5/12/2023- 04- Nature(s)?

  • il y a 4 mois
Cycle "Retour aux sources"
"Nature(s)?
Mardi 5 décembre 2023

La notion de protection de la nature a beaucoup évolué de Jean-Baptiste Say qui, à la fin XVIIIe siècle, considérait les ressources naturelles comme ne pouvant être "épuisées" à la stratégie nationale de la biodiversité de juillet 2023 qui les qualifie de "patrimoine commun et de capital pour l'avenir à préserver".
Ce Retour aux sources propose donc une mise en perspective historique au travers des sources disponibles des enjeux, de la pensée et des acteurs de la protection de la nature.

La programmation de cette séance s'inscrit dans une double actualité, la publication en mai 2023 des actes du colloque De la réserve naturelle intégrale à la nature ordinaire. Les figures changeantes de la protection de la nature (XIXe-XXe siècle) qui s'est tenu en 2020 aux Archives nationales et le centenaire du premier Congrès international de la protection de la nature en 1923, célébré lors du colloque Défendre la nature qui s'est tenu du 27 au 29 septembre au Muséum d'Histoire naturelle
Transcript
00:00 (...)
00:06 -Eh bien, bonjour à tous.
00:08 On va...
00:09 Eh bien, écoutez, prendre la suite, effectivement,
00:12 de ce qui a été présenté par Patrick et par Rémi.
00:15 Et notamment, on va se concentrer sur un moment,
00:20 cette fois-ci, et non plus une dynamique
00:23 ou une période comme ça sur presque 200 ans.
00:26 Là, on va se tourner sur un moment spécifique,
00:29 1923, et ça a été l'objet d'un colloque
00:33 qu'on a organisé, effectivement,
00:34 ça a été rappelé par M. Roche,
00:38 qu'on a organisé fin septembre
00:39 au Muséum d'histoire naturelle à Paris,
00:42 avec, là, vous le voyez, en bas à gauche,
00:44 c'est l'affiche de ce colloque,
00:45 Défense de la nature de 1923 à aujourd'hui,
00:47 avec un nombre assez impressionnant de partenaires,
00:51 dont, à nouveau, les archives nationales.
00:54 Et donc, le retour aux sources aujourd'hui
00:56 s'inscrit aussi dans cette temporalité d'événements
00:59 autour de ce colloque.
01:01 Donc, il s'agissait bien, là,
01:03 d'examiner un moment spécifique,
01:05 c'est le 1er congrès international
01:08 de protection de la nature,
01:10 qui s'est tenu, donc, à Paris,
01:12 fin mai, début juin 1923.
01:14 Et ce moment-là, on a souhaité l'interroger
01:19 deux jours et demi,
01:20 pour nous interroger, notamment, sur des temporalités,
01:23 ce qu'ils signifient dans ce continuum,
01:26 que nous a bien présenté Rémi Baud,
01:27 de la protection de la nature.
01:29 Donc, entre continuité au pluriel et renouvellement.
01:33 L'idée, c'est bien d'examiner ce qui a rassemblé,
01:36 en 1923, plus de 300 congressistes
01:39 venus d'horizons très variés,
01:41 essentiellement français et européens,
01:44 mais aussi avec des personnes qui venaient du monde entier,
01:46 pour s'intéresser à ce sujet
01:48 qu'ils appelaient "défendre la nature".
01:52 Ils utilisaient, à l'époque, le terme de "protection de la nature"
01:56 très majoritairement.
01:57 Et donc, voilà, ils ont voulu partager leurs constats,
02:00 essayer de définir aussi un certain nombre de recommandations,
02:03 élaborer des solutions face aux dégradations
02:06 qu'ils constataient dès cette époque.
02:09 Et donc, c'est ce que je vais essayer de vous présenter ce matin,
02:12 avec un discours qui va être moins, comment dirais-je,
02:16 épistémologique que celui de Rémi Baud.
02:19 Je vais être davantage sur du contenu de ce congrès-là.
02:22 Et puisqu'on est dans les retours aux sources,
02:24 en fait, la matière principale,
02:25 ce sont les actes qui ont été publiés en 1926,
02:29 datés 1925, mais publiés en 1926,
02:31 de ce congrès de 1923.
02:33 Et à partir de cette matière,
02:35 on a été un certain nombre de chercheurs à travailler
02:37 et à essayer de comprendre ce qui se nouait à cette époque
02:42 et de voir les fils qui peuvent être tirés
02:44 par rapport à notre époque
02:45 et aussi par rapport à ce qui a précédé.
02:48 Donc, l'idée, c'est bien d'interroger ce moment,
02:51 mais dans une longue durée, de la protection de la nature.
02:54 Parce qu'effectivement, la protection de la nature
02:57 ne date pas d'hier.
02:59 Et bien, communément, actuellement,
03:01 beaucoup d'acteurs, beaucoup aussi de médias,
03:05 considèrent que la protection de la nature
03:07 et celle de l'environnement est née dans les années 1960,
03:09 1970, avec ici deux moments qui sont très forts,
03:13 deux publications.
03:15 À gauche, celle de Rachel Carson,
03:17 "Printemps silencieux", publiée en anglais en 1962
03:20 et traduit dès l'année qui suit en français.
03:23 Et quelques années plus tard,
03:24 Jean Dorst, au Muséum de l'histoire naturelle,
03:27 publie "Avant que nature meure".
03:29 Je vous ai mis ici la couverture de 1978,
03:32 qui fait écho à un événement environnemental
03:35 de l'époque assez marquant.
03:37 Voilà.
03:38 Donc, on est sur des croyances, on pourrait dire,
03:42 qui considèrent que cette protection de la nature,
03:45 finalement, est née après la Seconde Guerre mondiale,
03:48 une époque qu'on appelle les Trente Glorieuses
03:49 et qui a bouleversé, effectivement,
03:51 la façon dont les humains ont des impacts
03:55 sur l'environnement et plus largement la nature.
04:00 Sauf que la protection de la nature
04:02 remonte à bien plus loin
04:05 et que l'urgence reste toujours la même
04:08 depuis plus de 100 ans.
04:11 Et c'est ça qui est un peu étonnant.
04:13 Je vous ai mis là des statistiques assez tragiques.
04:15 Je ne vais pas toutes les décrire.
04:17 Effectivement, ça met le moral un peu en berne.
