Alors que la crise agricole secoue la France, la colère des exploitants se concentre en grande partie sur le manque d’argent. A en croire les chiffres, en effet, 15 % des agriculteurs français n’avaient aucun revenu en 2021, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Dans le même temps, pourtant, au sein de certaines filières, le salaire moyen dépassaient 3 000 euros par mois. Ces disparités s’expliquent en fait par les grandes différences au sein du secteur : taille des exploitations, types de culture, zone géographique… Le Monde est allé à la rencontre d’agriculteurs de différents horizons pour mieux saisir ces grands écarts au sein de la profession. Certains d’entre eux insistent sur les difficultés qu’ils ont à se rémunérer.
Dans ce contexte, le projet de loi d’orientation agricole sera présenté en conseil des ministres le 29 mars. Après la forte mobilisation des agriculteurs depuis janvier, le gouvernement a assuré vouloir « consolider » le texte en y ajoutant, entre autres, des mesures de simplification, concernant notamment les textes sur les haies. Emmanuel Macron s’est également engagé à reconnaître l’agriculture « comme un intérêt général majeur de la nation française » et à l’inscrire dans la loi.
Dans ce contexte, le projet de loi d’orientation agricole sera présenté en conseil des ministres le 29 mars. Après la forte mobilisation des agriculteurs depuis janvier, le gouvernement a assuré vouloir « consolider » le texte en y ajoutant, entre autres, des mesures de simplification, concernant notamment les textes sur les haies. Emmanuel Macron s’est également engagé à reconnaître l’agriculture « comme un intérêt général majeur de la nation française » et à l’inscrire dans la loi.
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00:00 L'État est complice d'un génocide agricole.
00:02 Début 2024, agriculteurs et agricultrices manifestent.
00:07 On ne s'en sort plus.
00:08 Qui accepterait de travailler 40-50 heures par semaine pour 600 euros par mois ?
00:13 On n'a plus envie, on n'a franchement plus envie.
00:15 Hausse du prix du gasoil, retard de paiement, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase
00:19 pour cette profession qui, d'après l'INSEE, est déjà dans une situation critique.
00:23 En 2021, 15% d'entre eux ne dégagent aucun revenu de leur activité.
00:29 Pourtant, sur ces mêmes données, le revenu moyen par personne est de 1 800 euros par mois.
00:34 Alors, quels sont vraiment les revenus des agriculteurs ?
00:38 Et quelle réalité cachent tous ces chiffres ?
00:41 Pour bien comprendre ces réalités, je suis allée rencontrer les premiers concernés,
00:49 les agricultrices et les agriculteurs.
00:51 On a parlé de leur installation, de leurs conditions de travail et surtout de leur argent.
00:58 Bon, quand on parle de revenu agricole, on pense forcément à la vente des productions.
01:03 Sauf que l'agriculture regroupe des métiers très différents.
01:06 Je suis serrelier dans l'Eure. Je suis éleveur allaitant dans les Alpes, en Isère.
01:10 Et je suis maraîchère en Bretagne.
01:12 En France, en 2022, on compte environ 400 000 exploitants agricoles sur près de 290 000 fermes.
01:18 51% en font des cultures, 37% de l'élevage et 12% un mélange des deux.
01:24 Je fais principalement des grandes cultures, c'est-à-dire des céréales.
01:27 On a à peu près 45 mères charolaises, les veaux, les bœufs, les géminis.
01:31 Je produis une quarantaine de fruits et légumes.
01:34 Toujours en 2022, les recettes des ventes atteignent en moyenne 250 000 euros par exploitation.
01:39 Mais en fonction de la filière, il y a de grandes disparités.
01:44 Les éleveurs porcins, par exemple, ont des recettes de 860 000 euros en moyenne,
01:48 contre 220 000 pour les céréaliers ou 109 000 pour les éleveurs bovins.
01:53 Ces recettes dépendent fortement du prix de la production, des volumes produits, mais aussi du mode de vente.
01:59 Quand je vends au magasin de producteurs, à la ferme, dans mes paniers ou sur le marché, je décide de mes prix.
02:06 L'idée, c'est d'avoir un prix de vente qui permet de se rémunérer ou au moins de faire fonctionner la ferme,
02:12 tout en restant à peu près au niveau de ce qui se fait à côté.
02:15 Ce n'est pas comme moi où je peux le stocker.
02:17 Je choisis que le 24 février, c'est là où il est le plus haut, je peux le vendre.
02:21 En gros, moi, tous les jours, la première chose que je fais en me levant, en prenant mon café, c'est que je regarde les cours.
02:26 Là, je peux vendre du blé pour l'année prochaine, si je veux.
02:28 La fluctuation des prix est déterminante pour les revenus.
