L’écrivain Giuliano da Empoli, auteur du "Mage du Kremlin", a dirigé la revue "Le Grand Continent" : "Portrait d’un monde cassé. L’Europe dans l’année des grandes élections." Le cœur de cet ouvrage, ce sont les élections européennes, qui ont lieu dans moins de 50 jours. De nombreux candidats disent que ces élections européennes sont les plus importantes pour le continent, parce qu’il y a la guerre en Ukraine, une élection présidentielle en Ukraine. Des élections "cruciales", mais est-ce simplement un slogan ? "Je ne suis pas catastrophiste. On voit en effet des forces nationales populistes qui remontent. Elles avaient baissé à un moment, mais elles reviennent en force dans la plupart des pays européens", répond Giuliano da Empoli.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien
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00:00 Nicolas Demorand, le 7/10.
00:06 L'invité du grand entretien ce matin est écrivain, il dirige l'ouvrage collectif
00:12 « Portrait d'un monde cassé, l'Europe dans l'année des grandes élections » chez
00:17 Gallimard, le livre sera en librairie après-demain, vous pourrez dialoguer avec lui au 01 45 24
00:23 7000 et sur l'application de France Inter, Giuliano D'Ampoli, bonjour.
00:30 Bonjour.
00:31 Et bienvenue à ce micro, je rappelle que vous êtes l'auteur du « Mage du Kremlin »,
00:36 best-seller sur le pouvoir russe, écrit avant même la guerre en Ukraine, et que votre précédent
00:41 livre « Les ingénieurs du chaos », et c'est sur les populistes, et lui aussi devenu un
00:47 phénomène d'édition, et j'ajoute une lecture de référence pour les politiques
00:53 de tous bords.
00:54 On va parler ce matin de ce livre collectif que vous préfacez et dirigez, « Portrait
00:59 d'un monde cassé, l'Europe dans l'année des grandes élections », il s'agit de
01:04 la version livre de plusieurs articles de la revue de référence en ligne « Le Grand
01:10 Continent », parmi les contributeurs, Joseph Borrell en charge de la diplomatie européenne,
01:15 l'homme politique belge Paul Magnette, l'écrivain espagnol Javier Cercas, le politologue Hugo
01:22 Bicheron, l'ingénieur Jean-Marc Jancovici, l'économiste Julia Kagé et beaucoup d'autres.
01:28 Mais pour commencer, un mot sur ce titre, un monde cassé, cassé par qui ? Cassé par
01:36 quoi ?
01:37 Écoutez, je pense que la chronique de Pierre Erski que nous venons d'écouter est en
01:43 effet une très bonne introduction par rapport à certaines de ces fractures que nous vivons
01:49 aujourd'hui. Après, la fracture géopolitique et guerrière que nous traversons n'est
01:56 qu'une des fractures nombreuses, certaines desquelles sont analysées dans ce volume.
02:02 Il y a par exemple une nouvelle ligne de fracture par rapport à la transition climatique.
02:09 Ça, on va y venir.
02:11 Exactement.
02:12 Une fracture technologique aussi.
02:13 Une fracture technologique. Ce qu'il y a de bien dans notre époque, c'est qu'on a le
02:19 choix, chacun a le choix de son apocalypse, d'une certaine façon.
02:23 Vous nous direz laquelle vous préférez tout à l'heure. Un des slogans de la revue Le
02:27 Grand Continent est "Le temps du livre dans le temps du tweet". Et justement, dans ce
02:32 livre qui fait le pari de l'intelligence, il s'agit de prendre de la hauteur par rapport
02:37 aux polémiques de Twitter et des réseaux sociaux pour réfléchir à la dynamique des
02:41 mouvements populistes, aux mouvements anti-écolos, aux conséquences des guerres en Ukraine et
02:46 à Gaza, l'élection américaine, la révolution de l'intelligence artificielle.
02:52 Mais le point de départ est cette réalité de l'année 2024.
02:55 Année folle du point de vue électoral.
02:57 Pas moins de 4 milliards de personnes sont appelées aux urnes.
