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Gilles Gaetner est spécialiste des affaires politico-financières. Journaliste à L’Express pendant 25 ans, il a publié de nombreux ouvrages. Le dernier en date, "La guerre secrète entre juges et politiques", vient de paraître aux éditions de L’Artilleur. Dans cet entretien pour TVLibertés, Gilles Gaetner revient sur les relations tendues entre le pouvoir et l’autorité judiciaire depuis 1981. Une occasion d’aborder également des questions sensibles voire tabou, comme l’affaire Fillon ou les liens de certains juges avec la franc-maçonnerie.

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Transcription
00:00 [Générique]
00:06 Bonjour à tous, bienvenue dans ce nouveau numéro du Zoom de TV Liberté.
00:10 Aujourd'hui, j'ai la joie de recevoir Gilles Gaetner. Bonjour Monsieur.
00:15 Bonjour.
00:16 Vous êtes Gilles Gaetner, journaliste spécialiste des affaires politico-financières.
00:20 Vous avez notamment travaillé 25 ans durant À l'Express.
00:24 Vous êtes l'auteur de nombreux ouvrages.
00:26 Le dernier vient de paraître chez l'Artilleur, son titre La guerre secrète entre juges et des politiques.
00:33 Un livre passionnant, disponible sur la boutique en ligne de TVL.
00:38 Alors, dans toute guerre, Gilles Gaetner, l'un des deux belligérants, lance l'offensive.
00:43 Qui des juges ou des politiques a attaqué le premier ?
00:46 Je crois que c'est réciproque, avec peut-être un point de départ de la part des juges.
00:55 Mais s'ils attaquent, c'est parce que les politiques ont commis une faute.
01:00 Donc, on peut dire un partout, en fait.
01:03 Et alors, de façon générale, comment vous pourriez décrire,
01:08 le livre part donc du début du premier septembre à l'interrompt, 1981,
01:13 comment vous pourriez décrire l'évolution des relations entre les juges et les politiques
01:17 sur cette deuxième partie de la Vème République ?
01:20 Alors, si vous voulez, la première partie, elle a trait à l'indépendance des juges.
01:27 Pendant de nombreuses années, dans les années 80, 82, 83 et avant,
01:33 les juges étaient dans l'ensemble très proches ou inféodés,
01:39 surtout les gens du parquet, inféodés au pouvoir politique.
01:44 Et le pouvoir politique ayant eu une propension à vouloir faire,
01:50 excusez-moi l'expression, des cartons contre certains hommes politiques,
01:54 eh bien, ça a donné une guerre.
01:57 Et cette guerre, elle continue.
01:59 Et je crois qu'elle n'est pas prête de s'arrêter.
02:02 Vous avez vu les affaires Sarkozy, les affaires Fillon, pour parler des plus récentes.
02:07 Mais il y a eu aussi, sous la gauche, dans les années 81, 82,
02:11 une guerre assez forte entre les magistrats et les hommes politiques.
02:15 Je pense à l'affaire Cafre du Développement ou à Urba,
02:18 qui était une officine destinée à financer le Parti Socialiste.
02:22 – Oui, vous vous rappelez d'ailleurs cette phrase fameuse de François Mitterrand,
02:26 qui, lors du dernier Conseil des ministres qu'il préside,
02:29 dit à ses ministres "les juges ont abattu la monarchie, ils abattront la République".
02:35 – Tout à fait.
02:36 – Et pour prolonger ce que vous dites, dans l'ensemble, depuis 81,
02:42 les présidents de la République n'ont jamais eu, non pas une estime,
02:47 mais un grand amour vis-à-vis des magistrats.
02:51 La République a été, comme je le disais,
02:54 a été parsemée d'affaires qui, évidemment, ne plaisaient guère aux hommes politiques.
03:00 Quand un homme politique est mis en examen et est condamné,
03:04 il n'est pas content et souvent il estime que c'est injuste
03:09 et il en recourt au suffrage universel.
