Michaël Darmon publie Le pape et la matriarche aux éditions Passés Composés dans lequel il revient sur l’histoire secrète des relations entre Israël et le Vatican.
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00:04 – Michael Darman, bonjour. – Bonjour.
00:06 – Vous venez de publier chez Passé Composé "Le Pape et la matriarche".
00:11 Il s'agit bien sûr de Goldamer, l'ancienne Première Ministre d'Israël,
00:14 dans lequel vous revenez sur l'histoire secrète des relations entre Israël et le Vatican.
00:20 C'est un livre vraiment où on apprend beaucoup de choses, assez passionnant.
00:25 Avant de revenir un peu sur cette histoire, je voudrais vous demander
00:30 comment interprétez-vous l'évolution de la position du Pape François
00:35 sur le conflit israélo-palestinien à la lumière des derniers événements ?
00:39 On a vu récemment que le Pape a appelé, lors de son message de Pâques,
00:44 un cessez-le-feu assez immédiat.
00:47 Il a réitéré aussi la position du sien siège sur la solution des deux États,
00:54 vivant côte à côte dans la peu.
00:56 Pourtant, il y avait quelques inflexions ces derniers mois.
00:59 Oui, tout d'abord, pour le Pape François, il s'agit du conflit entre Israël et le Hamas,
01:05 pas entre Israël et les Palestiniens.
01:07 C'est important pour comprendre son positionnement,
01:09 parce que c'est le Pape qui se confronte, depuis son arrivée au sien siège,
01:15 avec le djihadisme, avec l'islamisme fondamental et avec cette radicalité de l'islam.
01:24 Il veut séparer de l'islam lui-même.
01:28 Il a condamné sans équivoque, et il a reçu des familles d'otages très rapidement.
01:36 Le 22 octobre.
01:37 Oui, très rapidement, des familles d'otages israéliennes.
01:38 Il a reçu également des familles palestiniennes.
01:41 Et à chaque fois, encore récemment, il a fait attention,
01:44 et il a demandé à ce qu'il ne soit pas des gens du Hamas,
01:48 qu'il condamne sans embâche.
01:50 Effectivement, ça lui permet d'être dans la position qui consiste à dire
01:53 « il faut en cesser le feu, parce qu'il faut protéger, arrêter que ceux qui sont palestiniens,
01:58 qui n'ont rien à voir avec le Hamas, soient victimes de ce qui se passe.
02:02 Et il faut en même temps aussi libérer les otages israéliens.
02:06 Il est dans cette position qui est celle de la veillée de la prière,
02:11 qu'il a organisée avec Mahmoud Abbas et avec Shimon Peres à l'époque,
02:16 pour la paix au Proche-Orient.
02:17 Et c'est le positionnement que choisit François depuis le 7 octobre.
02:21 Il s'est exprimé dès le 8, et régulièrement, il parle de ce drame.
02:26 La riposte israélienne ne peut pas avoir une influence sur cette évolution politique
02:35 qu'était en train d'accomplir le Vatican sur la question israélo-palestinienne ?
02:41 La puissance de la riposte israélienne déstabilise, déconcerte,
02:45 et fait en sorte qu'effectivement, il y a de la part du Vatican,
02:47 encore plus d'attention à l'égard des populations civiles.
02:52 Mais tout en ayant dit cela, et en étant très conscient de cela,
02:57 il y a aussi la conscience que l'islamisme radical,
03:03 qui a pris aussi en otage les Palestiniens,
03:06 est tout autant à combattre, et tout autant à juguler.
03:10 Et c'est cette ligne de crête, extrêmement fine, certes,
03:14 mais qui quand même correspond à une forme de réalité que le pape François s'installe.
03:19 Comment a-t-on accueilli les accords d'Abraham du côté du Saint-Siège ?
03:23 Plutôt favorablement, non ?
03:24 Plutôt très favorablement.
03:25 D'ailleurs, il faut savoir aussi, c'est ce que je raconte à la fin de ce livre,
03:29 en parlant justement de positionnement de François et du Proche-Orient,
03:32 c'est qu'avant le 7 octobre, il était prévu qu'il y ait une nouvelle veillée de prière,
03:39 une nouvelle prière pour la paix, cette fois-ci organisée à Abu Dhabi,
03:42 avec les acteurs principaux, les signataires des accords d'Abraham,
03:47 mais également avec le président ukrainien,
03:49 qui était en train d'être contacté pour pouvoir aussi venir
03:53 et participer à une grande prière pour la paix, de manière générale.
