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Dominique Reynié, politologue et professeur des Universités à Sciences Po, et Brice Teinturier, politologue et directeur général délégué d’Ipsos France, sont les débatteurs de ce mercredi 10 avril. Dominique Reynié co-dirige "L'Europe et la souveraineté. Approches franco-italiennes" chez Plein jour.

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Transcription
00:00 Simon Le Baron, le 7/10
00:04 Quels sont les ressorts du vote aux élections européennes ?
00:08 A deux mois du scrutin, pourquoi les français votent ou pourquoi ne votent-ils pas ?
00:12 Pour en débattre deux politologues, Brice Tinturier, directeur général d'Ipsos, bonjour !
00:18 Bonjour !
00:18 Et Dominique Régnier, directeur de la Fondapol qui se définit comme un think tank libéral, progressiste et européen, bonjour !
00:26 Bonjour Simon Le Baron !
00:27 On vous écoute aussi à 7h20 le mardi sur France Inter.
00:31 Deux livres Dominique Régnier, l'Europe et la souveraineté que vous codirigez aux éditions plein jour
00:38 et le vote des européens de Corine Deloy que vous préfacez aux éditions du Cerf.
00:43 La question centrale qui se pose pour la France, mais en fait pour l'Europe tout entière, c'est la suivante.
00:49 Est-ce que ces élections européennes sont selon vous celles du basculement populiste ?
00:57 Alors en France, incontestablement, nous mesurons un vote en faveur du Rassemblement National qui est élevé, voire très élevé, historique s'il se vérifie.
01:05 Dans notre dernière enquête, nous étions à 31% d'attention de vote pour le Rassemblement National.
01:10 Il faut y ajouter aussi la liste Euroconquête et tout ça construit un bloc extrêmement puissant.
01:16 L'enjeu malgré tout, ça reste la mobilisation.
01:19 Aujourd'hui, on est encore loin du scrutin, mais nos indicateurs de mobilisation sont 13 ans de ça de ce qu'elle a été la dernière fois.
01:26 La dernière fois, on avait eu 50% de participation.
01:29 Aujourd'hui, on serait plutôt à 44%.
01:32 Les choses peuvent évoluer, bien évidemment, mais cela peut peser sur le résultat final.
01:38 Mais pour répondre à votre question, en France, oui, en Europe, ça peut être un peu plus nuancé et différent.
01:44 Mais en France, oui, le vote dit populiste est plutôt dans une très grande dynamique.
01:49 - Dominique Rénier, c'est ça le grand enjeu ?
01:51 - Je crois que c'est le grand enjeu.
01:53 Derrière l'idée de vote populiste, il faut imaginer un vote protestataire pour ceux qui vont aller voter.
01:58 D'ailleurs, il peut y avoir aussi de la protestation ou de la frustration chez ceux qui vont s'abstenir.
02:03 Et quand on regardait déjà en 2019, la première famille politique,
02:08 ou le premier courant au fond qui était présent en Europe électoralement,
02:12 le plus fort, c'était le populisme de droite et l'extrême droite.
02:14 Déjà en 2019, aujourd'hui, ça l'est un peu plus.
02:18 Et il faut bien sûr chercher la raison pour laquelle cette protestation s'exprime ou cette frustration est éprouvée.
02:24 - Alors, est-ce que c'est toujours, justement, comme on le dit historiquement, un vote sanction ?
02:28 C'est-à-dire pour ou contre le pouvoir en place ?
02:30 En l'occurrence, pour ou contre Emmanuel Macron ?
02:32 Est-ce qu'il y a des causes plus profondes que ça ?
02:34 - Alors, on pouvait imaginer que l'européanisation du scrutin allait être plus forte cette fois-ci.
02:41 Parce que, après le Covid, parce qu'avec l'enjeu environnemental,
02:45 parce qu'en raison des problématiques d'immigration,
02:48 l'échelon européen pourrait apparaître comme le bon échelon.
02:51 En réalité, les Français sont très partagés.
02:53 On retrouve un vote national qui est le moteur essentiel de la moitié de nos concitoyens
02:59 qui nous disent qu'ils vont voter en fonction de considérations nationales.
03:02 Et quand on vote sur des considérations nationales,
03:04 c'est un vote sanction à l'égard d'Emmanuel Macron qui se profile.
03:07 13% seulement d'électeurs qui disent qu'ils vont aller soutenir Emmanuel Macron
03:13 et 39% qui vont y aller pour le sanctionner.
