Alors que le parlement espagnol "ne fonctionne pas", Sanchez risque-t-il d'être "renversé" ?

  • il y a 6 mois

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Transcription
00:00 Et tout de suite, le fait du jour.
00:02 Consacré à la politique espagnole, finalement, il reste, après 5 jours d'incertitude,
00:10 Pedro Sánchez a annoncé qu'il se maintenait à son poste,
00:13 malgré la campagne de discrédit illustrée, dit-il,
00:16 par l'ouverture d'une enquête judiciaire contre son épouse.
00:19 Le leader socialiste au pouvoir depuis 6 ans l'a affirmé, en tout cas,
00:23 vous allez le voir sur le perron du palais de la Moncloa,
00:26 le siège officiel de la présidence du gouvernement espagnol.
00:30 Noemi Roche.
00:32 Il est 11h du matin, le Premier ministre espagnol s'avance sur le perron du palais de la Moncloa.
00:39 J'ai décidé de continuer avec plus de force si possible à la tête du gouvernement espagnol.
00:46 C'est pour ça que je m'engage devant vous à travailler sans repos,
00:51 avec fermeté et sérénité, pour la régénération de notre démocratie
00:55 et pour l'avancement et la consolidation des droits et des libertés.
01:00 Une annonce qui met fin à 5 jours de suspense.
01:04 Murée dans le silence depuis mercredi dernier,
01:07 le dirigeant socialiste avait menacé de démissionner
01:09 après qu'un tribunal madrilène a annoncé l'ouverture d'une enquête
01:12 pour trafic d'influence et corruption contre son épouse.
01:16 Une enquête ouverte à la suite d'une plainte d'un collectif
01:19 proche de l'extrême droite basée sur des articles de presse.
01:24 Dénonçant une nouvelle illustration de la campagne de déstabilisation
01:27 menée selon lui par la droite et l'extrême droite,
01:30 le Premier ministre avait alors publié une lettre de 4 pages aux Espagnols,
01:34 expliquant qu'il envisageait de démissionner pour protéger sa famille.
01:38 Une hypothèse à laquelle certains Espagnols disent n'avoir jamais cru.
01:43 Aucun de nous n'a été surpris.
01:47 On savait tous que ce n'était qu'un coup de pub de sa part.
01:52 Habitué au coup d'éclat, le dirigeant socialiste au pouvoir depuis 2018
01:56 nie pour sa part toute manœuvre politique.
01:59 Il dit avoir voulu pousser le pays à entreprendre une réflexion collective
02:03 sur la polarisation de la vie politique
02:06 pour empêcher l'intox de diriger le débat public.
02:09 Depuis son arrivée au pouvoir, la légitimité de Pedro Sanchez
02:13 a toujours été questionnée par la droite et l'extrême droite.
02:16 Elles ne lui ont jamais pardonné d'avoir été portées au pouvoir
02:19 par l'extrême gauche et les partis basques et catalans
02:22 dans le cadre d'une motion de censure contre son prédécesseur conservateur,
02:26 Mariano Rajoy, plombé par un scandale de corruption.
02:29 On en parle avec notre invité Benoît Pellis-Trandy,
02:33 historien spécialiste de l'Espagne, auteur de "Les fractures de l'Espagne".
02:37 C'est publié chez Gallimard. Merci beaucoup d'être avec nous.
02:40 Est-ce que vous attendiez à ce qu'il reste ?
02:44 Oui, oui, tout à fait.
02:46 Ça ne constitue absolument pas une surprise.
02:49 Dès mercredi et cette annonce un peu surprise de ce temps de réflexion,
02:54 les contacts que j'avais eus à Madrid allaient tous dans le même sens.
02:58 C'était une tactique politique qui consistait en réalité
03:03 à recentrer la question autour de sa personne et des attaques vis-à-vis de sa femme,
03:09 ce qui lui a permis de faire un formidable écran de fumée.
