Le Premier ministre, Gabriel Attal, a annoncé mercredi que l'Etat "allait porter plainte" pour "dénonciation calomnieuse" contre l'élève qui avait accusé à tort le proviseur de son lycée parisien de l'avoir violentée après son refus d'enlever son voile. "C’est le signe d’une forme de fermeté politique qui est la bienvenue, car elle rassure tout le monde. C’est bien que l’on prenne la mesure et que l’on ne laisse plus faire", réagit l’essayiste et directrice du journal "France-tireur" Caroline Fourest.
Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
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00:00 Il est 7h48, Sonia De Villers, votre invitée ce matin est essayiste et directrice du journal
00:10 Front Tireur qui titre cette semaine « L'école de la peur ».
00:14 Mardi, départ à la retraite anticipé d'un proviseur de lycée parisien.
00:17 Le chef d'établissement avait exigé de trois élèves qu'elle retire leur voile
00:20 à l'intérieur de l'enceinte scolaire.
00:22 L'une d'elles a accusé ce monsieur de violences physiques et a porté plainte.
00:26 Plainte classée sans suite, trop tard, le proviseur était déjà sous le coup de cyberharcèlement
00:31 et de menaces de mort.
00:32 Bonjour Caroline Fourest.
00:33 Bonjour.
00:34 Vous avez entendu Gabriel Attal, Premier ministre, sur TF1 hier soir.
00:38 Il a annoncé que l'État allait à son tour porter plainte contre l'élève pour
00:43 « dénonciations calomnieuses ». C'est inédit.
00:46 Est-ce que vous diriez que c'est la fin de ce que vous dénoncez depuis des années,
00:50 à savoir le déni ? Est-ce que c'est la fin du déni ?
00:52 C'est le signe d'une forme de fermeté politique qui a la bienvenue parce qu'elle
00:57 rassure tout le monde.
00:58 Elle rassure en priorité les professeurs qui ont besoin de l'être lorsqu'ils
01:01 sont comme ça jetés en pâture par des élèves qui donnent leur version, parfois sur des
01:07 sites internet islamistes.
01:09 Encore récemment, cet élève a fait une vidéo sur un site du CCIE, le Collectif contre
01:13 l'islamophobie, qui avait été repoussé après l'assassinat de Samuel Paty et qui
01:19 s'est reformé depuis un autre pays d'Europe.
01:21 En Belgique.
01:22 En Belgique.
01:23 Ces campagnes-là, elles ont déjà tué.
01:25 C'est bien qu'on prenne la mesure et que désormais on ne laisse plus faire et qu'on
01:28 dise aux élèves et à leurs parents qui parfois participent à cette intoxication
01:32 et à cette intimidation que l'État ne les sera pas passés.
01:35 C'est ça.
01:36 Donc en fait c'est le contraire du pas de vague qui désigne l'attitude de l'éducation
01:40 nationale enterrant des rapports gênants ou enterrant tout ce qui pourrait faire scandale.
01:45 Là, il y a vague et il y a une vague qui a été enterrinée.
01:49 Oui, et c'est beaucoup plus rassurant que par exemple en Angleterre, il y a eu un professeur
01:52 qui a été menacé aussi il y a quelques années pour avoir montré des caricatures
01:55 de Charlie.
01:56 Il était placé sous protection policière.
01:58 Il a dû abandonner aussi son métier de professeur, son école.
02:01 Son école ne l'a pas soutenue.
02:02 Un ministre de l'éducation nationale l'a soutenue mais très peu de politiques au
02:06 Royaume-Uni l'ont soutenue.
02:07 Donc on a la chance en France d'avoir quand même un peu plus de courage, un peu plus
02:11 d'expérience aussi malheureusement sur ces sujets.
02:13 Mais pour revenir à votre question Sonia, non, le déni malheureusement n'a pas reculé
02:17 partout.
02:18 Ça fait 20 ans qu'on espère que le déni est enfin derrière nous et ça fait 20 ans
02:21 qu'on voit des gens nous manquer dans la lucidité.
02:24 Et même des gens qui sont parfois à des postes clés.
02:28 Je ne parle pas au niveau politique, encore que je vois bien à qui je pense au niveau
02:31 politique il y a quelques années au sein de la gauche, défendait la loi par exemple
02:34 de mars 2004.
02:35 J'ai fait des conférences avec Jean-Luc Mélenchon, je l'ai entendu brillamment défendre cette
02:39 loi.
02:40 Aujourd'hui, chez des élus insoumis, quand on voit que Daniel Simonnet a été parmi
02:44 les premiers à mettre en doute la version du proviseur sans pouvoir ignorer que ça
02:48 le mettait en danger, c'est évidemment décevant.
02:51 Parce que là on a une partie de la gauche qui hier était laïque, qui aujourd'hui reprend
02:54 des éléments de langage désintégrés.
