• il y a 7 mois
Il y a plus de 20 ans déjà, la France sous l’impulsion de Jacques Chirac, décidait de se doter d’une loi interdisant le port de signes religieux ostensibles à l’école. Certains à l’époque y ont vu une atteinte à la liberté de conscience. D’autres ont redouté que sous couvert de laïcité, une seule religion ne soit visée : l’islam. Depuis plusieurs années en effet, des jeunes filles perturbent la vie des établissements scolaires en revendiquant leur droit de porter un voile, sans qu’une règle claire puisse

s’appliquer. Comment Jacques Chirac s’y est-il pris pour convaincre et surmonter ces discordes, y compris dans sa propre famille politique, pour faire voter une loi devenue un pilier de la laïcité ? Pourquoi cette loi a-t-elle fracturé la gauche et le mouvement féministe pour longtemps ? Et qu’est-ce que cette bataille raconte des relations entre la République et nos compatriotes musulmans ? C’est l’histoire que Matthieu Croissandeau et ses invités vont explorer.

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Transcription
00:00 Public Sénat et les Archives Nationales vous présentent "Il était une loi".
00:07 Le jour où l'histoire de la France s'est récitée.
00:12 Le jour où l'histoire de la France s'est récitée.
00:17 Le jour où l'histoire de la France s'est récitée.
00:22 Le jour où l'histoire de la France s'est récitée.
00:27 Le jour où l'histoire de la France s'est récitée.
00:32 Le jour où l'histoire de la France s'est récitée.
00:37 Le jour où l'histoire de la France s'est récitée.
00:40 Je pense que la laïcité est en danger.
00:44 Ce qu'on avait recommandé c'était donc de prohiber le port des insignes religieux ostentatoires.
00:50 Et ça me semblait tragique d'exclure de l'école des jeunes filles déjà fragilisées.
00:56 Si un enfant porte une petite croix ou un petit signe religieux juif ou musulman,
01:02 vous n'allez pas lui interdire de porter un signe discret.
01:04 On n'est pas en Union soviétique dans les années 30.
01:08 C'était il y a un peu plus de 20 ans. Nous sommes le 17 décembre 2003.
01:12 Et ce jour-là, dans la salle des fêtes de l'Elysée,
01:14 Jacques Chirac a convoqué près de 400 représentants des forces politiques,
01:18 des autorités religieuses et du monde associatif.
01:21 Dans cet auditoire attentif, le président de la République va tenter de clore un feuilleton
01:24 qui dure depuis plus de 15 ans, en annonçant une loi sur l'interdiction du port de signes religieux à l'école.
01:30 Si cette décision s'impose au sommet de l'État, elle est loin d'être une évidence pour tout le monde.
01:34 Certains y voient une atteinte insupportable à la liberté de conscience.
01:37 D'autres redoutent que, sous couvert de laïcité, une seule religion en fait ne soit visée, l'islam.
01:43 Depuis quelques années en effet, plusieurs jeunes filles perturbent la vie des établissements scolaires
01:47 en revendiquant le droit de porter le voile, sans qu'aucune règle générale ne puisse s'appliquer.
01:52 La France bascule alors dans une de ces controverses idéologiques dont elle a le secret.
01:56 La laïcité, on le sait depuis un siècle, est un sujet particulièrement inflammable.
02:00 Mais comme si cela ne suffisait pas, surgissent derrière cette question du voile à l'école,
02:04 d'autres enjeux encore plus clivants, touchant l'immigration, l'intégration, les discriminations.
02:10 Alors, comment Jacques Chirac s'y est-il pris pour surmonter ces discordes,
02:14 y compris dans sa propre famille politique, et imposer ce rappel à nos fondamentaux républicains ?
02:19 Pourquoi cette loi a-t-elle fracturé pour longtemps la gauche, les féministes ?
02:23 Et puis, qu'est-ce que cette bataille raconte des relations parfois complexes
02:26 entre la République et nos compatriotes musulmans ?
02:29 C'est l'histoire que nous allons vous raconter.
02:31 [Musique]
02:52 – Bonjour Frédéric Salabarou. – Bonjour.
02:55 – Vous avez été haut fonctionnaire, vous êtes aujourd'hui avocat,
02:58 et en 2003, vous travaillez aux côtés de Jacques Chirac,
03:00 au secrétariat général de la présidence de la République.
03:03 Et cette loi sur l'interdiction des signes religieux,
03:05 c'est vous, au fond, qui allez la piloter depuis l'Élysée.
03:09 – C'est jamais un conseiller qui pilote un projet, qui pilote un texte.
03:16 C'est vraiment une décision de Jacques Chirac, pour beaucoup de raisons.
03:21 D'abord parce qu'il connaissait bien les questions de laïcité,
03:24 il connaissait bien les questions religieuses,
03:26 il connaissait bien les questions d'éducation,
03:28 et il voyait bien qu'on ne pouvait pas en rester là.
03:30 – Cette querelle du voile à l'école, elle est ancienne,
03:32 puisqu'en 1989, ça commence par l'expulsion de trois collégiennes
03:37 dans un collège de Creil, elles ont entre 12 et 14 ans,
03:40 et elles sont exclues à la demande du principal,
03:43 précisément parce qu'elles portent le voile.
03:44 – Fatima et Leïla ne sont pas exclues du collège George Havez,
03:47 mais l'accès leur en est refusé tant qu'elles porteront le foulard
03:50 pendant les cours, principe de laïcité oblige.
03:54 – Le problème n'est pas des croyances,
03:56 le problème est de la manifestation extérieure de cette croyance
04:01 dans l'enceinte des locaux scolaires et notamment en classe.
04:03 – Le ministre de l'éducation nationale de l'époque,
04:05 il s'appelle Lionel Jospin, et il refuse de trancher,
04:08 il va s'en remettre au Conseil d'État à l'époque.
04:11 – Moi je suis quand même attaché à cette neutralité, à cette laïcité,
04:14 donc je dis, il ne faut pas afficher à l'école les signes des différences religieuses.
04:19 – Donc pas de foulard par exemple.
04:21 – Ça voudrait dire ça, mais je mets avant cela,
04:24 non mais écoutez, j'explique une situation complexe,
04:27 donc je le ferai simplement, mais ça prend un petit peu de temps.
04:30 Mais je mets au-dessus de ça, un autre principe,
04:33 qui est que l'école en France doit accueillir tous les enfants.
04:36 – Qu'est-ce que c'est de la laïcité politique en 1989 ?
04:39 – C'est très difficile à dire, en tout cas en 2003, on ne peut pas en rester là,
04:45 parce qu'il y a le recul de ces années qui montre que le point d'équilibre
04:50 consistant à dire "on doit savoir si le port du voile
04:53 et l'exercice d'une volonté individuelle ou la pression" ne marche pas.
04:58 Comment savoir la réalité de ce qui se passe ?
05:01 Est-ce qu'il y a pression, pas pression ? Est-ce que c'est prosélytisme ?
05:05 Et donc ce qui remonte des enseignants, des professeurs, des syndicats
05:10 vers le président, c'est que la crise est très très lourde
05:13 et que les professeurs ne savent pas faire dans cette situation
05:17 et il faut que le politique reprenne la main.
05:19 En juillet, Jacques Chirac va annoncer la création d'une commission, on l'écoute.
05:23 – J'ai estimé nécessaire qu'une réflexion impartiale, approfondie, sereine,
05:30 soit conduite par une commission de sages
05:33 pour rechercher le plus large accord sur des propositions
05:38 et avant d'envisager le cas échéant de toute initiative législative.
05:44 – Jacques Chirac dit "le cas échéant", mais est-ce qu'il avait déjà décidé ?
05:48 – Je crois pas, je crois pas.
05:50 Il y a une volonté d'avoir un processus, c'est-à-dire de prendre le temps,
05:57 comme en 1905, de faire les choses.
05:59 La loi de 1905, qui est une des très très grandes lois de la République,
06:04 c'est un très très long travail.