03:12 Je me souviens d'Henri-Emmanueli, qui était le trésorerie du PS
03:15 qui avait été inculpé de trafic d'influence par Renaud Van Roembeek
03:19 dans la célèbre affaire Urba, avait dit "bon, effectivement,
03:23 mais c'est le peuple qui sera juge", et il avait été réélu député.
03:28 Donc la faute n'existait plus.
03:30 C'est souvent la stratégie des hommes politiques disant
03:34 "le suffrage universel seul est juge de nos fautes ou de pas"
03:38 ou lorsqu'il n'y a pas de fautes.
03:41 – Alors vous décrivez ce mouvement de décaporalisation
03:44 progressif de la justice et pourtant vous revenez aussi
03:48 sur la récente relaxe du garde des soirées du pont Moretti
03:51 par la Cour de justice de la République.
03:54 Vous évoquez également le casting judiciaire qu'a fait passer Macron
03:58 au candidat pour le poste de procureur de la République de Paris.
04:02 La collusion des juges et des politiques n'est donc pas complètement terminée.
04:06 – Non, mais alors pour l'affaire de la Cour de justice de la République
04:11 dans laquelle, au cours de laquelle M. Dupont Moretti a comparu,
04:16 là on est un peu dans une configuration différente
04:21 de celle que je viens de dire, c'est que les 15 juges de la Cour de justice
04:27 on doit faire le tri, vous avez 12 parlementaires
04:30 qui sont des juges politiques, 12, 6 sénateurs, 6 députés
04:34 plus 3 magistrats professionnels et on a bien vu que dans l'arrêt
04:37 qui a été rendu le 29 novembre 2023 relaxant M. Dupont Moretti,
04:43 on a bien vu que c'est le pouvoir politique qui l'a emporté sur les juges.
04:48 C'est les juges politiques qui ont fait la différence,
04:51 c'était 12 contre 3, donc ça, ça me paraît assez clair.
04:55 – Bien entendu, sans entrer dans les détails,
04:58 à la Cour des cassations, la plus haute juridiction de notre pays,
05:02 certains juges se sont un peu étonnés de l'arrêt de la Cour
05:06 puisqu'il était un peu en contradiction avec la jurisprudence
05:11 sur le délit de prise illégale d'intérêt qui dit que, en principe,
05:16 dès l'instant où la matérialité de la faute est reconnue,
05:21 le délit lui aussi doit être reconnu.
05:23 Or, la Cour de justice est allée au-delà de la jurisprudence de 1905.
05:29 – Et alors, est-ce que cet étonnement plaide, selon vous,
05:32 pour une suppression de la Cour de justice de la République ?
05:34 – Alors absolument, beaucoup de gens plaident pour la suppression de la juridiction.
05:39 C'est une juridiction qui a vu beaucoup de choses
05:41 qui n'avaient pas un grand intérêt à part l'histoire du sang contaminé,
05:44 mais vous avez Ségolène Royal qui est allée devant la Cour de justice
05:47 de la République pour une histoire de diffamation.
05:50 Les peines sont en général, à part M. Gilibert
05:53 qui était secrétaire d'État aux personnes handicapées,
05:57 les peines sont minimes, l'instruction est longue,
06:00 il n'y a pas de possibilité de faire appel,
06:03 il y a simplement un pourvoi en cassation.
06:06 Bon, tout ça, en principe, quand on parle de Cour de justice,
06:12 on pense à la haute trahison, la tâte à la sûreté de l'État,
06:15 la prise illégale d'intérêt de M. Dupond-Moretti.
06:19 On est loin de la trahison, on est loin de l'image qu'on a de la Cour de justice.
06:25 Bon, donc il faudrait effectivement, moi je ne suis pas le législateur,
06:31 mais il faudrait effectivement la supprimer,
06:35 non pas donner au tribunal ordinaire,
06:38 mais au moins réduire le nombre de députés ou de sénateurs
06:44 à l'intérieur de sa composition,
06:46 et puis permettre qu'on puisse faire appel,
06:49 et qu'il n'y ait même pas de parti civil.
06:51 Donc quand il n'y a pas de ministre qui sont mis en cause,
06:55 l'affaire est jugée ailleurs.