03:02 C'est la moitié de l'humanité.
03:04 Et pourtant, vous écrivez, ce qui frappe, ce n'est pas tant le caractère exceptionnel
03:09 du climat électoral qui s'est installé sur la planète que sa confondante banalité.
03:15 Parce que selon vous, on est entré dans la campagne permanente.
03:20 Qu'est-ce que ça change ?
03:21 Ça change que traditionnellement, dans les systèmes politiques, vous aviez une phase
03:27 de campagne.
03:28 La campagne elle-même, comme terme, dérive de la campagne militaire, donc d'un affrontement,
03:35 d'une guerre où les différents partis et les différentes forces s'affrontaient sans
03:40 compromis.
03:41 Et puis, la phase électorale se terminait et vous aviez la phase du gouvernement.
03:46 Alors, gouvernement, ça vient du grec et ça vient de gouverner un navire, de piloter
03:52 un navire.
03:53 Donc, c'est autre chose.
03:54 Ce n'est pas une logique forcément d'affrontement permanent.
03:58 C'est la recherche du compromis.
04:00 C'est faire face à la réalité.
04:02 Ce n'est pas un jeu à somme nulle, mais c'est si possible un jeu à somme positive.
04:08 Alors, évidemment, ça n'a jamais été aussi net et aussi joli que ça.
04:12 Il y a toujours eu des tensions très fortes.
04:15 Mais ce qu'on remarque, et je pense que c'est dû à plusieurs facteurs et notamment à
04:20 un nouvel écosystème de médias, réseaux sociaux, etc.
04:27 C'est qu'on en arrive à une campagne permanente.
04:32 Donc, le climat de la campagne électorale ne se distingue au fond en rien du climat
04:38 normal.
04:39 C'est cette logique d'affrontement, de polarisation, d'absence de compromis, de dénonciation
04:44 permanente qui, un peu partout, parce que ce sont tous les pays du monde qui, au-delà
04:50 de leur différence, basculent dans cette nouvelle dimension, dans ce nouvel espace
04:57 public numérique, eh bien, nous sommes malheureusement, nous basculons dans l'époque de la campagne
05:04 permanente.
05:05 Julien Nodar, on peut dire que campagne permanente plus réseaux sociaux égale radicalisation
05:11 des positions en présence dans les espaces publics ?
05:15 Oui, vous savez, si vous avez une machine publicitaire gigantesque qui a un coût de
05:25 milliard, ne fait que diviser, segmenter les publics pour pouvoir d'ailleurs leur vendre
05:33 des choses, enfin, c'est à l'origine plutôt un phénomène commercial, mais pour ne faire
05:41 autre chose que renforcer chacun dans ses préférences, dans ses préjugés et donc
05:47 polariser avec des messages de plus en plus extrêmes.
05:50 Et si cet espace-là devient l'espace dans lequel se déplace de plus en plus le débat
05:59 politique, parce que vous savez, tant que vous êtes ici à la radio, vous êtes à
06:03 la télévision, vous êtes dans un meeting sur une place publique, vous êtes en France,
06:09 dans une vieille démocratie, vous pouvez avoir ses défauts, mais il y a des règles
06:14 qui règlent le débat et même des lois qui le règlent.
06:19 Et que le débat politique se déplace ailleurs et que les opinions se forment dans la dimension
06:26 numérique, et bien vous êtes dans un État en faillite.
06:30 C'est comme si vous étiez au Yémen ou en Somalie avec des seigneurs de la guerre numérique
06:36 qui font la loi et au fond, très peu de possibilités d'avoir une discussion plus ou moins équilibrée.
06:46 Le cœur de cet ouvrage, ce sont donc les élections européennes qui ont lieu dans
06:50 moins de 50 jours.
06:52 On entend souvent les candidats dire que ces européennes de 2024 seront les plus importantes
06:59 de l'histoire pour le continent européen, parce que la guerre en Ukraine, parce que
07:03 l'élection américaine.
07:05 C'est un slogan selon vous ou est-ce vrai ? Elles sont cruciales, ces européennes 2024.
