Jean Lucat, qui a passé sa vie au sein des services secrets français, publie "Un rebelle à la DST : 15 ans d'affaires sensibles". Son rôle ? Traquer les espions soviétiques sur le territoire et lutter contre le terrorisme. Sa spécialité ? L’interrogatoire. Une épreuve physique et psychologique qui dure parfois jusqu’à six jours. Ses souvenirs, d’une honnêteté brutale, nous plongent au cœur de la guerre froide, des méthodes du KGB et du terrorisme international. On y suit des filatures minutieuses, des mises sur écoute, des agents doubles qui mettent en péril la sécurité nationale. Ce sont aussi les grandes pages de la DST que l’on revisite : l’arrestation des principaux membres d’Action directe, l’attentat d’Orly, la capture de Carlos en 1994 et la longue "cavale" de Dominique Erulin, soupçonné par l’Élysée d’avoir voulu assassiner François Mitterrand… Un témoignage palpitant au cœur du renseignement français.
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00:00Bonjour à tous et bienvenue dans notre Zoom, aujourd'hui en compagnie de Jean-Luca. Bonjour monsieur.
00:10Bonjour monsieur.
00:12Jean-Luca, vous êtes entré à la DST, la Direction de la Surveillance du Territoire, en 1972.
00:18Vous avez travaillé pendant 15 ans dans le contre-espionnage et la lutte antiterroriste.
00:23Vous publiez l'ouvrage que voici, « Un rebelle à la DST, 15 ans d'affaires sensibles ».
00:29C'est publié chez Plon à Retrouvé, comme d'habitude, sur la boutique de TV Liberté.
00:35Alors, justement, un rebelle à la DST, Jean-Luca, est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi consistait votre activité au sein du contre-espionnage français ?
00:46Au sein du contre-espionnage français, l'activité, c'était de détecter les espions du KGB et du GRU,
00:53c'est-à-dire toute la masse des diplomates soviétiques dont environ un tiers, on peut dire, était sous couverture de ces deux organismes.
01:02C'était de les environner, de trouver les gens qui étaient en contact avec eux, de contacter ces gens-là.
01:08Pas tous, parce qu'il y en a, on savait parfaitement qu'on serait repoussés, qu'ils ne nous parleraient pas.
01:13D'en rencontrer le maximum pour obtenir le maximum d'informations sur les gens qu'ils rencontraient,
01:19et voir de quelle manière on pouvait tenter des approches sur les diplomates du KGB et du GRU.
01:26Alors, est-ce que vous pouvez nous donner quelques informations sur ce que sont, justement, ces deux institutions bien connues,
01:32en tout cas pour l'une d'entre elles, le KGB et le GRU, le GRU, comme vous dites ?
01:36Alors, le KGB, lui, il s'était chargé, en Union soviétique, de l'espionnage du contrôle de l'armée, c'était le service de sécurité intérieure.
01:45Et le GRU, c'était le service d'espionnage qui était militaire, c'était le service d'espionnage de l'armée.
01:53Et c'est lui aussi qui contrôlait les fameux Spetsnaz, les forces spéciales.
01:57Oui, les Spetsnaz, oui.
01:58Les Spetsnaz.
02:00Maintenant, ça a changé, puisque le FSB, maintenant, s'occupe de tout l'aspect intérieur, c'est l'équivalent de notre DGSI, ou peut-être plus gros,
02:09et le SVR est chargé de l'espionnage extérieur, c'est-à-dire c'est notre DGSE.
02:15D'accord. Alors, comment vous avez appris à démasquer un espion, puisque vous en avez eu entre les mains, quand même, dans vos bureaux ?
02:22Je l'ai appris en travaillant avec mes anciens.
02:26Quand on rentrait à la DST, on avait un stage de 5 semaines dans lequel on nous formait aux techniques de filature, à différentes méthodes d'interrogatoire.
02:35Mais en gros, on nous formait aussi juridiquement à tous les articles du Code pénal concernant la trahison, la Courte Sûreté de l'État et tout ça.
02:43Et ensuite, on revenait dans nos services, et en fait, on était à côté de nos anciens, nos anciens procédaient aux interrogatoires, au contact.
02:51Ils nous donnaient des petites enquêtes, et petit à petit, on se musclait en ayant des enquêtes et des sujets de plus en plus intéressants.