06:57 Donc tout ça n'a pas un grand sens, c'est une perte de temps, à mon avis,
07:01 mais à l'heure actuelle, ce n'est pas, à mon avis, la priorité du gouvernement.
07:06 – Alors Gilles Gaetner, vous dédiez un chapitre de votre passionnant ouvrage
07:10 à l'affaire Fillon.
07:12 Y-a-t-il eu en la matière, selon vous,
07:15 une sorte de hold-up judiciaire sur la démocratie française ?
07:18 – Alors, hold-up, je ne dirais peut-être pas,
07:21 c'est peut-être, bon, c'est vous qui employez le mot,
07:23 mais ce qui est sûr, c'est que c'est une chose qui n'est jamais arrivée
07:28 de mémoire depuis la Ve République,
07:30 voir un homme politique sous le coup d'un article de presse,
07:36 en l'occurrence le "Cala enchaîné", qui sort le 25 janvier 2017,
07:40 et qui, dans la foulée, entraîne l'ouverture d'une préliminaire.
07:43 Parce qu'on savait que la préliminaire…
07:45 – Ça se passe deux heures entre les deux.
07:46 – Oui, à peu près, et il se passe que l'enquête préliminaire
07:49 allait déboucher forcément sur l'information judiciaire,
07:51 et que ça allait mettre dans l'embarras le candidat Fillon,
07:55 et ça allait surtout lui faire baisser sa cote de popularité,
07:59 ça c'était clair.
08:00 Alors, est-ce qu'il y a eu un complot, au sens où on l'entend ?
08:03 Je ne pense pas, mais ce qui est sûr,
08:05 c'est qu'il y a une célérité extrêmement rapide
08:09 sur les reproches qui ont été faits à M. Fillon.
08:13 Alors évidemment, on se pose la question, d'où vient le coup ?
08:16 Est-ce que ça vient de Bercy ?
08:18 Est-ce que ça vient de l'adversaire politique de François Fillon ?
08:23 Est-ce que ça vient de la question de l'Assemblée Nationale,
08:26 qui regorge de documents importants sur les parlementaires,
08:30 sur les députés, ou encore de Bercy ?
08:33 C'est la question qu'on peut se poser.
08:35 Mais ce qui est sûr, quand on regarde les auditions des uns et des autres
08:38 sur la commission d'enquête de 2020 sur l'indépendance de la justice,
08:43 on voit qu'on a éliminé certains juges pour en mettre d'autres,
08:50 pour instruire l'affaire Fillon,
08:52 et on savait qu'avec eux, ça irait très vite,
08:55 et ça serait, on irait jusqu'au bout.
08:57 Et c'est ce qui est arrivé, puisque l'affaire Fillon,
08:59 elle est terminée, peut-être qu'il y aura,
09:02 avec l'histoire de la QPC, c'est un peu compliqué à expliquer,
09:06 peut-être qu'il y aura un nouveau procès.
09:08 Mais bon, c'est sûr que c'est la première fois qu'on voit
09:12 un homme politique empêché de concourir à armes égales
09:16 pour l'élection de la présidence de la République, là c'est clair.
09:20 – Une réalité revient beaucoup dans votre ouvrage,
09:25 cette réalité c'est l'article 5 de l'ordonnance du 22 septembre 1958
09:31 qui organise d'une certaine façon la subordination du parquet
09:34 vis-à-vis du pouvoir politique, je cite cet article,
09:39 "les magistrats du parquet sont placés sous le contrôle
09:41 et la direction de leur chef hiérarchique
09:43 et sous l'autorité du garde d'Essoe, ministre de la Justice".
09:47 Faut-il réformer cette disposition ?
09:50 – Oui, vous avez raison, ce qu'il faudrait faire,
09:52 c'est que le parquet général, les parquets soient réellement indépendants,
09:56 en particulier les procureurs généraux
09:58 qui sont autour de 29-30 sur le territoire français.
