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Le géohistorien Christian Grataloup raconte dans son livre “Le Monde dans nos tasses : l'étonnante histoire du petit déjeuner” (Dunod) comment la mondialisation et la colonisation ont transformé les usages occidentaux en la matière.

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Transcription
00:00 Et le grand entretien d'Inter ce matin avec Marion Lourdes, nous avons le bonheur de recevoir
00:05 le plus historien des géographes, il est professeur émérite à l'université Paris
00:10 d'Hydro, auteur où il a dirigé des ouvrages de référence, un atlas historique mondial,
00:15 un atlas historique de la France, puisqu'il prouve que la meilleure façon de raconter
00:20 le monde, c'est souvent par la géographie.
00:24 La preuve par une géopolitique du petit déjeuner qu'il publie dans la petite collection
00:30 poche de chez Duneau, le titre "Le monde dans nos tasses, l'étonnante histoire du
00:35 petit déjeuner".
00:36 Alors, amis auditeurs, que vous soyez thé, café ou chocolat, vos questions, vos réactions
00:42 au 01 45 24 7000 ou sur l'application France Inter.
00:46 Bonjour Christian Grattaloup.
00:47 Bonjour, bonjour à toutes et à tous.
00:49 Et bienvenue, c'est absolument passionnant de s'intéresser au petit déjeuner comme
00:54 vous le faites.
00:55 Quand le petit déjeuner devient petit, le monde était devenu grand.
00:59 Vous allez nous expliquer cette phrase.
01:01 Vous faites une géopolitique du petit déjeuner, comment est-ce qu'on s'y prend pour faire
01:06 un travail pareil à partir d'un rite quotidien qui a l'air totalement anodin ?
01:10 C'est une surprise de réaliser que ce à quoi on ne pense pas à une histoire, qui
01:19 n'est pas très vieille, elle a trois siècles, en tout cas, ça fait trois siècles qu'on
01:21 qualifie le déjeuner de "petit" en France.
01:25 Et c'est quelque chose qui, dès qu'on soulève notre tasse, on se dit "mais oui,
01:31 c'est mondial".
01:32 Parce que le thé, le café, le chocolat, ça ne pousse pas à côté, ça ne pousse
01:34 pas autour de la maison de la radio.
01:35 Et le sucre de canne non plus ne pousse pas.
01:38 Donc c'est un rapport entre ce qu'on appellerait aujourd'hui le Nord et le Sud.
01:41 Alors justement, on va y venir à cette géopolitique du petit déj.
01:44 La tasse comme objet, monde, c'est aussi quelque chose dont on va parler, Christian
01:49 Grattalou.
01:50 Mais depuis quand est-ce qu'on parle de petit déjeuner pour décrire ce repas matinal ?
01:54 Il y a les misérables, Victor Hugo, les petits gens qui dînent le midi…
01:58 Oui, d'ailleurs, quand j'étais gosse, dans un milieu à la fois promotional et
02:03 populaire, je dînais le midi et je soupais le soir.
02:05 Et d'ailleurs, si vous allez en Belgique, au Canada, au Québec ou en Suisse, Romande,
02:10 c'est la même chose, faut se méfier.
02:13 Alors d'où vient le mot "petit déjeuner" ?
02:14 L'adjectif "petit" a été accolé à déjeuner à Paris, au début du 19ème siècle.
02:21 Au tout début du 19ème siècle.
02:22 La pratique de ce qu'on appelle le petit déjeuner, avec thé, café, chocolat, ça
02:27 remonte au début du 18ème siècle, dans les grandes villes européennes d'Europe de
02:31 l'Ouest, Londres, Amsterdam, Paris.
02:32 C'est-à-dire celles qui étaient en rapport avec les marchés tropicaux, les plantations.
02:37 Donc, on a là quelque chose qui est un rite nouveau, qui est apparu et qui s'est assez
02:42 vite diffusé dans l'ensemble de la population, qui a supplanté le repas traditionnel où
02:47 on mangeait des choses traditionnelles le matin, de la soupe pour l'essentiel.