02:58Et auparavant, vous étiez passé par l'école de police ?
03:01Alors, oui, j'étais passé. Mais à l'époque, vous savez, ce n'était pas un an et demi.
03:05Moi, je suis rentré comme contractuel, c'est-à-dire sans concours, privé, avec mon baccalauréat.
03:11J'ai passé 15 mois dans un commissariat parisien où ça ne m'a pas vraiment enthousiasmé.
03:16Ensuite, j'ai été reçu au concours dans un bon rang.
03:20J'ai passé trois mois et une semaine d'école, heureusement.
03:25Et ensuite, à l'issue, j'avais un bon classement qui m'a permis de choisir une affectation à la DST.
03:30Et quand je suis arrivé à la DST, j'ai été affecté à la division du contre-espionnage, mais tout à fait par hasard, voilà.
03:37Alors, une fois qu'on a démasqué un espion, il faut l'interroger.
03:41Bien sûr.
03:41Comment on s'y prend ?
03:42Alors, on ne démasque pas... Nous, on démasque surtout les traîtres, voilà.
03:48Les espions, c'était autre chose. Les espions étaient sous couverture diplomatique.
03:53Alors, la DST avait un important service de sensibilisation.
03:56C'est-à-dire qu'on avait des gens de chez nous qui allaient dans les grandes entreprises
03:59et qui sensibilisaient les ingénieurs, les commerciaux aux méthodes d'approche des agents étrangers.
04:05Pas uniquement, d'ailleurs, des soviétiques, des Américains, de tous les services de renseignement du monde.
04:13À partir du moment où les gens qui avaient été sensibilisés, ils rendaient compte à leur société, on était avertis.
04:20Et là, on commençait un petit jeu d'échange.
04:22C'est-à-dire qu'on donnait à l'agent français les éléments de réponse aux questions qui étaient posées.
04:29Et puis, arrivé à un moment donné, on ne pouvait plus parce que là, on risquait de donner des vrais secrets professionnels.
04:35Donc, à ce moment-là, quand on décidait qu'on ne pouvait plus aller plus loin,
04:38le français allait avec ses fournitures au contact et nous, on intervenait, on interpellait tout le monde.
04:44Le français était mis de côté et le diplomate soviétique, le représentant du KGB ou des guérous,
04:50venait à ce moment-là chez nous et on restait avec lui 3-4 heures, le temps que le ministre des Affaires étrangères
04:55nous délivre l'arrêté d'expulsion. On lui notifiait et on partait.
04:58Et on avait, avec ces gens-là, avec les fonctionnaires du KGB, des conversations qui étaient tout à fait des plus courtoises.
05:05À la limite, moi, j'en ai eu plusieurs. On les considérait presque comme des collègues, quoi.
05:10Nous, on était chez nous, on faisait notre boulot. Ils étaient chez eux, ils faisaient le leur.
05:13Bon, et eux, ils avaient perdu ce jour-là.
05:14– Vous n'essayiez pas de leur mettre la pression, de leur tirer les vers du nez ?
05:18Il n'y avait pas de la violence ?
05:20– Aucune. Aucune.
05:21Un colonel du KGB qui était interpellé en flagrant délit,
05:24on savait très bien que c'était inutile d'essayer de le recruter.
05:28C'était peine perdue.
05:29Il savait très bien, le gars savait très bien qu'il allait retourner à son ambassade,
05:32qu'il avait les instructions du gouvernement français de repartir à Moscou.
05:36Et 48 heures plus tard, il prenait l'avion et repartait à Moscou.
05:38– Il n'était pas question de coup de botin sur la tête comme dans les films ?
05:41– Non, on n'avait pas de botin.
05:43– Parce que vous dites, un interrogatoire,
05:46c'était une épreuve physique et psychologique dans votre voyage.
05:49– Nous, on détectait des gens qui avaient été approchés par les services sociétiques
05:54sans savoir exactement jusqu'où ça avait été.
05:56Alors ces gens-là, on faisait toute une enquête sur eux,
05:59et puis au moment donné, quand on était au bout de l'enquête,
06:02on les interpellait, ou on les convoquait des fois,
06:05ou on les interpellait, ils venaient, et là débutait un interrogatoire.
