisode.
00:52:10 Rires
00:52:11 Musique douce
00:52:14 ...
00:52:34 C'est fou, ce qu'on trouve sur une planche contact,
00:52:37 c'est l'intégralité du film.
00:52:39 ...
00:52:42 C'est magnifique.
00:52:45 Que de photos, on ne le voit pas.
00:52:47 Au moment où arrive la planche contact.
00:52:50 ...
00:52:52 Je suis sûr que le jour où elle est arrivée,
00:52:55 j'ai sélectionné cette photo, par exemple.
00:52:58 Aujourd'hui, je la trouve sans intérêt.
00:53:00 Et celle-là, je l'ai pas sélectionnée, elle est magnifique.
00:53:04 ...
00:53:05 Regarde, il y a des choses fantastiques.
00:53:07 C'est en même temps beau et triste à la fois.
00:53:12 ...
00:53:14 Je pourrais passer les prochaines années juste à...
00:53:17 ...
00:53:24 A regarder ces planches contact à nouveau.
00:53:26 ...
00:53:35 OK, le film est terminé.
00:53:37 ...
00:53:39 Merci.
00:53:40 -T'as rien oublié, Fouad ?
00:53:42 -À dire ?
00:53:43 J'ai des millions de choses à dire, mais bon, il faut mettre un terme.
00:53:47 -T'auras pas trop de rêves ?
00:53:50 -Si, plein.
00:53:51 Je suis jamais satisfait.
00:53:53 J'ai l'impression qu'on est passé à côté de tout ce qu'il fallait.
00:53:57 Qu'on a trop parlé, qu'on a pas assez de plans...
00:54:02 ...
00:54:04 Où je rêve, où je pense...
00:54:07 ...
00:54:22 Bon.
00:54:23 ...
00:54:25 Peut-être... Peut-être au Liban ?
00:54:27 ...
00:54:31 Voilà.
00:54:32 ...
00:54:34 C'est là où je me suis réfugié après l'explosion du 4 août.
00:54:37 ...
00:54:39 Une maison d'autant plus belle qu'elle est cachée par la nature.
00:54:43 ...
00:54:46 Je vis à la montagne.
00:54:48 ...
00:54:50 Dans un endroit splendide.
00:54:52 ...
00:54:53 Je pense que je me demandais
00:54:56 comment allait être structuré ce film.
00:54:59 ...
00:55:03 C'est dur, quand même, de résumer une vie entière,
00:55:07 passer à prendre des photos.
00:55:09 ...
00:55:13 Et puis, si jamais ce film se fait,
00:55:15 ...
00:55:18 je serais content de voir quelques images
00:55:21 de cet endroit que j'aime tellement.
00:55:25 ...
00:55:28 -Avec ce documentaire, vous venez donc de découvrir
00:55:31 l'oeuvre de Fouad El Khoury,
00:55:33 l'un des photographes majeurs du monde arabe,
00:55:36 un parcours personnel, singulier, vous l'avez compris,
00:55:39 et sur lequel nous allons nous interroger plus au-delà,
00:55:43 en compagnie de nos invités présents sur ce plateau de "Débat doc",
00:55:47 en commençant par celui qui a réalisé ce film,
00:55:49 Camille Pagdel. Bienvenue, Camille Pagdel.
00:55:52 Vous êtes directeur de création
00:55:54 au sein de la maison d'édition Actes Sud.
00:55:57 Nous avions eu le plaisir, voilà quelques temps,
00:56:00 de vous recevoir et de présenter dans cette même émission
00:56:03 votre premier documentaire, qui s'intitulait "Abbas Bayabas",
00:56:07 consacré aux photographes iraniens Abbassatar,
00:56:09 et vous rééditer, en quelque sorte, l'exercice
00:56:12 avec, cette fois, ce Fouad El Khoury par Fouad,
00:56:15 que nous venons de voir à l'instant
00:56:17 et dont nous allons bien sûr reparler ensemble sur ce plateau.
00:56:21 Dimitri Beck est également avec nous.
00:56:23 Vous êtes journaliste, directeur de la photographie
00:56:26 du magazine "Polka". Voici la dernière couverture de "Polka",
00:56:29 qui est en train de s'écrire.
00:56:31 Un mot sur cette couverture ?
00:56:33 -Il sort pour le printemps, le 21 mars,
00:56:35 une photographie d'une photographe américaine,
00:56:38 qui s'appelle Mariana Rotten.
00:56:40 Et donc, également, à ses côtés,
00:56:42 il y a trois autres photographes américains,
00:56:45 dont deux autres femmes.
00:56:47 Et là, on a vraiment un album, mais je dirais des albums,
00:56:50 de familles américaines,
00:56:52 de familles américaines,
00:56:53 côtesse, côte ouest,
00:56:55 et puis aussi au coeur de l'Amérique.
00:56:57 C'est passionnant, et c'est une quarantaine d'années,
00:57:00 donc quatre décennies, que l'on visite comme ça en photographie,
00:57:04 des petits, des grands, que l'on voit grandir aussi.
00:57:07 C'est amusant, dur et passionnant, très humain.
00:57:10 -Et c'est à découvrir dans le prochain numéro de "Polka".
00:57:15 Avec vous, on verra comment on peut recontextualiser
00:57:19 ce qui a été le parcours, l'oeuvre de Foy Delcoury
00:57:22 parmi les photographes de sa génération.
00:57:24 On va le faire aussi avec Pierre Asqui.
00:57:27 Vous êtes journaliste, auteur,
00:57:28 vos éditos consacrés à la politique internationale
00:57:31 sont à écouter, on le rappelle,
00:57:33 chaque matin, dans la matinale de nos confrères de France Inter.