07:11 Ce sont des européennes cruciales, mais par contre, moi je ne suis pas catastrophiste.
07:18 C'est-à-dire, on voit en effet des forces nationales populistes qui remontent.
07:25 Elles avaient baissé à un moment et aujourd'hui elles reviennent en force dans la plupart
07:30 des pays européens.
07:32 Mais premièrement, je ne pense pas quand même qu'il y aura un changement de majorité
07:39 trop important au Parlement européen.
07:41 Il y aura peut-être, la majorité actuelle sera renforcée par d'autres parties, mais
07:46 ça ne va très probablement pas basculer.
07:49 Donc on a encore une fenêtre d'opportunité de quelques années pour essayer de faire
07:54 des choses.
07:55 Et puis deuxièmement, ce qui me semble encore plus important, certains de ces partis nationaux
08:01 populistes sont en train de changer.
08:04 Si je regarde mon pays, Mélanie est très problématique sous beaucoup d'aspects.
08:10 On aura peut-être l'occasion d'y venir.
08:13 Mais par rapport à l'Europe et à l'euro, il y a cinq ans, elle voulait en sortir, comme
08:21 Salvini et comme beaucoup d'autres partis de l'extrême droite européenne.
08:26 Aujourd'hui, elle s'adapte à la donne que malgré tout, une large majorité de l'opinion
08:33 publique en Italie, mais c'est le cas en France aussi.
08:36 Par rapport à il y a cinq ans, A.E.
08:39 quand même face aux dangers, face au Covid d'abord et aujourd'hui surtout à la guerre
08:45 en Ukraine, il y a une large majorité de l'opinion publique qui se dit que malgré tout, l'Europe,
08:51 c'est quand même plutôt bien de l'avoir.
08:53 Et donc, ils sont sur des positions qui forcément sont toujours hostiles à la construction
09:00 en soi.
09:01 Mais ça s'articule de façon différente.
09:03 L'Europe ne va pas s'effondrer demain matin.
09:05 Et sur le plan intérieur, comment jugez-vous son bilan ? Georgia Melanie au pouvoir depuis
09:11 bientôt un an et demi, a-t-elle mis en place une véritable politique d'extrême droite
09:16 ou c'est plus compliqué que ça ?
09:17 C'est un peu plus compliqué parce qu'elle a un double langage.
09:21 Donc, elle a compris ce que d'autres avant elle, comme Berlusconi et Salvini, n'avaient
09:29 pas compris, c'est-à-dire qu'elle ne pouvait pas aller chercher le clash ni avec l'Union
09:35 européenne, ni aujourd'hui avec l'OTAN et la coalition contre l'Ukraine.
09:40 Donc, sur tout ce côté-là, politique étrangère, politique économique, elle est restée au
09:46 fond très mainstream ou elle est devenue très mainstream.
09:50 Mais pour marquer son identité et sa différence, elle redouble d'efforts à l'intérieur sur
10:01 tous les thèmes de société, de genre, d'immigration, d'intégration et culturel pour par contre
10:10 marquer une identité véritablement d'extrême droite et explicitement post-fasciste.
10:17 Il y a quelque chose de très important dans ce livre et on y est dès votre introduction.
10:24 Vous analysez l'élan du mouvement national populiste qui surfe désormais sur le climato-scepticisme.
10:32 Vous partez d'une anecdote sur les affiches de campagne de l'AFD, le parti d'extrême
10:36 droite allemand.
10:37 On trouve un seul mot, « diesel ». Pourquoi ce slogan ? Pourquoi cette affiche « disent
10:44 tout » à vos yeux ?
10:45 Pour deux raisons, je pense.
10:48 Il y a d'abord dans ce volume un article remarquable de Jean-Yves Dormajan qui est
10:54 l'ouverture du livre et qui raconte comme malheureusement il y avait une différence
11:02 sur le thème de la transition climatique entre les États-Unis et l'Europe jusqu'à
11:08 récemment.
11:09 C'est qu'aux États-Unis, le thème était très polarisé politiquement.