03:16 Le reste étant sur des enjeux plutôt européens.
03:19 Et dans le vote sanction, massivement, le vote est reine.
03:23 - Mais quand on voit quand même, Dominique Régnier,
03:25 que, par exemple, le pacte vert européen, dit-on, attise et alimente le vote populiste,
03:32 et qu'il y a aussi des raisons de fond que le rejet, il est aussi celui des normes, des contraintes européennes ?
03:39 - Oui, il y a un grand paradoxe, Simon Le Baron, dans le prolongement de ce que dit Brice Saint-Hurien à l'instant.
03:44 Les européens ont le sentiment que sur un sujet qui les préoccupe, eux, énormément,
03:50 notamment le contrôle des frontières et de l'immigration,
03:53 il ne se passe rien alors qu'ils le demandent à travers les élections nationales et les enquêtes d'opinion.
03:59 Et sur un sujet qu'ils ne demandent pas vraiment, la transition écologique,
04:03 ils ont peut-être tort, c'est pas le sujet,
04:05 mais il ne s'exprime pas électoralement en ce sens-là,
04:09 s'est mis en place et avec une efficacité impressionnante, une forme même d'autoritarisme.
04:13 Et c'est cette espèce de double incompréhension qui crée une forme, alors je dirais d'exaspération,
04:18 ça se manifeste jamais comme ça, c'est des votes, hein,
04:21 mais qui crée aujourd'hui, que ce soit la France, les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Italie, la Pologne, la Roumanie, l'Espagne aussi,
04:30 ce sont des pays importants par leur population.
04:32 Et j'ai dit ces pays-là, j'ai fait plus de la moitié des députés européens,
04:35 et bien qui sont en protestation pour cette raison-là.
04:39 - Brice Torturier.
04:40 - Oui, c'est un peu ce qu'on retrouve aussi derrière un autre indicateur,
04:43 qui est ce que vous êtes d'accord avec le projet européen tel qu'il est mené actuellement,
04:47 favorable, mais en le changeant, ou opposé.
04:51 Et ce qu'on mesure maintenant depuis plusieurs années,
04:53 c'est qu'on a une proportion très importante de Français qui nous disent, 73%,
04:57 qu'ils sont favorables au projet européen,
04:59 et sur ceux qui sont favorables, 54% vous disent "mais pas tel qu'il est mené actuellement".
05:04 Et en raison notamment de ce que Dominique Régnier vient de souligner,
05:07 c'est-à-dire du hiatus ressenti entre les attentes des nationaux,
05:11 et ce qu'à tort ou à raison, ils estiment être la politique mise en place par l'UE.
05:15 Donc là, il y a une tension qui anime aussi le vote populiste.
05:19 - On a parlé de l'enjeu central, est-ce que le mot central dans cette campagne européenne,
05:24 c'est le mot "souveraineté" ?
05:26 - Je crois que c'est le mot central.
05:29 C'est d'ailleurs ce mot à propos duquel il n'y a pas de débat véritablement aujourd'hui,
05:34 malgré la campagne électorale pour les européennes.
05:37 - Parce qu'il peut recouvrir des réalités très différentes.
05:39 - Mais il y a quelque chose qui est demandé par les européens,
05:41 parce que souveraineté, ça peut être souveraineté nationale, on pense à nationalisme,
05:45 mais ça peut être aussi souveraineté populaire.
05:47 La possibilité pour les européens, en tant que peuple, au pluriel,
05:50 de décider de leur destin.
05:52 Et le sentiment qu'aujourd'hui ça ne prend pas, il ne se passe rien,
05:55 nous n'avons pas d'échelle européenne de puissance,
05:57 alors que nous avons le sentiment que nos échelles nationales se défont,
06:01 nous restons un peu suspendus au milieu de la globalisation, à flotter comme ça,
06:06 et c'est une situation qui n'est pas tenable.
06:09 Les européens ne peuvent pas, en tant que citoyens, tout simplement,
06:12 accepter de vivre ici sans puissance qui les protège et qui les projette.
06:16 - Christophe Thurier.
06:17 - C'est un mot très compliqué pour les français.
06:19 On avait fait une enquête en 2021 dans 8 pays,
06:22 et on testait en question ouverte la compréhension de ce terme.
06:26 En France, vous n'aviez que 29% de français qui voyaient une connotation positive,
06:31 25% négative.