10:02 Au lieu d'être nommé en conseil des ministres,
10:05 finalement c'est le choix du prince,
10:07 on pourrait prévoir un procureur général de l'ensemble de la nation
10:11 qui serait élu par ses pairs ou par une commission composée
10:16 de parlementaires, de juristes et qui désignerait
10:19 ce procureur général chargé de l'ensemble de la politique pénale
10:24 et de l'action publique, ce qui permettrait évidemment
10:27 d'éviter les pressions, les interrogations,
10:31 les doutes sur l'indépendance.
10:33 Mais comme je l'ai fait remarquer dans le livre,
10:36 le président actuel de la République a été clair,
10:39 je suis pour un parquet à la française,
10:42 ça veut dire que le parquet est sous la tutelle du pouvoir politique
10:47 et c'est le pouvoir politique qui mène,
10:49 qui décide de la politique pénale du gouvernement.
10:52 Alors évidemment, c'est un avantage,
10:55 c'est que les gens sont libres,
10:57 mais on trouvera toujours une raison pour dire
10:59 que telle décision de ce procureur général de la nation
11:02 est dictée par des raisons qui ne sont pas forcément nobles.
11:06 Il y aura toujours...
11:07 La justice depuis quelques années,
11:09 elle mécontente tout le monde.
11:11 Bon, qu'est-ce que vous voulez faire ?
11:13 Je ne connais aucun pays où on est en admiration devant sa justice,
11:16 surtout dans les affaires politico-financières.
11:18 – Alors Gilles Gaetner, il y a quand même une autre particularité française
11:22 sur laquelle je souhaitais vous interroger,
11:24 qui est la division de notre justice en deux ordres,
11:27 l'ordre judiciaire et l'ordre administratif.
11:30 On a vu par exemple pendant le Covid,
11:33 combien le Conseil d'État avait avalisé,
11:35 un peu contre la lettre et l'esprit de la loi,
11:37 beaucoup des décisions du gouvernement.
11:39 Ne faut-il pas aussi se débarrasser de l'ordre administratif français ?
11:43 – Se débarrasser de l'ordre administratif français,
11:47 c'est mettre à bas des siècles de pouvoir.
11:50 Moi ça me paraît...
11:52 Bon, je ne suis pas tout à fait d'accord.
11:55 Le Conseil d'État, qui est très critiqué en ce moment,
11:58 surtout avec la décision de l'Arkom,
12:00 à mon avis, est quand même le gardien des libertés publiques.
12:05 Il suffit de...
12:06 Chaque étudiant en droit depuis des années et des lustres,
12:10 a appris quand même que le Conseil d'État,
12:12 en matière de liberté d'association,
12:14 était quand même respectueux de l'ordre public et du droit.
12:19 Mais c'est un avis qui est partagé,
12:20 visiblement depuis quelque temps, par peu de gens.
12:25 – Alors Gilles Gaetner, dans la guerre entre les juges et les politiques,
12:30 il y a ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas,
12:33 ce qui se déroule en coulisses.
12:35 Et à ce titre, vous revenez sur un personnage bien connu
12:37 de nos téléspectateurs, qui revient en actualité,
12:39 Rachida Dati.
12:41 Vous racontez que lorsqu'elle était garde des Sceaux,
12:45 en fait elle ne décidait pas de grand chose au ministère de la Justice.
12:49 – Non, non, alors je sais qu'elle va encore,
12:51 si elle m'écoute, elle ne sera pas tout à fait d'accord avec moi,
12:53 mais effectivement, elle avait au-dessus d'elle,
12:56 quelqu'un qui s'appelait Patrick Ouart,
12:58 qui était un petit peu le père Joseph du ministère,
13:01 qui était un personnage assez brillant.
13:03 – Envoyé par Sarkozy, non ?
13:04 – Oui, qui était proche de Sarkozy,
13:06 et il a été, à l'époque de Madame Dati,
13:08 il a été en quelque sorte le vice-ministre de la Justice.