04:19 Mais l'état de la biodiversité actuelle,
04:22 documentée par les scientifiques,
04:23 c'est celui d'un effondrement,
04:25 d'un effondrement assez général, assez complet
04:28 de tous les comportements.
04:29 Aurélie Mibou a donné des exemples tout ailleurs.
04:31 J'en donne ici d'autres.
04:33 Bref, c'est quand même assez généralisé,
04:35 à la fois sur les espèces, les milieux,
04:37 et aussi en termes d'espaces géographiques.
04:41 Et en bas, je vous ai mis
04:42 peut-être une des explications fondamentales.
04:47 Pendant que, depuis 100 ans,
04:48 cette biodiversité se dégradait, s'effondrait,
04:51 les êtres humains sont passés
04:53 de 1 milliard vers 1850
04:56 à 8 milliards d'êtres humains actuellement en 2023.
05:00 On a ici peut-être un facteur explicatif.
05:03 Et l'idée, c'est de se plonger
05:04 dans cette urgence écologique qui a 100 ans.
05:07 Une urgence qui a 100 ans, c'est assez curieux comme terme.
05:10 Et de voir comment elle était perçue à l'époque
05:13 et finalement, quelle a été la suite.
05:15 Parce que cette urgence est clairement une crise systémique.
05:18 Ce n'est pas juste des événements
05:20 qui sont datés ou à contextualiser.
05:23 On est bien sur l'idée qu'on a un système
05:26 qui produit l'effondrement actuel.
05:29 Les chercheurs actuellement,
05:30 et là, je vous ai mis les causes majeures
05:32 identifiées par l'IPBES en 2019,
05:35 dans un rapport qui a regroupé plusieurs centaines de chercheurs
05:39 autour de la planète,
05:40 identifient cinq causes majeures
05:42 d'effondrement de la biodiversité.
05:44 Et quand on examine chacune de ces causes,
05:45 elles s'aperçoivent qu'elles ont une longue histoire,
05:48 certaines remontant au-delà du néolithique,
05:51 ou de la néolithisation,
05:52 d'autres étant prises en compte beaucoup plus récemment,
05:55 et là, je fais référence au changement climatique,
05:58 qui a été pensé plutôt dans les années 1980-1990,
06:02 même si là aussi, on peut tirer quelques fils
06:04 un peu plus lointains.
06:07 Donc on a des causes majeures identifiées actuellement
06:10 qui ont une temporalité importante.
06:13 Et c'est ça qui va nous intéresser
06:15 pour essayer de percevoir
06:19 ce qui était pensé à l'époque, 1923,
06:22 et en quoi nous en sommes les héritiers,
06:24 ou au contraire, des personnes qui pensons autrement le monde.
06:28 J'ai repris la frise que Rémi Bou a présentée tout à l'heure
06:32 produite par l'Association d'histoire
06:35 pour la protection de la nature et de l'environnement,
06:38 sa version simplifiée,
06:39 publiée dans le Courrier de la nature cette année,
06:42 et je vous ai indiqué au milieu le Congrès de 1923,
06:45 qui est au milieu de ce que Patrick Février appelait
06:48 ce serpent de la protection de la nature.
06:51 Vous voyez qu'il n'est pas au début,
06:54 il n'est pas non plus à la fin.
06:56 Il est à un moment, premier tiers, on va dire,
06:59 de ce continuum,
07:01 parce qu'effectivement, ce Congrès de 1923
07:04 n'est pas une origine de la protection de la nature.
07:07 Elle est plutôt d'ailleurs un aboutissement,
07:10 c'est-à-dire un moment où va se révéler
07:12 un certain nombre de conceptions qui ont émergé
07:15 et qui ont mûri pour arriver à une certaine,
07:19 je dirais, concrétisation dans les années 1920.
07:23 Et à partir de cette année-là,
07:24 ce n'est pas non plus la fin de l'histoire.
07:26 C'est-à-dire que ce courant va continuer à se développer,
07:28 va se différencier, va se transformer jusqu'à nos jours.
07:32 Donc on est bien sur la réflexion d'un moment
07:35 qui peut être perçu comme une étape,
07:37 peut-être comme un jalon,
07:39 peut-être aussi comme une charnière,
07:41 puisque la question qui va se poser,
07:42 c'est de savoir quelle va être la postérité
07:44 de ce Congrès de 1923,
07:46 quelles suites vont pouvoir lui être réservées,
07:49 en quoi nous en sommes les héritiers
07:52 ou en quoi nous n'en sommes pas du tout, d'ailleurs,
07:54 les héritiers.
07:55 Donc il y a vraiment un champ d'interrogation
07:57 sur les temporalités qui est au cœur de nos réflexions
07:59 et qui reste, je vous ai mis un petit encart en bas,
08:01 tous les petits encarts en violet,
08:04 sont des questions historiographiques
08:06 qui restent à approfondir.
08:08 Et donc, clairement, le colloque qu'on a tenu en septembre
08:11 n'a pas conclu définitivement sur ce sujet-là.
08:14 C'est un sujet qui reste encore assez fortement ouvert
08:17 et qui va nécessiter des recherches complémentaires
08:20 pour être précisé.
08:23 Donc on est sur cette idée
08:27 d'essayer de mesurer des continuités
08:29 et des renouvellements,
08:31 mais néanmoins, indubitablement,
08:35 ce congrès de 1923
08:37 représente un certain nombre d'audaces,
08:40 on appelait ça des audaces, c'est-à-dire des éléments
08:43 qui sont arrivés sur le devant de la scène
08:45 et qui sont saisissantes pour nous,
08:47 contemporains du XXIe siècle.
08:49 On les a regroupés en quatre thématiques.
08:53 D'abord, il y a des visions de la nature
08:55 qui ont été exprimées à l'époque,
08:56 qui sont assez saisissantes.
09:00 Ensuite, on a, à ce moment-là,
09:02 la conjonction de différents courants
09:04 qui vont concourir vers la protection de la nature.
09:07 Ces courants continuent à exister de nos jours,
09:10 mais sont peut-être différemment en interaction.
09:13 Donc il y a un moment ici un peu spécifique.
09:16 Troisième élément,
09:18 le constat des destructions et des dégradations
09:20 est assez précurseur,
09:23 même si certains de nos sujets
09:26 peuvent paraître soit invisibilisés, soit oubliés.
09:29 Et puis les congressistes ont eu à coeur
09:31 de définir des solutions,
09:32 de proposer des solutions
09:34 à cette dégradation de la nature.