06:33 Les français considéraient que ça leur rappelait beaucoup plus la monarchie.
06:37 Et puis quand vous essayez d'articuler la souveraineté nationale
06:40 et la souveraineté européenne,
06:42 vous n'aviez qu'un français sur deux qui considérait qu'elle pouvait être complémentaire.
06:46 Donc c'est un enjeu majeur, bien évidemment,
06:48 mais le terme lui-même, dans sa sémantique, et ce qu'il recouvre par rapport à l'échelon européen,
06:54 fait qu'il est difficile en réalité à articuler dans une campagne électorale.
06:57 - Justement, souveraineté nationale, souveraineté européenne
06:59 qui peuvent apparaître comme contradictoires aux yeux de beaucoup d'électeurs.
07:03 Par exemple, Bruno Le Maire, ministre des Finances,
07:07 dit hier qu'il défend une "préférence européenne dans l'attribution des marchés publics".
07:12 On a l'impression qu'il dit ça en miroir à la préférence nationale
07:15 défendue par le FN et désormais RN.
07:20 Est-ce que cette souveraineté européenne serait à même de régler l'aspiration nationaliste ?
07:25 - Alors, ce sont vraiment des questions qui, à un moment donné,
07:28 débouchent sur des réalités techniques qui ne sont pas simples à mettre en place,
07:33 mais c'est en tout cas la demande.
07:35 Et de ce point de vue-là, Bruno Le Maire, je trouve, a une bonne idée
07:38 de répondre à la préférence nationale.
07:41 Non pas "vous ne pouvez pas dire cela, ça n'est plus acceptable, ça n'est plus possible",
07:46 mais d'ajouter "on peut en revanche construire un espace qui sera celui des Européens dans le monde,
07:52 circonscrit avec des frontières commerciales, etc."
07:55 - Mais politiquement, est-ce que cette aspiration européenne répond au nationalisme qui monte ?
08:00 - C'est une réponse pertinente.
08:02 Ce n'est pas la réponse à ceux qui ont une approche identitariste, si vous voulez,
08:07 très affective sur la dimension nationale.
08:10 La demande la plus puissante dans notre pays, c'est la demande de protection.
08:13 Donc, protection aux frontières, protection économique, mais pas seulement économique.
08:17 Et bien évidemment que l'Europe apparaît comme trop poreuse aux Français et aux Européens,
08:23 et que donc cette idée qu'a avancée Bruno Le Maire est pertinente aux yeux des Français.
08:28 Mais ce que les Français réclament encore plus, c'est même que l'échelon national
08:33 redevienne un échelon où les décisions se prennent davantage qu'au niveau européen.
08:37 Donc en réalité, il y a une double demande de protection au niveau de l'Europe,
08:41 mais encore plus au niveau de la France.
08:43 Et c'est pour ça qu'il est difficile d'articuler ces deux échelons de décision.
08:46 - Dominique Clénier ?
08:47 - Si on peut ajouter, Simon Le Baron, c'est que les Français sont, comme d'ailleurs les Européens de la zone euro,
08:51 dans cette position-là, mais avec une exception, ils ne veulent surtout pas revenir à la monnaie nationale.
08:56 Ils ont peur que la monnaie nationale soit moins forte que la monnaie européenne.
09:01 Et s'il y a un point sur lequel les Européens de la zone euro,
09:03 même les électeurs de Marine Le Pen à 80%, 65% ou 70%, j'ai un peu oublié les chiffres récents,
09:09 mais de manière très majoritaire, les électeurs de Marine Le Pen et tous les électeurs de la zone euro
09:13 sont pour la protection de l'euro.
09:15 - Encore un mot sur ce sujet ?
09:16 - Oui, parce que quand vous demandez aux Français si la sortie de la France de l'Union européenne
09:22 générerait comme sentiment chez eux, vous en avez 23% seulement, j'ai envie de dire,
09:27 qui nous disent un vif soulagement.
09:29 Et 47% de grands regrets, avec une part d'indifférents qui n'est pas négligeable, 30%.
09:34 Mais vous voyez bien que la peur d'une sortie de l'Union européenne, elle est quand même très présente,
09:39 et notamment parce que l'euro, là-dessus il y a un consensus,
09:43 l'euro reste perçu comme un gage de la solidité et plutôt quelque chose qui apporte à l'économie européenne, à l'économie française.