03:56 Mais à partir d'un lieu extrêmement symbolique,
03:58 qui était au cœur des accords d'Abraham, qui sont portés par le pape François.
04:05 C'est le dialogue interreligieux qui est...
04:07 C'est sur ce positionnement-là qu'il est installé depuis le début,
04:10 parce que c'est une manière aussi pour lui, et c'est très important,
04:12 de ne pas stigmatiser l'islam, qui subit également l'islamisme.
04:18 Ce que vous racontez d'intéressant aussi dans cet ouvrage,
04:20 c'est qu'il y a le Saint-Chiez, son fonctionnement, son administration,
04:24 ses dossiers, ses agendas et tout ça, mais François s'en émancipe très souvent.
04:29 Vous citez notamment l'influence de ses amis,
04:31 comme ce journaliste israélo-argentin, Enrique Zimmermann,
04:37 qui a beaucoup d'influence sur le Saint-Père,
04:39 qui lui dit « ben voilà, tu devrais faire ci, peut-être pense à ce dossier ».
04:44 Alors avant, effectivement, de voir un peu la spécificité de la relation
04:48 entre Enrique Zimmermann et le pape François,
04:51 il faut savoir que le pape François, même du temps où il était cardinal,
04:55 avait toujours critiqué très puissamment l'administration, la curie
05:01 et toute l'ingénierie bureaucratique du Vatican.
05:04 Lorsqu'il arrive au sommet de la hiérarchie,
05:07 évidemment, ce n'est pas une bonne nouvelle pour les technocrates du Vatican,
05:11 parce qu'en fait, il les contourne en permanence.
05:13 Et puis, il prend certains codes, certains protocoles.
05:15 Le protocole, il s'en échappe.
05:17 Il gère ses relations presse et les entretiens,
05:21 il journalise lui-même de manière quasi directe, parfois par SMS.
05:25 Et bien souvent, d'ailleurs, les prélats et tous les hauts responsables du Vatican
05:31 découvrent dans la presse des propos qui émanent directement de François
05:36 et qui ont totalement contourné la voie officielle.
05:39 Ce qui explique aussi une partie de l'antagonisme
05:41 qui existe à l'intérieur du Vatican, mais ça, c'est sur d'autres sujets.
05:45 Donc oui, bien évidemment, ça lui a permis de favoriser,
05:48 de privilégier des canaux personnels, informels,
05:53 qui ont amené à des initiatives.
05:54 Par exemple, cette fameuse première veillée pour la paix,
05:58 prière pour la paix qui avait été organisée avec Marc Moudabas
06:00 et Simone Pérez au Vatican, a été montée
06:04 avec justement l'aide de ce journaliste Enrique Zimmermann,
06:08 qui est quelqu'un qui vit en Israël, qui se promène dans le monde arabe entier,
06:13 qui va très régulièrement chez le pape François,
06:16 qui est d'origine également d'Argentine, donc d'où la proximité.
06:20 Et qui sent les événements, qui sent les opportunités.
06:23 Et qui sent toutes les choses là et qui lui conseille justement de s'installer,
06:27 de se positionner dans l'air du temps sur les plaques tectoniques d'aujourd'hui
06:32 qui sont en train de bouger, en particulier au Moyen-Orient.
06:34 Et le pape François a toujours été, de ce point de vue là,
06:37 extrêmement attentif à ces conseils.
06:39 Dans votre ouvrage, qui est bourré d'anecdotes,
06:42 vous racontez aussi très bien cette relation qui date de Thomas Herzl,
06:48 la naissance du mouvement sioniste, les premières approches avec les paix.
06:52 C'est tout sauvé, un long fleuve tranquille.
06:54 Ah non, ça doit être un long dialogue.
06:55 Et les débuts de discussion, c'est souvent...
06:58 Oui, il y a un quasi-rituel qui s'est installé
07:00 depuis le début du mouvement sioniste jusqu'à la fameuse rencontre en janvier 1973
07:05 dans la bibliothèque du Vatican entre Paul VI et Golda Meir.
07:08 C'est que les discussions entre les responsables du mouvement sioniste et les papes
07:12 ont toujours démarré de manière un peu...