00:57:37 Vous êtes aussi le président de Reporters sans frontières.
00:57:40 Nous vous avons vu dans ce documentaire,
00:57:43 à l'eucalyon de l'une de vos rencontres,
00:57:45 avec votre ami Foy Delcoury.
00:57:47 C'est d'ailleurs l'une de ses photos
00:57:49 qui illustre la couverture de votre dernier livre,
00:57:52 qu'on va découvrir à l'instant,
00:57:54 "Une terre doublement promise,
00:57:56 "Israël-Palestine, un siècle de conflits".
00:57:58 C'est un ouvrage disponible aux éditions Stock.
00:58:01 Il vous paraissait évident, naturel,
00:58:03 d'illustrer votre dernier livre
00:58:05 avec, justement, une photo de Foy Delcoury ?
00:58:08 -Pour deux raisons. La première, c'est qu'il a fait ces photos
00:58:11 en habitant chez moi, à Jérusalem,
00:58:13 quand j'étais correspondant de Libération.
00:58:15 Là-bas, il était venu pour découvrir
00:58:18 et travailler sur le peuple palestinien
00:58:21 au moment où il y avait cette tentative de faire la paix.
00:58:24 Et donc, j'ai suivi son travail à cette époque,
00:58:28 il y a 30 ans, lorsqu'il l'a fait.
00:58:30 Et la deuxième raison, c'est que, juste après le 7 octobre,
00:58:33 alors que la région menaçait de s'embraser,
00:58:36 j'ai eu quelques échanges avec Foy sur WhatsApp.
00:58:39 Il était au Liban,
00:58:40 et il était angoissé, comme tous les gens au Liban,
00:58:43 de savoir si son pays allait s'engouffrer dans la guerre.
00:58:47 Et c'est en discutant avec lui
00:58:49 que l'idée, que l'évidence est apparue,
00:58:52 en disant qu'il faut que tu participes à ce livre,
00:58:54 qui était en train d'être conçu et qui germait.
00:58:58 Et en fait, je pense que ça l'a aidé,
00:59:01 c'est ce qu'il m'a dit,
00:59:02 à se focaliser sur un travail précis,
00:59:05 qui était de reselectionner une douzaine de photos
00:59:08 pour le livre, de choisir la couverture,
00:59:11 plutôt que de se laisser happer
00:59:13 par l'angoisse guerrière du moment.
00:59:16 -On a parlé de la photo de couverture,
00:59:18 mais vous venez de le dire, il y a une dizaine de clichés.
00:59:21 -Dont certaines sont, d'ailleurs, dans le film.
00:59:24 -Signés par Fouad El Khoury, et dont certaines sont dans ce documentaire.
00:59:28 C'est dit au tout début de votre film,
00:59:32 une bonne vingtaine d'années que vous connaissiez Fouad El Khoury,
00:59:36 de là à faire un documentaire sur lui,
00:59:38 qu'est-ce qui a justifié le fait de faire ce film
00:59:41 qui lui est entièrement consacré ? C'est Fouad par Fouad.
00:59:44 -C'est Fouad par Fouad. Je voulais faire un clin d'oeil
00:59:47 par rapport au premier film que j'avais fait avec Abbas.
00:59:50 C'est toujours la même démarche.
00:59:52 Fouad, c'était pas une simple amitié qu'on avait,
00:59:55 ça fait plus de 20 ans qu'on se connaît,
00:59:57 et j'ai édité des livres avec lui.
00:59:59 Très vite, j'avais envie, parce que dans un livre,
01:00:02 on peut pas tout raconter, qu'il nous raconte plus de choses.
01:00:06 -Il fallait le faire sortir de sa tanière.
01:00:08 C'est ce qu'on comprend en regardant ce film.
01:00:11 Fouad El Khoury, aujourd'hui, habite au Liban.
01:00:13 Il fait des allers-retours, il vient parfois en France.
01:00:16 C'est là que vous avez fait les interviews de ce film.
01:00:20 C'est une véritable tanière dans laquelle il est au Liban.
01:00:23 -Absolument. Quand on a décidé de faire le film,
01:00:26 c'était peu de temps après les explosions à Beyrouth,
01:00:30 en 2020, si je me trompe pas.
01:00:32 -Août 2020. -Août 2020.
01:00:34 Et Fouad avait quitté... On en parle un peu dans le film,
01:00:37 mais Fouad, sa maison a été détruite,
01:00:39 le musée qu'il avait construit a été détruit.
01:00:42 Toute une vie...
01:00:43 Toute une vie qu'il avait construite autour de lui
01:00:46 avait disparu, et lui, il s'était isolé.
01:00:49 Il était allé dans les montagnes, à vivre au sol,
01:00:52 comme il le dit, avec un chien.
01:00:54 C'était un moment charnière de sa vie,
01:00:56 et je pensais que c'était important de le faire à ce moment-là,
01:01:00 ce qui n'était pas ça. -Il fallait remettre
01:01:02 dans la lumière Fouad El Khoury. C'était ça, votre démarche ?
01:01:06 -Alors, j'avais peut-être une prétention absurde et secrète
01:01:09 qui était aussi, pas seulement, évidemment, raconter son parcours,
01:01:13 mais aussi, peut-être, déclencher un nouvel élan,
01:01:16 peut-être pour lui, pour voir
01:01:18 quel serait le nouveau chapitre suite à ça,
01:01:20 parce qu'il me disait qu'il photographiait plus,
01:01:23 comme il le dit dans le film, les humains.
01:01:25 Or, toute sa vie, il a photographié les conditions humaines.