06:07 C'est d'abord la commission brillante, avec 33 parlementaires,
06:11 ils vont travailler pendant deux ans pour essayer de trouver le bon équilibre.
06:15 La laïcité, c'est pas une notion de contrainte,
06:18 c'est une notion même de liberté républicaine.
06:21 C'est la possibilité de croire ou ne pas croire sans contrainte.
06:24 C'est un acquis formidable.
06:26 D'ailleurs, il y a un article dont est issue la loi de 2004, de la loi de 1905,
06:31 qui est l'article 31, qui dit qu'il est puni d'emprisonnement
06:35 toute personne qui chercherait à imposer à quelqu'un
06:39 d'exercer ou de ne pas exercer une religion.
06:42 Donc c'est une loi profondément de liberté,
06:45 et c'est une loi qui est au cœur de nos institutions.
06:48 Donc ce que décide Jacques Chirac en juillet 2003,
06:52 après avoir vu qu'on ne peut pas en rester là,
06:55 c'est de mettre en place une commission un peu à l'image de la commission brillante,
07:00 et il demande à Stasi, qu'il connaissait bien,
07:04 donc il savait d'ailleurs que c'était quelqu'un qui arrivait sur le sujet sans a priori,
07:08 de conduire cette réflexion.
07:10 Mais la commission devra réfléchir sur la notion de laïcité
07:13 au-delà de la question du port du voile dans les établissements scolaires.
07:16 Je crois qu'il ne faut pas paniquer, qu'il ne faut pas dramatiser.
07:19 Je crois qu'il ne faut pas non plus donner le sentiment que la République a peur.
07:25 C'est avec sérénité que nous abordons ce problème.
07:28 Bernard Stasi, c'était un ancien condisciple de l'ENA pour Jacques Chirac.
07:32 C'était un homme de consensus, c'était un homme modéré.
07:35 C'est quelqu'un qui était modéré, il le respectait beaucoup,
07:39 et puis surtout son honnêteté intellectuelle.
07:42 Et ce qui intéressait aussi Jacques Chirac, c'est que, au fond,
07:45 Bernard Stasi n'avait pas de position totalement arrêtée sur ce sujet.
07:50 Et d'ailleurs, la commission le reflète quand on regarde René Rémond,
07:56 Marcelon, Patrick Veil, Régis Debray, Alain Touraine.
08:02 Ce sont des personnes qui sont rentrées dans cette réflexion sans logique militante.
08:07 – Alors Jacques Chirac va consulter, on imagine, avant de décider de légiférer
08:13 ou en tout cas de mettre en place la commission Stasi.
08:16 Qui va-t-il consulter ? Les autorités religieuses ?
08:21 – Un président de la République, ça consulte en permanence.
08:25 Après, il y a ce qui fait qu'on décide de prendre sa propre décision.
08:32 Je vais vous raconter une anecdote.
08:34 C'est un soir, les choses sont très compliquées.
08:38 C'est-à-dire qu'il y a une partie de la majorité qui a des doutes.
08:41 Tu commences à avoir des prises de parole consistant à dire ce qu'il faut avancer.
08:46 Il y a de l'agitation avec des manifestations qui sont assez rudes.
08:52 Et donc, moi je suis dans mon bureau au-dessus du bureau du président
08:58 et il me demande de descendre.
09:00 À ce moment-là, c'est peut-être la jeunesse qui était encore la mienne à l'époque,
09:05 je me dis "bon, je vais devoir présenter ma démission et après tout c'est bien normal".
09:09 Et en réalité, Chirac est dans son bureau et me fait asseoir en face de lui.
09:15 Et il va m'expliquer pourquoi aujourd'hui il y a de l'agitation
09:19 mais il faut absolument tenir la position.
09:22 Et donc là, c'est une présentation assez passionnante de ce qu'est la laïcité.
09:28 Il remonte d'ailleurs avant la loi de 1905, à la loi du 20 septembre 1792
09:35 qui fonde la laïcité en transférant l'État civil des paroisses vers les mairies.
09:41 Et il explique pourquoi c'est absolument nécessaire
09:45 parce qu'il y a un enjeu qui dépasse les difficultés politiques
09:49 et que finalement, quoi qu'il arrive, il faut tenir sur ce point.
09:54 C'est un homme politique dont les quatre grands-parents sont instituteurs.
09:59 Devenu pour les deux grands-pères directeur d'école de l'UCRR de la République.
10:05 L'école de la République, il connaît bien.
10:08 Et par ailleurs, il a une caractéristique qui a beaucoup joué, à mon avis,
10:13 dans la réussite de la loi.
10:16 C'est que personne ne peut penser que Jacques Chirac peut être mu
10:21 par quelques sentiments discriminatoires, racistes et autres.
10:25 C'est vraiment l'archétype du français dans toute son ouverture d'esprit.
10:32 Vous allez faire le choix de diffuser les débats de cette commission,
10:35 en tout cas les auditions, sur la chaîne Public Sénat. Pourquoi ?
10:39 Parce que c'est un débat qui concerne tout le monde
10:43 et qu'il fallait le prendre de manière transparente, démocratique,
10:46 justement pour montrer qu'on n'est pas sur un truc où tout est réglé d'avance,
10:50 ce qui n'était en aucun cas le cas.
10:54 Dès la fin de l'été, les vinsages de la commission présidée par le centriste Bernard Stasi
10:58 prennent leur quartier au Palais du Luxembourg.
11:00 Et pendant plus de quatre mois, sous les caméras du Public Sénat,
11:03 les experts vont auditionner pas moins de 140 personnalités
11:06 pour recevoir des centaines de contributions, le temps nécessaire
11:09 pour faire avancer leurs réflexions et se mettre d'accord
11:12 sur la nécessité d'en passer par la loi.
11:14 Bonjour Gilles Kepel.
11:15 Bonjour.
11:16 Vous êtes universitaire, vous êtes un des meilleurs connaisseurs
11:18 de l'islam et du monde arabo-musulman.
11:20 Et en 2003, vous êtes un des vinsages de cette commission Stasi
11:24 qui vous a proposé d'y siéger. Et pourquoi ?
11:26 C'était Jérôme Monod au départ qui était le principal conseiller de Jacques Chirac.
11:33 Et si je n'étais pas engagé d'une manière quelconque avec lui ou son président,
11:39 il appréciait ce que je faisais et il m'a proposé de venir
11:42 parce qu'au fond, il y avait peu de connaisseurs du monde musulman
11:46 dans ces commissions. Il y avait le regret de Temrah Medh-Arkoun
11:49 et votre serviteur qui était beaucoup plus jeune qu'il l'est aujourd'hui.
11:52 Quelle était la réalité du phénomène du voile à l'école à l'époque ?
11:56 Il y avait une stratégie de pression qui avait été mise en place par l'UOIF,
12:03 c'est-à-dire les Frères musulmans. La France faisait partie du domaine de l'islam
12:07 dans leur vision du monde et il était normal qu'une jeune femme musulmane
12:12 puisse porter le voile dans l'école laïque de la République.
12:15 Donc c'était évidemment une manière de tester les institutions
12:19 et d'établir un rapport de force, une stratégie qui se déroule
12:24 jusqu'à aujourd'hui à travers différents avatars.
12:27 Les avis des uns et des autres étaient-ils déjà tranchés sur cette question ?
12:30 Assez, oui. Parce que vous aviez des vieux clivages qui ressortaient.
12:36 D'abord un clivage paradoxalement protestant-catholique.
12:40 Et Jean Bobéro, qui était le protestant-chef, si j'ose dire...
12:45 Universitaire, spécialiste de la laïcité.
12:48 Et du protestantisme. Ils étaient très opposés à toute disposition législative
12:56 ou toute recommandation. Nous on ne faisait pas la loi.
12:58 On donnait des avis qui ensuite deviendraient la loi,
13:02 parce qu'ils restreindraient la liberté religieuse.
13:07 Et puis vous aviez les plus chrétiens aussi qui étaient un peu préoccupés
13:15 parce qu'ils avaient le souvenir des excès de la loi de 1905.
13:22 Les gendarmes qui allaient prendre les chandeliers dans les églises.