07:15 Frontale.
07:15 Frontale, pour ensuite arriver à des réflexions plus générales,
07:20 mais qui ont montré aussi l'évolution difficile avant Vatican II.
07:26 Racontez-nous un peu ces étapes.
07:27 C'est la reconnaissance...
07:29 D'abord, c'est Theodor Herzl qui fonde vraiment l'idéologie et l'idée sioniste
07:35 après l'affaire Dreyfus.
07:37 Il a écrit "L'État juif", il va voir le pape de l'époque qui lui dit sans embâche,
07:43 "Nous ne reconnaîtrons pas le peuple juif parce que vous n'avez pas voulu reconnaître Jésus."
07:47 Ensuite, les autres responsables du mouvement sioniste arrivent à convaincre le Vatican
07:52 qu'il peut y avoir une présence, on va dire, harmonieuse,
07:57 et une relation harmonieuse notamment avec la protection des lieux saints.
08:00 C'est déjà ce que préconisait Herzl.
08:02 Les autres responsables du mouvement sioniste le font également.
08:06 Et la déclaration Balfour des Britanniques qui promet un foyer national juif
08:11 aux sionistes en 1917 change aussi un peu la donne vis-à-vis du Vatican.
08:17 Jusqu'à la création de l'État d'Israël, où là, ça devient un fait majeur
08:22 pour le Vatican qui doit considérer que le peuple juif...
08:25 - C'est une nouvelle donne. - C'est une nouvelle donne dans cette région.
08:28 Mais les lieux saints sont sous contrôle jordanien, je crois, en 1948.
08:32 En 1967, la guerre des Six Jours change totalement.
08:34 - Et le Vatican dit "pas de touche aux lieux saints". - Pas de touche aux lieux saints, exactement.
08:37 En 1967, la donne change de manière encore plus drastique
08:40 puisque les lieux saints à la vieille ville de Jérusalem
08:43 passent sous le contrôle israélien après la guerre des Six Jours.
08:45 Et là, il y a une obligation de relation technique avec l'État d'Israël
08:50 sans jamais arriver à une reconnaissance politique.
08:52 Et c'est Jean-Paul II qui va décanter cela.
08:56 Jean-Paul II va décanter cela parce que lui, il avait son agenda
08:59 à la fois de géo-géopolitique, parce que c'était le pape de la fin de la guerre froide,
09:03 plus une approche personnelle philo-sémite.
09:06 Et il donne l'autorisation de créer des équipes de négociateurs
09:10 pour arriver à la reconnaissance.
09:12 Il y a 30 ans, c'est à 30 ans que le premier échange ambassadeur a eu lieu, en 1994.
09:17 - Et il prévient aussi à l'époque, je crois que c'est l'ambassadeur... - Henri Pazner.
09:21 Il le prévient aussi, cette reconnaissance.
09:25 Mais il dit, Israël, maintenant vous avez le glaive aussi.
09:28 Vous avez une responsabilité morale devant le monde.
09:31 - Et oui, il rappelle en fait... - On en revient à ce qui se passe actuellement aussi.
09:35 Et Jean-Paul II rappelle à ce moment-là à Havi Pazner, à la sortie de cette entrevue historique
09:38 que je restitue sur la manière dont Jean-Paul II a annoncé
09:42 qu'il allait reconnaître l'État d'Israël officiellement.
09:44 Il lui fait ce rappel justement de cette obligation morale de se comporter
09:48 lorsqu'on a le glaive, lorsqu'on est fort, d'autant plus que le peuple juif a été,
09:54 dans son histoire, souvent en esclavage et en situation d'infériorité.
09:58 Avec l'État d'Israël, c'est une mutation complète puisque Israël,
10:02 le peuple juif n'est plus celui qui se subit, mais également celui qui
10:07 prend son destin en main à une armée, à une puissance militaire et nucléaire.
10:11 Et donc, ça change la donne.
10:13 Le pape Jean-Paul II rappelle aussi à sa manière le risque qu'il prend
10:17 en disant « je vais reconnaître politiquement l'État d'Israël »,
10:19 ça veut dire « ne perdez pas votre âme ».
10:21 Rester aussi avec une dimension éthique et morale, bien évidemment,
10:25 c'est le plus grand défi lorsqu'on est un État avec une armée
10:28 dans la situation qu'on connaît.