13:12 Mais pour revenir à ce que vous disiez,
13:15 je le mentionne d'ailleurs dans le livre,
13:18 tout n'est pas négatif dans le bilan de Rachida Dati,
13:21 en particulier, elle a eu le courage d'entamer la réforme
13:26 de la carte judiciaire qui remontait à des lustres,
13:29 et puis elle a créé quand même quelque chose
13:31 qui moi me semblait quand même utile,
13:33 c'est ce haut fonctionnaire qui était gardien
13:37 des lieux de privation de liberté,
13:40 pour remettre un peu d'humanité dans les prisons,
13:43 ce qui était quand même, à mon avis,
13:45 quelque chose de nécessaire.
13:46 Ce qui ne veut pas dire qu'on doit ouvrir les prisons,
13:49 ce n'est pas ça, mais elle a quand même essayé
13:52 de faire quelque chose, et son caractère un petit peu,
13:55 à la fois volubile, exubérant, lui a peut-être joué des tours.
14:00 Une espèce chez elle, il y avait une espèce,
14:03 elle l'a toujours, d'ailleurs on le voit,
14:05 elle est maintenant ministre de la Culture,
14:08 et en réalité on a le sentiment que ce qui l'obsède,
14:10 c'est plutôt la mairie de Paris, mais ça c'est son droit.
14:13 – Oui, elle a dit d'ailleurs dès sa nomination,
14:15 "Place Vendôme".
14:16 – Absolument, c'est la mairie de Paris, absolument,
14:18 alors est-ce que derrière il n'y a pas un calcul ?
14:21 Poser la question c'est déjà y répondre,
14:23 un calcul de la part du président de la République actuelle,
14:25 pour booter hors de la mairie de Paris,
14:27 Madame Hidalgo, pour mettre Rachida Dati à sa place,
14:32 à condition que les électeurs le veuillent bien,
14:35 ça on verra plus tard.
14:37 – Une citation de votre ouvrage,
14:39 que je porte à la connaissance de nos téléspectateurs,
14:42 vous évoquez le magistrat Éric de Montgolfier,
14:44 et vous dites "Éric de Montgolfier, célèbre pour avoir ferrailli
14:48 avec Bernard Tapie lors de l'instruction
14:50 concernant le match de foot OM-Valenciennes,
14:53 n'hésitera pas à clamer à plusieurs reprises
14:55 qu'un juge devrait dire à sa hiérarchie
14:58 son appartenance à la franc-maçonnerie,
15:00 que pouvez-vous, Gilles Gaetner, nous dire des liens,
15:03 s'il y en a, entre les prétoires et les loges ?
15:06 – Alors, il y a eu incontestablement,
15:08 il y a des magistrats qui sont francs-maçons,
15:11 il y a parfois eu des débordements, des dérapages,
15:14 comme à Nice où il y avait le doyen des juges d'instruction
15:18 qui utilisait sa fonction de membre d'une loge
15:23 pour faire avancer les dossiers,
15:26 et Éric de Montgolfier qui était là,
15:28 qui était le procureur de Nice, a mis le holà
15:32 en faisant poursuivre disciplinairement ce juge d'instruction,
15:37 mais je dois ajouter que dès l'instant
15:40 où la franc-maçonnerie n'est pas interdite par la loi,
15:47 je ne vois pas pourquoi un juge ne pourrait pas être franc-maçon,
15:52 mais il y a un mais, c'est qu'à aucun moment
15:55 dans son fonctionnement, il doit montrer
16:01 qu'il est membre de la franc-maçonnerie,
16:03 voilà ce que je pense, alors Montgolfier,
16:06 lui il est assez très engagé là-dessus,
16:09 est-ce que les juges devraient vraiment se déclarer francs-maçons ?
16:13 – Est-ce que vous pensez que cette appartenance
16:15 a un impact sur les décisions de justice ou c'est du fantasme ça ?