09:36 On va voir celles qu'ils avaient en tête
09:38 et on va se demander si on en a réellement, nous,
09:40 des différentes ou pas.
09:42 Vous voyez comment ce congrès, il y a 100 ans,
09:45 on l'a essayé de le questionner
09:48 sur ces différentes thématiques.
09:51 Alors le premier point qui est marquant,
09:54 alors je vous ai mis ici la couverture des actes
09:57 que je n'ai pas apporté.
09:59 On en parlait tout à l'heure avec Christelle.
10:01 C'est un papier des années 1920, extrêmement friable,
10:04 donc on l'ouvre avec précaution
10:05 et chaque fois qu'on l'ouvre,
10:06 il y a des morceaux de pages qui s'en vont.
10:08 Donc je ne l'ai pas fait voyager jusqu'à vous,
10:11 un document qui est fragile,
10:12 mais dont la mémoire va perdurer sa matérialité
10:16 puisqu'il a été numérisé
10:18 par nos collègues de la bibliothèque
10:19 du Muséum d'histoire naturelle
10:21 et donc on l'a maintenant disponible de façon numérique,
10:23 ce qui permet de protéger le document,
10:25 les documents originels.
10:28 Donc le premier point que je signalais
10:31 et qui est vraiment une spécificité
10:33 de ces années 1920 et de ce congrès,
10:35 c'est que la nature,
10:37 ici, c'est le terme "nature" qui est utilisé,
10:39 absolument pas le terme "environnement"
10:41 et absolument pas non plus le terme "biodiversité"
10:43 qui n'est pas encore inventé.
10:44 Voilà, donc on parle de nature.
10:46 Cette nature qui est extrêmement polysémique,
10:49 ici, est saisie d'une façon qui est assez intégrée,
10:51 bien plus que ce qu'on le considère de notre époque.
10:55 On va examiner, et vous voyez comment ça va réagir
10:58 avec ce que vous a exposé Rémy Beau à l'instant,
11:01 à cette époque-là, on va examiner en même temps
11:03 des espèces et aussi des milieux naturels.
11:07 On va s'intéresser à une nature vierge, rare, menacée,
11:12 ce que Rémy Beau a appelé la nature remarquable,
11:15 et en même temps, on va aussi s'inquiéter
11:18 de cette nature commune, cette nature anthropisée,
11:21 cette nature utilitaire.
11:23 Dans le même congrès,
11:24 on s'intéresse à ces deux objets de nature.
11:27 Et puis on va mélanger différentes approches
11:29 et notamment deux approches principales,
11:31 une approche scientifique très rationnelle,
11:34 je vous montrerai des exemples tout à l'heure,
11:36 et une approche beaucoup plus esthétique et sensible.
11:40 Les deux vont aussi se tisser assez étroitement.
11:45 Pour autant, là encore, le colloque que l'on a organisé
11:48 ne va pas faire le tour du sujet, et il manque,
11:51 je fais un appel aux chercheurs, aux jeunes chercheurs notamment,
11:54 on a un besoin de monographie sur des espèces,
11:58 sur des milieux, sur des territoires,
12:00 sur des objets de nature,
12:01 pour venir affiner ces considérations,
12:04 les préciser.
12:06 Alors nos collègues ont bien travaillé le sujet,
12:11 et j'utilise ici l'analyse qui a été faite
12:14 à notre collègue Raph de Bonte, des Pays-Bas,
12:18 qui a examiné les actes et qui a classé les sujets
12:21 dont il était question dans ces actes.
12:23 Vous remarquerez que l'angle d'approche principal
12:27 est celui qui concerne la faune, pas n'importe quelle faune,
12:31 les mammifères et les oiseaux.
12:33 Effectivement, la protection de la nature
12:35 est d'abord née de l'intérêt porté à un certain nombre d'espèces,
12:39 pas toutes, certaines qui nous parlent, à nous humains,
12:42 les gros animaux ou ceux qui volent,
12:44 où on a un intérêt particulier, un intérêt culturel,
12:47 je dirais, à s'intéresser à ces espèces-là.
12:50 Presque la moitié des communications
12:54 s'intéressent à eux.
12:55 Ensuite, deuxième élément, et ce n'est pas inintéressant
12:59 de voir que c'est le deuxième thème,
13:01 presque un quart des contributions de 1923,
13:06 s'intéressent à la nature, mais comme paysage,
13:11 comme milieu naturel,
13:12 et aussi comme outil de protection,
13:15 c'est-à-dire la protection des espaces,
13:17 qu'on va appeler de nos jours les aires naturelles protégées,
13:20 sous la forme notamment à l'époque des parcs nationaux,
13:23 mais aussi des réserves naturelles,
13:26 va être un sujet de préoccupation,
13:28 c'est-à-dire qu'on va s'intéresser à un milieu
13:31 dans son ensemble, et notamment par ce qu'il renvoie
13:34 en matière d'esthétisme.
13:36 Et puis vous trouvez ensuite la flore, 16 %,
13:40 et puis d'autres compartiments de la faune,
13:42 les reptiles, les amphibiens, les poissons,
13:45 les invertébrés, à peine 5 %,
13:48 et enfin les sols, à peine 3 %,
13:51 alors que ce sont des enjeux absolument majeurs.
13:53 Mais vous voyez que là, on a un tropisme des humains
13:56 qui ne s'intéressent pas à toute la nature,
13:59 mais qui s'intéressent à des objets
14:00 qui leur paraissent particulièrement dignes d'intérêt.
14:03 Cet enjeu, donc, est très intégré,
14:10 et on voit à cette époque-là, dès les années 1920,
14:13 se réaliser un certain nombre de logiques
14:15 de patrimonialisation,
14:17 et qui vont se regrouper en deux grands thèmes.
14:21 Le premier, c'est de s'intéresser à la nature
14:26 parce que c'est un bien que les humains vont utiliser.
14:29 C'est une fortune, c'est une ressource,
14:31 et c'est à ce titre-là qu'il est important
14:34 de s'intéresser à la nature.
14:36 On est sur une nature plutôt utilitaire.
14:39 Mais en même temps, on voit une deuxième logique
14:41 de patrimonialisation,
14:43 c'est celle qui va attribuer des, je dirais,
14:48 des valeurs différentes à cette nature,
14:51 et l'inscrire dans une logique de transmission,
14:54 transmettre intact un héritage que l'on a reçu,
14:58 mais le transmettre à ses descendants.