01:01:29 Et donc, l'enjeu, c'était ça, pour moi,
01:01:32 d'essayer de le faire venir, regarder son parcours,
01:01:36 de nous raconter un petit peu ce qu'il traverse.
01:01:39 -On va voir un premier extrait du film,
01:01:41 parce qu'il ne veut pas être appelé ou perçu
01:01:45 comme un photographe de guerre.
01:01:47 Regardez.
01:01:48 -Je sais pas si c'est facile de prendre des photos
01:01:51 pendant la guerre,
01:01:53 parce que tout semble incongru, tout semble absurde.
01:01:56 ...
01:02:08 En même temps, toutes ces photos de guerre
01:02:10 pourraient faire penser à quelqu'un qui est photographe de guerre.
01:02:14 Moi, j'ai jamais été un photographe de guerre.
01:02:17 -Un photographe de guerre a toujours fait partie de la vie
01:02:20 de Fouad El Khoury, d'abord au Liban,
01:02:22 on l'a très bien compris dans ce film.
01:02:25 Je ne suis pas un photographe de guerre.
01:02:27 C'est pas comme ça qu'il veut être perçu.
01:02:30 Mais qui est Fouad El Khoury, par rapport à ses photographes ?
01:02:33 Compte tenu des clichés qu'il a néanmoins livrés
01:02:36 à propos des guerres, celle du Liban,
01:02:38 et puis aussi, on en parlera après,
01:02:41 à propos du conflit israélo-palestinien.
01:02:43 -Pas photographe de guerre, et d'ailleurs,
01:02:46 il est tout simplement un photographe,
01:02:48 un témoin de ce qui se passe autour de lui.
01:02:50 Alors, il y a eu la guerre quand il était à Beyrouth.
01:02:54 Est-ce qu'on devient, est-ce qu'on est photographe de guerre
01:02:57 quand la guerre est chez vous ?
01:02:59 Pas forcément. Un photographe de guerre,
01:03:01 il est envoyé en mission comme un correspondant,
01:03:04 un envoyé spécial, il est sur place, il va témoigner,
01:03:07 il vient pour rapporter ce qui se passe dans un conflit.
01:03:10 Là, c'est chez lui, c'est sa deuxième maison,
01:03:13 puisqu'il est né à Paris, mais il est franco-libanais,
01:03:16 donc Beyrouth et le Liban, c'est aussi sa mère patrie.
01:03:20 Donc, ça se passe chez lui.
01:03:22 Donc, il va photographier ces scènes absurdes
01:03:24 qui ne devraient pas être...
01:03:26 Comme il disait aussi, comme il dit dans le documentaire,
01:03:29 il attrape ces choses qui ne sont pas censées être là.
01:03:33 Et surtout, très important, et là, c'est très fort,
01:03:36 c'est un capteur d'émotion.
01:03:38 Alors, il est capteur d'émotion de ce qui se passe sur le terrain,
01:03:41 mais est-ce que c'est pas aussi ses propres émotions ?
01:03:44 Il souffre. C'est son pays qu'il voit se détruire,
01:03:47 qu'il voit se déchirer, qu'il voit être en guerre,
01:03:50 et cette confrontation entre toutes les différentes populations
01:03:53 qui vivaient, peu de temps avant, en paix, instables,
01:03:56 bien évidemment, mais là, d'un seul coup,
01:03:59 c'est le drame absolu.
01:04:01 -Pendant les 15 ans... -Pendant les 15 ans.
01:04:03 -...ont duré cette guerre civile. -Je me rappelle bien,
01:04:06 il a commencé à photographier en 1977,
01:04:08 et d'un seul coup, il voit un pays tomber en ruines.
01:04:11 C'est l'ironie du sort, si je puis dire,
01:04:14 et même, c'est un drame qui devient absurde,
01:04:17 et ça lui correspond bien.
01:04:18 Il faisait des études d'architecte à Londres,
01:04:21 et d'un seul coup, il les renvoyait à Beyrouth
01:04:25 pour voir la destruction de son propre pays.
01:04:27 Un architecte de formation qui va pour capter en photographie
01:04:31 la destruction de son pays, de son autre pays,
01:04:34 son deuxième pays.
01:04:35 Et donc, il va saisir, comme ça, ce qu'il voit, ce qu'il vit,
01:04:40 donc il témoigne, effectivement, de cette guerre, de cette réalité,
01:04:44 mais il va pas pour chercher la photographie du combat,
01:04:48 de celle qui va faire la une des journaux.
01:04:51 C'est un raconteur d'histoire, c'est un conteur d'histoire.
01:04:54 Alors là, c'est dans la douleur...
01:04:56 -C'est donc ce regard qui va le différencier
01:04:59 des autres photographes qui ont travaillé,
01:05:01 notamment sur cette guerre civile libanaise.
01:05:04 -Absolument, et il reconnaît que pour lui,
01:05:06 chaque photo est une aventure.
01:05:08 C'est une aventure guerrière qu'il captait.
01:05:11 Et puis plus tard, il va capter d'autres moments.
01:05:13 Là, ces dernières photos, là où il est dans sa retraite,
01:05:17 eh bien, il va capter...
01:05:19 C'est son aventure personnelle, son chemin de croix,
01:05:22 si je puis dire, sans lien avec aucune religion,
01:05:26 mais il est...
01:05:28 Il est en ermite, là.
01:05:31 Il a trouvé un refuge pour fuir un drame absolu.