13:27 Comment avez-vous travaillé ?
13:29 En faisant des auditions, principalement.
13:32 Et on avait des listes d'auditions de gens qui priaient de venir.
13:38 Il n'y avait aucune contrainte, ils n'avaient pas envie de venir, ils ne venaient pas.
13:41 Et je crois que la commission a essayé de fonctionner de manière aussi consensuelle que possible.
13:48 Est-ce que vous aviez le sentiment de travailler sous pression médiatique ?
13:51 Je vous dis ça parce que cet automne-là, deux jeunes filles, Alma et Lila Lévy,
13:56 seront expulsées d'un lycée d'Aubervilliers et seront reçues comme des vedettes
14:00 sur le plateau de l'émission de Thierry Ardisson à l'époque, accompagnées par leur père,
14:04 mais aussi par le secrétaire général du MRAP, Mouloud Aounid,
14:07 qui en profitera pour dénoncer un climat d'islamophobie.
14:10 Est-ce que c'est d'ailleurs à cette époque-là que le mot apparaît ?
14:12 Oui, à peu près.
14:14 Le mot avait déjà... c'est un mot qui avait une carrière ancienne,
14:19 mais qui avait surtout été remise à la mode par les islamistes britanniques,
14:25 puisque au Royaume-Uni, il y avait une stratégie politique
14:31 beaucoup plus, si j'ose dire, communautariste de toute éternité.
14:36 Et la commission Stasi s'était forcée justement de trouver,
14:41 dans le cadre d'une modalité française laïque d'intégration individuelle et républicaine
14:47 par l'égalité de tous devant la loi,
14:50 quelque chose qui corrigeait plutôt les problèmes sociaux et autres,
14:56 mais qui ne reconnaissait pas, comme l'avait dit, on disait, la Révolution, vous le savez,
15:03 donner tout aux juifs comme individus, mais rien comme peuple, d'une certaine manière,
15:09 comme entité constituée à l'intérieur de la République.
15:13 C'était un peu ce même raisonnement.
15:16 La commission va peu à peu se rendre à l'idée d'une loi.
15:18 Qu'est-ce qui va faire basculer la commission dans ce sens ?
15:22 La situation impossible dans laquelle était l'éducation nationale,
15:27 parce qu'on a aussi interviewé un grand nombre des principaux concernés,
15:32 c'est-à-dire des chefs d'établissement,
15:35 de tous les gens qui se confrontaient au fait qu'il n'y avait pas de critères,
15:42 il n'y avait pas de référents,
15:45 et que c'était le désordre depuis 15 ans dans l'enseignement public,
15:52 parce que l'État n'avait pas été capable de comprendre l'enjeu des défis.
15:59 La commission va se mettre d'accord sur l'idée d'une loi
16:01 pour interdire les signes religieux à l'école.
16:04 Elle va se mettre d'accord à l'unanimité, sauf une voix.
16:06 Sauf Bobérot.
16:07 Celle de Jean Bobérot, spécialiste de la laïcité.
16:10 La commission va proposer d'interdire les signes ostensibles,
16:15 manifestant une appartenance religieuse, et pas les signes discrets.
16:19 Pourquoi cette nuance ?
16:20 Parce que ça a suscité des levées de boucliers
16:25 de la part des autres religions, juives et chrétiennes.
16:30 En quoi porter un crucifix ou une kippa pose un problème ?
16:35 Les termes n'étaient pas exactement ceci,
16:39 puisque les juifs religieux et observants,
16:43 généralement, ne vont pas à l'école laïque,
16:46 et vont dans des écoles subventionnées ou non.
16:50 Il y avait à ce moment-là déjà le développement du mouvement Loubavitch,
16:53 qui a eu beaucoup d'incidence.
16:55 Donc l'interdiction de la kippa n'était pas un vrai sujet ?
16:58 Non, parce que ceux qui portaient des kippas allaient rarement à l'école publique.
17:02 Et l'interdiction des grandes croix, ça existait ou c'était juste un avis ?
17:06 Non, je crois que c'était quelque chose qui était destiné à faire un peu de politique.
17:10 Le 11 décembre, la commission Stasi remet son rapport à Jacques Chirac.
17:14 Il va vous recevoir pendant deux heures.
17:16 Vous vous souvenez de ce qu'il vous a dit ?
17:20 J'ai en tête très précisément cette phrase avec cette manière de parler qui était
17:25 "J'ai tout mon temps".
17:27 Il était très content qu'on ait abouti à quelque chose,
17:31 parce que ça lui permettait de lever un obstacle,
17:36 et non pas en tant que le chef d'un parti, si vous voulez,
17:42 mais en s'appuyant sur un assez large consensus qui allait de la droite à la gauche.
17:49 J'estime que le port de tenues ou de signes qui manifestent ostensiblement l'appartenance religieuse
17:58 doit être proscrit.
18:00 L'école publique restera laïque.
18:04 Pour cela, une loi est évidemment nécessaire.
18:10 Je souhaite qu'elle soit adoptée par le Parlement
18:13 et qu'elle soit pleinement mise en œuvre dès la rentrée prochaine.
18:18 L'annonce d'une loi par le président Chirac a rassuré le camp laïque,
18:21 mais elle n'éteint pas les critiques ni la contestation.
18:23 Le 17 janvier, des marches sont organisées dans tout le pays
18:26 à l'appel d'un obscur parti des musulmans de France
18:29 et d'autres mouvements que les médias qualifient d'islamistes voire d'intégristes.
18:33 Leur mot d'ordre ?
18:34 Non à l'islamophobie laïque, oui à la laïcité de liberté.
18:37 Chirac, la loi, on n'en veut pas !
18:40 Ils étaient près de 2000 à manifester contre le projet de loi sur le voile à l'école.
18:44 Un défilé dans le calme, sous le regard discret d'un important service d'ordre
18:48 et d'une centaine de policiers.
18:50 Moi je dirais que c'est une loi hypocrite, parce qu'en classe éclair,
18:52 on dit que c'est une loi qui est censée sanctionner tous les signes religieux,
18:54 mais on n'est pas dupes.
18:55 C'est la "question du voile" qui a été à l'origine de tout ça.
18:58 Bonjour Zounia Bouzard.
19:00 Bonjour.
19:01 Vous êtes docteure en anthropologie, spécialisée dans l'analyse du fait religieux.
19:05 Et à l'époque, vous venez d'être nommée au bureau du Conseil français du culte musulman.
19:09 Vous êtes d'ailleurs la seule femme à y siéger en tant que personnalité qualifiée.
19:14 Au début de l'année 2004, plusieurs musulmans manifestent, protestent
19:18 contre le projet de loi sur l'interdiction des signes religieux à l'école.
19:21 Est-ce que vous les comprenez ?
19:23 Oui, je les comprends.
19:25 En tout cas, je comprends les femmes nées en France,
19:29 socialisées à l'école de la République,
19:32 qui étaient en train de se réapproprier le foulard pour en changer le sens,
19:38 à qui tout d'un coup, ça coupe l'herbe sous le pied,
19:42 puisque c'est comme si elles se retrouvaient dans une situation
19:48 où elles devaient choisir entre "pas de foulard pour être moderne"
19:53 et un foulard traditionnel, alors qu'elles,
19:57 elles étaient dans une démarche de, comme les chrétiennes et les juives,
20:01 de dire "les hommes ont fait parler les religions
20:04 comme ils en avaient envie pour leur intérêt,
20:06 mais nous, qu'est-ce que nous on comprend de ces textes
20:10 qui évoquent le fait de se couvrir dans le Coran ?"
20:13 Parce que pour vous, c'était un geste personnel de ces jeunes filles,
20:16 il n'y avait pas de manipulation,
20:18 ce n'était pas une tentative d'entrisme islamiste
20:21 dans les institutions de la République ?
20:23 Alors, tout existe.