02:50 Il y avait bien sûr un repas du matin qui rompait le jeûne, qui était donc un déjeuner.
02:54 Et comme petit à petit il s'est dédoublé ce déjeuner en prenant d'abord des boissons
02:59 tropicales, pour ceux qui en avaient les moyens, on l'a appelé "petit".
03:02 Petit déjeuner, il y avait un grand déjeuner, on employait encore cette expression au début
03:05 du 19ème, et puis ensuite le grand a disparu.
03:08 Et alors, quelle est la spécificité du petit déjeuner par rapport aux autres repas, en
03:13 dehors de son horaire ? Vous dites qu'il est moins collectif, la boisson est au centre,
03:17 il y a un choix d'aliments plus restreint, portrait robot du petit déjeuner ?
03:21 La plupart d'entre nous, on prend la même chose chaque matin.
03:23 Tandis que chaque midi et chaque soir, on ne prend pas la même chose.
03:28 L'idée de "qu'est-ce qu'on mange aujourd'hui ?" ne se pose pas le matin.
03:32 Donc, ça c'est la différence essentielle.
03:35 Ce qui fait d'ailleurs que c'est devenu un buffet, avec la question "thé, café
03:37 ou chocolat" n'est plus posé par un maître d'hôtel maintenant, puisque c'est automatique,
03:42 on sert soi-même.
03:43 Vous dites aussi qu'au départ, il y a un enjeu de santé dans le petit déjeuner.
03:45 Il y a un enjeu alimentaire, tout simplement.
03:48 Après le jeûne de la nuit, il faut effectivement manger, il faut boire, d'ailleurs c'est
03:53 toujours plus liquide, même dans les repas les plus traditionnels, parce qu'on a un
03:56 déficit en eau pendant la nuit.
03:57 Mais pour l'essentiel, oui, c'est quelque chose qui est devenu un repas très codifié,
04:05 très automatique, et d'autant plus qu'on n'a pas forcément beaucoup de temps, et
04:08 surtout depuis le 19ème siècle, on a inventé le réveil matin, l'emploi du temps, l'horloge
04:12 partout.
04:13 Et il a failli s'appeler "chocolat", c'est ce que vous racontez, c'est drôle.
04:16 Au début du 18ème siècle, le région, tout le 18ème, est passionné de chocolat.
04:21 Et donc on a pris beaucoup de chocolat, et entre autres le matin, ce qui fait que ça
04:25 a pu s'appeler chocolat.
04:26 Dans le tableau de boucher qui est au Louvre, qui s'appelle "Le Déjeuner", pas encore
04:30 le petit déjeuner, c'est probablement du chocolat.
04:34 Décrivez-le d'ailleurs ce tableau.
04:36 Ah oui, c'est le peintre Boucher qui avec sa femme et sa belle-soeur et leurs enfants,
04:42 ce qui est nouveau d'ailleurs au 18ème siècle, de représenter les enfants en famille, il
04:46 est en train à 8h du matin, il y a une horloge, il est en train de prendre une collation avec
04:51 un récipient qui est une sorte de théière, ou probablement une chocolatière d'ailleurs,
04:56 peut-être du café.
04:57 Et c'est un rite nouveau.
05:00 Alors sur le plan d'ailleurs pictural, ça ressemble à un tableau hollandais, mais c'est
05:04 quelque chose qui montre un rite social nouveau.
05:06 Et c'est le 18ème siècle.
05:07 Et c'est donc un moment de l'histoire qui est très particulier.
05:10 Il faut lire ce livre qui est passionnant parce que vous dites "Le petit déjeuner
05:13 est né au Nord avec des produits du Sud.
05:16 Sans la mondialisation, pas de petit déjeuner.
05:19 Le cacahuillé est un arbre américain, le thé est un arbuste asiatique, le café est
05:23 un arbre africain".
05:24 Qu'est-ce que ça raconte justement de l'histoire, notamment de la colonisation, Christian Grattel
05:29 ou ce qui se passe dans notre tasse ?
05:31 Oui, ça raconte même la raison de la colonisation.