06:10Comme on travaillait sous la couverture de la Cour de Sauter de l'État,
06:13c'était des gardes à vue de 6 jours dont on disposait,
06:16et 6 jours, c'est effectivement avec des journées
06:19qu'ils pouvaient avoir des interrogations qui duraient 12, 13, 14 heures parfois.
06:23Donc c'était une épreuve psychologique et physique pour le gars,
06:27et pour nous aussi, parce qu'il fallait être du matin au soir,
06:31en éveil intellectuel total.
06:33Et là effectivement, il y avait des moments de tension,
06:36parce qu'on poussait le gars dans ses retranchements
06:38pour lui faire avouer ses contacts.
06:40Alors au début, ça démarrait,
06:42je n'ai jamais eu de contact avec les services soviétiques,
06:44et puis 4, 5 jours plus tard, ils reconnaissaient tous les contacts qu'il avait eus.
06:48Alors après, les procédures étaient plus ou moins bien ficelées,
06:53ça dépendait des, comment dirais-je, des aveux qu'on avait pu recueillir.
06:59Alors quand c'était bien ficelé,
07:01on transmettait ça au parquet de la Cour de Sauter de l'État,
07:04il y avait un procès et tout ça.
07:06La Cour de Sauter de l'État nous laissait, comme je l'explique dans le livre,
07:09elle nous laissait une liberté, une grande liberté.
07:12On avait, nos chefs avaient, avec les procureurs de la Cour de Sauter de l'État,
07:17des relations d'une qualité vraiment extraordinaire.
07:21Et tacitement, l'accord c'était, on vous laisse faire ce que vous voulez,
07:26mais vous nous amenez des affaires ficelées.
07:28Alors quand ce n'était pas vraiment tout à fait ficelé,
07:30comme l'une que je raconte dans le livre,
07:33on laissait repartir le gars.
07:34Mais le KGB savait qu'on savait,
07:37le type était neutralisé, le réseau était neutralisé, bon c'est tout.
07:41– En tout cas, vous expliquez bien que respecter la personne soupçonnée,
07:45la personne interrogée, ça a toujours eu de meilleurs résultats
07:48qu'un quelconque usage de la force.
07:51– Absolument.
07:52Les sources humaines, on les recrute par la persuasion,
07:56on les recrute par la séduction.
07:57Le recrutement d'une source, c'est une affaire de séduction.
08:01Il faut que le gars, vous ayez l'air sympathique
08:05et qu'il ait envie de se confier à vous.
08:08En fait, qu'il ait envie de se sentir plus en sécurité avec nous qu'en face.
08:15– Alors vous avez eu aussi, et c'est le cas, on voit ça dans beaucoup de films,
08:20à vous infiltrer dans certains milieux.
08:23Est-ce que vous pouvez nous expliquer un peu comment ça se passe ?
08:26– Alors, ce n'était pas vraiment des infiltrations
08:29comme les collègues peuvent les faire maintenant.
08:30Parce que maintenant, il y a des structures juridiques
08:32qui font qu'ils peuvent rentrer.
08:34Mais c'est plus dans le grand banditisme
08:36ou c'est dans le trafic de drogue.
08:39Là, ils sont vraiment impliqués, infiltrés avec des fausses identités.
08:43Et ils ont une couverture juridique quand même, c'est important.
08:47Nous, ce n'était pas ça, c'était des infiltrations.
08:49On se bâtissait des petites légendes
08:52parce que des fois, c'était délicat d'intervenir en disant
08:55je suis inspecteur de la DST.
08:57– Alors, s'inventer une légende, vous expliquez,
08:59c'est créer une fausse identité.
09:01– Voilà, voilà.
09:02Alors, on avait des pseudos, moi j'avais mon pseudo.
09:05Et les légendes, c'était, moi je pratiquais le judo régulièrement,
09:09donc j'étais simplement prof de judo.
09:11Ou je faisais de la musculation dans un centre,
09:13j'étais prof de musculation.
09:15Dans mon centre de musculation, dans ma salle de culture physique,
09:18le patron et la standardiste étaient au courant.
09:20Et si la personne éventuellement appelait à ma salle,
09:23on lui disait, il est en train de donner un cours,
09:25il ne peut pas vous rendre, on ne peut pas le prévenir.
09:27Tout était couvert, tout était préparé.