20:24 Bien sûr qu'il y avait des mouvements, déjà à l'époque,
20:27 qui commençaient à poindre leur nez pour que le foulard soit
20:32 ce qu'ils appellent un "rappel",
20:34 c'est-à-dire qu'effectivement, les gens n'oublient pas
20:37 que pour être un bon musulman, il fallait mettre ce foulard
20:41 et surtout avoir un bon comportement,
20:43 donc il y avait un lien qui était fait par ces mouvances
20:46 entre être musulman et porter un foulard.
20:49 Bien sûr qu'il y avait déjà le début du wahhabisme,
20:52 qu'on appelle aujourd'hui le salafisme, qui pointait son nez,
20:55 mais avant tout, il y avait quand même une grande partie de ces femmes,
20:59 la première génération de musulmanes françaises,
21:03 de cultures françaises, qui avaient grandi en ayant appris
21:08 à dire "je" et qui, du coup, redéfinissaient les choses.
21:11 Elles étaient quand même majoritaires,
21:13 elles avaient le vent aux poupes, on appelait ça
21:15 les musulmanes féministes, et finalement,
21:18 quand il y a eu ce début de loi,
21:20 elles ont presque eu les autres féministes à dos,
21:23 c'est-à-dire les féministes non musulmanes,
21:26 sont rentrées un petit peu dans une injonction,
21:28 dans une assignation, "mais si tu es vraiment féministe,
21:31 tu bats-toi contre le foulard".
21:33 Cette loi, elle visait tous les signes religieux,
21:35 de toutes les religions, mais est-ce que pour vous,
21:38 c'était l'islam surtout qui était visé ?
21:40 Soyons honnêtes, je pense que pour la France entière,
21:44 le problème, et ça a été dans la commission Stasi,
21:47 les débats pendant tous les mois de débat,
21:50 c'était bien la question du foulard.
21:52 Au sein du Conseil français du culte musulman,
21:54 il y a eu des débats sur la position à tenir face à cette loi.
21:57 Je n'ai pas été marquée par les débats,
22:00 les débats se faisaient avec Nicolas Sarkozy,
22:03 qui venait régulièrement nous rejoindre
22:06 dans les journées où on siégeait.
22:08 – Qui était ministre de l'Intérieur et donc chargé des cultes.
22:10 Qu'est-ce qu'il vous disait Nicolas Sarkozy ?
22:12 – À l'époque, on était dans un autre temps,
22:16 il a été sensible à la question de la réappropriation
22:20 des textes par les musulmanes.
22:24 Au moment où on a commencé à entendre parler de cette loi,
22:27 il m'avait autorisé à faire des ateliers
22:30 où les musulmanes avaient pris conscience
22:33 qu'un uniforme, ça a du sens,
22:35 et que si elles voulaient refléter des valeurs modernes
22:38 d'émancipation et de libre arbitre,
22:40 elles ne pouvaient pas porter le même foulard
22:42 qu'en Arabie saoudite ou en Iran.
22:44 Et on avait conçu des ateliers où on cousait
22:47 ce qu'on appelait des foulards à la Simone de Beauvoir.
22:50 Et on était exactement dans ce tricotage,
22:54 à cette époque-là.
22:55 – Rattaché derrière la nuque ?
22:57 – Rattaché derrière, avec le pompon,
22:59 la sorte qu'avait Simone de Beauvoir.
23:03 Et elle disait, on se reconnaît en Simone de Beauvoir,
23:06 on a des valeurs communes avec Simone de Beauvoir,
23:09 donc effectivement, nous allons inventer notre façon
23:12 de porter notre foulard à la française.
23:14 – En 2003, vous publiez un livre de dialogue
23:17 avec Saïda Khada, qui est une militante,
23:19 présidente de l'association "Femmes françaises et musulmanes engagées".
23:23 Le titre de votre livre, c'est "L'une voilée, l'autre pas".
23:26 Quel était l'objectif de cet ouvrage ?
23:28 – Je voulais casser les stigmates, c'est-à-dire
23:30 pas de foulard "mauvaise musulmane",
23:33 celle qui, justement, se laisserait endoctriner par l'Occident,
23:38 et celle qui a un foulard qui serait "une fille soumise"
23:43 et qui n'aurait pas son libre-arbitre et qui serait endoctrinée.
23:46 – Saïda Khada, elle va être auditionnée
23:48 par la commission Stasi le 5 décembre.
23:51 [Musique]
23:53 – Saïda Khada.
23:55 – 5 décembre, dernier jour des auditions publiques.
23:58 Bernard Stasi vient en personne, à l'entrée du Sénat,
24:01 accueillir Saïda Khada, co-auteur du livre "L'une voilée, l'autre pas".
24:05 [Musique]
24:07 – Je veux pas qu'on m'explique aujourd'hui que si j'enlevais mon foulard,
24:10 je serais plus libre ou je serais plus française.
24:13 Ces résumés-là, on peut pas aujourd'hui les accepter comme tels.
24:16 Mais aujourd'hui, il est commode, parce que je porte mon foulard,
24:19 de passer à la trappe mon point de vue.
24:21 – Est-ce que vous diriez qu'à l'époque régnait le début
24:23 de ce qu'on appelle aujourd'hui l'islamophobie ?
24:27 – Je dirais qu'à l'époque, il y a quand même eu un grand malentendu.
24:36 Un grand public français qui s'est dit,
24:39 pourquoi on voit maintenant que les musulmans sont musulmans ?
24:43 Pourquoi cette visibilité musulmane ?
24:46 Alors que jusque-là, ils faisaient attention à ne pas se différencier de nous.
24:52 Est-ce qu'ils veulent nous envahir ?
24:54 Et de l'autre côté, une jeune génération qui est née ici,
24:59 qui a appris à parler, à penser, à rêver, à aimer en français,
25:04 et qui s'est sentie chez elle.
25:06 Et comme elle s'est sentie chez elle, elle a compris le sens de la laïcité.
25:10 J'ai le droit à ma liberté de conscience et de culte,
25:14 à condition de ne pas l'imposer à l'autre.
25:16 Et ça a été perçu comme un signe d'invasion et de refus
25:20 des valeurs de la République.
25:22 À cette époque-là, c'était un grand malentendu.
25:24 – Cette loi, elle a cassé quelque chose dans le lien
25:26 qui unit nos compatriotes musulmans aux institutions républicaines ?
25:31 – Honnêtement ? – Ou voir à la France même ?
25:34 – Honnêtement, oui.
25:35 Il y a eu toute la série des salles d'attente de médecins,
25:39 de préfectures, qui au départ, ont exclu des personnes
25:43 parce qu'elles portaient un foulard,
25:45 comme si le grand public retenait que le foulard était interdit.
25:50 Les BAC+8, elles sont toutes au Canada,
25:53 elles ont toutes émigrées dans d'autres pays où on ne voit pas leur foulard.
25:56 Donc tous les cerveaux, toute la matière grise musulmane
25:59 de culture française est au Canada, ou quelques-uns aux États-Unis.
26:03 Et nous, on a gardé quoi ?
26:05 Des gens qui se laissent, dont le discours Wahhabite fait autorité sur eux,
26:10 qui ont des discours moyenâgeux et archaïques.
26:13 [Musique]
26:34 – Bonjour Luc Ferry. – Bonjour cher Amié.
26:36 – Vous êtes philosophe, essayiste, et en 2003,
26:38 vous êtes ministre de l'Éducation nationale.
26:40 Et cette loi que vient d'annoncer Jacques Chirac,
26:42 c'est donc vous qui allez la porter.
26:44 Et pourtant, au départ, vous n'y sembliez pas forcément très favorable.
26:47 Pourquoi ?
26:48 – Si, si, non, enfin, il y a eu beaucoup de malentendus,
26:50 parce que je ne voulais pas une loi qui aille trop loin.
26:53 Parce qu'il y avait des gens, notamment du Grand Orient de France,
26:55 qui voulaient qu'on aille jusqu'à interdire tous les signes religieux,
26:59 y compris les petits signes religieux,
27:01 et à la limite jusqu'à l'expression de la foi.
27:03 – Et pas seulement à l'école ?
27:05 – Et pas seulement à l'école,
27:07 mais enfin c'était quand même à l'intérieur de l'école à l'époque.