01:05:34 Et comme il dit très bien dans le documentaire,
01:05:37 "J'ai vécu toutes ces années,
01:05:39 "puis il y a l'avant et l'après 2020,
01:05:41 "4 autres 2020", et là, d'un seul coup,
01:05:43 il a pris un coup de vieux, sévère,
01:05:45 à partir du moment où il y a eu ces explosions,
01:05:48 ces destructions à Beyrouth.
01:05:50 Là, il va peut-être se ressourcer.
01:05:52 Est-ce qu'on le souhaite, le documentaire de Camille
01:05:55 va contribuer à apporter, lui, un regard extérieur
01:05:58 pour se renouveler, se rafraîchir,
01:06:00 écrire et reprendre les boîtiers, écrire autre chose ?
01:06:03 C'est ce qu'on lui souhaite.
01:06:05 -C'est la guerre qui est allée à Foy del Cori.
01:06:08 C'est pour ça qu'il a commencé à faire toute cette série.
01:06:11 "Civil War", d'ailleurs, c'est le thème.
01:06:13 Si on voulait chapeauter toute cette période libanaise,
01:06:16 ce serait "Civil War", cette série qu'il a sortie.
01:06:19 Qu'est-ce qu'on peut en dire ?
01:06:21 -C'est ce que dit très joliment son amie Francine,
01:06:24 la fille de Robert Doisneau, dans le documentaire.
01:06:27 Elle dit que la guerre est allée à toi,
01:06:29 pas à toi qui es allé à la guerre.
01:06:31 C'est vrai que ça change complètement la mise en situation,
01:06:35 car un photographe de guerre, il va dans une guerre
01:06:37 qui lui est inconnue, qui n'est pas la sienne,
01:06:40 qui n'est pas son environnement dans lequel il a grandi.
01:06:43 Et donc, c'est très particulier.
01:06:46 Et ce qui est formidable dans ces photos,
01:06:49 c'est qu'il n'y a pas de combattants,
01:06:51 il n'y a pas de morts, il y a des destructions
01:06:53 qui sont celles de l'architecture,
01:06:56 mais il y a surtout des gens qui vivent
01:06:58 ou qui essayent de vivre ou qui essayent de survivre
01:07:01 au milieu d'un événement monumental
01:07:04 qui est une guerre civile,
01:07:05 c'est-à-dire quelque chose qui affecte tout le monde.
01:07:08 Il dit aussi très bien en quoi la photographie l'a aidé
01:07:11 aussi à ne pas rester enfermé,
01:07:13 chez lui, à se morfondre et à...
01:07:16 à attendre...
01:07:18 Parce que, quand même, dans les guerres urbaines,
01:07:21 il y a quelque chose de très particulier,
01:07:23 et à Beyrouth, c'est très spécial,
01:07:25 c'est qu'on tire des roquettes et des missiles
01:07:28 d'un quartier à l'autre.
01:07:30 Et donc, votre oreille s'habitue
01:07:33 à savoir si le tir vient chez vous,
01:07:35 si c'est un tir qui vient du camp chrétien
01:07:38 ou du camp palestinien ou du camp X ou Y,
01:07:41 et lui, se focaliser sur sa photo,
01:07:43 et c'est peut-être ce qu'il a...
01:07:45 Il cherchait tous les jours, comme il l'explique, la photo.
01:07:49 Ca l'a aidé à traverser une période traumatisante.
01:07:52 -Après cette guerre civile,
01:07:53 il y a eu la reconstruction au Liban.
01:07:55 Là aussi, vos chemins se sont croisés
01:07:58 à l'époque du début de la reconstruction,
01:08:00 à Beyrouth, notamment.
01:08:02 -Il y a eu un moment très précis.
01:08:04 Donc, on a les ruines qu'on a vues dans le film.
01:08:07 Beyrouth était une ville totalement détruite.
01:08:09 Il faut avoir une idée de ce que peut être
01:08:12 une ville qui a eu 15 ans de guerre civile.
01:08:14 Et après l'arrêt de cette guerre civile,
01:08:17 la ville est restée en l'Etat,
01:08:19 et puis, Rafi Kariri, Premier ministre,
01:08:22 qui a été ensuite assassiné des années plus tard,
01:08:24 qui est un entrepreneur très riche,
01:08:27 a reconstruit, a créé une société,
01:08:29 et il a reconstruit tout le centre-ville.
01:08:31 On a fait quelque chose d'un peu kitsch, d'ailleurs.
01:08:34 Mais juste avant que les bulldozers arrivent,
01:08:37 il y a eu une période
01:08:38 où les archéologues ont plus travaillé.
01:08:41 Et il faut savoir que Beyrouth est construit
01:08:44 sur... En gros, toutes les civilisations de la Terre
01:08:47 se sont passées un moment par Beyrouth.
01:08:49 Il suffit que vous creusiez,
01:08:51 vous avez les phéniciens, etc.
01:08:54 Et donc, pendant cette période
01:08:56 où les archéologues travaillaient,
01:08:58 moi, j'ai fait un reportage pour Libération,
01:09:00 et Fouad a à la fois fait les photos pour l'Ibée
01:09:04 et m'a servi de guide.
01:09:05 C'était extraordinaire,
01:09:07 parce qu'on marchait au milieu des ruines,
01:09:09 dans la boue, avec les archéologues
01:09:11 qui grattaient le sol,
01:09:13 et lui me racontait en disant
01:09:14 "C'est là qu'on achetait les bonbons quand j'étais petit,
01:09:18 "c'est là qu'il y avait le magasin de l'oncle machin", etc.
01:09:21 C'est-à-dire qu'il faisait revivre
01:09:23 le Beyrouth d'avant
01:09:26 au milieu des ruines.
01:09:28 C'était un moment assez magique.