16:19 – Je pense qu'il est du fantasme,
16:22 alors il y a toujours, moi j'ai enquêté sur beaucoup d'affaires,
16:25 en particulier sur la côte d'Azur,
16:29 effectivement il y avait des choses troublantes,
16:32 mais il y a eu des affaires au tribunal de Nîmes,
16:35 au tribunal de Nice, où visiblement des magistrats faisaient état,
16:42 intervenaient pour des amis francs-maçons,
16:45 vous avez d'autres magistrats qui sans doute sont intervenus
16:49 pour d'autres personnes qui n'étaient pas francs-maçons,
16:52 et comme vous le savez, tous les partis politiques
16:55 ont chacun des francs-maçons dans leurs membres,
17:02 donc bon, et la franc-maçonnerie a beaucoup moins d'importance
17:06 à mon sens que sous la Troisième République ou la Quatrième,
17:10 à mon sens, mais bon, moi je crois que ce que je vois,
17:15 donc je ne vais pas, je suis comme Saint-Thomas,
17:18 donc je ne vais pas aller au-delà.
17:20 – Alors autre sujet qu'on voit ou qu'on ne voit pas,
17:23 mais en tout cas que vous abordez,
17:26 c'est celui de la fin du secret de l'instruction,
17:29 la fin de facto du secret de l'instruction,
17:32 les journalistes n'y sont pas pour rien,
17:35 avec tous les problèmes que cela pose
17:37 pour le déroulement serein et équitable d'une procédure,
17:40 y a-t-il selon vous un moyen de garantir aujourd'hui
17:44 que le secret de l'instruction soit respecté
17:48 ou il faut définitivement reléguer cette notion au passé ?
17:51 – Alors reléguer cette notion au passé,
17:54 ça me paraît quand même un peu difficile,
17:57 et ce n'est pas moi qui vais être le profondeur
18:00 du secret de l'instruction, dans la mesure où à plusieurs reprises
18:03 je l'ai violé allègrement,
18:05 surtout dans les affaires politico-financières,
18:08 mais on est quand même devant un problème difficile,
18:10 vous avez une instruction en cours par exemple,
18:12 qui met en cause un homme politique,
18:14 vous avez une autre personne qui est partie civile,
18:17 la partie civile a accès au dossier, comme l'homme politique,
18:21 la partie civile peut très bien parler et dire aux journalistes,
18:24 ou à quelqu'un d'autre, voilà moi ce qu'il y a dans le dossier,
18:27 donc c'est une violation du secret de l'instruction.
18:30 En matière de politique, de matière politico-financière,
18:34 je pense qu'on peut atténuer, d'ailleurs il n'existe pratiquement plus,
18:39 on voit bien toutes les affaires qui sortent, etc.
18:41 Par contre, alors je mets un bémol sérieux sur les affaires criminelles.
18:46 Vous avez vu ce qui se passe,
18:48 dès l'instant où un meurtre, pas d'une personnalité,
18:52 mais qui prend une résonance médiatique très importante,
18:55 tout de suite dans les 24 heures, vous avez un journaliste
18:58 qui évoque l'hypothèse de telle ou telle piste, etc.
19:03 Et ça brouille considérablement le dossier d'instruction
19:07 et ça met par terre toute la procédure.
19:11 Le cas type est évidemment l'affaire Grégory Villemin,
19:14 où chacun y allait.
19:16 Il y avait même des journalistes qui étaient des pro-Villemin,
19:19 des anti-Villemin, donc on était dans l'absurde,
19:21 et ça c'est, à mon avis, en matière criminelle,
19:24 et on a vu récemment sur l'affaire Jubilar,
19:26 on arrive à des choses totalement absurdes.
19:28 On désigne du doigt quelqu'un qui n'a rien à voir avec le dossier.
19:36 Moi je me souviens, ça me revient,
19:38 quand Yann Pia a été assassiné,
19:41 qui était député apparenté à l'époque Front National,
19:46 les journalistes se sont mis sur une piste,
19:49 et puis ils ont poursuivi ce type qui était en voiture,
19:54 qui se paladait, avec quelqu'un qui n'avait rien à voir,
19:57 c'est un préjudice quand même,
19:59 quand on vous pointe du doigt d'avoir commis un crime,
20:03 c'est quand même difficile.
20:05 Marquez, c'est aussi difficile pour un homme politique,
20:07 quand on l'accuse d'avoir eu une bien sociale de corruption,
20:10 et qu'au bout du compte, il est relaxé.