11:15 Il y a une différence de 70 points de pourcentage entre les démocrates et les républicains
11:23 par rapport à « pensez-vous qu'il y a une transition climatique en cours et qu'il
11:29 faut faire quelque chose ».
11:30 Alors que chez nous, ce n'était pas le cas.
11:34 Dormajan parle d'une sorte de consensus mou.
11:38 Il n'y avait pas de très grosse différence entre la gauche et la droite ou même l'extrême
11:44 droite sur ce sujet-là.
11:45 Et là, c'est fini.
11:48 On voit qu'à tous les niveaux, malheureusement, le climat devient une partie de la guerre
11:55 culturelle identitaire qui est en cours.
11:59 Et oui, moi, je suis très frappé par ces slogans et par cette sorte de liste que j'ai
12:07 dressée au début de mon introduction, où la liste, si vous faites une liste, ça va
12:17 de diesel à Noël à l'hamburger, aux toilettes séparées pour hommes et pour femmes, aux
12:26 blagues amusantes, aux costumes d'Indien et de cow-boy.
12:34 Ce sont toutes les choses que les partis nationaux populistes reprochent aux élites d'enlever
12:44 aux gens.
12:45 Et c'est une liste très impressionnante.
12:48 Et si vous faites rentrer le diesel et la viande et les barbecues dans cette liste,
12:55 vous voyez le risque et la force d'un argument de ce type.
12:59 Juliano D'Ampoli, est-ce que les écologistes ont, selon vous, échoué à expliquer l'urgence
13:07 du Green Deal et des mesures qui sont, vous le dites vous-même, désormais perçues comme
13:12 punitives ?
13:13 Écoutez, je pense qu'il y a d'un côté, ce qui s'est produit, c'est que par rapport
13:20 à l'élan sur le pacte vert, qui pourtant existait jusqu'il y a deux ans, il est vrai
13:28 que l'urgence de la guerre en Ukraine, même si elle a apporté quelques effets positifs,
13:34 parce que c'est vrai du gaz russe et d'une certaine façon, il y a une transition énergétique
13:41 qui a été un peu accélérée par la guerre en Ukraine, mais c'est vrai que le niveau
13:46 de mobilisation et d'urgence sur les thèmes de la transition climatique a un peu baissé.
13:54 Ce n'est pas la faute des partis écologistes.
13:58 Après, il y a, ce qui est vrai, c'est qu'il y a une difficulté à essayer de donner une
14:10 clé positive à la transition.
14:13 Un autre papier remarquable dans le volume de Pierre Charbonnier parle d'une drôle
14:21 de guerre climatique où la guerre est déclarée, mais il ne se passe pas grand-chose et on
14:31 a beaucoup de difficultés à construire face à une coalition carbone et fossile qui est
14:41 très forte, une coalition alternative.
14:43 Julien Neud a en poli, les normes écologiques n'expliquent pas la totalité de la poussée
14:49 populiste partout en Europe.
14:51 En France, le rassemblement national est donné à plus de 30% en Italie, on vient d'en parler,
14:56 l'extrême droite est au pouvoir, elle est en dynamique un peu partout en Europe.
15:01 Comment expliquez-vous cette déferlante ? Selon vous, quels en sont les ressorts ?
15:05 Je pense qu'il y en a plusieurs.
15:10 Le thème qui avait été très bien pointé par la campagne du Brexit à son époque, le
15:18 thème général, c'est une sensation de perte de contrôle.
15:22 Par rapport à ça, une mobilisation, une colère contre les élites dont la faute, et c'est
15:34 une vraie faute, et il faut quand même s'interroger sur ça un peu aussi, je pense que la faute
15:41 des élites a été de devenir des élites politiques de tous bords, de la gauche comme
15:47 de la droite traditionnelle, des facteurs de déstabilisation de la vie des gens.