02:56 Mais là ce qu'on voit c'est que le rectorat s'est emparé de l'affaire, que le ministère
02:59 s'est emparé de l'affaire, c'est même rendu sur place avec la directrice de l'Académie,
03:03 que les forces de l'ordre ont mis le proviseur sous protection, le lycée sous protection,
03:07 que la justice s'est mobilisée, qu'il y a déjà eu deux personnes interpellées,
03:10 qu'il y a eu une personne qui sera jugée dans un mois.
03:12 Est-ce que vous parleriez de capitulation ? Parce que c'est un mot qui surgit partout
03:16 dans la presse depuis hier.
03:18 Capitule.
03:19 On capitule face à la menace islamiste.
03:20 Non, ça c'est du vocabulaire politique de parti qui essaie de toujours vouloir créer
03:25 une opposition là où il n'y a pas lieu d'être.
03:27 Non, je ne pense pas qu'il y ait capitulation.
03:29 Il y a une vraie prise en charge par les pouvoirs publics très sérieusement de cette menace,
03:33 de cette situation.
03:34 C'est l'assassinat de Sabel Paty qui a fait basculer, à votre avis, la conscience politique.
03:38 Oui, encore heureux que quand même on ait un peu justement gagné aussi.
03:41 Il y a un avant et un après.
03:42 Oui, alors après, encore une fois, je note que justement lorsqu'on essaie de mettre
03:47 en place des mesures, par exemple de se battre sur les réseaux sociaux, contre la propagande
03:52 qui peut tuer des professeurs, on n'a pas l'unanimité.
03:54 Il y a beaucoup de gens qui là aussi, encore une fois, se font le relais des éléments
03:58 de langage des intégristes.
04:00 Manque à notre bouclier, manque à cette lucidité.
04:03 C'est ça que je regrette.
04:04 Mais je parle d'éducateurs, de fédérations d'éducateurs qui sont noyautés.
04:08 Je parle de syndicats d'enseignants, le Sud 93 qui parle de lois racistes et sexistes
04:14 à propos de la loi de mars 2004 ou de la Baïa.
04:16 On a même des militants de gauche qui nous disent que c'est sexiste d'interdire ou
04:20 de protéger l'école laïque contre la Baïa, contre le voile, c'est-à-dire contre des
04:24 symboles pensés pour faire honte au corps des femmes.
04:27 On vit où ? C'est quoi leur boussole en fait ?
04:29 Le Premier ministre a précisé hier dans son intervention à TF1, la laïcité est
04:34 sans cesse mise à l'épreuve.
04:35 On le voit, il y a une forme d'antrisme islamiste qui se manifeste notamment dans
04:39 nos établissements scolaires.
04:40 Est-ce que vous utiliseriez les mêmes termes que Gabriel Attal ? Vous parleriez d'antrisme
04:45 islamiste ?
04:46 Mais malheureusement c'est le cas.
04:47 A coup de butoir a-t-il précisé ?
04:50 En tout cas, ça finit à coup de hachoir parfois, cette forme de déni et cette forme
04:56 de paralysie aussi qui empêche de prendre toutes les mesures.
04:59 Parce qu'en réalité, ce qui est le plus important aujourd'hui pour des professeurs
05:01 qui sont confrontés à des élèves menteurs ou qui ont appris le langage de la victimisation
05:07 islamiste, c'est d'être rassurés dans le fait de pouvoir leur tenir tête auprès
05:12 de leurs collègues et de leur hiérarchie.
05:13 Pour ça, il faut des collègues courageux, avec des syndicats courageux, qui ne vont
05:18 pas leur expliquer qu'il ne faut pas faire de vagues ou que c'est raciste et islamophobe
05:21 de faire appliquer la loi.
05:22 Et il faut des académies courageuses, donc il faut des recteurs courageux.
05:25 - Mars 2024, l'affaire du lycée Maurice Ravel arrive 20 ans, jour pour jour, après
05:32 la promulgation de cette loi qui a fait date et que vous avez mentionné Caroline Fourest.
05:35 Mars 2004, l'interdiction du port du signe religieux ostentatoire à l'école.
05:41 Comment vous retraceriez ces 20 années qui nous séparent de 2004 ? Vous qui avez publié
05:47 un livre qui s'appelait « Le génie de la laïcité » en 2016, c'était presque
05:51 à mi-étape.
05:52 - Je ne sais pas combien de livres j'ai dû essayer d'écrire pour expliquer cette
05:55 loi, que j'ai réussi à expliquer au Yémen et que je n'arrive pas toujours à faire
05:59 comprendre à des militants de gauche en France.
06:01 Donc c'est terrible en fait, ça fait 20 ans qu'on est plusieurs, très nombreux à
06:09 s'user, à essayer de faire passer quelque chose d'assez simple en réalité.
06:12 Mais il nous manque encore une fois le soutien de tout le monde, de tous les acteurs de cette
06:16 pédagogie possible.
06:17 Parce qu'en réalité, on a une jeune génération qui la comprend très mal cette loi.