20:13 C'est pour ça que moi je crois qu'il y a une chose qu'on pourrait faire,
20:16 c'est lorsqu'on a mis en cause dans un journal,
20:18 vous voyez, je vais loin,
20:20 lorsqu'on a mis en cause, je ne suis pas le seul à le dire,
20:22 on a mis en cause quelqu'un, un homme politique dans un journal,
20:25 et qu'il est relaxé au bout du compte, au bout de 2-3 ans,
20:28 eh bien on devrait publier un article de la même grandeur,
20:31 de la même longueur que l'article qu'il assommait,
20:34 si je puis dire, 3 ou 4 ans auparavant.
20:36 Mais au bout de 3-4 ans, si vous remettez le couvert,
20:40 vous remettez à nouveau, on est dans un cercle vicieux.
20:44 – Alors ma dernière question, face au, ce que certains, d'aucuns,
20:48 qualifient d'angélisme pénal, laxisme judiciaire,
20:51 ou de gouvernement des juges,
20:53 certains rêvent d'une sorte de système à l'anglo-saxonne,
20:56 avec une élection au suffrage universel des magistrats,
20:59 qu'en pensez-vous ?
21:01 – Je dirais que la France n'est pas les États-Unis,
21:04 n'est pas l'Angleterre, donc, rendez compte,
21:07 si maintenant on décidait que les juges étaient élus,
21:11 ça voudrait dire que les 9 000 juges qui sont dans le pays
21:15 se retrouveraient au chômage, je caricature volontairement,
21:19 mais ce n'est pas dans notre culture, pour une raison simple,
21:22 c'est que aux États-Unis, et en Angleterre, et en Grande-Bretagne,
21:26 vous avez une procédure de type accusatoire,
21:29 c'est-à-dire que c'est le représentant du ministère public
21:32 qui est une partie au procès, qui mène l'enquête,
21:35 et il n'y a pas un juge d'instruction qu'on peut soupçonner
21:38 d'instruire à charge, uniquement à charge, comme c'est le cas,
21:41 on reproche beaucoup aux juges d'instruction,
21:43 d'ailleurs Balzac le disait, c'est l'homme le plus puissant de France,
21:46 moi je crois que le système, il faut toujours le changer,
21:49 on peut toujours faire mieux, mais plaquer le système anglo-saxon
21:54 sur le système français, à mon avis, c'est difficile,
21:59 mais il y a eu des tentatives, c'est le cas,
22:03 je pense que j'en ai eu une qui me vient à l'esprit,
22:05 Julien Dray, qui avait été ancien député,
22:08 qui avait été épinglé pour quelques détournements,
22:12 et bien il n'est pas passé par la classe juge d'instruction,
22:15 il est passé directement par le parquet qui a fait une enquête,
22:18 et qui au bout d'un an, très vite, même, peut-être un peu moins,
22:21 a conclu qu'il était effectivement coupable des délits qu'on lui reprochait,
22:26 mais on pouvait le juger tout de suite,
22:29 parce que l'instruction c'est ça, le problème c'est qu'il y a des instructions
22:32 qui durent 7, 8, 9 ans, je peux même vous dire qu'il y a eu à Paris,
22:36 ou peut-être au tribunal de Nanterre, une instruction qui était
22:39 la chaufferie, qui portait sur les conditions d'élaboration du contrat
22:44 de la chaufferie à la défense,
22:46 il y a une chose, l'instruction a duré 20 ans,
22:49 au bout de 20 ans, les deux inculpés avaient 102 et 98 ans,
22:53 on a arrêté les frais.
22:55 – Merci beaucoup Gilles Gaetner,
22:58 je rappelle le titre de votre ouvrage, vraiment passionnant,
23:02 "La guerre secrète entre juge et politique",
23:05 publié aux éditions "L'artilleur", et disponible sur TVL.fr.
23:11 Merci à vous de nous avoir suivis, n'oubliez pas de partager,
23:15 de commenter, d'aimer cette vidéo.
23:17 À très bientôt sur TV Liberté.
23:19 – Et merci à vous aussi de m'avoir invité.
23:21 – Merci.
23:22 – Voilà.
23:23 [Musique]
23:27 [SILENCE]

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