09:30– Alors, votre service, la DST, a eu affaire à Carlos,
09:35pas le chanteur, l'autre.
09:37Est-ce que vous pouvez nous raconter comment ça s'est passé ?
09:39– Alors, moi, Carlos, quand il nous a eu cette affaire,
09:42ça a été, pas un traumatisme, mais quand même un choc.
09:46– Il y a eu des morts.
09:47– Il y a eu trois morts, deux morts de chez nous.
09:51Le gars qu'on avait interpellé, Michel Boucarbel,
09:53qui était le représentant du FPLP à Paris, qui était un étudiant.
09:56– Des Palestiniens, oui.
09:57– Des Palestiniens, et il y avait un commissaire-divisionnaire
10:00qui avait été gravement blessé.
10:02Donc, moi, on l'a appelé.
10:04On me demande d'aller avec le sous-directeur à Rue Thoulier.
10:07J'y vais, on fouille l'appartement.
10:09Les corps venaient juste d'être emmenés par l'Institut médico-légal.
10:12Et Carlos, c'était parti, évidemment, depuis vers 17 heures,
10:16depuis l'époque où ça s'était passé.
10:18Et donc, après, on est revenus.
10:20Et puis là, la boutique s'est réorganisée.
10:24Le commissaire Erhantz, qui était le commissaire,
10:26et puis Raymond Douce, qui était décédé,
10:28c'était eux qui dirigeaient l'enquête.
10:31Donc, les deux principaux commanditaires de l'enquête
10:34étaient l'un blessé, l'autre décédé.
10:37Donc, leurs collègues ont repris le dossier de A à Z.
10:41Et puis, on a été en renfort avec eux pour interpeller des tas de gens.
10:44Et pendant deux mois et demi, jusqu'au mois de septembre,
10:47on a passé notre temps à aller chercher les gens
10:49et à les interroger pour chercher des renseignements,
10:52pour identifier tout ça.
10:54– Autre affaire que vous racontez dans votre ouvrage, Jean-Luca,
11:00c'est celui où la DST a tenté de poser des micros
11:04dans les locaux du journal hebdomadaire Le Canard Enchaîné.
11:08Vous soupçonniez certains journalistes d'être en lien
11:12avec des services de renseignement des pays de l'Est.
11:15Quelles informations, quel genre d'informations vous cherchiez ?
11:19– Alors, à l'époque, on n'avait pas les informations
11:22qui se sont sorties maintenant.
11:24Parce que maintenant, c'est clair, des journalistes du Canard Enchaîné
11:27étaient carrément en lien avec des gens du KGB.
11:30Et en fait, travaillaient les informations, faisaient des articles,
11:34disons, qui proposaient plus les positions de l'Union soviétique
11:39que celles de la France.
11:41Mais il y avait des informations.
11:43En fait, cette affaire, ce n'est pas une initiative de la DST.
11:46C'est une commande du ministère qui a dit,
11:49qui était assez irritée des fuites qu'il y avait…
11:51– C'était Marcellin, le ministre de l'Intérieur de l'époque.
11:53– Tout à fait.
11:54Et le ministre était assez irrité des fuites qu'il y avait dans le Canard.
11:57Et il a dit, trouvez-moi ce qui se passe.
11:59Bon alors, cette opération a été montée.
12:03De mon point de vue, d'une façon pas très professionnelle.
12:07C'est… pas très professionnel quoi.
12:11Donc ça a attiré l'attention.
12:13Le nommé Escarrot est arrivé.
12:15– Le journaliste du Canard.
12:17– Le journaliste du Canard est arrivé.
12:19Et puis il a vu, je l'explique dans le livre,
12:22il s'est senti menacé.
12:24Et il est parti avant même qu'il y ait une menace.
12:27Il a dévalé l'escalier, il est parti.
12:29Et ensuite, on a démonté, les techniciens de la maison ont démonté le système
12:34et tout ça a été évacué quoi.
12:36– Oui.
12:37Alors, le titre de votre ouvrage,
12:41Un rebelle à la DST, fait référence à ce qui va suivre.
12:45Dominique Erulin, c'était l'un de vos amis.
12:48Il était engagé dans l'OAS, l'organisation armée secrète.
12:52– Il a été, oui tout à fait.
12:54– C'était pendant la guerre d'Algérie.
12:56Il a ensuite devenu mercenaire.