15:55 Alors que dans des temps de changement à tous les niveaux, il aurait fallu plutôt
16:01 apporter des facteurs de stabilisation et plutôt rassurer, alors que les élites ont
16:07 voulu être souvent de droite et de gauche plutôt dans la disruption d'un côté et
16:12 de l'autre, et donc cette sensation de perte de contrôle au niveau économique, au niveau
16:19 culturel, social, etc. est quelque chose, bon, il y a des entrepreneurs politiques,
16:25 des nationaux populistes qui ont comblé un vide, qui se sont appropriés de ces thèmes-là
16:31 et qui aujourd'hui on le vend en poupe.
16:34 Et en France, comment analysez-vous la dynamique de Jordane Bardella ? Que dit-elle selon vous
16:39 de la société française ? Écoutez, malheureusement, il n'y a pas énormément
16:47 de différence avec ce qu'on a connu ailleurs.
16:51 Le niveau de défiance et de mécontentement par rapport aux élites politiques traditionnelles
17:01 monte en France depuis très longtemps et ce qu'il y a de nouveau par rapport au passé,
17:07 c'est que votre système de partis est complètement délité aussi.
17:11 C'était la grande différence avec l'Italie.
17:14 En Italie, le système des partis a explosé au début des années 90 et à partir de ce
17:20 moment-là, la volatilité augmente, donc tout se passe beaucoup plus rapidement.
17:27 Chez vous, ce système a duré quand même plus longtemps, mais aujourd'hui il a explosé
17:32 et donc ça augmente la volatilité, ça peut donner des envolées beaucoup plus rapides
17:41 que par le passé.
17:42 Giuliano Daampoli, face à ça, les pro-européens essayent de donner de la voix, vous le disiez
17:47 et c'était dans une interview que vous avez accordée au point.
17:52 Ne pas céder au catastrophisme, beaucoup critiquent l'Europe mais de moins en moins
17:56 de gens remettent en question leur appartenance à celle-ci, y compris au sein des partis
18:01 populistes.
18:02 Et pour les pro-européens, il y a dans le livre ce texte de l'écrivain espagnol Javier
18:07 Cercas, qui se définit comme un « dangereux européiste » favorable à davantage d'intégration
18:13 européenne, un véritable « fédéralisme européen ». Il affirme que l'UE est la
18:18 seule utopie raisonnable que nous, Européens, ayons inventée.
18:22 Cette foi-là dans l'Europe, cette défense de l'intégration européenne, ce fédéralisme
18:28 n'est-il pas devenu rare, voire carrément inaudible aujourd'hui ?
18:34 Oui, c'est effectivement un argument très minoritaire.
18:39 Je ne pense pas que c'est avec cet argument forcément que nous allons gagner des élections
18:45 et remobiliser un consensus autour de la construction européenne.
18:50 Par contre, avoir un horizon de longue période qui aille dans ce sens, malgré tout, si on
19:00 regarde le parcours de l'Europe depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale jusqu'à
19:08 aujourd'hui, on peut se dire qu'on est à la moitié du chemin.
19:13 Donc moi, personnellement, je n'ai aucune difficulté à prononcer le mot de « fédéralisme
19:19 », mais pour moi c'est facile, vous entendez mon accent.
19:22 Et donc la vraie difficulté est d'aller bien au-delà de Sercas et de moi-même.
19:29 Cette semaine, Emmanuel Macron doit prononcer un discours sur l'Europe à la Sorbonne,
19:34 près de 7 ans après un discours marquant de son premier mandat où il définissait
19:39 sa politique européenne.
19:41 Attendez-vous quelque chose de ce discours jeudi ? Emmanuel Macron peut-il relancer
19:47 sa dynamique électorale, relancer le camp des pro-européens ?
19:52 Je pense qu'on peut lui reprocher beaucoup de choses, mais il a été effectivement
19:59 plutôt cohérent au cours de ces années sur le terrain européen.
20:05 Alors maintenant, il y a deux éléments.
20:10 Je pense qu'il y a forcément cette mobilisation guerrière d'une certaine façon face à
20:17 l'Ukraine et face au risque, un peu ce retour, si vous voulez, à une vision un peu plus
20:25 traditionnelle de la politique.