02:31 Sur l'année 2022, les éleveurs porcins ont, par exemple, bénéficié d'une hausse spectaculaire du prix du porc.
02:37 La filière porcine est assez habituée, on va dire, à avoir des vagues de prix assez fluctuantes.
02:43 En porc, il y a des très bonnes années et des très mauvaises.
02:46 Pour assurer des recettes minimums et garantir la sécurité alimentaire des Français, les agriculteurs ont aussi droit à des aides.
02:53 Il y a la PAC.
02:55 PAC pour Politique Agricole Commune.
02:58 Depuis les années 60, les pays européens ont mis en place des subventions à l'agriculture.
03:04 La majeure partie de ces aides est proportionnelle à la surface agricole.
03:09 Or, selon les filières, les surfaces utilisées sont très différentes.
03:13 Un hectare et demi en tout.
03:14 Un petit peu moins de 100 hectares.
03:15 Répartis sur 7 communes différentes.
03:17 300 hectares sur l'exploitation.
03:19 En 2022, la surface agricole utilisée par les maraîchers est en moyenne 10 fois plus petite que celle utilisée pour la production de céréales ou de betteraves.
03:29 Et on retrouve cette disparité dans le montant des aides directes distribuées par la PAC.
03:35 Du coup, plus on agrandit, plus on gagne.
03:37 Donc, elle pousse à l'agrandissement des fermes et pas forcément à être performant sur cette surface,
03:42 mais à faire la course aux hectares.
03:45 Mais la surface n'est pas le seul critère.
03:48 Après, il y a des aides qui sont modulées par rapport à tes pratiques et ce que tu fais sur l'exploitation.
03:52 Parmi ces autres aides, il y a les écoregimes mis en place en 2023.
03:57 Il s'agit de subventions qui récompensent les pratiques vertueuses pour l'environnement.
04:02 Par exemple, si j'ai assez de haies ou de couverts végétaux ou de jachères, j'ai le droit à des aides.
04:09 Et il y a ensuite les aides au développement rural.
04:12 Par exemple, mon père a fait des installations de panneaux photovoltaïques.
04:16 Moi, j'ai acheté certains types de matériel pour réduire mes intrants.
04:21 Et donc là, j'ai eu des aides grâce à ça.
04:23 Ces aides permettent aussi de maintenir l'activité dans certaines zones rurales isolées.
04:28 Notamment l'indemnité compensatoire de handicap naturel.
04:32 Ici, tout est en pente, c'est beaucoup des petits prés.
04:35 Les vaches ont un vrai rôle d'entretien de la montagne ici.
04:39 Enfin, certaines aides ponctuelles viennent soutenir les filières en difficulté
04:44 ou compenser les pertes liées aux aléas climatiques.
04:47 Comme par exemple pour la tempête Siaran en 2023.
04:50 Sur les 7 tunnels que j'avais, il n'y en a que 2 qui sont restés debout et intacts.
04:55 Les autres ont été arrachés ou écrasés par la tempête.
04:58 Si on reprend la répartition des recettes des exploitations en 2022,
05:02 on voit que les aides représentent un tiers des recettes des producteurs de viande bovine.
05:06 Alors qu'elles représentent moins de 5% des recettes en maraîchage.
05:10 Bon, tout ce qu'on a vu, c'est de l'argent qui rentre.
05:14 Mais en face, bien sûr, il y a des dépenses.
05:17 Et elles sont importantes.
05:19 La tenue d'une ferme représente chaque année des charges fixes.
05:23 L'eau, l'électricité par exemple, des taxes foncières pour les terres,
05:28 la certification bio par exemple, ça coûte à peu près 500 euros par an.
05:32 Tout ce qui est cotisation, sauf que nous c'est pas l'URSAF, c'est la MSA.
05:35 À cela s'ajoutent des dépenses d'approvisionnement pour la production.
05:39 Ça va être tout ce qui est semences ou plants.
05:42 Les produits phytosanitaires, les engrais.
05:44 Et après, des charges courantes d'entretien du matériel, de gasoil.
05:49 Et pour certains s'ajoute le fermage, c'est-à-dire la location des terres cultivées.
05:54 Ces charges pèsent plus ou moins lourd dans le budget des agriculteurs.
05:58 Ces dernières années, c'est particulièrement important
06:02 pour les éleveurs de porcs et de volailles nourris au grain.
06:05 Suite à la guerre en Ukraine, on a triplé le prix des engrais
06:08 et on a doublé le prix des céréales.
06:10 La mécanisation a aussi rendu les agriculteurs particulièrement vulnérables
06:14 aux variations du prix du pétrole.
06:16 Au printemps, on a une dizaine de lots de vaches à gérer en permanence.
06:20 Pas mal de dénivelé aussi à faire avec les tracteurs.
06:23 Donc ça consomme un peu.
