Kiaunë a vécu des violences au sein de sa famille. Iel raconte le cheminement vers le pardon envers son père.
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00:00 Cette violence a entraîné de la dépréciation,
00:03 du manque de confiance en soi,
00:04 dépendance affective,
00:05 trauma d'abandon, peur du rejet.
00:07 Bonjour, je m'appelle Kian Nguyen Tran Kieu,
00:09 je suis artiste,
00:10 nom binaire d'origine vietnamienne.
00:12 Aujourd'hui, je viens de vous parler d'héritage traumatique
00:14 et plus particulièrement de transmission de la violence
00:16 au sein des familles racisées.
00:18 La famille de mon père, ce sont des Vietnamais du Cambodge.
00:20 Mes grands-parents ont élu domicile au Cambodge,
00:23 ils ont eu leurs enfants là-bas,
00:25 dont mon père et ses frères et soeurs.
00:27 Dans les années 70,
00:28 Sihanouk a été démis de ses fonctions
00:30 et les dirigeants qui lui ont succédé
00:34 ont adopté une politique anti-vietnamienne
00:36 qui a déplacé et exilé des milliers de Vietnamiens
00:41 de retour au Vietnam
00:42 car le Cambodge leur était devenu beaucoup trop hostile.
00:44 Ma famille s'est retrouvée sur les routes
00:46 pour retrouver la guerre au Vietnam
00:49 qui faisait rage à ce moment-là.
00:50 C'est ma deuxième tante qui finit par se retrouver en France
00:54 et fait venir à la sueur de son front
00:56 six membres de sa famille, dont mon père.
00:58 C'est comme ça que la grosse majeure partie de ma famille
01:00 se retrouve en France.
01:01 J'ai grandi dans un environnement extrêmement violent,
01:03 à la fois à l'école où je me faisais harceler,
01:05 mais ça c'est un autre sujet,
01:06 et à la maison.
01:07 Mon père, je l'ai toujours connu comme quelqu'un de violent.
01:10 Donc c'était à la fois la violence physique,
01:12 verbale et psychologique
01:14 que je subissais, mais aussi que ma mère subissait.
01:16 À l'âge de 7 ans,
01:18 je vois l'arrivée de mon petit frère
01:20 très égoïstement comme un cadeau.
01:21 Et à partir de ce moment-là,
01:22 on subit cette violence à trois.
01:25 Sa colère, elle pouvait être déclenchée
01:28 par des choses tellement insignifiantes,
01:31 comme juste une simple conversation,
01:33 repas qui va tourner au vinaigre,
01:34 et deux secondes plus tard,
01:35 mon père fait valser la table avec tout le dîner,
01:37 et il n'y a plus que nous quatre sur les chaises.
01:39 Il ne fallait surtout pas le contredire,
01:41 c'était un grand problème pour moi
01:42 parce que je n'ai jamais accepté sa violence.
01:44 J'ai toujours compris que cette violence-là,
01:47 elle était injuste.
01:48 De ce fait, ce sentiment d'injustice,
01:50 il nourrissait ma propre colère à moi.
01:52 Je pense aussi que ce qui est important à préciser,
01:54 c'est que cette violence,
01:55 elle n'était pas réservée qu'à mon père.
01:57 Beaucoup, beaucoup d'individus de ma famille sont violents.
02:00 Et tous mes cousins, cousines,
02:01 ont expérimenté et connu la violence.
02:03 Il y a un épisode déterminant
02:05 qui va être un pivot dans cette histoire,
02:07 c'est une intercation au téléphone
02:10 qui se passe pendant le premier confinement
02:11 avec mon père et qui fait ressortir
02:13 toute une mémoire traumatique
02:14 accumulée d'année en année.
02:16 À la fin de cet appel,
02:17 je raccroche, mon corps tremble comme une feuille.
02:21 Je fais une insomnie, je ne dors pas de la nuit.
02:23 À 6h du matin, j'allume mon ordinateur
02:25 et là, j'écris une lettre d'une traite de 13 pages
02:29 sur la violence de mon père qui lui est adressée.
02:31 Je parle des répercussions sur ma personne.
02:34 Cette violence, elle a entraîné de la dépréciation,
02:37 du manque de confiance en soi,
02:38 du people pleasing, dépendance affective,
02:40 trauma d'abandon, peur du rejet,
02:42 autodestruction, terreur nocturne, cauchemar.
02:45 Je lui dis dans ma lettre,
02:47 "Je rêve régulièrement que tu nous tues à la hache,
02:50 maman, Yannis et moi."
02:52 La deuxième chose que je lui dis dans cette lettre,
02:53 c'est que je sais que cette violence n'a pas commencé avec lui
02:56 et que je veux qu'il sache qu'elle ne s'est pas terminée avec lui.
02:59 Quand tu subis une déflagration de violence,
03:02 l'amour, ce n'est pas le premier réflexe que tu as.
03:04 Malheureusement, c'est de nouveau la violence.
03:06 Mon frère et moi, quand on était enfants,
03:08 on s'est juré de ne jamais reproduire cette violence-là.
03:10 Et maintenant qu'on est adulte,
03:11 on la décèle dans énormément de nos comportements.
03:14 Je prends l'exemple de la violence scolaire que j'ai subie.
03:19 Il y a des moments où moi-même,
03:21 j'avais des comportements violents d'autres personnes
03:23 dans l'espoir, inconsciemment,
03:25 de déplacer la violence dont j'étais victime.