03:12 Et on ne parle plus de la vraie question qui est au cœur aujourd'hui de la vie politique espagnole,
03:17 qui sont les cas de corruption autour du Parti Socialiste,
03:21 et notamment ce qu'on appelle la tramacoldo,
03:24 c'est-à-dire tout un système de vente de masques sanitaires au moment de la pandémie
03:29 qui n'était ni homologué et qui ne répondait pas aux critères de qualité
03:33 et qui ont été vendus à des administrations socialistes
03:37 sans contrat, sans appel d'offre, sans licence,
03:40 et qui représentent sans doute des dizaines de millions d'euros détournés.
03:43 Or, il y a des commissions d'enquête à ce sujet,
03:46 à la fois au Parlement, la Chambre des députés, et au Sénat,
03:50 donc on aura deux conclusions complètement différentes,
03:52 puisque à la Chambre des députés ce sont les socialistes qui mènent la commission d'enquête,
03:56 et au Sénat c'est la droite qui est majoritaire.
03:59 Et en réalité, le Parti Socialiste en ce moment est vraiment pris dans cette affaire-là.
04:04 Mais Pedro Sánchez a réussi en réalité à personnaliser l'affaire.
04:09 Donc c'est une manœuvre, Benoît Pellistrandi, c'est vraiment une manœuvre de sa part ?
04:15 Oui, complètement, c'est une manœuvre, parce que, par exemple,
04:18 dans le discours qu'il a tenu aujourd'hui, et qui, sur le fond, est très juste,
04:22 il faut réfléchir sur, effectivement, cette crispation et cette polarisation
04:26 de la vie politique espagnole et ses attaques ad hominem.
04:29 La difficulté, c'est qu'en novembre dernier,
04:32 quand il a été investi président du gouvernement,
04:35 c'est lui qui a dit qu'il voulait séparer l'Espagne de droite de l'Espagne de gauche
04:39 et construire un mur au milieu.
04:41 Et donc, il est le spécialiste de la crispation et de la polarisation,
04:45 et quand on regarde les attaques qui ont été menées
04:48 contre un certain nombre de dirigeants de la droite espagnole,
04:51 ça a été aussi des attaques familiales et personnelles.
04:54 Donc, de ce côté-là, les deux grands partis de gouvernement
04:57 sont absolument responsables de la situation actuelle.
05:00 Oui, alors il dit, il parle d'une enquête, justement, Pedro Sánchez,
05:03 il parle de cette enquête, il faut rappeler que c'était une plainte
05:07 de l'association Manos Limpias, donc main propre,
05:10 un collectif qui est proche de l'extrême droite,
05:12 qui dit donc fonder sa plainte sur des articles de presse,
05:15 et qui en fait, lui, Sánchez dit que c'était une campagne
05:18 de déstabilisation de l'extrême droite contre lui,
05:21 parce que ça attaquait sa femme. Est-ce que c'est le cas ?
05:24 Alors, il faut faire la distinction entre l'enquête journalistique
05:27 qui a été menée par des journalistes d'investigation
05:30 parfaitement reconnues autour du journal El Confidencial,
05:33 qui est un des grands quotidiens en ligne espagnol,
05:36 et la plainte déposée par Manos Limpias.
05:39 Manos Limpias, en effet, instrumentalise l'enquête journalistique
05:43 pour porter plainte. Mais l'enquête journalistique,
05:46 elle, elle a posé un certain nombre de questions
05:49 quant aux activités de l'épouse du président du gouvernement espagnol,
05:53 et notamment sur le fait qu'elle a été financée
05:56 par des entreprises privées qui, après l'avoir financée,
05:59 ont bénéficié de crédits ou de subventions
06:02 de la part du gouvernement espagnol.
06:04 Et c'est là, donc, que se pose la question du trafic d'influence
06:07 ou éventuellement de la corruption.
06:10 Mais à cette enquête, il n'y a eu aucune action en justice
06:14 de la part de Pedro Sánchez et de sa femme par rapport à la diffamation.
06:17 C'est-à-dire que les huit points qui ont été signalés
06:20 par l'enquête journalistique n'ont donné lieu
06:23 à aucun démenti du côté de la Moncloa.