20:27 Parce que l'idée européenne était une très jolie idée, mais c'était que nous
20:32 sortions du « hard power », du militaire et nous allions plutôt régler les relations
20:38 entre les peuples et entre les pays par des accords, par des lois, des accords commerciaux,
20:44 etc.
20:45 Alors cette vision-là, elle peut paraître naïve aujourd'hui face au réarmement
20:50 dont parlait Pierraschi et nous sommes forcés, nous aussi Européens, d'entrer très rapidement
20:56 dans cette logique-là.
20:57 Donc il y a tout ce volet-là, le réarmement, y compris du point de vue économique, de
21:02 plus en plus de protectionnisme, essayer là aussi de modifier un peu notre logiciel.
21:08 Mais je crois qu'il y a malgré tout un élément d'exceptionnalité européenne et de notre
21:18 modèle social et culturel qu'il faut pouvoir préserver, y compris dans la dimension numérique.
21:27 Je m'excuse si j'insiste sur ça, mais quand chacun d'entre nous passe en moyenne
21:32 dix heures par jour en face d'un écran, il y a quelque chose qui bascule dans notre
21:39 vie.
21:40 Et d'autres pays ont décidé de régler, de réguler cette sphère-là à leur manière,
21:47 donc la Chine par exemple, de façon très autoritaire, les États-Unis avec un système
21:53 de marché absolument débridé.
21:56 Je pense que, par exemple, un style de vie, une approche européenne au numérique et
22:03 à cette dimension dans laquelle nous passons de plus en plus de notre vie est quelque chose
22:08 d'important.
22:09 On a été sidéré de voir que ce livre comprenait un article de Vladislav Surkov.
22:16 Alors je le précise aux auditeurs, Vladislav Surkov, c'est le spin-docteur de Poutine
22:22 qui a servi de modèle à votre livre "Le mage du Kremlin".
22:25 Pourquoi avoir fait le choix de reproduire un article signé de sa main où il anticipe
22:33 l'émergence prochaine d'un or global ?
22:35 Écoutez, c'est un article très bizarre.
22:38 Ce qu'il y a d'intéressant, je crois aussi, dans le grand continent, c'est que vous
22:43 retrouverez dans ce volume des perspectives extraordinairement différentes l'une de
22:48 l'autre.
22:49 Même des articles qui se contredisent les uns les autres.
22:52 Mais ils sont tous intéressants d'une façon ou de l'autre.
22:58 Le papier de Surkov est assez fou.
23:01 Il part de Vasco de Gama qui est envoyé par le roi du Portugal chercher le prêtre Jean
23:11 qui serait une sorte de roi chrétien qui aiderait les Portugais et les Européens à
23:17 combattre l'islam.
23:19 Et seulement le prêtre Jean n'existait pas.
23:22 Il était censé avoir un royaume au sud de l'Égypte, mais il n'existe pas.
23:27 Et donc, Surkov dit souvent la géopolitique est basée sur des hallucinations.
23:33 Il y en a encore.
23:35 Alors, Surkov, par prudence, dit c'est plutôt les Européens et les Américains qui sont
23:40 hallucinés aujourd'hui.
23:41 Mais il sous-tend quand même que c'est plutôt les Russes aussi qui sont en train d'avoir
23:47 une hallucination géopolitique.
23:49 Et il dit aussi il y a un sud global qui se forme et donc il y aura un moment un nord
23:56 global qui va se former.
23:58 Ce sera l'Europe, la Russie et les États-Unis.
24:01 Alors, c'est complètement fou, mais ça vaut la peine, je crois.
24:07 Il a eu par contre des problèmes pour ça.
24:10 Il est sous enquête de la police de Moscou pour violation de la constitution russe.
24:16 NICOLAS : Merci en tout cas, Julien Neau d'Ampoli d'avoir été au micro d'Inter ce matin.
24:21 Je renvoie donc à ce livre passionnant, un collectif portrait d'un monde cassé, l'Europe
24:27 dans l'année des grandes élections, publié chez Gallimard et qui sera en librairie après-demain.
24:33 Merci encore.
24:34 8h40.