03:27 Quand j'étais adolescent, adolescente,
03:28 j'ai moi-même reproduit de la violence sur mon frère.
03:31 Et en faisant comprendre à mon père qu'il nous avait transmis cette violence,
03:34 je voulais lui faire comprendre ce schéma, il fallait le briser.
03:36 Mon père lit ma lettre et le lendemain,
03:39 il m'envoie le texto le plus long qu'il ait dû écrire de sa vie
03:42 où j'y trouve un concentré de tout ce que je n'aurais jamais imaginé
03:46 entendre de la bouche de mon père jusque-là.
03:48 Kianoé, si je me suis énervé l'autre jour,
03:50 c'est que je m'inquiète pour toi.
03:52 J'ai lu ta lettre.
03:53 Je ne me rendais pas compte que je t'ai traumatisé à ce point.
03:55 Je te demande pardon pour tout le mal que je t'ai fait.
03:57 Je vous ai toujours aimé, peut-être à ma façon.
03:59 Et je vous aimerai toujours.
04:01 Le temps passe vite.
04:02 Il faut qu'on essaye de profiter de chaque instant.
04:05 Je souhaite de tout mon cœur que tu puisses retrouver une vie normale.
04:07 Je t'aime, mon fils.
04:09 Suite à cette lettre,
04:12 il y a le Noël qui suit cette lettre.
04:14 On se retrouve tous les quatre en famille.
04:15 C'est la première fois depuis la lecture de la lettre
04:17 qu'on en parle de vive voix.
04:18 Mon frère s'exprime beaucoup aussi.
04:20 Et je me souviens,
04:21 mon père sort une eau de vie à la prune.
04:23 Donc il sert des petits shots.
04:24 Il commence à servir des shots à tout le monde.
04:26 Et à deux heures du matin,
04:27 d'un coup, il se met à raconter
04:29 le Cambodge, le Vietnam, la guerre,
04:31 l'exil, tout ce qu'il a vécu.
04:33 Et en fait, on découvre un immense allemand de violence.
04:37 Donc il s'est gorgé, gorgé, gorgé,
04:38 qu'il n'a pas du tout pu adresser jusque là.
04:41 Depuis la lecture de ma lettre,
04:42 il a réussi à changer cette honte et cette culpabilisation en amour.
04:46 Il a compris que j'avais besoin de
04:49 démonstrations verbales et affectives,
04:51 explicites.
04:52 De ce fait, les "je t'aime",
04:54 les "fais attention à toi",
04:56 les "je suis fier de toi",
04:58 ils fleurissent à la fois dans ses textos,
05:00 mais aussi à l'oral.
05:01 Quand il nous dit au revoir,
05:02 il va nous serrer très fort dans ses bras.
05:04 Et puis c'est quelqu'un qui me supporte énormément aussi dans mon art.
05:07 Il vient à toutes mes expositions,
05:08 à tous les vernissages.
05:10 Pourquoi je fais un lien direct
05:11 entre violence coloniale et violence intrafamiliale
05:14 au sein des familles racisées issues d'immigration ?
05:16 La violence coloniale, forcément,
05:17 c'est déjà cette violence qu'ont subi nos ancêtres
05:20 dans leur pays pendant la colonisation,
05:22 qui résultait d'un système de pensée
05:24 qui hiérarchisait les individus selon des critères discriminants
05:27 et dont les conséquences ont été multiples.
05:29 Du racisme, fétichisme, massacres, viols,
05:32 déplacement de population.
05:34 Il y a ensuite ce qu'on a, une violence post-coloniale.
05:36 Les personnes qui ont déjà vécu tout ce bagage romantique,
05:39 se retrouvent en France,
05:40 et en France, ils subissent à nouveau une autre forme de violence.
05:43 Le racisme, c'est du contrôle au faciès,
05:45 de la discrimination à l'embauche,
05:47 c'est des violences policières.
05:48 Tout ça, ça génère des traumatismes communautaires,
05:51 des traumatismes collectifs.
05:52 Et quand on n'a pas pu répondre à cette violence,
05:56 la retourner contre l'oppresseur
05:57 parce que le presseur est trop conséquent,
05:59 quand on n'a pas pu la tourner vers l'extérieur,
06:01 cette violence, on la tourne vers l'intérieur.
06:03 Et l'intérieur, c'est les espaces intimes,
06:04 c'est les personnes sur qui, inconsciemment,
06:06 on se rend compte qu'on exerce une forme de domination.
06:08 Quand on ne s'aime pas soi-même,
06:09 c'est difficile d'aimer les autres,
06:11 et c'est difficile de leur enseigner ce que c'est que de s'aimer.
06:15 Il faut comprendre ces liens de cause à effet.
06:17 La France a une responsabilité sur cette transmission de la violence.
06:20 La santé mentale devrait être gratuite et de qualité
06:23 pour nos aînés et pour nous-mêmes,
06:25 ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
06:26 Je pense que notre génération est celle qui va multiplier les efforts
06:30 pour briser ces malédictions.
06:32 Je ne suis pas la première personne à faire ce que j'ai fait avec mon père.
06:34 Je pense qu'il y a une libération de la parole
06:36 qui s'opère énormément, notamment sur les réseaux sociaux.
06:38 S'il y a quelque chose de positif à ressortir aussi
06:41 du fait d'être né dans un contexte occidental,
06:43 c'est qu'on a cet espace-là pour réfléchir
06:47 à ce que nos parents n'ont pas réussi à réfléchir de leur côté.