12:59Il a été activement recherché par une cellule de l'Élysée.
13:03Ça c'était sous François Mitterrand.
13:05Mais vous avez couvert sa fuite.
13:08Alors est-ce que vous êtes, Jean-Luca, entré dans l'illégalité dans cette affaire ?
13:14– Carrément oui, carrément.
13:16Dominique Erulin, il était engagé dans un régiment parachutiste
13:21pendant la guerre d'Algérie.
13:23Et en 61-62, quand il y a eu les événements que tout le monde connaît,
13:26il s'est engagé dans l'OAS.
13:28Bon, il a été arrêté, il a fait de la prison, il en est ressorti.
13:31Il était devenu un dirigeant important des sociétés de sécurité
13:37qui travaillaient sur Paris à l'époque.
13:40Il a été aussi engagé dans des opérations de mercenariat.
13:44Voilà.
13:45En 81, quand c'est arrivé, il était dans les campagnes électorales.
13:51Il avait un rôle important parce qu'à cette époque-là,
13:54dans les campagnes électorales, il y avait les collages d'affiches
13:56et des fois, ça se passait un peu violemment
13:58entre les colleurs d'affiches d'un parti et ceux du parti d'en face.
14:01Bon, c'est terminé ces histoires-là.
14:03Mais à l'époque, ça se passait un peu comme ça.
14:06Il y avait de sérieuses bagarres.
14:07Donc, il y avait des équipes de gros bras
14:09qui étaient là pour protéger les colleurs d'affiches.
14:12Et Dominique Rulin obtenait des partis politiques,
14:17de certains partis politiques, des marchés importants
14:19pour, justement, organiser ces campagnes.
14:22Ça avait donc attiré sur lui l'attention des gens
14:25qui sont arrivés au pouvoir avec François Mitterrand,
14:27du parti socialiste, et des responsables de police,
14:30surtout aux renseignements généraux,
14:32qui sont arrivés ensuite, après mai 81.
14:35Et ces gens-là, alors, c'est pas tout de suite
14:38la cellule de l'Élysée qui s'est branchée là-dessus.
14:41C'est d'abord une petite fraction des renseignements généraux,
14:45de la direction centrale des renseignements généraux.
14:47Et deux, trois, quatre fonctionnaires de police,
14:51au maximum, je les connaissais, je les avais identifiés,
14:55ont pu convaincre le commandant à l'époque,
14:59préfet maintenant Proutot, du danger qu'il y avait
15:02de ce côté-là et que Dominique Rulin
15:04avait l'intention de monter un complot
15:06pour assassiner le président de la République,
15:08est par-dessus le marché, que moi j'étais là pour l'aider.
15:12Et donc, ça s'est passé comme ça,
15:14et pendant deux ans et demi, trois ans,
15:17j'ai fait l'objet des attentions de cette cellule
15:19et des renseignements généraux,
15:21qui m'ont espionné, sélectionné mes téléphones,
15:24surveillé, enfin, j'étais pris en filature.
15:27Ça ne me dérangeait pas trop.
15:29– Donc vous les connaissiez, ces gens qui vous suivaient,
15:31vous les voyiez au restaurant quand vous déjeuniez,
15:33ils étaient à côté, quoi.
15:35– On allait à la cantine du ministère,
15:37je les voyais, je les avais vus derrière moi,
15:39et ensuite je les voyais déjeuner à trois tables.
15:41Mais je ne leur en avais jamais voulu,
15:43ils faisaient leur boulot, on leur a dit,
15:45suisse, bonhomme, et ils le suivaient, puis c'est tout.
15:47Moi, ça ne m'a jamais dérangé.
15:49La seule chose, c'est que j'avais, j'avais pas…
15:51Dominique était parti en cavale.
15:53Je n'avais avec lui… – En Afrique.
15:55– En Afrique. En Afrique et ensuite au Paraguay.
15:58J'avais avec lui des contacts épisodiques,
16:00mais à l'époque, vous savez, il y avait les cabines téléphoniques,
16:03qui avaient des numéros qu'on pouvait appeler,
16:05et donc j'avais relevé une dizaine de cabines téléphoniques, numérotées,
16:08et quand on se voyait, on se disait,
16:10la semaine prochaine, c'est telle jour, telle heure,
16:12la cabine numéro 3 ou 4, et à ce moment-là, je reprendais.