27:09 Et donc moi, j'étais sur une ligne avec Jacques Chirac,
27:13 on en a beaucoup parlé évidemment, qui n'était pas maximaliste,
27:17 c'était l'idée d'interdire seulement les signes agressifs.
27:20 Agressifs, ça veut dire des signes qui suscitent une réaction adverse,
27:25 c'est-à-dire qui peuvent susciter une réaction d'agressivité dans l'autre sens.
27:28 Je vous rappelle le contexte, on était dans la deuxième intifada.
27:32 On avait une réfraction de la deuxième intifada dans les établissements scolaires.
27:36 On avait dans l'année 2002-2003,
27:39 200% d'augmentation d'actes antisémites et racistes en France.
27:43 Et ça se réfractait à l'intérieur des classes, des collèges et des lycées.
27:47 Voilà, et donc ça a été l'origine de cette…
27:50 – Mais quel rapport avec le voile, Luc Ferry ?
27:52 – Alors le rapport était très direct, parce que justement,
27:54 le voile était considéré par certains comme un signe non nécessaire pour la religion,
27:58 et donc comme un signe agressif, comme un signe ostensible.
28:01 L'idée, je vais vous le dire très carrément, je l'ai dit cent fois d'ailleurs,
28:04 c'était d'éviter qu'il y ait trois communautés qui soient repérables.
28:09 D'un côté il y a les catholiques, là il y a les juifs, là il y a les musulmans,
28:12 et puis battez-vous et tapez-vous dessus.
28:14 Mais je ne voulais pas aller plus loin,
28:16 parce que ça aussi c'est un argument que j'ai beaucoup utilisé à l'époque.
28:19 Par exemple, dans un cours de philo en classe de terminale,
28:22 je ne voulais pas qu'on interdise à un jeune homme ou à une jeune fille de dire "j'ai la foi".
28:27 La foi n'est pas en soi une atteinte à l'ordre public.
28:31 Qu'est-ce qui s'est passé ? L'histoire de la loi est amusante.
28:34 Chirac devait faire un grand discours, je crois que c'était pour le 14 juillet,
28:38 et je pense que c'est Jean-Pierre Raffarin qui avait dit à Chirac
28:41 "demandez-lui s'il n'a pas une idée de quelque chose que vous pourriez annoncer".
28:45 Et donc Chirac me reçoit très gentiment dans son bureau,
28:47 et c'est la seule conversation sérieuse que j'ai eue avec lui pendant deux heures, vraiment de fond.
28:51 – Elle porte sur quoi cette discussion ?
28:53 – Il me dit "qu'est-ce que vous avez comme idée ?"
28:55 "Écoutez président, ce serait très important qu'on ait une loi qui calme le jeu".
28:59 C'est-à-dire la formule que j'utilise, une loi de père de famille qui calme le jeu.
29:03 "Je ne veux pas, je lui ai dit, que quand quelqu'un rentre dans une classe,
29:06 il dise voilà, là il y a les juifs, là il y a les musulmans, là il y a les catholiques,
29:10 et battez-vous".
29:11 – Ce que vous êtes en train de nous dire, c'est que Jacques Chirac et vous,
29:14 vous vous mettez d'accord sur l'idée d'une loi, avant l'été 2003,
29:18 et qu'après Jacques Chirac va annoncer la commission Stasi,
29:20 alors qu'au fond il a déjà fait son choix.
29:22 – Ah ben il a fait son choix, mais on ne sait pas exactement comment va faire la loi.
29:25 Par exemple, le vocabulaire va changer.
29:27 – Elle a été utile cette commission Stasi ?
29:29 – Écoutez, je ne veux pas… pas pour la rédaction de la loi.
29:33 – Donc l'idée ne venait pas de Jacques Chirac, mais de vous ?
29:36 – Ben oui, évidemment, oui.
29:37 Bien sûr, c'est Chirac qui m'a demandé "qu'est-ce que vous auriez comme idée pour que je puisse… "
29:42 Mais en fait, immédiatement, on s'est retrouvé sur la même longueur d'onde.
29:45 Donc l'idée, on l'a partagée aussitôt,
29:48 et on a eu deux heures de conversation qui étaient absolument passionnantes.
29:51 – Parce que lors de votre audition devant la commission Stasi,
29:54 vous aviez mis des réserves en expliquant que pour régler 10 cas de contentieux par an,
29:58 je vous cite, c'est peut-être lourd de faire une loi spécifique.
30:01 – Quelles sont les difficultés d'une loi spécifique prohibitive ?
30:05 C'est qu'elle risque d'être contraire aux principes généraux du droit français,
30:10 qui encore une fois, n'interdit pas évidemment l'appartenance religieuse,
30:15 ni même son expression.
30:17 Deuxième point, la tendance générale des démocraties, c'est la sécularisation du monde.
30:23 C'est le mouvement de laïcisation, de sécularisation du monde.
30:26 Est-il indispensable de faire des martyrs ?
30:29 Question qu'on peut se poser.
30:31 – Ce qui est très intéressant, c'est que les plus réticents étaient les catholiques.
30:34 – Et les représentants de la religion musulmane ?
30:37 – Étaient plutôt très partants.
30:39 Et j'ai beaucoup reçu les jeunes filles à foulard, évidemment.
30:43 – Au ministère, vous les avez reçues au ministère ?
30:45 – Bien sûr, bien sûr, bien sûr, nombreuses.
30:47 Je voulais absolument les voir pour leur demander pourquoi vous portez ce foulard ?
30:51 Est-ce que c'est vous ?
30:53 Est-ce que c'est une question pour vous importante dans votre foi ?
30:56 C'était passionnant d'ailleurs.
30:57 – Et qu'est-ce qu'elles nous répondaient ?
30:59 – Alors il y en a pour lesquelles, mais très peu nombreuses,
31:01 c'était une question de personnel, de foi musulmane.
31:05 Et donc on leur expliquait que dans la foi musulmane,
31:08 ce n'est pas une obligation absolue.
31:10 Bon, je discutais avec elles, mais il y en avait au moins 70%, je dirais,
31:14 à la louche, qui disaient "mais faites cette loi par pitié,
31:17 nous, nous n'avons pas envie de ces foulards, de les porter,
31:22 nous le faisons parce que les grands frères nous y obligent,
31:25 les parents nous y obligent, les imams nous y obligent,
31:28 mais nous, nous voulons être comme toutes les autres petites filles,
31:30 on a envie de porter des jeans, d'être habillés comme tout le monde, voilà.
31:32 – Devant les sénateurs, vous allez vous livrer à une explication de texte
31:35 qui tient presque du mode d'emploi pour votre loi.
31:37 – Un large débat, comme le rappelait à l'instant monsieur le président du Sénat,
31:42 a précédé l'élaboration de cette loi, et il a été notamment nourri
31:46 par les travaux de deux commissions prestigieuses,
31:49 celles présidées par monsieur Jean-Louis Debré à l'Assemblée nationale
31:53 et celles conduites par monsieur Bernard Stasi,
31:55 et je voudrais d'entrée de jeu rendre hommage à la qualité remarquable
31:59 des travaux qui ont été conduits au sein de ces deux commissions.
32:03 La formule adverbiale "ostensiblement" a évidemment à nos yeux un grand avantage,
32:10 c'est de montrer que ce ne sont pas simplement les signes ostensibles qui sont visés,
32:15 mais également le contexte dans lequel ils sont portés,
32:19 c'est-à-dire le contexte d'établissements publics dans lequel ils peuvent apparaître
32:24 véritablement comme des signes non seulement d'appartenance communautaire,
32:27 mais comme des signes à la limite militants et excessifs.
32:31 – Pourquoi vous en êtes-vous tenu simplement à l'enseignement public,
32:35 on l'a compris, mais surtout au collège et au lycée et pas à l'enseignement supérieur ?
32:39 – Parce que dans l'enseignement supérieur, on a affaire pour l'essentiel à 99% d'adultes.
