Anne Fulda reçoit Élodie Pinel pour son livre «Moi aussi je pense donc je suis» dans #HDLivres
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00:00 - Bienvenue à l'heure des livres, Élodie Pinel.
00:02 Alors, vous êtes agrégée de la métropole moderne et de philosophie.
00:05 Vous enseignez ces matières au lycée, essentiellement, un peu à l'université également.
00:10 Et vous venez de publier, moi aussi, je pense donc, "Je suis",
00:13 "Quand les femmes réinventent la philosophie".
00:15 C'est un livre qui est paru chez Stock, un livre avec une préface de Charlotte Katsiragi.
00:19 Évidemment, avant tout, on a envie de vous demander pourquoi avez-vous choisi ce thème ?
00:25 Est-ce que, comme vous l'écrivez, l'histoire de la philosophie occidentale était un domaine masculin réservé jusqu'alors ?
00:32 - Alors, j'ai envie d'écrire ce... J'ai eu envie d'écrire ce livre parce que, étant moi-même philosophe,
00:39 en tout cas, prof de philosophie et femme, je me suis rendue compte au fil de mes expériences d'enseignement et d'écriture
00:48 que je ne me sentais pas souvent légitime,
00:51 alors même que j'avais a priori tous les diplômes et tous les concours pour me sentir légitime
00:56 et que je gardais cette espèce de syndrome de l'impostrice, je dirais,
01:00 qui m'empêchait de me sentir totalement à ma place.
01:03 Je me suis rendue compte aussi qu'on était moins de collègues femmes que de collègues hommes,
01:08 encore aujourd'hui, il y a moins de profs de philo femmes que de profs de philo en maths, par exemple,
01:13 ça peut sembler étonnant,
01:14 et que les rayons des librairies et les rayons philosophie étaient saturés de noms masculins de même manière que l'histoire de la philosophie.
01:24 Et ayant une sensibilité féministe affimée depuis quand même quelques années,
01:28 lorsque j'ai voulu faire étudier à mes élèves des noms de femmes philosophes, des textes de femmes philosophes,
01:32 je me suis trouvée bien en peine d'en trouver.
01:35 - Alors, la question c'est, est-ce que parce que, finalement, c'est un domaine dans lequel certains philosophes,
01:40 très connus même, Desroussault, Schopenhauer, Nietzsche, sont avérés être de fiéfées mythogènes,
01:48 ou est-ce que finalement il n'y en avait pas de femmes philosophes ?
01:51 - Alors, il y en a toujours eu. En fait, c'est le propos de ce livre.
01:53 Ce n'est pas seulement de dire qu'aujourd'hui les femmes ont accès à la philosophie grâce à l'accès à l'enseignement,
01:57 notamment, en fait, ça fait seulement 100 ans que les jeunes filles peuvent étudier la philosophie au lycée,
02:03 donc on peut penser qu'il y a eu un changement à ce niveau-là.
02:07 En réalité, il y a toujours eu des femmes philosophes dès l'Antiquité.
02:10 La personne que cite Socrate comme étant celle qui l'a initiée à la philosophie, c'est Diotyme, c'est une femme.
02:16 Et puis, si on cherche, on trouve.
02:19 Et ça, c'est un constat qui a été fait déjà dès le 16e et 17e siècle.
02:23 Donc, on est un peu soit en retard, soit on bégait, en fait.
02:27 C'est l'histoire bégait.
02:28 Et on passe son temps à redécouvrir des femmes qui étaient déjà identifiées,
02:33 parfois très plébiscitées en leur temps, d'ailleurs,
02:35 mais qui n'ont pas toujours eu d'historiens, d'historiennes pour les défendre ensuite.
02:39 - En fait, c'est une question de, entre guillemets, d'évaluation,
02:41 parce qu'effectivement, on vient toujours sur les mêmes noms,
02:43 Simone de Beauvoir, Simone Veil, Anna Arendt, évidemment.
02:49 Est-ce que les autres femmes philosophes, elles n'ont pas émergé parce qu'on ne leur a pas attribué ou accordé ce statut de philosophe ?
02:57 Et finalement, qu'est-ce qui accorde ce statut de philosophe ?
02:59 En vertu de quoi on est philosophe ?
03:02 - Alors, c'est une très bonne question.
03:04 Je me la suis posée, j'y consacre un chapitre.
03:07 Est-ce que la philosophie, c'est un titre ?
03:10 Est-ce que c'est une espèce de récompense, un titre honorifique qui sanctionne des diplômes,
03:15 qui sanctionne une formation, qui sanctionne un enseignement, peut-être ?
03:19 Ou la formation d'un concept ?
03:22 Ou l'écriture de certains textes qui feraient autorité, qui seraient reconnus ?
03:26 Tout ça sont des critères qui peuvent s'accumuler, comme ils peuvent exister de manière indépendante.
03:31 On va voir, Socrate n'a jamais rien écrit.
03:33 Néanmoins, il est évidemment reconnu comme un des pères fondateurs de la philosophie,
03:38 parce que quelqu'un a consigné ses paroles aussi, Platon en l'occurrence.
03:43 Il a fait école.
03:44 Il est difficile de faire école quand on est une femme et qu'on n'a pas accès ni à l'enseignement en tant qu'élève, ni en tant que professeur.
03:50 Donc, ces femmes n'ont pas toujours été classées dans le groupe des philosophes,
03:58 tout simplement parce qu'officiellement, elles ne cochaient pas ces cases.
04:03 Néanmoins, elles ont réfléchi, elles ont écrit souvent, elles ont beaucoup parlé, aussi échangé.
04:09 Elles ont parfois fait école auprès même d'hommes qui ont reconnu leur autorité, leurs compétences,
04:16 notamment, je pense, au Moyen Âge avec certaines béguines comme Marguerite Porette.
04:20 Et il a fallu qu'aujourd'hui, il faudrait aujourd'hui encore,
04:25 que l'on accepte de décloisonner la philosophie et de ne pas la cantonner à la posture de maître et disciple,
04:33 de regarder les textes et leur réelle portée philosophique.
04:36 Oui, parce que les femmes ont souvent été présentées soit comme des disciples, soit comme des inspiratrices.
04:40 Juste dernière question, aujourd'hui, au XXIe siècle, finalement, est-ce que la situation a tellement changé que ça ?
04:46 Des femmes philosophes, on n'en voit pas tant émerger que ça.
04:49 Alors, en France, on en a beaucoup, en réalité.
04:52 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, dans l'université française, on a à la fois des historiens de la philosophie,
04:57 mais aussi de réels philosophes qui proposent de nouveaux concepts.
05:00 Alors, je pense notamment à Cynthia Fleury, je pense à Geneviève Fresse,
05:04 qui a été une des premières, d'ailleurs, à réévaluer l'apport du féminisme en philosophie.
05:07 Sophie Galabru vient de publier sur la famille.
05:12 Donc, on a toute une nouvelle génération de femmes philosophes au XXIe siècle,
05:17 notamment françaises, il faut être un petit peu chauvin aussi,
05:20 qui ouvrent la voie et qui inspirent les jeunes filles et qui leur donnent le courage, l'envie de philosophier à leur tour.
05:26 - Bon, alors tout espoir n'est pas perdu.
05:28 En tout cas, je vous conseille de lire ce livre qui est très instructif
05:32 et qui nous permet d'avoir un nouveau regard sur la philosophie.
05:35 Moi aussi, je pense, donc je suis, quand les femmes réinventent la philosophie.
05:38 C'est un livre qui est donc paru chez Stock.
05:40 Merci beaucoup, Élodie Pina. - Merci, Anne Fulta.
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