05:35 Parce que quand ce qu'on appelle plus les grandes découvertes, ces grands voyages que
05:38 les Européens ont fait au 15ème-16ème siècle, c'est pas les voyages en soi, la curiosité,
05:44 il y a des tas de peuples qui l'ont eu, mais c'est le deuxième voyage qui est toujours
05:47 important.
05:48 Le deuxième de colonisation.
05:49 Parce que c'est celui où on retourne et on décide d'y aller, on décide de coloniser.
05:53 Pourquoi les Européens allaient dans des régions tropicales ? Parce que les régions
05:57 froides les intéressaient médiocrement, à part pour les fourrures.
06:00 Dans les régions tropicales, c'était de pouvoir se procurer ce qu'ils appelaient
06:04 les épices, c'est-à-dire des produits qu'ils ne pouvaient pas faire pousser chez eux parce
06:08 qu'il y a de l'hiver.
06:09 Donc la cale à sucre avant tout.
06:10 Et puis ils ont découvert en Amérique le chocolat.
06:13 Quand ils l'ont mélangé avec du sucre, le cacao est devenu chocolat.
06:16 Ça, ça a été formidable.
06:17 Ils ont découvert le café, mais ça c'est les Italiens en Méditerranée, c'est un
06:21 voisin le café, puisque ça vient d'Arabie, enfin c'est originaire d'Afrique et c'est
06:25 passé par le Mocha.
06:26 Et puis le thé, lui, c'est les compagnies des Indes orientales qui l'ont ramené de
06:30 Chine.
06:31 Mais tout ça s'est fait au 17ème et au 18ème, on s'est mis à les consommer massivement.
06:35 En particulier le chocolat qui est vraiment la boisson du 18ème.
06:38 Et si on vous résume, Christian Grattalou, le Sud produit les ingrédients du petit déjeuner
06:42 et notamment ses boissons pour le Nord.
06:45 Je vous cite l'émergence du petit déjeuner et bien la conséquence de la mainmise européenne
06:49 sur les régions tropicales.
06:50 C'est encore le cas aujourd'hui ?
06:51 Aujourd'hui, thé, café, chocolat sont consommés massivement au Nord.
06:56 Si vous faites la carte des principaux consommateurs de café, de thé, alors thé c'est à part,
07:04 mais de café et de chocolat, ce sont tous des pays du Nord, sauf un qui est un grand
07:08 consommateur qui est le Brésil, qui est aussi le premier producteur.
07:10 Ça c'est une exception ?
07:12 Oui, parce que le petit déjeuner s'appelle café du matin au Brésil.
07:16 Et puis les producteurs sont tous au Sud.
07:19 Il ne faut pas oublier quand on a parlé du XVIIIe siècle où tout s'est mis en place,
07:23 que c'est aussi le grand moment fondamental de la traite négrière.
07:27 De l'esclavage.
07:28 Au dos de la cuillère, il y a l'esclavage et les plantations, écrivez-vous Christian
07:33 Grattalou.
07:34 Au XVIIIe siècle, le petit déjeuner, ça n'est rien moins, enfin, ce n'est pas du
07:38 tout innocent.
07:39 Non, c'est la création d'un monde inégal, hiérarchisé, qui n'existait pas avant,
07:42 où il n'y avait pas de différence entre Nord et Sud.
07:45 C'est l'invention de ce phénomène du Sud, dont on a mal saisi en général la coïncidence
07:50 avec les régions chaudes.
07:51 Mais c'est parce qu'on avait besoin de ces produits tropicaux et éventuellement
07:54 ce qui permettait de les financer, c'est-à-dire de l'or.
07:56 Oui bien sûr.
07:57 Et donc on va maintenant passer à quelque chose de frappant, c'est que quand ça rentre
08:01 dans la culture, ça devient des tableaux, vous nous en parliez à l'instant, ça devient
08:05 aussi de la musique.
08:06 Qu'est-ce qu'on écoute là ?
08:13 La cantate de Bach.
08:14 La cantate du café de Bach.
08:15 Oui bien sûr.
08:16 Et ça c'est une critique.
08:17 Oui, enfin c'est une critique de la mode.
08:18 Pleine d'ironie de l'addiction au café.