32:44 Dans le monde des adultes, chacun a le droit de s'habiller comme il veut,
32:47 on n'est pas dans un régime totalitaire.
32:49 Donc j'aurais considéré comme totalitaire à la limite une loi qui eut interdit
32:54 à une femme adulte de se promener dans la rue avec un foulard, c'était hors de question.
33:00 Et là-dessus avec Chirac, on était totalement sur la même longueur d'onde.
33:03 – La commission Stasi avait recommandé de développer l'enseignement religieux,
33:06 c'est un sujet auquel vous étiez attaché vous aussi quand vous étiez
33:09 président du Conseil national des programmes.
33:10 – C'est ce que j'ai fait, oui.
33:11 C'est moi qui ai introduit dans les programmes l'enseignement du fait religieux.
33:15 J'ai introduit l'enseignement évidemment non confessionnel,
33:18 parce que je trouve en effet que du point de vue culturel,
33:22 c'est absolument crucial d'avoir cet arrière-fond religieux.
33:26 Si vous voulez comprendre ce que c'est que l'arstoufisme,
33:28 vous n'avez aucune notion du Coran, c'est impossible à comprendre.
33:32 Et si vous traversez le Louvre sans avoir le judaïsme et le christianisme
33:38 un peu en tête, vous ne comprenez rien à rien.
33:40 – La commission Stasi, elle avait des recommandations
33:43 qui s'adaptaient à tous les secteurs de la société,
33:45 l'hôpital, l'entreprise, pas seulement l'école.
33:47 Il n'a jamais été question dans l'esprit du gouvernement d'avoir une loi plus large
33:51 qui embrassait tout le problème de la laïcité.
33:53 – Surtout pas, mais ce n'était pas tellement une loi de laïcité en vérité.
33:56 On dit laïcité parce qu'on veut aller vite.
33:58 Est-ce que vous savez vraiment ce que c'est que la laïcité ?
34:00 La laïcité n'a rien à voir avec les vêtements.
34:02 La laïcité c'est tout à fait autre chose.
34:04 La laïcité à l'origine, c'est au moment de la révolution française,
34:09 de la création des parlements en France,
34:11 c'est l'idée que la source de la loi ne doit plus être religieuse.
34:15 C'est ça la vraie laïcité.
34:17 – Le 10 février 2004, la loi est adoptée à l'Assemblée nationale
34:20 par une majorité écrasante de 494 voix contre 36.
34:25 Et trois petites semaines plus tard, le texte arrive au Sénat.
34:28 – L'ordre du jour appelle le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale
34:32 encadrant en application du principe de laïcité
34:36 le port de scie ou de tenue manifestant une appartenance religieuse
34:40 dans les écoles, collèges et lycées publics.
34:43 – Bonjour Marie-Christine Blandin.
34:45 – Bonjour.
34:46 – Vous avez été enseignante en collège, vous êtes une écologiste,
34:48 vous êtes une féministe, vous avez été la première femme
34:50 à présider un conseil régional, celui du Nord Pas-de-Calais dans les années 90.
34:55 En 2004, vous êtes sénatrice du Nord et cette loi sur l'interdiction
34:58 des signes religieux à l'école, elle vous met mal à l'aise, pourquoi ?
35:01 – Alors, elle me met mal à l'aise, ça repose aussi sur ma biographie.
35:06 Moi je suis née à Roubaix, Roubaix est une ville très mixte.
35:10 Et je sais combien souffrent tous les gens qui viennent d'ailleurs
35:14 ou simplement qui sont nés en France mais qui ont le teint
35:17 un peu différent de nos Gaulois historiques.
35:20 Ils souffrent de discrimination, ils se sentent malmenés,
35:23 ils n'obtiennent pas de stage facilement,
35:26 ils n'obtiennent pas de logement facilement.
35:29 Et quand j'ai vu arriver cette loi, je la comprends.
35:32 Le voile n'a rien à faire à l'école, je déteste la place des religions
35:36 quand elles empiètent sur notre espace public, j'en suis convaincue.
35:40 Mais en même temps, je sens bien le message que ça va envoyer
35:45 à ces populations-là et surtout le terreau qu'il peut représenter
35:50 pour des intégristes qui soufflent sur les braises en disant
35:53 "on ne vous aime pas, il faut vous défendre", etc.
35:57 Voilà ce qui m'a mis mal à l'aise.
35:59 – Est-ce que vous pensez que les musulmans sont ciblés par cette loi ?
36:03 – Alors normalement les musulmans ne sont pas du tout ciblés,
36:06 ça ne s'appelle pas la loi sur le voile comme tout le monde le dit,
36:11 ça s'appelle la loi sur les signes religieux ostensibles.
36:15 Sauf que la façon dont ça a été présenté,
36:19 on va vous dire qu'on interdit les signes religieux très visibles
36:24 et tout ça, et on mentionne les croix vraiment démesurées.
36:29 Sous-entendu, les petites croix on veut bien quand même.
36:32 Donc on préserve les "siens" entre guillemets.
36:35 Et d'autre part, je voudrais citer Luc Ferry,
36:39 dans l'explication qu'il a donnée de sa loi, il dit
36:43 "le but c'est de faire partager nos valeurs", tout à fait d'accord,
36:48 "par ceux qui, ayant rejoint notre pays récemment,
36:52 sont aujourd'hui des Français à part entière".
36:54 Mais non, c'est de faire partager à tous la laïcité, ils ciblent, ils ciblent.
37:01 Et voilà ce qui m'a mis mal à l'aise.
37:03 – Vous avez enseigné en Algérie ?
37:05 – Oui j'ai enseigné en Algérie, j'étais dans un collège algérien
37:09 avec des classes bilingues et j'avais une seule élève voilée,
37:13 dans une classe de 60 élèves.
37:16 Et puis au fur et à mesure, des 4 ans que j'ai passé là-bas,
37:19 j'ai vu apparaître 2, 3, 4, 5, 10 petites filles voilées.
37:24 Donc quand les gens disent "en France il faut se défendre",
37:27 ils ont raison, il faut défendre l'école, parce que ça apparaît,
37:31 mais hélas, ça apparaît partout.
37:33 Il y a des forces politiques, radicales, islamistes,
37:37 avec de mauvaises intentions,
37:39 qui se servent comme un cheval de Troie de se foulard, bien sûr.
37:44 – En 1989, au moment de l'affaire de Creil,
37:46 votre famille politique, les écologistes, étaient divisées.
37:50 Antoine Wächter, qui était député européen,
37:52 considérait que le port du voile islamique ne favorisait pas l'intégration.
37:56 À l'inverse, l'écologiste René Dumont
37:58 jugeait qu'exclure des adolescentes à foulard des écoles françaises,
38:01 disait-il, c'est déboucher sur un cul-de-sac dramatique
38:03 en matière d'intégration.
38:05 Au moment du débat sur la loi sur les signes religieux en 2004,
38:09 votre famille politique est encore divisée sur ces questions-là ?
38:12 – À cette époque-là, ma famille politique est plus occupée
38:15 par ses déchireurs internes que par les dogmes
38:18 qu'elle donne à ses parlementaires pour voter.
38:21 En plus, 2004, je suis encore la seule écologiste au Sénat.
38:26 Je n'ai pas de groupe politique,
38:28 je n'ai pas de copains avec qui parler,
38:30 de débats préalables sur un sujet aussi délicat.
38:34 Et donc, je me forge toute seule ma conviction,
38:38 ce que je vais voter, ce que je vais dire.
38:41 Je n'ai pas mis la République en péril,
38:43 car je peux vous dire que l'hémicycle est rarement plein,
38:46 vu les travaux dans les commissions simultanées au débat dans l'hémicycle.
38:50 Mais ce jour-là, l'hémicycle était plein.
38:54 – Lors de la discussion générale du texte, dans l'hémicycle justement, le 2 mars,
38:58 vous annoncez que vous voterez contre la loi,
39:01 et vous le faites au nom de la protection des jeunes filles.
39:03 On vous écoute.
39:04 – La parole est à notre collègue, Madame Marie-Christine Blandin.