01:09:30 -Il y avait une renaissance aussi, j'imagine,
01:09:32 dans son esprit. -Oui, tout à fait.
01:09:34 Une renaissance espérée.
01:09:36 -Deuxième extrait du documentaire,
01:09:38 et c'est important,
01:09:40 1982, août 82,
01:09:42 l'exfiltration de Yasser Arafat
01:09:45 de Beyrouth vers la Grèce,
01:09:47 puis vers Tunis.
01:09:49 Extrait.
01:09:50 -Disons que ce voyage
01:09:53 hors de Beyrouth, on peut l'appeler une fuite,
01:09:56 et le fait qu'une agence photo
01:09:58 soit au rendez-vous à l'arrivée aux Pyrées
01:10:01 en fait que j'ai découvert
01:10:03 que je pouvais peut-être rentrer dans la cour des grands
01:10:07 et devenir photographe à part entière.
01:10:11 Et je le suis toujours.
01:10:16 -Est-ce qu'il est bien, bel et bien,
01:10:22 de rentrer dans la cour des grands, Fouad El Khouri,
01:10:25 à la suite de ces photos de Yasser Arafat
01:10:28 faites sur le paquebot Atlantis ?
01:10:29 Nous sommes à la fin du mois d'août 1982
01:10:34 pour cet exil qui l'amènera à Tunis.
01:10:37 -A mon sens, oui, certainement,
01:10:39 parce qu'après, il n'a pas cessé d'avoir des commandes
01:10:42 et des projets, mais moi, surtout,
01:10:44 ce que je trouvais fascinant, toujours, chez Fouad,
01:10:47 c'est son écriture aussi particulière, singulière,
01:10:50 comme disaient Dimitri et Pierre,
01:10:52 il a vraiment une écriture très particulière
01:10:55 par rapport à la photojournalisme.
01:10:57 C'est-à-dire que de prendre Yasser Arafat
01:10:59 sur ce paquebot de dos, par exemple,
01:11:01 on l'a vu, cette fameuse photo dans votre film,
01:11:04 c'est une signature particulière.
01:11:06 -Encore une fois, il nous montre...
01:11:08 D'ailleurs, c'est une de ses photos préférées.
01:11:11 C'est étonnant de l'approcher de cette manière-là,
01:11:14 mais il a toujours fait ça.
01:11:15 C'est-à-dire que quand on voit comment il traite la guerre
01:11:19 en documentant plutôt la vie quotidienne
01:11:21 que la guerre elle-même,
01:11:23 ça nous indique pas mal de choses.
01:11:25 Ça a toujours été le cas.
01:11:27 De même manière, quand il a, à un moment donné,
01:11:29 quand il voulait prendre un peu de recul par rapport à la photojournalisme,
01:11:34 il a commencé à intégrer la fiction dans son travail,
01:11:37 quand il part en Égypte, qu'on voit dans le film, il l'évoque.
01:11:40 -Au moment où vous avez eu à évoquer ces fameuses photos
01:11:43 de Yasser Arafat, il y a une émotion particulière
01:11:46 dont il a fait preuve pendant ce film ?
01:11:49 -Pendant ce film, oui, surtout qu'on avait...
01:11:51 Je l'expliquais un peu dans le film,
01:11:54 on avait tourné un court-métrage,
01:11:56 enfin, un court de trois minutes,
01:11:58 sur cette séquence-là,
01:12:01 sur cette période-là,
01:12:03 et 20 ans après, il le découvre.
01:12:05 Il l'avait vraiment pas vu.
01:12:07 Je pense que ça a été très émouvant pour lui de revoir ça,
01:12:10 et aussi, comme il le dit, d'être en accord
01:12:12 avec ses convictions de l'époque, en fait.
01:12:15 Donc, oui, c'était un moment fort pour lui, je pense, de revoir ça.
01:12:19 -Alors, ses convictions de l'époque,
01:12:21 en tout cas, Yasser Arafat a symbolisé
01:12:24 la lutte des Palestiniens contre les Israéliens,
01:12:27 moment crucial dans la carrière d'Ofwa Delkouri.
01:12:31 -Et le hasard, comme c'est d'ailleurs souvent
01:12:33 ce qui se produit pour les photographes,
01:12:36 parce qu'il se retrouve un peu par hasard sur ce bateau
01:12:39 et a photographié Yasser Arafat.
01:12:41 C'est pas lui qui l'a voulu.
01:12:42 Il était avec son frère et un ami,
01:12:44 il se retrouve à prendre ce bateau-là
01:12:47 parce qu'on leur propose d'y aller,
01:12:49 donc il se retrouve là, il prend cette photo,
01:12:51 qui est symbolique, et c'est en ça que cette photo est forte.
01:12:55 On a pas besoin de voir le portrait,
01:12:57 le keffier dit tout, on sait à qui on a affaire.
01:12:59 Et puis, voilà, ce départ, donc, on quitte une terre,
01:13:02 et la mer, et le temps, et il y a la fuite,
01:13:05 et on remue, ça remue beaucoup de souvenirs,
01:13:08 enfin, tout ça, et elle est pleine de symboles,
01:13:11 cette photo, qui est très simple, à la fois, mais elle dit tout.
01:13:15 Donc, effectivement, Fouad, lui,
01:13:17 à partir de ce moment-là, il est devenu
01:13:19 le photographe presque attitré de Yasser Arafat
01:13:22 pour les agences de news.
01:13:23 Je crois qu'il a travaillé pour Sigma pendant un an.
01:13:26 Ils se sont dit, "C'est le photographe de Yasser Arafat",
01:13:30 parce qu'il a eu cette chance de ce moment-là
01:13:32 et de cette photographie-là.