08:19 C'est une plaisanterie, une sorte de petit opéra bouffe sur l'addiction au café
08:27 de la fille, la soprane, qui dit qu'elle ne peut pas se passer ses trois tasses de
08:31 café par jour.
08:32 Ce qui suppose que ces bourgeois de Leipzig avaient des moyens.
08:34 Justement c'est 1735 je crois.
08:38 Et que son père, qui est à la basse, lui au contraire critique et trouve que sa fille
08:44 coûte cher d'ailleurs.
08:45 Et Mozart aussi s'est saisi de ce sujet.
08:47 Donc là on entend la servante des spiagges.
08:58 C'est la servante qui prépare le chocolat.
09:02 Oui mais parce qu'au 18ème le chocolat a la réputation du viagra.
09:04 Ce n'est pas une boisson d'enfant.
09:06 C'est à ce moment-là.
09:07 C'est fin 19ème qu'il devient la boisson des enfants.
09:09 On pense que c'est un dopant.
09:12 Casanova dit que le champagne c'est bien pour mettre, la formule est jolie, ses dames
09:16 en condition.
09:17 Il n'y a pas mitout.
09:18 Donc il dit que le chocolat c'est beaucoup mieux.
09:22 Et elle, elle se plaint de ne pas pouvoir en boire la servante.
09:25 Et la servante, oui d'ailleurs, elle n'a que l'odeur.
09:26 C'est une irapair sociale.
09:29 Elle, elle ne peut pas.
09:30 D'ailleurs elle finira quand même par le boire.
09:31 Je viens de la plupart des météorologues.
09:32 Donc ça montre bien le côté bourgeois de la tradition du petit déjeuner au départ.
09:36 Oui, au départ on comprend bien que des plantes qui viennent de loin, qui ont été
09:40 produites dans des conditions très coûteuses que sont les plantations, et très dures bien
09:44 sûr, c'est quelque chose qui n'est réservé qu'à une élite sociale.
09:48 Mais ça se diffuse très vite.
09:50 La révolution française, y compris les sans-culottes, ont fonctionné au café.
09:53 C'est vraiment la boisson politique.
09:56 Alors la boisson, elle a un contenant.
09:58 La tasse, c'est un objet monde.
10:00 Pourquoi ?
10:01 Ah oui, j'aime beaucoup d'ailleurs partir des anses de tasse.
10:05 Parce que c'est un objet européen, l'anse.
10:08 Mais la tasse, elle, est un objet chinois.
10:09 Elle vient de Chine.
10:10 Oui, la Chine, elle, est le plus ancien, plus encore que le chocolat qui est lui-même
10:15 multimillénaire.
10:16 C'est celui qui a inventé la boisson chaude du thé et toute une culture, qui est digne
10:22 de l'idéologie, comme le vin, autour du thé.
10:26 Et la tasse, le thé, et donc la tasse, la théière, se sont diffusées, y compris jusqu'en
10:31 50 ans, au 5ème, 7ème siècle de notre ère.
10:34 Et c'est là qu'ils ont progressivement, au 12ème, 13ème siècle, rencontré un concurrent,
10:38 qui était le café.
10:39 Et dans quoi a-t-on bu le café ? Dans les tasses.
10:42 Tassa, qui est un mot italien qui vient de l'arabe, c'est quelque chose dans lequel…
10:46 Mais c'est des tasses sans anse.
10:47 C'est les européens qui ont inventé la sous-tasse et l'anse pour en faire un rite,
10:53 qui n'est pas celui qui était celui des chinois.
10:56 Mais au départ, vous avez cette diffusion mondiale de la tasse.
11:00 Et vous racontez que la porcelaine, c'est avant tout un choix logistique, c'est lié
11:04 à la navigation, c'est ça ?
11:06 Les grandes frégates des compagnies des Indes qui rentraient de cantons où elles
11:10 avaient été achetées dès le 18ème siècle du thé, mais aussi de la soie, il fallait
11:14 les lester.
11:15 Et c'était de la porcelaine pas chère que leur vendaient les chinois, ils mettaient
11:19 à fond de cale, c'est bien lourd, et ça permettait de lester les navires.