09:51 - On voit donc que tout cela est très flou chez les électeurs, dans quelle mesure on rejette l'Europe,
09:55 dans quelle mesure on attend beaucoup d'elle aussi.
09:58 Est-ce que, à cette aune, le clivage européen, pro-européen, anti-européen,
10:04 que Emmanuel Macron et Marine Le Pen eux-mêmes ont beaucoup nourri, a toujours un sens aujourd'hui ?
10:09 - Moi je pense que politiquement, ce sens se perd, peu à peu, année après année.
10:15 On parlait à l'instant de l'euro, il faut rappeler à nos auditeurs que les responsables des partis populistes
10:22 les plus puissants aujourd'hui en Europe, et qui ont plutôt le vent en poupe,
10:25 se sont tous convertis à l'euro. Tous, même quand ils n'osent pas trop le dire publiquement.
10:31 Et donc il y a une sorte d'européisation des populistes qui s'intègre dans le système,
10:36 et de ce point de vue-là, le clivage est moins net.
10:39 Il n'y a plus beaucoup de manifestations fortes, politiquement parlant, du désir de sortir de l'Union Européenne.
10:46 - Alors, il est moins net, effectivement, mais aussi parce qu'il y a de la dissimulation,
10:51 et que des forces politiques ne mettent pas clairement en avant qu'elles sont hostiles à l'Europe.
10:57 Elles disent "non, nous ne sommes pas vorables à l'Europe", mais il faut reconsidérer un certain nombre de traités.
11:02 Les traités qu'il faudrait reconsidérer, si on les prend à la lettre, reviendraient en réalité à sortir de l'Europe dans bien des cas.
11:08 - Alors malgré tout, les pro-européens, en tout cas ceux qui s'affichent très fortement,
11:13 ou qui affichent cette identité européenne, en l'occurrence, en premier lieu, la liste macroniste,
11:20 celle conduite par Raphaël Glucksmann dans cette élection, ne se porte pas si mal.
11:24 Si on analyse et qu'on ajoute les intentions de vote, ils sont presque au niveau du RN, ou pas loin derrière.
11:30 Ça veut dire que le camp européen existe toujours, aujourd'hui ?
11:35 - Oui, on peut d'ailleurs ajouter les Verts, qui sont très pro-européens, et une partie des LR, qui sont européens aussi.
11:46 Donc en réalité, c'est ce que disait tout à l'heure Brice Stinturier, en réalité, l'électorat français,
11:51 et je crois, moi, l'électorat européen dans son ensemble, avec des variations évidemment à chaque fois selon quelques pays,
11:56 est un électorat qui ne veut pas quitter l'Union Européenne.
11:59 Et les événements que nous avons vécus depuis quelques années le confortent plutôt dans l'idée que si on sort de ce modèle,
12:05 avec nos petites nations, nous ne sommes plus dimensionnés pour faire face aux défis.
12:09 - Tout à fait, mais c'est un électorat qui est divisé.
12:12 Contrairement à l'électorat le plus hostile à l'Union Européenne, le RN est reconquête,
12:17 mais le RN est archi-dominant, qui lui est capable à lui seul de drainer presque un tiers des suffrages des Français.
12:23 - Un tout dernier mot, Brice Stinturier, dans votre enquête Ipsos, vous dites qu'à peine un quart des Français,
12:29 des personnes que vous avez interrogées, estiment être bien informés sur l'Union Européenne.
12:33 Est-ce que le vrai enjeu, ce n'est pas celui-là, de faire connaître quel est le rôle précisément de l'Union Européenne,
12:39 qui est très opaque pour la plupart des électeurs aujourd'hui ?
12:42 - Oui, vous avez tout à fait raison, et avec une limite malgré tout.
12:45 Vous avez raison parce que l'électorat RN est l'électorat qui se dit le moins bien informé de tous les électorats à propos de l'Europe.
12:52 Donc il y a un lien entre la compréhension des enjeux, le niveau d'information,
12:57 le fait d'être allé ou non dans d'autres pays aussi, et votre attitude à l'égard de l'Europe.
13:02 La seule limite, c'est qu'il ne suffit pas d'informer.
13:05 Vous avez aussi à certains moments des désaccords de fond,
13:09 et là, c'est vraiment des désaccords en toute connaissance des enjeux.
13:14 - Brice Tinturier, directeur général délégué de l'Institut IPSO, c'est Dominique Régnier, directeur de la Fonde à Pôle.
13:20 Merci à tous les deux d'avoir participé à ce débat.

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