01:13:34 C'est le talent du photographe,
01:13:36 d'être capable de prendre la bonne photo au bon moment.
01:13:39 Mais il voulait défendre, porter un autre regard,
01:13:42 comme il le dit très bien, sur les Palestiniens,
01:13:45 qu'on ne l'aura pas vu comme des terroristes,
01:13:47 comme il y a le nom qui était à coller,
01:13:49 souvent l'adjectif à coller avec le nom des Palestiniens,
01:13:53 c'est porter un autre regard pour qu'on change,
01:13:55 changer l'image qui était portée sur les Palestiniens.
01:13:59 C'était son souhait, son engagement politique,
01:14:02 mais pas forcément politique à adhérer,
01:14:04 à suivre Yasser Arafat partout
01:14:06 et forcément d'accord avec lui,
01:14:08 surtout, c'est lui qui pourrait certainement mieux en parler.
01:14:12 C'était une défense globale, générale,
01:14:14 d'un peuple palestinien par rapport à leur cause politique.
01:14:18 Et sa photographie, son engagement personnel,
01:14:21 accompagnait ça, ses photographies avaient pour but
01:14:24 de porter ce message-là.
01:14:26 Je dirais une sorte de porter un message de paix,
01:14:29 d'ouvrir un dialogue.
01:14:30 C'est là aussi la photographie a une magie, a une force,
01:14:34 c'est de construire, de contribuer à ce qu'il y ait
01:14:38 un dialogue entre des gens, des belligérants,
01:14:40 et c'est là où il a un grand regret,
01:14:43 une grande peine et aussi une douleur,
01:14:45 c'est de se dire que ses photos n'ont servi à rien,
01:14:48 car regardez là où on en est.
01:14:50 -C'est la discussion qu'il a avec celui qui est à vos côtés,
01:14:53 Pierre Haski, dans le film que nous venons de voir.
01:14:56 Ce travail effectué dans les territoires palestiniens,
01:15:00 qui illustre en partie d'ailleurs votre livre,
01:15:03 c'est l'engagement politique, pour le coup, de Fouad El Khoury ?
01:15:07 -C'est un engagement largement humaniste,
01:15:10 c'est-à-dire que sa volonté, quand il est venu en 1994,
01:15:14 les accords d'Oslo ont été signés en 1993,
01:15:16 donc Arafat revient en Palestine,
01:15:18 l'autonomie se met en place,
01:15:20 son travail, c'est de donner un visage humain aux Palestiniens,
01:15:25 qu'on quitte les rivages du conflit,
01:15:29 du terrorisme,
01:15:31 de la confrontation
01:15:35 qui a dominé l'iconographie palestinienne
01:15:39 pendant des années, des décennies,
01:15:41 pour donner un visage humain.
01:15:43 On voit d'ailleurs dans le film certaines de ses photos
01:15:46 les pêcheurs de Gaza,
01:15:49 les gamins qui jouent au football,
01:15:52 les femmes qui font des courses, etc.
01:15:56 Il y a une vie banale, d'une certaine manière,
01:16:00 mais qu'on n'a pas l'habitude de voir sur un territoire en conflit.
01:16:04 C'est ça qu'il a voulu faire,
01:16:06 et c'est ce qu'il a repris dans le livre,
01:16:08 parce que l'idée était, à un moment hyper dramatique,
01:16:11 comme celui qu'on vit depuis des mois maintenant,
01:16:14 de montrer aussi l'humanité des deux côtés.
01:16:20 Il y a des êtres humains qui vivent,
01:16:23 et c'est ça qu'il avait voulu montrer en 1994.
01:16:26 -Il a souhaité, vous l'avez dit,
01:16:29 porter un autre regard sur les Palestiniens,
01:16:32 mais dans la discussion que vous avez avec lui dans ce film,
01:16:35 il dit qu'au fond, la photo n'a pas le pouvoir
01:16:38 que je voulais lui attribuer à l'époque.
01:16:40 Il y a une cassure, là, chez Fouad El Khoury ?
01:16:43 -Il y a la cassure de l'idéaliste,
01:16:45 c'est-à-dire...
01:16:47 Et la discussion qu'on a,
01:16:49 moi aussi, je partage cette cassure,
01:16:52 c'est-à-dire qu'on s'engage dans ce métier,
01:16:54 peut-être que c'est notre génération aussi,
01:16:57 qui était comme ça,
01:16:58 avec l'idée que ça sert à quelque chose,
01:17:00 c'est pas simplement un travail,
01:17:03 c'est qu'on pense... -Apporter votre pierre.
01:17:06 -Apporter notre pierre à un monde meilleur,
01:17:08 à la transformation du monde, et lui, sa pierre,
01:17:11 c'était de changer le regard du monde
01:17:15 sur le monde arabe et sur les Palestiniens,
01:17:17 en l'occurrence.
01:17:19 Et de ce point de vue-là,
01:17:20 le constat d'échec qu'il porte,
01:17:23 il est réel, parce que,
01:17:25 et ça, on le sait aujourd'hui,
01:17:27 et peut-être que l'expérience,
01:17:29 il faut en passer par là à un moment,
01:17:31 une photo ne change pas le monde,
01:17:33 un texte ne change pas le monde,
01:17:35 et c'est là qu'on a peut-être
01:17:37 deux approches différentes.
01:17:39 Lui a une approche très pessimiste
01:17:41 dans le film, parce qu'il y a eu
01:17:43 aussi l'explosion de Beyrouth
01:17:45 et qu'elle a cassé quelque chose en lui.