15:01 Donc, on a cette logique ici qui se met en place,
15:03 et vous voyez la façon dont je le dis ici,
15:05 dans ces bâtiments et dans cette pièce en particulier,
15:08 vous voyez bien les parallèles qui peuvent se faire
15:10 avec la question du patrimoine culturel
15:12 et du patrimoine historique.
15:14 On est sur les mêmes époques,
15:16 et on va voir les mêmes personnages
15:17 qui vont à la fois protéger les monuments historiques
15:20 et vouloir protéger ce qu'ils vont appeler
15:22 des monuments naturels.
15:23 C'est exactement le terme qu'ils emploient.
15:26 Donc, on a ces logiques qui vont se mélanger.
15:28 La nature objet du XIXe siècle
15:30 devient petit à petit une nature considérée
15:32 comme un patrimoine de l'humanité
15:34 à conserver pour les générations à venir.
15:38 Bien sûr, ces visions vont se croiser,
15:41 vont se confronter.
15:42 Elles ne sont pas exclusives l'une de l'autre.
15:45 Elles vont se tisser,
15:47 elles vont se reconfigurer,
15:49 comme le disait tout à l'heure Rémi Baud,
15:51 et c'est bien cette polysémie
15:53 qu'il est intéressant de retracer.
15:55 Là encore, on est très loin, dans la recherche historique,
15:58 d'avoir fait le tour de ces sujets-là.
16:00 On a besoin, là aussi, d'études comparées
16:02 pour venir préciser ces logiques, ces dynamiques,
16:05 ces différents courants,
16:06 pour comprendre aussi comment ces approches
16:08 peuvent être à la fois communes,
16:09 mais aussi diverses.
16:12 Parce que, deuxième grand élément,
16:14 après cette vision assez intégrée de la nature,
16:17 on s'aperçoit, en 1923,
16:19 qu'on a la conjonction de plusieurs courants
16:21 de protection de la nature.
16:22 Je vous ai mis ici une petite liste,
16:24 en terminant, vous voyez, par des points de suspension,
16:26 parce qu'il y a bien d'autres courants
16:27 qui s'expriment en 1920,
16:29 on voit différentes catégories
16:31 qui viennent se pencher au chevet de la nature
16:34 pour venir la protéger, la sauver.
16:37 Ces courants ont chacun leur angle d'approche,
16:39 leur particularité, leur conception,
16:42 mais ils se rejoignent dans un même congrès
16:45 pour protéger un même objet,
16:47 ce qui les identifie comme un objet commun,
16:48 cette idée de nature qui est finalement assez holistique
16:52 et qui intègre en tout cas toute leur vision.
16:54 Pour illustrer cela, je vous ai mis une affiche
16:57 de la Société protectrice des animaux
16:59 qui fait valoir quelque chose de beaucoup plus éthique,
17:03 beaucoup plus sensible sur la protection de l'animal,
17:05 y compris sauvage.
17:07 Je vous ai mis une belle citation de Victor Hugo
17:09 qui me permet de rendre concret
17:11 ce que je vous ai dit tout à l'heure.
17:12 Je le cite. "Un arbre est un édifice,
17:14 "une forêt est une cité, et entre toutes les forêts,
17:18 "la forêt de Fontainebleau est un monument."
17:20 On retrouve ce goût de Victor Hugo pour les monuments,
17:23 mais effectivement, pas uniquement
17:25 pour Notre-Dame de Paris,
17:26 mais aussi pour la forêt de Fontainebleau.
17:29 Rave de Bonte, que j'ai utilisée tout à l'heure,
17:33 a également essayé de travailler
17:36 de façon un peu sociologique
17:37 sur l'origine des différents participants
17:40 au congrès de 1923.
17:42 Et ça ne vous surprendra pas que de constater
17:44 que la moitié d'entre eux se revendiquent de la science.
17:47 Alors attention, il s'agit de scientifiques,
17:50 mais qui sont à la fois des professionnels,
17:52 mais aussi des amateurs.
17:53 On est dans les années 1920,
17:55 beaucoup de naturalistes sont encore des amateurs
17:58 et vont à ce titre-là intervenir lors de ce congrès.
18:02 Il est intéressant de constater
18:03 qu'à côté de ces scientifiques, donc 50 %,
18:07 on a une multitude d'autres catégories sociales
18:11 qui interviennent, des commerçants, des marchands,
18:14 des médecins, des fonctionnaires, des enseignants,
18:16 des artistes, des chasseurs,
18:18 des personnes qui sont tenantes du tourisme,
18:21 des hommes politiques.
18:23 Évidemment, vous voyez qu'on a une très grande diversité
18:27 d'origines, de personnes qui vont s'intéresser
18:29 à cet objet nature,
18:31 donc une vision complexe de ce que c'est la nature,
18:34 des courants variés,
18:35 mais qui se retrouvent à un même moment.
18:37 Actuellement, je ne connais pas un seul événement
18:40 autour de la nature qui soit capable
18:43 de réunir une telle diversité d'opinions,
18:46 une telle diversité d'origines.
18:49 Donc on a un moment 1920 qui est particulier,
18:51 qui est spécifique et qu'on va avoir du mal
18:54 à retrouver ensuite.
18:56 Sans doute, là, y a-t-il quelque chose
19:00 qui doit nous interroger, nous, contemporains.
19:03 Donc tous ces courants, toutes ces personnes
19:05 ne voient pas la protection de la nature
19:07 de la même façon,
19:08 ne définissent pas la nature également pareil.
19:11 Pour beaucoup d'entre eux, la nature est une ressource.
19:14 Pour d'autres, c'est une nature vierge,
19:17 qui est à prendre en compte.
19:18 D'autres, encore, voient d'abord l'esthétisme des paysages
19:22 et aussi le bien-être des humains.
19:24 Quelques-uns, ils voient du nationalisme
19:26 ou du colonialisme.
19:28 Et puis enfin, certains refusent la cruauté des humains
19:31 qui détruisent cette nature.
19:34 Donc il y a effectivement de nombreux courants ici à étudier
19:38 et à voir comment ils arrivent à dialoguer.
19:40 Rave de Bonte nous a dressé un portrait
19:44 de plusieurs de ces personnes.
19:46 Et je vous ai mis ici un tableau qui les représente.