10:30 – Votre renseignement de votre ouvrage, on lit entre les lignes
10:34 que la coopération sécuritaire ou en matière de renseignement
10:38 entre le Vatican, c'est un réseau mondial avec...
10:42 – Premier réseau de renseignement diplomatique au monde.
10:44 – Et puis le Mossad, qui est aussi l'un des plus brillants
10:47 services de renseignement, ça coopère quand même assez bien.
10:50 Est-ce que c'est dû à l'origine, ce projet d'attentat qui a échoué
10:55 contre Golda Heimer, qui se rend en 1973 pour aller rencontrer le pape ?
11:00 C'est le début de cette...
11:02 – Ça a accéléré un processus qui déjà était en germe.
11:05 Pourquoi ? Parce que le Vatican, à part être cet État religieux
11:11 et très important pour plus d'un milliard d'êtres humains,
11:15 c'est aussi, durant la guerre froide, un terrain de bataille
11:17 et d'affrontement entre le KGB, entre la CIA et ensuite,
11:21 évidemment, avec le Mossad qui regarde, parce que nous sommes
11:24 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
11:26 C'est un nouveau monde complet qui sort de la guerre avec les deux blocs,
11:33 avec l'arrivée possible des communistes en Italie.
11:36 Et donc, le Vatican est une plaque tournante de toutes les tensions
11:43 d'espionnage diplomatique et avec ses enjeux entre ces deux blocs.
11:47 Le Mossad israélien, qui, évidemment, a organisé la survie de l'État d'Israël
11:53 sur la capacité à avoir du renseignement, a absolument besoin,
11:57 envie également, d'être présent sur ce territoire du grand jeu.
12:00 Et la fascination entre le Vatican et l'État d'Israël,
12:03 elle est depuis le début, depuis 1948, parce que ce sont deux États
12:06 à timbre poste, deux petits États sur le plan géographique,
12:09 mais qui ont une aura morale au-delà de leurs frontières.
12:13 Ce sont deux États qui ont le culte du secret et deux États qui
12:16 représentent la matrice de la civilisation judéo-chrétienne,
12:19 des peuples qui se fréquentent par définition depuis plus de 2000 ans,
12:22 mais qui n'ont pas de relation politique.
12:24 Et donc, de ce point de vue-là, Golda Meir, quand elle va au Vatican,
12:28 elle vient aussi vérifier la possibilité que le Mossad,
12:31 que le jeune État d'Israël ait sa place dans le grand jeu
12:35 du renseignement sur le territoire du Vatican.
12:37 Un dernier mot, Michael.
12:39 Quels sont les dossiers actuellement entre le Saint-Siège et l'État d'Israël,
12:45 sur lesquels il peut y avoir un peu de perturbations ?
12:48 Les exactions des extrémistes juifs,
12:51 toujours cette question des lieux saints et de l'accès à la prière ?
12:55 Elle est de un ordre technique, effectivement, avec des questions
13:00 liées à la fiscalité, à la gestion des lieux saints,
13:03 à la place de l'immobilier au sein de la vieille ville,
13:06 la tension avec les suprémacistes et ultranationalistes juifs.
13:11 Ça, c'est un lieu de tension permanent.
13:12 Le Vatican a toujours voulu rester là pour justement contrôler cela
13:16 et faire attention.
13:17 Et puis, vous avez effectivement, comme on l'a vu,
13:20 également le niveau géopolitique, politique et même de médiation
13:25 pour tenter d'arriver un jour à retrouver
13:31 un processus de négociation, un processus de coexistence
13:35 avec les Palestiniens dans la région et également l'ensemble des autres pays,
13:39 parce que le Vatican est très au fait.
13:41 Ce que la donne a changé, dans le sens où l'intégration régionale d'Israël
13:45 dans la matrice de ce qu'on appelle les accords d'Abraham
13:48 et avec possiblement l'Arabie saoudite qui va aussi normaliser
13:52 et chapoter tout ça, c'est un changement total, géopolitique, majeur.
13:57 Le Vatican ne veut pas en être exclu.
13:59 - Miquel, Armand, merci.
14:00 Je rappelle le titre de votre ouvrage,
14:02 "Le pape et la matriarche", aux éditions Passé Composé.
14:06 Merci beaucoup. - Merci.
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