39:07 – Maintenant, soyons pragmatiques.
39:09 Les filles voilées sont soit militantes, soit victimes.
39:12 Si elles militent, est-il judicieux de les tenir à l'écart du savoir
39:17 et de la confrontation, pour qu'elles renforcent les rangs de ceux minoritaires
39:22 qui font passer la religion avant la République ?
39:25 Et si elles sont victimes, l'exclusion les privera du dialogue formateur,
39:30 de l'instruction, et ne leur laissera comme horizon
39:33 que l'emprise de leur bourreau supposé.
39:36 Je ne confonds pas une jeune fille à tête couverte et une intégriste fanatique,
39:42 tout comme je ne vois pas dans un catholique portant une croix
39:45 un inquisiteur porteur de terreur ou un farouche descendant des croisés.
39:51 – Pour vous, à l'époque, les filles voilées étaient soit victimes, soit militantes.
39:55 – Je faisais des hypothèses…
39:57 – Vous ne pouviez pas porter un voile, ni l'une ni l'autre.
39:59 – À cette époque-là, on commençait déjà à avoir, d'une part,
40:02 des poussées d'antrisme d'islam radical, ou alors, l'adolescence,
40:07 c'est l'époque où on cherche une identité.
40:10 – Ça ne vous a pas fait douter au moment du vote, précisément,
40:12 puisque vous soulignez cet antrisme islamiste que vous aviez pu mesurer ?
40:16 – Bien sûr que j'ai le doute.
40:18 Moi, mon souci, c'est que cet islam radical ne trouve pas sa place dans notre République.
40:23 Pour qu'il ne trouve pas sa place, il faut que les mesures antidiscrimination
40:27 arrivent avant les fermetures de portes,
40:31 comme celle de l'école pour des gens qui portent le voile.
40:35 Voilà, c'est tout.
40:37 Et puis, cette espèce de contrat social républicain qui est mal respecté,
40:43 qui ne fait pas attention à la diversité,
40:46 qui ne respecte pas les droits culturels des gens,
40:50 ne nous rend pas très forts pour affirmer des mesures utiles,
40:54 comme celles-là, qui…
40:57 Alors, elles sont utiles, mais on voit bien qu'elles ne sont pas suffisantes.
41:01 On a eu Samuel Paty, on a eu Dominique Bernard,
41:05 c'était dans le lycée d'Arras où mes enfants sont allés à l'école.
41:09 Ça me touche beaucoup, ça me révolte, ça m'attriste,
41:13 et je me dis qu'on n'est pas au bout de la réconciliation.
41:17 Car si ces crimes sont possibles,
41:20 c'est parce qu'il y a des terroristes d'une part,
41:23 et d'autre part, c'est parce qu'il y a aussi une population relée
41:26 qui n'a pas trouvé sa place et qui porte une oreille attentive
41:30 à ceux qui disent "on ne vous aime pas ici".
41:33 La gauche s'est fracturée aussi sur ces questions de laïcité,
41:36 elle qui était très attachée à ce combat laïque.
41:39 Une partie de cette gauche s'en est détournée au nom de la défense des minorités.
41:43 Mélenchon, moi je l'ai connue…
41:46 C'était Robespierre, quoi !
41:49 Je lui avais porté une petite calligraphie, un bijou en or qui me venait du Caire,
41:54 je ne sais même pas si c'est une sourate du Coran
41:57 ou une déclaration d'amour d'un prince à sa princesse, j'ai eu les deux versions.
42:01 Il m'a agressée en me disant "mais qu'est-ce que tu portes là, tu n'as pas le droit !"
42:05 et donc je l'ai connue farouche sur la laïcité.
42:09 La gauche, une partie de la gauche, fait preuve de naïveté vis-à-vis de l'islamisme pour vous ?
42:13 Personne n'est naïf.
42:15 Personne n'est naïf, ça veut dire qu'il y a un calcul derrière ?
42:18 Électoraliste.
42:20 Sans doute.
42:22 On est bien loin des grandes lois laïques.
42:25 L'interdiction du port de signes religieux, ostensibles ou visibles, n'est dirigée contre personne.
42:31 Je terminerai en disant que cette loi pour moi n'est qu'un premier jalon
42:34 dans le renforcement de la dignité de l'école républicaine.
42:37 Tandis que la gauche se divise, les socialistes sont pour, les communistes sont contre,
42:41 un sénateur radical de gauche, lui, considère que le texte ne va pas assez loin.
42:46 Bonjour Gérard Dalfour.
42:48 Vous êtes agrégé de l'aide classique, vous avez été sénateur de l'Hérault pendant 28 ans,
42:53 et ce débat sur la laïcité, il vous passionne depuis toujours.
42:56 Mais quand vous voyez arriver le texte au Sénat, en mars 2004, il ne vous convient pas. Pourquoi ?
43:02 Il me convient sur son principe, mais il me semble qu'il faut encore l'élargir.
43:07 Et je vais décider de proposer un certain nombre d'amendements.
43:11 Vous allez demander par exemple de durcir le texte en interdisant tous les signes religieux,
43:16 même les signes religieux discrets.
43:18 Je dis exactement que je souhaite que la notion de signes religieux ostensibles
43:25 soit remplacée par signes religieux visibles. Voilà.
43:30 Donc à l'époque, ça veut dire qu'une croix autour du cou ?
43:33 Oui, ça peut aller jusque là, effectivement.
43:37 Vous proposez aussi d'étendre le champ d'application de la loi aux établissements privés, sous contrat, et aussi à l'université.
43:44 Vous êtes un jusqueboutiste ?
43:46 Non, je ne suis pas un jusqueboutiste.
43:48 Je pense que la laïcité, c'est un processus historique de longue durée, multiforme, et par nature inachevée.
43:59 Et je pense que ce moment de 2004, avec la cristallisation dans l'opinion publique qui s'est créée par le geste du président de la République, Jacques Chirac,
44:10 je pense que c'est le moment de faire un pas beaucoup plus significatif.
44:15 Ces positions que certains jugeaient maximalistes, elles étaient partagées par d'autres que vous, ou vous vous sentiez isolé ?
44:22 Il y a toujours eu une gauche qui, privilégiant, comme on le disait, la question sociale sur la question religieuse,
44:32 donc qui a toujours considéré qu'il ne fallait pas imposer d'interdits aux catégories sociales les plus pauvres de la nation.
44:42 Donc cette gauche-là, qui se manifeste toujours, que l'on qualifie souvent de communautariste, comme Jacques Chirac l'avait fait en son temps d'ailleurs,
44:54 cette gauche-là, je n'espérais pas la convaincre.
44:59 Dans les années 1900-1905, le débat était violent, âpre, entre le camp républicain et une église catholique qui était en position dominante.
45:13 Aujourd'hui, le conflit oppose une minorité, souvent la plus pauvre de la population, à la majorité des forces économiques, politiques et culturelles.
45:25 Et paradoxalement, à mon sens, en tout cas je le ressens comme ça, cette supériorité écrasante du camp laïc est d'une certaine façon sa faiblesse.
45:35 Le voile à l'école a fracturé la gauche. Est-ce que c'est le début de ce que Manuel Valls appellera plus tard les deux gauches réconciliables ?
45:43 C'est déjà en gestation, puisque quand même, l'attitude de Lionel Jospin, d'abord comme ministre de l'Éducation nationale,
45:51 en 1989 lors de l'affaire de Creil, et puis en devenu Premier ministre autour des années 2000, et qui refuse de s'engager,
46:01 c'est bien la preuve qu'il y a déjà une grande difficulté. Et c'est la loi de 2004 qui, effectivement, officialise cette fracture.
46:14 Vous dites que Luc Ferry, ministre de l'Éducation nationale, est quasi absent.
46:18 Oui. Il parle peu, pratiquement pas. Il défend pratiquement pas la loi. Simplement, il est quand même obligé de répondre à une fraction...
46:33 La droite républicaine, majoritairement, approuve la loi et votera. Mais il y a une fraction, on va dire, d'inspiration démocrate chrétienne
46:42 autour de Michel Mercier, sénateur du Rhône, qui, au contraire, s'y oppose. Et donc, il est obligé, là, quand même, d'entrer dans le débat.