19:49 Clairement, il y a là aussi besoin de davantage de biographie,
19:53 pourquoi pas d'études aussi un peu sociologiques
19:56 de ces courants et d'études de ces réseaux.
20:00 Ici, Rave de Bonte s'est intéressé plutôt
20:02 aux courants scientifiques,
20:04 mais il y a bien d'autres réseaux à mobiliser.
20:06 Et là, clairement, la recherche n'est sans doute pas
20:08 suffisamment avancée sur cette thématique.
20:11 On a quand même quelques bons ouvrages,
20:15 et notamment celui-ci qui concerne
20:17 un des... enfin, le principal organisateur
20:20 de ce congrès de 1923, Raoul de Clermont,
20:23 qui, en lui-même, est une synthèse
20:26 de ces différents courants de protection de la nature.
20:28 Je vous ai mis quelques éléments marquants
20:30 de son histoire personnelle et de sa biographie à droite.
20:33 Et vous voyez qu'il participe à de très nombreux courants.
20:35 Il est ingénieur agronome.
20:37 Il s'intéresse à la nature comme ressource pour l'agriculture.
20:40 C'est un avocat défenseur des droits des auteurs et des artistes.
20:43 Il est chasseur lui-même,
20:45 mais il se prononce contre les massacres
20:47 et contre les extinctions d'espèces.
20:49 C'est un naturaliste amateur.
20:52 Il s'engage pour la protection des paysages
20:54 et des monuments naturels dans plusieurs associations.
20:57 Il promeut l'embellissement des villes,
20:59 notamment par le verdissement, pour le bien-être des humains.
21:03 Et enfin, il est le promoteur d'outils de protection
21:06 qui existent encore de nos jours,
21:08 les parcs nationaux et les réserves naturelles.
21:11 Vous voyez qu'en une personne,
21:13 on rassemble la diversité de ces courants.
21:16 Et il n'est pas le seul, à cette époque-là,
21:18 à porter cette conjonction de courants.
21:20 Donc voilà, on a une spécificité dans les années 1920
21:23 qui est particulièrement intéressante.
21:26 Troisième élément, troisième audace,
21:29 mais qui est peut-être particulièrement saisissante
21:32 pour nous, humains du 21e siècle,
21:34 ce sont les destructions, le constat des destructions
21:38 qui sont faits à l'époque.
21:39 Et à l'époque, on considère déjà
21:41 que les destructions s'accélèrent.
21:43 Il y a 100 ans, on considérait que les destructions s'accéléraient.
21:46 Bon, voilà, je vous parlais d'urgence tout à l'heure.
21:49 Effectivement, c'est intéressant.
21:52 Et donc, notre collègue, cité par Rémi Beau,
21:54 Frédéric Ducarme, a essayé d'analyser
21:57 les motifs de préoccupation ou d'action des congressistes.
22:01 Et il a fait différentes catégories.
22:03 Vous voyez qu'en numéro un, c'est la chasse
22:05 qui préoccupe nos congressistes.
22:09 Cette chasse, pas n'importe laquelle,
22:11 des chasses commerciales, plutôt, je reviendrai dans un instant.
22:14 Ensuite, ils vont se mobiliser pour définir des aires protégées,
22:18 des zones qui nécessitent donc des mesures spécifiques.
22:21 Ils vont s'inquiéter de la disparition des espèces,
22:23 puis de la disparition des habitats.
22:25 Viennent ensuite les sujets de nuisibles,
22:27 de pollution, de destruction de ressources, etc.
22:30 Donc on a une multitude de sujets-là qui les préoccupent,
22:34 mais qui, normalement, résonnent
22:36 avec ce que je vous ai présenté tout à l'heure,
22:38 qui étaient les constats de l'IPBES 2019.
22:40 On retrouve des thématiques extrêmement proches.
22:44 Je dirais même qu'on les retrouve toutes.
22:46 En gros, trois grandes catégories.
22:48 D'abord, on s'inquiète des ressources naturelles
22:50 que l'on perd.
22:52 C'est ce qu'on appelle actuellement
22:53 les services écosystémiques.
22:55 On va s'inquiéter, deuxièmement, des menaces sur les espèces,
22:58 les extinctions.
22:59 Enfin, on va s'inquiéter de la dénaturation des paysages.
23:04 Et donc, quatrième thématique,
23:07 les congressistes considèrent que la nature
23:09 a besoin de protection.
23:12 Et ils vont faire des propositions.
23:15 L'idée est toujours la même.
23:16 Il faut réguler, réguler, les activités humaines
23:20 pour concilier le progrès humain, qui est nécessaire,
23:24 et en même temps la préservation du vivant.
23:26 C'est bien ça, l'enjeu de ces congressistes.
23:29 Ils proposent donc une critique plutôt systémique,
23:32 je l'ai dit tout à l'heure, de l'utilitarisme,
23:36 et ils essayent de proposer un autre modèle
23:38 un peu plus respectueux de la nature.
23:40 On n'est pas sur des personnes qui sont intégristes
23:42 et qui disent qu'il faut éradiquer l'humanité
23:44 pour sauver la nature. Pas du tout.
23:46 Ils sont dans l'idée qu'il faut concilier les deux enjeux.
23:50 Comment protéger ?
23:51 Eh bien, nos congressistes, en 1923, ont beaucoup d'idées.
23:56 Leur première idée, c'est celle de réduire les destructions.
24:01 Ils considèrent qu'il faut moins détruire.
24:03 Et je vous ai mis,
24:05 comme une espèce de petite congordance des temps,
24:08 deux éléments tirés de documents de stratégie publique récentes,
24:13 la SNB 2030, qui vient d'être publiée
24:16 par le ministère, enfin, par le gouvernement,
24:18 le 27 novembre, qui intitule son premier axe,
24:21 réduire les pressions qu'ils exercent sur la biodiversité.
24:24 La stratégie Nouveau cadre mondial,
24:26 qui a été définie à Kunming,
24:27 en Montréal, plutôt, en décembre dernier,
24:31 intitule son premier groupe de cibles,
24:33 réduire les menaces.
24:34 Eh bien, c'est exactement la même chose
24:35 qui a été proposée en 1923.
24:38 Réduire les menaces, c'est quoi ?
24:41 C'est limiter les impacts des chasses
24:42 ou des pêches commerciales.
24:44 Ici, quelques exemples.