16:15Alors quand j'allais aux contacts,
16:17je prenais toujours soin de faire avec le décalage horaire,
16:19d'avoir des contacts très tôt, vers 5 ou 6 heures,
16:22et je me levais le matin à 3 heures du matin,
16:24je marchais à pied à 3 heures du matin,
16:26il n'y avait personne dans la rue,
16:28c'était pas une affaire, et je marchais à pied des fois 1 heure,
16:31je ne prenais même pas le métro, il n'était pas encore ouvert,
16:33je marchais 1 heure ou 2 heures pour aller à la cabine en question,
16:36et on avait notre entretien, et ensuite,
16:38j'arrivais tout guiré au bureau le matin,
16:40et eux, ils étaient toujours en planque devant chez moi, c'est tout.
16:42– J'imagine évidemment que dévoiler cette affaire
16:45ne vous attirera aucun problème, il y a prescription, comme on dit.
16:48– Je suis passé devant le juge Valla, bien après,
16:51quand il a été chargé de faire toute l'enquête
16:54sur les écoutes de l'Élysée.
16:57Et le juge Valla, quand il m'a accueilli,
16:59il m'a dit, vous pouvez tout me dire,
17:01tout ça est prescrit, vous ne risquez rien d'entrer.
17:04Parce qu'il y avait effectivement l'affaire du fameux passeport,
17:07où je lui avais donné mon passeport, bien arrangé effectivement,
17:10pour qu'il puisse, s'il était coincé en Italie,
17:13les autorités avaient le numéro de son passeport,
17:17il ne pouvait plus sortir, donc je lui ai fait passer le mien,
17:20et comme ça, il a pu aller en Afrique.
17:23– Alors, autre épisode que vous racontez,
17:26après votre départ du contre-espionnage,
17:29vous êtes arrivé à la division antiterroriste,
17:31et là vous avez eu affaire à l'armée secrète arménienne
17:34de libération de l'Arménie.
17:36Ce groupe a fait sauter une bombe à l'aéroport d'Orly,
17:39le 15 juillet 83, devant le comptoir d'enregistrement
17:43de la Turkey Sharline, on connaît les liens entre l'Arménie
17:46et la Turquie, ça avait fait 8 morts, comment ?
17:49Pourquoi la DST n'a pas réussi à démanteler ce réseau
17:54avant l'accident ?
17:56– On travaillait sur ce réseau depuis pas très longtemps,
18:01finalement 2-3 mois, au moment où ils étaient arrivés.
18:04On avait analysé son aspect, sa direction politique,
18:10sa direction militaire, on les avait sous surveillance,
18:13et notre direction a demandé à l'autorité politique
18:17les arrestations préventives, les mises à résidence,
18:23enfin surveillées, pour casser le dispositif,
18:26et ça ne nous a pas été autorisé.
18:28Alors on arrive au week-end du 14 juillet,
18:31il faut vous dire qu'il fallait suivre en gros
18:34une dizaine de personnes, une dizaine de personnes
18:37à suivre 24-24, c'est en gros 100-110 fonctionnaires,
18:41c'est-à-dire ça mangeait tous les moyens de la boutique,
18:45et les heures supplémentaires commençaient à monter à un rythme
18:48qui commençait un peu à alerter nos dirigeants,
18:52donc ils se sont dit, alors en fait on avait des bruits
18:56comme quoi le chef de l'équipe devait partir à Beyrouth,
19:00il devait faire un voyage à Beyrouth,
19:02on s'est dit il va à Beyrouth, maintenant qu'il a monté son dispositif,
19:05il va aller chercher les instructions pour avoir ses objectifs.
19:10Donc la décision a été prise de lever les filatures,
19:14de lever les filatures pour le week-end,
19:17et paf, le samedi, ça a sauté.
19:20Mais l'ADST avait fait son travail,
19:23elle avait alerté, elle avait des attentions.
19:26Oui, les heures n'étaient pas arrivées.
19:28Non, on n'a pas eu l'autorisation de les stopper avant.
19:32Alors l'ADST était autrefois distinct
19:36des services de renseignement généraux,
19:40c'est le président Sarkozy qui a décidé de leur fusion.
19:44Avant cette fusion, les deux services
19:47entretenaient des rapports un peu particuliers.