06:21 Et cette jeune génération, elle comprend très mal en général le débat d'idées.
06:24 Elle est très identitaire cette génération.
06:26 - C'est ce que dit par exemple Agnès Anderson, qui est proviseure et secrétaire générale
06:30 du syndicat IDFO, qui était citée dans Libération il y a 15 jours, et qui dit « En 20 ans,
06:38 c'est la compréhension de la loi même qui a changé.
06:41 Le modèle anglo-saxon qui veut que chacun vienne comme il est a gagné du terrain en
06:44 France ».
06:45 - Bien sûr, parce que c'est le plus simple à comprendre.
06:47 En fait, pour comprendre l'histoire de l'école laïque et sa philosophie, il faut justement
06:51 avoir une vraie culture philosophique.
06:53 Et c'est peut-être ce qui manque à cette génération, c'est de réapprendre la philosophie
06:56 de cette école qui cherche à leur enseigner un esprit critique et une ouverture d'esprit
07:02 qui va bien au-delà du respect de chacun dans son identité.
07:05 Qui va aussi au fait de respecter et d'accepter le débat d'idées et de ne pas le confondre
07:10 avec une agression envers les identités.
07:12 Et cette confusion, elle est entretenue par des propagandistes qui sont très actifs dans
07:16 leurs téléphones portables, qui sont très actifs sur TikTok.
07:18 - C'est notre journée à l'écran aujourd'hui.
07:21 C'est des questions qui seront soulevées évidemment de l'impact de tout ça à travers
07:25 les réseaux sociaux et sur la démocratie en général.
07:29 Justement, des sondages pour appuyer ce que vous dites Caroline Fourest.
07:32 Le sondage Cantar-CNRS publié en décembre 2023, 43% des jeunes de 18 à 30 ans sont
07:38 favorables à ce que les élèves dans les lycées publics puissent porter des signes
07:42 religieux ostentatoires.
07:44 Le sondage CSA qui avait fait couler pas mal d'encre, qui enfonce le clou.
07:48 50% des jeunes de 18 à 24 ans qui considèrent que la laïcité est une source de discrimination.
07:54 Et ce fameux sondage IFOP, lui aussi, qui a été beaucoup relayé.
07:58 78% des Français musulmans estiment que la laïcité telle qu'elle est appliquée par
08:02 les pouvoirs publics en France est discriminatoire.
08:04 - Oui mais encore une fois, ce ne sont pas que les élèves musulmans.
08:06 C'est toute une génération, catholique, musulman ou ni l'un ni l'autre, qui croient
08:11 vraiment qu'ils ne comprennent pas la différence entre protéger une école laïque pour enseigner
08:16 l'égalité à tous, le temps de se former un esprit critique et de pouvoir choisir par
08:21 soi-même de porter ou non un signe religieux.
08:23 Ils ne comprennent même pas cette démarche.
08:25 C'est une génération qui a du mal à comprendre toute restriction où tout est possible à
08:29 partir du moment où je le veux.
08:30 Et donc là, il y a une verticalité à remettre en réalité.
08:34 Et c'est le défi de tous les enseignants qui va bien au-delà de la question religieuse.
08:37 Tous les enseignants doivent être un peu « resacralisés » dans leur statut.
08:43 - Alors, il y a leur statut, il y a la vie quotidienne dans un établissement scolaire
08:47 et puis il y a le contenu de l'enseignement.
08:49 Parce que le Premier ministre et la ministre de l'Éducation nationale s'inquiètent
08:52 d'une hausse du nombre de signalements pour contestation de l'enseignement.
08:56 Là, il s'agit d'élèves qui contestent le contenu de cours.
09:00 Est-ce que c'est un glissement, Caroline Forest ? Est-ce que c'est le symptôme de
09:04 quelque chose de nouveau ?
09:05 - Non, parce que c'était déjà le cas et déjà nos débats au moment de la loi de
09:08 mars 2004.
09:09 La commission Stasi a entendu des dizaines de professeurs leur dire déjà exactement
09:13 ça il y a 20 ans.
09:14 - En 2004 ?
09:15 - En 2004.
09:16 - Sur les contenus de l'enseignement ?
09:17 - Bien sûr, ne croyez pas.
09:18 Et le rapport Aubin qui a été enterré par François Fillon parlait déjà de ça.
09:22 Du fait que ça n'était pas qu'une question de revendiquer un signe religieux, c'est aller
09:25 avec la contestation globale de la transmission de savoirs, de cours d'histoire sur la Shoah,
09:31 du fait de pouvoir aller à la piscine quand on est une fille.
09:34 C'est une contestation globale.
09:35 Donc à un moment donné, ceux qui pensent pouvoir acheter la paix scolaire en cédant
09:39 sur les signes religieux ne comprennent pas qu'ils cèdent et trahissent toute la philosophie
09:43 de l'école laïque de Ferdinand Buisson qui est de former un esprit critique et citoyen.
09:48 - Merci Caroline Forest.