24:45 Les chasses dans les colonies,
24:48 les surexploitations des milieux marins,
24:52 la chasse des oiseaux au beau plumage,
24:54 notamment pour la mode,
24:56 et puis des destructions massives
24:57 comme celle des bisons d'Amérique.
24:59 C'est l'illustration à droite.
25:01 A ce titre, on a des personnes qui s'y investissent.
25:05 William Hornaday, qui est un New-Yorkais,
25:07 qui s'est investi notamment pour sauver le bison d'Amérique,
25:10 mais aussi pour interdire le commerce des plumes
25:13 d'oiseaux sauvages,
25:15 et notamment la mode des chapeaux à plumes,
25:17 est quelqu'un qui est longuement applaudi
25:19 lors de ce congrès.
25:22 Deuxième thématique, il s'agit de protéger
25:24 les espèces auxiliaires de l'agriculture.
25:26 Ici, il faut, effectivement, sauver les oiseaux
25:29 qui viennent manger les insectes,
25:30 les insectes eux-mêmes ravageant les cultures agricoles.
25:35 Donc on est sur cette logique-là de protéger des auxiliaires.
25:39 Et le premier texte international
25:41 qui concerne ces espèces-là,
25:44 c'est la convention de 1902, déjà,
25:47 convention internationale pour la protection
25:49 des espèces d'oiseaux utiles à l'agriculture.
25:52 On est bien dans cette filiation.
25:55 Troisième thématique, on cherche à éviter
25:57 les extinctions d'espèces.
25:58 Et à l'époque, on a parfaitement conscience
26:00 que des espèces peuvent disparaître totalement
26:02 et que les humains en sont responsables.
26:05 A droite, je vous ai mis la photo naturalisée
26:09 du dernier pigeon migrateur qui est mort en 1914
26:12 dans un zoo aux Etats-Unis.
26:14 Le dernier représentant de son espèce,
26:15 c'est une femelle qui s'appelait Martha.
26:17 Et à gauche, une des pouilles du grand pingouin
26:20 qui, lui, est disparue, le dernier représentant
26:22 est disparu en juin 1844,
26:25 tué par des collectionneurs qui allaient le collecter
26:28 pour le mettre dans des muséums.
26:29 Et c'est comme ça que les derniers grands pingouins
26:31 ont disparu.
26:33 Donc c'est un sujet qui les préoccupe beaucoup.
26:35 Vous vous rappelez ma statistique tout à l'heure ?
26:38 1 million d'espèces sur les 8 millions à peu près connues
26:41 sont menacées d'extinction à notre époque.
26:44 Il s'agit pour eux aussi de réhabiliter
26:47 les espèces considérées comme nuisibles.
26:48 On en a parlé tout à l'heure.
26:51 Dès 1920, nos congressistes considèrent
26:54 que toutes les espèces sont légitimes à exister.
26:56 Ca ne veut pas dire qu'il ne faut pas les réguler
26:58 quand elles viennent trop gênantes pour les humains,
27:00 mais il faut surtout éviter de les faire disparaître
27:03 et plutôt considérer qu'elles ont une place
27:06 dans l'équilibre de la nature.
27:07 C'est comme ça qu'on dit à l'époque.
27:09 Et qu'il faut donc les gérer, mais avec prudence.
27:13 D'une certaine façon, il y a un équilibre dans la nature
27:15 qui dépasse le seul intérêt humain.
27:17 Il faut donc protéger toutes les espèces.
27:21 Pour réaliser cela, ils nous proposent
27:24 de créer des parcs nationaux qui ont différentes origines.
27:29 Les parcs nationaux ont une origine d'abord esthétique,
27:31 c'est le cas de Fontainebleau, j'en ai parlé tout à l'heure.
27:34 Une origine aussi, on va dire, touristique,
27:36 c'est le cas de Banff.
27:37 Vous voyez, le parc national de Banff au Canada
27:40 a donné lieu à la création d'hôtels.
27:42 Il s'agissait de permettre aux humains
27:45 de se rendre dans ces lieux-là pour s'y ressourcer,
27:48 pour puiser à une nature estimée vierge, estimée sauvage,
27:53 et du coup, s'améliorer.
27:54 Il ne s'agit pas de mettre en dehors de l'humain,
27:56 mais il s'agit de préserver une certaine image de la nature.
28:00 Ça a été le cas aussi, image de droite,
28:02 dans la Bérare, en 1913, en France,
28:05 dans le massif de Loisan.
28:07 Au-delà de ces parcs nationaux, qui ont des origines,
28:11 vous voyez, un peu variées,
28:12 il s'agit aussi de créer des réserves,
28:14 et ces réserves ont d'abord pour objectif
28:16 de protéger des espèces,
28:18 soit des espèces que l'on va utiliser ensuite,
28:21 c'est l'idée de la réserve de chasse ou de pêche,
28:23 soit des espèces qu'on estime menacées,
28:25 c'est le cas des réserves dites naturelles.
28:27 Je vous ai mis ici, à gauche, une tortue d'Hermann,
28:31 dont un vœu du Congrès,
28:32 recommander la création de réserves pour la protéger.
28:35 En France, ça a été fait en 2009,
28:38 avec la réserve de la Plaine des Morts,
28:39 qui a notamment été mise en place,
28:41 pour protéger cette espèce spécifiquement.
28:44 Vous voyez, une alerte en 1923,
28:46 une réalisation en 2009.
28:48 Mais il ne s'agit pas de protéger
28:51 que des espèces remarquables
28:55 ou des espèces rares,
28:57 il s'agit aussi, Rémy l'a rappelé tout à l'heure,
28:59 de s'intéresser à cette nature ordinaire.
29:01 Et dès les années 1920,
29:02 on propose à chacun, chaque citoyen,
29:05 de créer chez lui ce qu'on a appelé des sanctuaires,
29:08 c'est le terme de l'époque,
29:09 ou des refuges, terme de l'époque.
29:12 Je vous ai mis ici, à droite,
29:13 les exemples des refuges de la LPO,
29:15 inventés en 1920,
29:17 qui continuent à exister de nos jours,
29:19 et on recommande pour chaque adhérent de la LPO
29:23 d'installer des mangeoires, d'installer des nichoirs.
29:26 Et il ne s'agit pas de nourrir ou d'abriter des espèces rares,
29:30 non, non, il s'agissait de nourrir des mésanges,
29:32 mésanges bleues, mésanges charbonnières,
29:33 mésanges jupées.