19:49Ça dépendait, ça dépendait.
19:52Elles entretenaient des rapports un peu particuliers
19:54sur les domaines où on se chevauchait.
19:56Par exemple, sur le terrorisme arménien,
20:00nous on était dans notre rôle,
20:02puisque c'était des gens qui venaient de Beyrouth,
20:04c'était les anciens des réseaux Wadi Haddad et tout ça,
20:08donc on était tout à fait dans le cœur
20:10de notre mission pour les surveiller.
20:12Mais les renseignements généraux avaient en charge
20:14la surveillance des communautés étrangères sur le pays.
20:16Donc ils étaient aussi dans leur rôle
20:18quand ils surveillaient la colonie arménienne
20:20qui était en France.
20:22Donc on était tous les deux là-dessus.
20:24En plus, ils avaient parfaitement compris
20:26qui était à la tête du groupe arménien.
20:28Moi je m'occupais spécialement de cette affaire-là
20:30avec deux, trois autres collègues.
20:32Ils savaient que c'était moi et en même temps
20:34ils me suivaient pour les affaires,
20:36pour essayer de choper Dominique Hérulin.
20:38Donc il y avait une espèce de mélange
20:40qui n'était pas très sain.
20:42Non, dans cette fusion…
20:44– Vous reconnaissez qu'elle n'était pas forcément nécessaire,
20:46DST, Renseignements Généraux ?
20:48– Elle aurait pu être évitée,
20:50simplement en supprimant les doublons,
20:52en transférant à la DCRG
20:54tout ce qui concernait le terrorisme
20:56en le ramenant à la DST.
20:58– Parce qu'en tant que membre de la DST,
21:00vous reconnaissiez l'utilité…
21:02– Absolument,
21:04– …des DRG ?
21:06– Tout à fait, les Renseignements Généraux
21:08ont toujours été un très grand service,
21:10très utile, essentiel.
21:12Les Renseignements Généraux, c'était,
21:14comme on disait, l'œil et l'oreille du gouvernement.
21:16Et pour les préfets, c'était absolument essentiel
21:18d'avoir les DRG dans les départements
21:20pour leur remonter les informations.
21:22Comment voulez-vous que les préfets
21:24puissent avertir le ministère
21:26d'un problème qui peut se poser
21:28s'ils n'ont pas des remontées ?
21:30Les Renseignements Généraux avaient une vieille habitude,
21:32une vieille tradition de contact
21:34avec les syndicats, les mouvements politiques,
21:36les entreprises,
21:38et ils faisaient remonter à la fois
21:40à leurs préfets de département et à la fois au ministère
21:42toutes sortes d'informations utiles
21:44pour permettre aux politiques
21:46de diriger correctement le pays.
21:48D'ailleurs, après il y a eu,
21:50ils ont créé les SDIGE,
21:52qui étaient les Renseignements Généraux,
21:54disons à bas coût,
21:56et ensuite ils ont remonté les Renseignements Territoriaux.
21:58Je ne sais pas ce qu'il en est maintenant,
22:00mais j'ai cru comprendre
22:02que les Renseignements Territoriaux étaient remontés en pression
22:04pour remplir cette mission
22:06qui est absolument nécessaire au pays.
22:08– Sans cette suppression,
22:10cette fusion RG-DST,
22:12est-ce qu'on aurait eu un Mohamed Merah ?
22:14Parce qu'on se souvient
22:16d'une discussion qui avait été rendue publique
22:18entre Mohamed Merah
22:20et un membre des services français.
22:22Mohamed Merah disant
22:24à ce membre de la police
22:26t'as fait la plus grosse erreur de ta carrière.
22:28– Oui.
22:30– Est-ce qu'il y a un aveuglement des services français
22:32sur les activités terroristes
22:34sur notre territoire ?
22:36– Non, pas du tout.
22:38Ce qui peut y avoir,
22:40c'est que quand on traite des...
22:42Les gens dans l'antiterrorisme,
22:44les sources sont
22:46pas des gens très carrés,
22:48très...
22:50Ce sont des gens avec lesquels
22:52il faut faire toujours très attention.
22:54On se demande toujours des fois qui peut manipuler qui.
22:56Le gars va vous raconter des trucs
22:58pour se couvrir, pour pas qu'on vienne
23:00lui casser les pieds, ça va pas l'empêcher
23:02de faire des saloperies derrière.