06:25 Mais ce qu'a réussi à faire aussi Pedro Sánchez,
06:28 en dramatisant et en personnalisant l'affaire,
06:30 il ne répond à aucune des questions qui est posée par cette enquête.
06:33 Donc, ça veut dire que cette enquête va suivre son cours,
06:36 Benoît Pellistrandi, et que Pedro Sánchez et sa femme
06:39 pourraient, effectivement, en subir des conséquences ?
06:42 L'enquête va suivre son cours.
06:44 Alors, attention, il ne faut pas confondre.
06:46 Ce n'est pas parce qu'il y a enquête et question
06:49 qu'il y a délit et culpabilité. On est bien d'accord.
06:52 Et je pense qu'en réalité, Pedro Sánchez aurait démissionné
06:55 s'il avait eu connaissance de risques réels
06:59 concernant l'honorabilité et l'honnêteté de son épouse.
07:02 Donc, je pense qu'il est suffisamment confiant
07:05 dans la suite des révélations qui pourraient arriver
07:09 pour ne pas estimer que sa position était en danger.
07:13 Mais, en réalité, derrière cette affaire,
07:16 il y a aussi une question à laquelle il a invité
07:19 la société espagnole à réfléchir, sur la manière de faire de la politique.
07:23 Et il a visiblement, entre les lignes,
07:26 annoncé sans doute une réforme de la justice.
07:29 La justice, on le sait, est fracturée aujourd'hui en Espagne,
07:33 entre une partie qui est naturellement aux ordres du gouvernement,
07:37 à travers le parquet, mais aussi entre des associations
07:40 de droite et de gauche qui sont extrêmement divisées.
07:43 Et donc, se pose la question de savoir si le juge d'instruction
07:46 peut être complètement libre.
07:48 Et les réactions que l'on a eues à l'intervention du président Sánchez
07:51 ont été, du côté de la gauche, un appel à réformer
07:54 et à restreindre la liberté du juge,
07:57 que l'on voudrait placer complètement sous l'autorité du parquet.
08:00 Et, de ce côté-là, il y a un risque évident.
08:04 Et Sánchez, qui est à la tête d'une coalition,
08:07 est fragile. On retrouve dans cette coalition les indépendantistes
08:10 catalans et basques, tout cela à deux semaines des élections
08:13 en Catalogne, dans un contexte d'élections européennes.
08:16 Est-ce que ça explique aussi ce contexte ?
08:19 Qu'est-ce qui vient de se passer ?
08:21 Bien entendu, vous avez tout à fait raison.
08:23 C'est un gouvernement très fragile. Pedro Sánchez et son gouvernement
08:26 n'ont pas réussi à faire voter le budget pour 2024
08:29 parce qu'il n'y a pas eu d'accord.
08:31 Donc, on a une majorité parlementaire qui ne fonctionne pas.
08:34 Et le 12 mai prochain, vous avez des élections cruciales
08:37 en Catalogne, puisque, selon toute vraisemblance,
08:40 le Parti socialiste de Catalogne devrait gagner ces élections
08:43 et être éventuellement en mesure de former
08:46 le prochain gouvernement régional. Mais pour cela,
08:49 il devra choisir entre les indépendantistes de gauche
08:52 ou les indépendantistes de droite pour faire alliance
08:55 et faire une majorité parlementaire.
08:58 Or, actuellement à Madrid, les indépendantistes de gauche
09:01 et les indépendantistes de droite soutiennent le gouvernement
09:04 de Pedro Sánchez. Et ce que l'on sait, puisque Carles Puigdemont
09:07 l'a annoncé, c'est que dès lors que le Parti socialiste
09:10 fera ce choix en Catalogne, le parti qui n'aura pas été
09:13 retenu posera la question de confiance
09:16 et pourra éventuellement contribuer à renverser
09:19 le gouvernement de Pedro Sánchez.
09:22 Et voilà, en pleine crise politique l'Espagne.
09:25 Merci beaucoup d'avoir été avec nous, Benoît Pellistrandi,
09:28 historien spécialiste de l'Espagne. Les fractures de l'Espagne,
09:31 c'est justement votre ouvrage.

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