29:35 Il s'agissait de loger les hirondelles,
29:36 les hirondelles de fenêtres qui nichent sur les bâtiments.
29:38 Donc on n'est pas sur une nature loin des humains,
29:41 on est sur une nature à proximité,
29:43 dont il faut aussi prendre soin.
29:46 Prendre soin parce que c'est utile à l'agriculture,
29:48 c'est ce qu'illustre l'image de gauche,
29:50 tirée d'un journal new-yorkais en 1918.
29:53 On voit bien les petits oiseaux
29:55 qui viennent protéger l'agriculture,
29:57 donc des humains,
29:58 des légions d'insectes qui veulent venir les ravager.
30:01 Donc on parle bien d'espèces qui sont utiles,
30:04 mais ça peut être aussi simplement
30:06 pour protéger leur beauté,
30:07 parce que, nous dit-on à l'époque,
30:09 les oiseaux viennent égayer par leurs champs
30:12 la morosité d'un certain nombre d'humains,
30:14 et ça permet d'accéder à un bien-être,
30:16 notamment psychologique.
30:18 Donc ce contact avec cette nature spontanée,
30:21 mais à proximité des humains,
30:23 est aussi dans l'intérêt des humains eux-mêmes.
30:28 Pour aller un peu plus loin,
30:31 ce congrès évoque la question de la nature en ville,
30:34 non pas comme on l'entend actuellement
30:36 avec l'angle des services écosystémiques,
30:39 le terme n'existe pas à l'époque,
30:40 mais vous savez qu'on nous dit
30:41 qu'il faut ramener de la nature en ville
30:43 pour créer, par exemple, des îlots de fraîcheur,
30:45 pour lutter contre les effets des changements climatiques.
30:49 Ici, on cherche à verdir la ville,
30:52 parce que ça permet d'assainir l'air.
30:56 On est sur des visions un peu plus hygiénistes,
30:59 mais on va aussi s'intéresser, encore une fois,
31:01 au bien-être des humains.
31:03 Je vous lis simplement la fin de la première citation.
31:06 Donc cette nature, cette verdure
31:08 tend à rafraîchir l'esprit inquiet et fatigué du citadin.
31:14 Et donc on recommande, deuxième citation,
31:16 de faire pénétrer la nature dans la cité,
31:18 de l'y protéger, de l'y développer,
31:20 parce que c'est ça qui peut améliorer la santé publique.
31:25 Donc on a aussi un souci porté à cette nature en ville.
31:29 Néanmoins, à cette époque-là,
31:32 il y a un certain nombre de sujets qui sont absents
31:36 ou qui sont, finalement, simplement émergents à l'époque.
31:40 Et c'est en cela que 1920, je vous le disais,
31:43 n'est pas la fin de l'histoire.
31:45 Ensuite, les choses ont continué à se transformer,
31:48 à s'enrichir, à se complexifier.
31:51 Et c'est le point que je vais développer maintenant,
31:53 rapidement, j'ai déjà écoulé mon temps, je pense,
31:56 et avec une recommandation pour les collègues chercheurs,
32:00 c'est d'étudier les manques,
32:02 d'étudier ce qui, à l'époque, n'était pas visible
32:04 ou ce qui était présent, mais qui n'était pas pris en compte.
32:09 Étudier les manques, ça permet de mieux comprendre
32:11 les enjeux de l'époque,
32:13 mieux comprendre aussi comment pensaient
32:15 les personnes de ces temps plus anciens.
32:20 Donc ici, vous reconnaissez un document
32:22 que Rémi Baud a montré tout à l'heure.
32:24 Et donc déjà, on commençait à s'intéresser un petit peu
32:28 à ce qu'on appelle désormais les continuités écologiques.
32:31 L'idée que les ouvrages humains pouvaient venir
32:33 fragmenter les écosystèmes
32:36 était déjà perceptible à l'époque.
32:39 Dans le congrès de 1923, c'est pas vraiment apporté,
32:41 c'est pas vraiment théorisé.
32:43 Donc on a quelques jalons qui peuvent exister,
32:45 mais qui sont pas encore pleinement conscientisés.
32:48 À droite, j'ai mis en exemple une manifestation citoyenne
32:53 en 1910 pour venir défendre les calanques,
32:57 à côté de Marseille.
32:58 Cette mode d'action avec la mobilisation citoyenne
33:01 existait déjà en 1910.
33:03 Elle n'est pas mise en avant dans le congrès de 1923
33:06 comme étant une façon d'amener des pouvoirs publics
33:09 à prendre en compte des enjeux de nature ou d'environnement.
33:13 Donc là, il y a effectivement des choses
33:15 qui se sont développées plus tard,
33:17 et Jean-Pierre Raffin pourrait nous en parler.
33:19 La mobilisation citoyenne, c'est des choses
33:21 qui vont se développer, notamment considérablement
33:24 à partir des années 1960.
33:27 Donc il y a effectivement des choses
33:28 qui étaient peut-être en germe précédemment,
33:30 mais qui vont prendre réellement leur puissance opérationnelle
33:33 qu'après la Seconde Guerre mondiale.
33:36 D'autres sujets sont invisibilisés.
33:39 La question des zones humides et de leur disparition,
33:42 que je vous ai mises ici en deux photos du même village,
33:44 une carte postale des années plutôt 1900-1910,
33:48 et une photo de notre époque.
33:50 On est au même endroit. Vous reconnaissez peut-être
33:51 les bâtiments derrière, on arrive à les comparer.
33:54 Et la mare, qui était bétonnée,
33:56 c'était une mare utilitaire au cœur du village,
33:58 a été remplacée par une route et par une vague pelouse.
34:02 Donc on a une disparition des zones humides
34:05 depuis longtemps, qui, normalement, était visible
34:08 dans les années 1920.
34:10 Ce qui a tué les mares, c'est l'eau courante,
34:13 c'est le robinet, mais qui n'est pas du tout pensée
34:16 par les congressistes. C'est-à-dire qu'il y avait
34:17 des phénomènes à leur époque dont ils n'avaient pas conscience
34:20 sur la destruction de la nature.
34:22 Et donc ce souci des zones humides
34:24 est apparu davantage dans les années 1950-1960
34:27 et s'est développé ensuite très fortement
34:29 à partir des années 1980-1990.