23:04Donc il faut faire très attention.
23:06Là je pense qu'il y a eu simplement effectivement...
23:08Alors j'étais plus dans les services à ce moment-là
23:10et je ne sais ça que par la presse,
23:12moi et les bouquins qui ont été écrits.
23:14Mais je pense qu'il y a effectivement dû avoir un loupé
23:16dans la manipulation.
23:18Mais ça arrive.
23:20C'est pas... On peut pas l'exclure.
23:22C'est pas une science exacte
23:24la manipulation des informateurs,
23:26le recrutement et le traitement des sources.
23:28C'est pas une science exacte du tout.
23:30Et vous terminez votre ouvrage en disant
23:32ceci, qu'en matière de
23:34contre-espionnage, les grands dangers
23:36qui pèsent sur la France, c'est
23:38l'antrisme des frères musulmans
23:40et la grande criminalité internationale,
23:42les mafias.
23:44Oui. Il est évident qu'avec
23:468 ou 10 millions
23:48de musulmans en France qui exercent
23:50leur religion d'une façon tout à fait normale
23:52et la grande majorité d'ailleurs
23:54d'entre eux veulent simplement pouvoir exercer leur religion
23:56au point final, il y a derrière ça
23:58des mouvements politiques tels que celui
24:00des frères musulmans, dont on peut noter
24:02d'ailleurs que dans pas mal de pays arabes
24:04ils ont été interdits.
24:06Et ceux-là, c'est pas un projet religieux,
24:08c'est un projet politique de conquête du pouvoir.
24:10Et tout. Donc là effectivement
24:12ça représente un danger
24:14et je pense que de ce côté-là, il faudrait être
24:16très ferme, comme l'ont été
24:18d'autres gouvernements des pays arabes.
24:20Et la grande criminalité internationale,
24:22est-ce que vous visez
24:24les mafias,
24:26ce qu'on entend par le terme mafias,
24:28ou alors les grands criminels en col blanc ?
24:30Alors, les deux.
24:32Les deux.
24:34Les mafias, c'est très
24:36spécial, les mafias. C'est
24:38la Sicile, c'est les
24:40triades chinoises, c'est
24:42les mafias américaines, c'est ça.
24:44Nous, on en a
24:46des ramifications
24:48dans le sud de la France, surtout.
24:50Voilà, des choses comme ça.
24:52Mais,
24:54comment dirais-je,
24:56les mafias, c'est surtout, par exemple, le trafic de drogue.
24:58Le trafic de drogue, tous les trafics.
25:00L'immigration clandestine,
25:02ce sont des trafics. Le trafic d'armes,
25:04ça génère des quantités d'argent
25:06inimaginables, et ça donne à ces
25:08gens-là des pouvoirs, des capacités
25:10de corruption qui sont phénoménales.
25:12Et la corruption,
25:14elle peut jouer dans le politique,
25:16elle peut jouer dans l'administration,
25:18elle peut jouer dans toutes sortes de choses.
25:20Il n'y a pas qu'en Italie la corruption, il y en a en France.
25:22Bien sûr qu'il n'y a pas qu'en Italie, il y en a dans tous les
25:24pays où il y a des gangsters avec beaucoup
25:26d'argent, c'est tout.
25:28Ces liens entre mafias et politique.
25:30Ça peut arriver, oui.
25:32Ce n'est pas pour rien
25:34que les Italiens avaient fait l'opération
25:36manipulite. C'était
25:38justement pour stopper
25:40l'avancée de la mafia
25:42dans le monde politique.
25:44Avec le juge Falcone, c'était ça ?
25:46Avec le juge Falcone, oui, qui a payé de sa vie,
25:48avec son collègue aussi.
25:50Alors, il y a aussi
25:52la communauté en col blanc.
25:54Moi, je ne suis pas un spécialiste de la criminalité en col blanc,
25:56mais effectivement, il y a des détournements d'argent
25:58qui font que ça
26:00pourrit la vie économique.
26:02Un rebelle à la DST,
26:0415 ans d'affaires
26:06sensibles à retrouver dans l'ouvrage
26:08de notre ami
26:10Jean-Lucas. Merci à vous, monsieur.
26:12Moi qui me le remercie.