46:54 Les arguments de Gérard Delfaux ne changeront rien à l'affaire. La loi est adoptée par le Sénat et promulguée le 15 mars 2004.
47:00 Elle modifie donc l'article 141, alinéa 5 du Code de l'Éducation et doit s'appliquer dès la rentrée suivante dans tous les collèges et lycées publics.
47:09 La communauté éducative est soulagée de pouvoir disposer enfin de règles claires, mais la décision de la République française va continuer de susciter
47:16 de très nombreuses critiques, en particulier dans le monde arabo-musulman. A la fin de l'été, le 20 août 2004, deux journalistes français et leurs chauffeurs
47:24 sont enlevés par l'armée islamique d'Irak, qui exige de la France l'annulation de la loi sous 48 heures. C'est dans ce contexte tendu que s'effectue
47:33 la rentrée scolaire. Le premier jour, 240 signes religieux seront recensés, tous des voiles islamiques, à l'exception de deux croix et d'un turban sikh.
47:43 Et sur ces 240 élèves, 70 refuseront de se conformer aux nouvelles règles.
47:48 Pour conclure cette émission, j'accueille Galeb Bencher. Vous êtes islamologue, producteur et animateur de l'émission "Question d'Islam" sur France Culture
47:58 et depuis 2018 président de la Fondation de l'Islam de France, qui est une fondation reconnue d'utilité publique, qui œuvre pour le bien commun à travers l'éducation et la culture.
48:08 Elle a été mal vécue, cette loi, par plusieurs organisations musulmanes et plusieurs musulmans de France.
48:18 Plusieurs, c'est peut-être le mot, effectivement. D'autres musulmans s'étaient réjouis. Les organisations qui s'étaient un peu senties peinées par la loi
48:34 étaient dans une optique plutôt à la fois de liberté religieuse et un mélange de ce qui était perçu par elles comme étant un rejet de la visibilité de l'élément islamique au sein de la société française.
48:52 C'était le cas ?
48:54 Il y a une crise au sein du monde de l'islam et dont le revoilement des femmes était un indice. Je mets au défi d'ailleurs, comme me montre dans l'histoire récente de Casablanca à Jakarta,
49:16 de Peshawar à Zanzibar. Une jeune lycéenne ou une étudiante allant au lycée ou à l'université voilait avant 1979, année fatidique de la fameuse révolution romainiste,
49:32 et qui, dans une sorte de surenchère entre l'exportation de cette révolution radicale et les thèses obscurantistes du rahabisme du côté de l'Arabie saoudite,
49:47 on se retrouve dans une rivalité dont allaient payer véritablement les frais et le prix les jeunes demoiselles et les jeunes femmes musulmanes.
50:00 Donc il y a une sorte de revoilement et ceci a été perçu par une bonne partie de la société française comme une sorte de régression, ce qui a exacerbé les tensions de part et d'autre.
50:12 La République a-t-elle un problème avec l'islam ? Beaucoup de musulmans se sentent pas toujours acceptés, pas toujours reconnus, voire ciblés par les pouvoirs publics.
50:21 Je dis souvent l'allégorie de la République. Je convoque pour cela Honoré Daumier. Il a peint une très belle toile avec une femme plonctueuse qui a l'aide de nourrissons et un garçonnet à ses pieds.
50:40 La légende était et est toujours que la République nourrit et instruit ses enfants. Pour peu que la République nourrisse, instruise et protège tous ses enfants, il n'y aura plus de problème.
50:58 Il y a une islamophobie en France. Vous savez, le tissu social des musulmans de France n'est pas harmonisé.
51:04 Vous avez un petit pôle qui ne nous intéresse pas mais qui existe de musulmans, de souches arabes avec le même accent rocailleux qui les caractérise, mais qui sauvent le marché des hurlingues à Deauville.
51:16 Et on leur baise la main parce que l'hôtellerie de luxe fonctionne bien, ils sont à la fois propriétaires et consommateurs.
51:23 Et de l'autre côté, vous avez des jeunes gens, notamment, prolétarisés, ghettoisés, marginalisés, défavorisés, désislamisés.
51:32 Elle en assiste à une réislamisation de néophytes, telle une revendication politico-identitaire.
51:38 Si on ajoute à cela les déclarations ineptes, malheureuses, scandaleuses de certains imams, youtubeurs ou autoproclamés, ça donne, de l'autre côté,
51:56 puisque nous avons connu, hélas, un triomphe idéologique de l'extrême droite aussi, une situation de tension terrible qui a été aggravée davantage par la série d'attentats
52:10 dont les auteurs criminels s'étaient prévalus de leur vision de ce que c'est que la tradition religieuse islamique.
52:17 On ne vous sent pas très optimiste.
52:19 Ça, c'est le diagnostic. Maintenant, quand on pose un bon diagnostic, c'est en vue de lui trouver la bonne indication.
52:28 Certes, ça reste la vigilance, la réponse sécuritaire et le renseignement.
52:34 On ne peut pas accepter qu'on meure d'enseignés dans notre pays.
52:41 Deuxième temps, c'est aux intellectuels musulmans de fournir, de préparer un discours alternatif,
52:53 une focalisation sur l'humanisme d'expression arabe qui a prévalu en contexte islamique et qui est totalement oblitéré, effacé des mémoires, insoupçonné, impensé même.
53:11 Troisième temps, c'est un investissement, un investissement sur l'éducation et la culture.
53:19 Une préparation de la jeunesse, et notamment la jeunesse musulmane, en leur faisant découvrir le fond civilisationnel de leur propre tradition religieuse,
53:32 mais aussi le patrimoine français, l'héritage, l'histoire, ne serait-ce que de la laïcité des idées politiques.
53:43 La quatrième, c'est encore une fois la République, nous en avons parlé,
53:49 où une citoyenneté apaisée fera en sorte que l'on doive s'acquitter de ses devoirs de citoyen pour être fondé pleinement de juire des droits qui en découlent et qui restent inaliénables.
54:03 Aujourd'hui, si la loi se représentait, je crois que je dirais oui parce que la situation s'est aggravée.
54:11 La question qui était à l'époque focalisée sur l'école, aujourd'hui, s'est retrouvée dans un grand nombre d'autres institutions.
54:20 Dans les écoles, on a caché le symptôme, on ne l'a pas traité. La preuve, tous les dysfonctionnements sur la laïcité qui se manifestent autrement.
54:30 Aucune jeune fille n'a été exclue, aucune, aucune, aucune, pas une seule.
54:34 La loi de 2004 et la continuation de la loi de 1905, c'est notre grande histoire et c'est ce qui fait le ciment de la France.
54:43 Vingt ans après le vote de la loi sur l'interdiction du port de signes religieux à l'école, la décision de Jacques Chirac a montré son efficacité.
54:50 Le voile n'est aujourd'hui plus un sujet au collège ni au lycée et le cadre légal fixé par le texte a récemment permis au ministère de l'Éducation nationale d'interdire d'autres vêtements jugés religieux ou ostentatoires, comme la baïa.
55:02 Pour autant, la loi de 2004 n'a pas permis à l'école de demeurer cet asile inviolable dans lequel les querelles des hommes ne doivent pas pénétrer, selon l'expression de Janzet.
55:12 La pression religieuse s'y exerce de manière différente.
55:15 Elle porte par exemple sur le contenu de l'enseignement de certaines matières, comme l'histoire ou la science, ou se mesure encore à travers les remises en cause de la mixité.
55:23 La preuve, s'il en fallait que la laïcité à la française, vieille de plus d'un siècle, mérite tout à la fois notre vigilance et notre fermeté, mais aussi notre inventivité, si l'on veut que chacun puisse y trouver sa place, sans trahir sa mission première d'émancipation et de respect.
55:39 (Générique)
56:05 Public Sénat et les archives nationales vous ont présenté « Il était une loi ».
56:10 Sous-titrage Société Radio-Canada

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