34:32 Vous voyez, donc, on est que les hommes de son temps,
34:34 et à cette époque-là, ils n'avaient pas forcément conscience
34:37 des dynamiques qui étaient en cours.
34:41 Autre sujet qui aurait pu être visible,
34:43 mais qui n'a pas été évoqué dans ce congrès de 1923,
34:46 c'est la question des pesticides.
34:49 Les pesticides apparaissent dès la fin,
34:51 je parle des pesticides chimiques et de synthèse,
34:53 apparaissent dès la fin du 19e siècle,
34:55 notamment aux Etats-Unis, vont être importés en France
34:58 dans l'entre-deux guerres.
35:00 Dès cette époque-là, rapidement, on s'aperçoit des ravages
35:03 qu'elles causent sur les pollinisateurs, par exemple,
35:05 ou sur tout un tas d'autres espèces,
35:07 y compris d'ailleurs pour les agriculteurs eux-mêmes.
35:10 Mais le sujet n'est pas mis en avant.
35:12 Il n'est pas mis en avant lors de ce congrès de 1923.
35:15 Il faut attendre Rachel Carson
35:17 pour avoir une vraie publicisation de ces sujets
35:21 autour des biocides, qui est identifié actuellement
35:25 comme étant l'enjeu majeur de la protection de la nature.
35:29 L'enjeu majeur.
35:30 Ici, il s'agissait avant tout d'arsenic.
35:33 C'est vrai qu'actuellement, on évite de dépendre
35:35 de l'arsenic dans les champs.
35:39 Autre question très importante, et j'en ai presque terminé,
35:41 c'est la question qui reste encore très ouverte,
35:43 des retombées de ce congrès de 1923.
35:46 Qu'est-ce qu'il a donné ?
35:48 Eh bien, à l'époque, pas grand-chose.
35:50 Notre collègue Michel Dupuis a fait une recension
35:53 des articles dans la grande presse française
35:55 paru à l'époque, et vous voyez, 1923,
35:57 un petit pic en matière d'articles,
36:00 mais on est sur une dizaine d'articles.
36:02 Une dizaine pour un événement qui se voulait international.
36:05 On aperçoit un deuxième pic en 1931.
36:07 C'est le deuxième congrès international
36:10 de protection de la nature,
36:12 qui est en même temps lié à l'exposition coloniale.
36:14 On voit que là, on monte un peu plus haut,
36:16 mais on a quoi, une vingtaine d'articles.
36:19 Entre les deux, il ne semble pas que le sujet
36:21 soit arrivé dans les agendas médiatiques
36:23 et se soit imposé dans la sphère publique.
36:29 Donc on a une bouffée en 1923, une autre en 1931,
36:33 et le soufflé retombe aussi vite.
36:35 Il faut attendre les années 50, 60
36:37 pour voir petit à petit, de façon plus durable,
36:40 ces sujets, protection de la nature et de l'environnement,
36:43 s'inscrire durablement dans les médias.
36:46 Et avec une croissance de ces sujets de plus en plus rapide
36:49 à la mesure de la prise de conscience des urgences.
36:52 Donc vous voyez, quel impact ce congrès a-t-il eu ?
36:56 C'est difficilement mesurable.
36:58 Deuxième question, quel impact a-t-il eu
37:01 pour les protecteurs eux-mêmes ?
37:03 Et là, le constat aussi apparaît assez tragique.
37:07 Dans les années 50, 60, les protecteurs de la nature,
37:10 pour la plupart d'entre eux,
37:12 pour l'immense majorité d'entre eux,
37:13 ne connaissent pas ce congrès de 1923.
37:16 Ils n'ont pas conscience qu'il y a eu cet événement-là.
37:19 Ils n'ont pas forcément conscience des actes.
37:22 Et donc, on peut s'interroger sur ce moment particulier,
37:26 quelles ont été ces conséquences directes
37:29 dans la structuration et l'internationalisation
37:32 du mouvement de protection de la nature.
37:33 Il y a sans doute nécessité d'avoir des études complémentaires
37:37 pour creuser ce sujet-là.
37:39 Il est clair que la Seconde Guerre mondiale
37:41 a représenté un moment de rupture assez net.
37:44 Et il a été difficile, ensuite, de retisser les liens,
37:47 même si c'est à Fontainebleau
37:49 qu'a été organisée la création
37:52 de l'Union internationale pour la conservation de la nature,
37:57 dont on a célébré dernièrement le 75e anniversaire.
38:00 Donc, il y a sans doute des parallèles à faire,
38:02 mais ils ne sont pas si évidents que cela.
38:06 Donc, on reste sur un congrès qui a été un jalon
38:10 qui apparaît comme étant important,
38:11 je pense l'avoir montré,
38:13 mais qui reste très méconnu.
38:15 On n'a pas réussi à répondre à cette question.
38:17 Est-ce qu'il s'agissait d'une charnière ?
38:20 Sans doute pas vraiment.
38:22 Est-ce qu'il s'agissait d'un non-événement ?
38:23 Sans doute pas non plus.
38:25 Il y a des éléments importants qui ont été évoqués.
38:27 On s'interroge toujours de savoir
38:29 si les éléments qui ont été présentés à l'époque
38:32 comme étant des audaces restent fondatrices
38:34 ou elles demeurent plutôt des éléments isolés
38:37 sans véritable suite.
38:40 Donc, il y a encore un travail important à faire
38:42 sur ces origines variées de la protection de la nature
38:45 qui ont besoin d'être questionnées.
38:48 Et je terminerai avec une citation de Raoul De Clermont,
38:51 que je vous ai présentée tout à l'heure,
38:53 qui écrit cela en 1922 au moment où il convoque
38:55 les défenseurs de la nature pour ce congrès.
38:58 Il écrit ceci.
38:59 "Tous les amis, tous les défenseurs de la nature
39:01 "doivent se grouper pour élever la voix,
39:04 "rédiger des protestations efficaces
39:05 "et exercer une action protectrice
39:07 "qui sauvegarde pour l'avenir
39:09 "notre patrimoine naturel."
39:11 Écoutez, Elisabeth Borne, lundi 27 novembre,
39:15 n'a pas dit autre chose
39:16 quand elle a présenté
39:18 la stratégie nationale biodiversité qu'elle a adoptée.
39:21 Elle a repris quasiment les mêmes termes 100 ans après.
39:25 Je vous remercie.
39:27 (Applaudissements)
39:29 (...)

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