01:17:48 Moi, je reste dans l'espoir
01:17:51 que ces petites pierres que nous apportons,
01:17:54 un jour, permettront de...
01:17:56 bah, de...
01:17:57 d'éclairer le monde sous un jour différent.
01:18:00 Et de ce point de vue-là,
01:18:02 le travail du photographe reste fondamental,
01:18:05 parce que 30 ans après,
01:18:07 ces photos de Palestine ont toutes leurs forces
01:18:10 et toutes leurs valeurs.
01:18:11 -On a le sentiment qu'il s'est cassé quelque chose.
01:18:14 Je suis foiné le cou, à cette période-là.
01:18:16 Il se consacre à des choses plus personnelles.
01:18:19 C'est l'Egypte, avec son amour de l'époque ?
01:18:22 -Oui, non. Moi, je pense que oui, effectivement,
01:18:24 il exprime, il y a quelque chose qui est brisé en lui.
01:18:27 Quand on fait ce genre de film,
01:18:29 et peut-être pour ça, on le ressent,
01:18:31 quand on fait ce genre de film,
01:18:33 je demande au photographe de revenir sur son parcours,
01:18:36 de regarder ça comme un album photo.
01:18:38 Donc, on a l'impression de faire le bilan d'une vie,
01:18:41 ce qui n'est pas simple.
01:18:43 Quand on fait le bilan de vie,
01:18:45 forcément, ça déclenche une tempête d'émotions.
01:18:47 Et c'est là, pendant le tournage,
01:18:49 où je me suis rendu compte qu'il y avait des blessures de vie
01:18:53 très fortes, peut-être plus fortes que la vie elle-même.
01:18:56 Donc, la réponse à tout ça, c'est le temps.
01:18:59 Il faudrait laisser passer un peu le temps.
01:19:01 Et je suis sûr qu'Ofwad, il s'arrêtera pas là.
01:19:04 Il trouvera d'autres raisons pour photographier le monde.
01:19:07 Parce que je pense qu'il a fait cause à toute sa vie,
01:19:10 et c'est important pour lui.
01:19:12 Donc, oui, il y a une rupture, comme il le dit, aujourd'hui,
01:19:15 mais je ne suis pas sûr que ça soit la fin pour lui.
01:19:18 Je pense qu'il continuera,
01:19:19 il trouvera d'autres terrains à explorer.
01:19:22 Comme il le dit, d'ailleurs, à la fin de film,
01:19:25 en regardant ses planches contacts,
01:19:27 il a tout un travail de mémoire à explorer.
01:19:29 Il a toujours travaillé sur la mémoire.
01:19:31 C'est-à-dire que quand il photographiait la guerre,
01:19:34 il photographiait les façades détruites,
01:19:37 et les gens lui demandaient pourquoi il faisait ça.
01:19:40 Il disait que c'était une question de mémoire.
01:19:42 Il voulait garder en mémoire cette ville,
01:19:45 parce que ça disparaît.
01:19:46 -Il a toujours étudié, ce qu'il affirme,
01:19:49 en tout cas, de ne plus photographier d'êtres humains.
01:19:52 -Oui. -Et il a publié récemment
01:19:54 "J'émerge". On va voir la couverture.
01:19:57 Ce sont effectivement des photos plutôt animalières,
01:20:00 des photos de nature qu'il a prises
01:20:03 depuis son refuge libanais d'aujourd'hui,
01:20:07 cette fameuse maison, avec son chien.
01:20:10 S'il fallait mettre quelque part Fouad El Khoury
01:20:13 sur l'échelle des photographes de son époque,
01:20:16 il y a des bases de comparaison, il est incomparable,
01:20:19 ou alors il colle aussi à une génération de photographes,
01:20:23 notamment photographe du monde arabe, Fouad El Khoury.
01:20:26 -C'est incontournable.
01:20:28 Il y a un livre dont on n'a pas parlé,
01:20:30 un ouvrage auquel il a contribué,
01:20:32 c'était "Berut, centre-ville", en 1991.
01:20:36 Pour revenir sur ce que disait Pierre,
01:20:38 la ville est détruite.
01:20:40 Il y a ce projet photographique,
01:20:42 qui est piloté par Dominique Hédé,
01:20:45 qui était écrivaine libanaise,
01:20:47 et qui décide de piloter ce projet avec six photographes.
01:20:51 Aujourd'hui, on pourrait critiquer
01:20:53 qu'il n'y a pas une seule femme dans ces photographes.
01:20:56 Gabriele Basilico, Robert Franck,
01:20:59 René Burry, Raymond Depardon,
01:21:01 Fouad El Khoury, et j'ai dû en oublier un.
01:21:04 Et Fouad contribue à porter ce regard
01:21:10 sur cette ville détruite.
01:21:12 C'est devenu un livre majeur,
01:21:14 très important dans l'histoire de la photographie,
01:21:17 dans l'histoire des livres de photographie
01:21:20 et dans l'histoire de Berut.
01:21:21 C'est un personnage incontournable dans la photographie,
01:21:25 dans le monde arabe, indéniablement.
01:21:28 Il n'est peut-être malheureusement pas assez connu, enseigné.
01:21:31 Ce qui est très bien, c'est que le documentaire de Camille
01:21:35 peut contribuer à faire découvrir, redécouvrir
01:21:38 le travail de ce photographe, à quel point c'est un grand chroniqueur
01:21:42 du monde arabe contemporain,
01:21:44 parce qu'on est encore dedans.
01:21:46 Ces photos ont du sens encore aujourd'hui.
01:21:48 Elles sont très importantes.
01:21:50 Donc oui, une figure incontournable.