06:25 Et quand le gasoil a été l'an dernier à 2 euros du litre,
06:28 ça fait vite monter la note aussi.
06:32 En vrai, moi je suis coincé entre les deux.
06:34 C'est soit le pétrole, c'est-à-dire qu'on passe avec plusieurs fois dans nos champs
06:38 pour essayer de réduire la chimie, ou c'est la chimie et on réduit le pétrole.
06:44 Mais ce qui pèse aussi beaucoup dans les dépenses,
06:49 ce sont les emprunts réalisés pour débuter l'activité agricole.
06:53 Là encore, il y a de nombreuses disparités.
06:56 J'ai eu la chance d'avoir un prix familial, on va dire ça comme ça.
06:58 Je reprends l'exploitation à mon père,
07:01 c'est-à-dire que je lui rachète une partie de l'exploitation.
07:05 Et pour se lancer dans l'élevage, les ressources nécessaires sont encore plus élevées.
07:09 Il y en a pour 2 à 3 000 euros par vache,
07:11 donc on évite des montants d'investissement qui sont lourds.
07:14 Enfin, les charges de personnel sont très grandes
07:19 dans les cultures peu automatisées comme le maraîchage.
07:22 Je vais employer quelqu'un un peu plus d'un mi-temps
07:25 et ça fait un petit peu comme si je devais payer deux fois mon emprunt tous les mois.
07:29 Bon, reprenons les recettes moyennes des exploitations en 2022.
07:38 Déduisons les charges.
07:40 Il reste le bénéfice annuel,
07:42 qu'il faut encore rapporter au nombre de personnes à la tête de l'exploitation.
07:46 On obtient le solde disponible.
07:49 On constate que certaines filières, comme le maraîchage et l'élevage de bovins,
07:53 peinent plus que les autres à dégager des bénéfices.
07:56 On va dire qu'aujourd'hui, on se fait un SMIC à peu près à 1 002, 1 003.
08:00 C'est pas trop mal.
08:02 Après, il est arrivé qu'une année, on n'avait pas assez de vaches à vendre.
08:05 Pendant 6 mois, on a choisi de ne pas se prélever de l'argent.
08:08 Donc cette année, qui va être ma troisième saison vraiment complète,
08:12 je commence à me rémunérer.
08:14 Et en année 5, l'idée, c'est d'arriver à peu près à un SMIC.
08:17 L'équivalent du SMIC, mais pour un temps de travail particulièrement élevé.
08:21 En 2019, les agriculteurs déclaraient travailler 55 heures par semaine en moyenne.
08:26 Avec une contrainte et une responsabilité H24.
08:31 Si on regarde les revenus en fonction de la taille des exploitations,
08:36 toutes filières confondues, on se rend compte que plus elles sont grandes,
08:39 plus les bénéfices sont importants.
08:41 Je trouve que moi, depuis que je suis arrivé dans le bivéricole,
08:43 on augmente toujours pour pouvoir en vivre.
08:45 Et donc ça pousse les gens à racheter des terres,
08:48 à toujours avoir plus gros, plus gros, plus gros.
08:50 Et avec les bénéfices de leur ferme,
08:52 les agriculteurs doivent encore arbitrer entre se rémunérer et investir.
08:57 En tant que serralier, on n'est pas les moins bien lotis.
09:00 En gros, moi, je me sors un SMIC.
09:02 Et le reste, même si j'ai un peu plus d'un SMIC, je le réinvestis.
09:06 Par exemple, pour acheter du matériel, des terres, des animaux, des bâtiments.
09:10 Mais il y a des choses qui sont aussi payées par la ferme.
09:13 La plupart de mon carburant, mes abonnements de téléphone.
09:16 Malgré cela, certains agriculteurs choisissent d'exercer une autre activité
09:20 pour s'assurer un minimum de revenus.
09:22 Selon la Sécurité sociale agricole, en 2020,
09:25 plus d'un tiers des nouveaux agriculteurs étaient pluriactifs.
09:29 Ce sont des activités qui ne sont pas toujours très rémunératrices dans les premiers temps.
09:32 Et ils ont besoin de garder une certaine stabilité.
09:36 Les revenus des agriculteurs sont donc très inégaux.
09:41 Certains s'en sortent relativement bien, d'autres peinent à se payer.
09:45 Et les moyennes nationales reflètent difficilement la diversité de cette situation.
09:49 Enfin, il faut garder en tête que ces revenus peuvent varier du tout au tout.
09:54 Tous les ans, on jette les dés et on voit ce qu'on va faire.
09:57 Covid, guerre, sécheresse, inondations
10:00 peuvent à tout moment chambouler les revenus du monde agricole.
10:03 Une situation qui risque de s'aggraver avec le réchauffement climatique.
10:08 Sous-titrage Société Radio-Canada
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