01:21:52 À voir ce documentaire,
01:21:54 et on est impatients de connaître la suite.
01:21:57 -Théraski, est-ce qu'il y a une anecdote
01:22:00 qui vous revient immédiatement en tête,
01:22:02 qu'on n'aurait pas vue ou entendue dans le film que nous voulons voir,
01:22:06 mais à propos de laquelle vous voudriez parler
01:22:09 pour finir cette émission ?
01:22:11 -En fait, moi, j'étais chez lui, dans cette maison au Liban,
01:22:15 il y a deux ans,
01:22:16 lorsque le projet a commencé à germer,
01:22:19 et Fouad hésitait.
01:22:21 Il était dans ce refuge, il sortait d'un...
01:22:23 C'était un ermite.
01:22:25 Il parlait à son chien et à un âne.
01:22:27 Il a pas parlé de l'âne dans le film,
01:22:30 mais il y a aussi un âne qui joue un rôle
01:22:32 dans cet environnement là-bas.
01:22:35 Il hésitait à sortir de sa tanière.
01:22:37 Vous avez utilisé le mot "tanière".
01:22:39 Il hésitait à fendre la nouvelle armure
01:22:42 qui s'était construite.
01:22:44 Et on a beaucoup discuté, là-bas,
01:22:48 des bienfaits ou pas de faire ce film.
01:22:52 Et finalement, il a décidé de le faire.
01:22:54 Il a pas voulu qu'il soit fait dans cette maison au Liban,
01:22:58 parce qu'il voulait préserver,
01:23:00 sanctuariser cet endroit
01:23:03 qui est magique.
01:23:05 Il faut savoir qu'on est dans un endroit
01:23:07 d'une beauté exceptionnelle,
01:23:09 où, effectivement, il a passé des mois et des mois
01:23:14 sans parler à personne.
01:23:15 -2 000 jours, dit-il.
01:23:17 -Oui, c'était exceptionnel.
01:23:19 Il nous a dit qu'il allait nous emmener
01:23:21 dans son salon de lecture.
01:23:23 On a marché, on a traversé les champs d'Olivier,
01:23:25 on a marché pendant 10 minutes,
01:23:27 et on est arrivé sur une sorte de véranda
01:23:31 qui donnait sur la vallée, qui descendait vers Beyrouth.
01:23:34 C'était absolument magique.
01:23:36 C'est là qu'il se mettait tous les jours,
01:23:39 avec un livre, et qu'il lisait,
01:23:41 avec la splendeur du Liban,
01:23:43 la splendeur qui avait du mal à compenser
01:23:48 la cassure et les souffrances que le Liban lui avait provoquées,
01:23:52 et en particulier ce jour de rupture
01:23:55 qu'a été l'explosion du port le 4 août.
01:23:59 -C'est intéressant d'entendre ça,
01:24:01 parce que justement, effectivement,
01:24:04 on devait démarrer le film là-bas.
01:24:06 J'avais prévu de passer quelques temps avec lui,
01:24:09 démarrer le film dans les montagnes.
01:24:11 Il avait accepté, et puis dernière minute, changement.
01:24:14 Et c'est pour ça aussi, donc je l'ai fait venir à Paris.
01:24:18 C'est pour ça, cette mise en scène aussi.
01:24:21 Je me suis dit, on n'a pas accès au Liban,
01:24:23 comment on va faire ? On va projeter ces images.
01:24:26 On ne peut pas aller au Liban, on va faire venir Liban
01:24:29 dans un studio, et du coup, ça permettait de se retrouver
01:24:32 devant ces photos et un petit peu aller chercher ses souvenirs.
01:24:36 Et juste avant de partir, j'avais demandé
01:24:38 à Fouad El Khoury de filmer l'endroit où il est,
01:24:41 vu que moi, je pouvais pas y aller.
01:24:43 Je lui ai dit, "Est-ce que tu peux filmer juste rapidement ?"
01:24:47 Il me l'a envoyé. C'est ce qu'il a fait,
01:24:49 et ce sont les images qu'on voit à la fin du film,
01:24:52 ce qu'il m'avait envoyé avant de venir à Paris.
01:24:54 -Images que vous a donc envoyées, Fouad El Khoury, pour ce film.
01:24:58 Dernière question, c'est vraiment la toute fin.
01:25:01 Un documentaire consacré à Abbas, un autre à Fouad El Khoury.
01:25:04 Y aura-t-il un autre photographe
01:25:07 ou un nouveau documentaire ? -Plusieurs pistes.
01:25:09 J'aimerais bien, peut-être, un collectif de photographes
01:25:12 pour ne pas être juste avec une personne,
01:25:15 ou alors un photographe-femme ou artiste-femme.
01:25:18 Ce serait bien aussi, peut-être, consacrer un peu de temps
01:25:21 avec d'autres artistes, peut-être une femme.
01:25:24 -On se fera un plaisir de le présenter,
01:25:26 ce futur documentaire, dans cette émission.
01:25:28 C'est promis. Un gros merci à tous les trois
01:25:31 d'être venus parler de Fouad El Khoury
01:25:33 sur ce plateau de Débadoc.
01:25:35 C'est le nom de Fouad El Khoury par Fouad.
01:25:37 Vos réactions, ce sera sur #Débadoc.
01:25:39 Merci à Selma Sally, qui m'a aidé à préparer cette émission.
01:25:43 Je vous donne rendez-vous à la même place, à la même heure,
01:25:46 et toujours pour un Débadoc avec son documentaire et son débat.
01:25:50 A très bientôt.
01:25:51 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
01:25:54 Générique
01:25:57 ...
01:26:04 ♪ ♪ ♪

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