11:22 Et puis on s'est intéressés à cette faïence, si j'ose dire, extrêmement translucide,
11:27 et on a cherché à l'imiter, on a fini par réussir à Myson dans 1720 à faire de
11:33 la porcelaine.
11:34 C'est de l'espionnage industriel qui a réussi, les jésuites ont joué un rôle
11:38 d'ailleurs dans l'affaire.
11:39 C'est assez amusant parce qu'il y a de nombreux messages d'auditeurs sur l'appli
11:42 France Inter, en l'occurrence Grégory, Jean, Béatrice par exemple, vous disent que leur
11:47 repas préféré c'est le petit déjeuner.
11:49 Chacun décrit le sien, fruits, fromage pour l'un, chicorée pour l'autre, des oeufs
11:53 de temps en temps, ils ont une forme de passion et de joie à parler de ce moment-là, alors
11:59 que vous, vous écrivez qu'on vit peut-être un moment particulier qui serait la fin du
12:04 petit déjeuner, Christian Grattaloup.
12:06 Le petit déjeuner au sens effectivement de petit, c'est-à-dire thé, café, chocolat.
12:10 D'ailleurs vous venez de décrire un certain localisme dans les consommations sur la chicorée
12:14 par exemple, qui remonte au blocus continental de Napoléon.
12:19 Quand on ne pouvait plus importer de café, alors on a essayé de trouver des substituts
12:24 et c'est la chicorée qui est apparue à ce moment-là, comme la betterave pour le
12:28 sucre.
12:29 Et alors le match, thé, café, chocolat, si on vous lit bien, c'est le café qui
12:33 a gagné à ce jour.
12:34 Plus international, répandu dans les pays industrialisés, plus de volume de café vendu.
12:38 Mais le plus bu c'est le thé ?
12:41 Alors oui, parce que la différence du chocolat et du café qui sont produits dans les continents
12:49 qui ne sont pas ceux d'origine, le café maintenant est produit surtout en Amérique,
12:52 Brésil, Colombie, au Vietnam également, alors qu'il est africain d'origine.
12:55 Et le chocolat qui est américain d'origine est produit surtout en Afrique.
12:59 Tandis que le thé, il est le premier producteur, mais le premier consommateur au monde, c'est
13:03 la Chine.
13:04 Donc bien sûr, le thé que l'on boit ici par exemple, c'est souvent du thé qui
13:10 vient du Kenya, qui est lié à la colonisation anglaise de l'océan Indien et qui a provoqué
13:18 quelque chose digne des traites négrières, enfin indigne des traites négrières, qui
13:22 est les coulis, le système des coulis, qui est un esclavage du 19ème siècle dans l'océan
13:26 Indien.
13:27 On est en ligne avec Cécile, bonjour Cécile !
13:30 Bonjour, bonjour à tous les coups !
13:32 Et merci, bienvenue dans le Grand Entretien Inter avec Christian Grattaloup !
13:36 Bonjour monsieur !
13:37 Bonjour, bonjour Cécile !
13:38 Vous avez un témoignage !
13:39 Oui, alors c'est joyeux ! C'est capital le petit déjeuner, ça conditionne toute
13:46 la journée, je prends du thé vert dans une tasse en porcelaine, avec une anse, du
13:53 fromage décrudité et je prends surtout mon temps et quand je travaillais et que je prenais
13:59 l'avion le matin, je prenais deux heures supplémentaires comme tous les jours pour
14:05 prendre mon petit déjeuner dans le camp, la joie, la bonne humeur et France Inter à
14:10 côté !
14:11 Merci, merci Cécile !
14:12 Mais moment sacré, moment sacré, donc vraiment rituel quotidien, Christian Grattaloup, parce
14:18 que vous racontez l'histoire, vous racontez le monde à travers des pratiques, des mobilités,
14:26 des cartes et ça c'est quelque chose de très curieux comme manière d'approcher
14:31 la question historique, raconter l'histoire à travers des cartes !
14:35 Oui, c'est ce qu'on appelle la géo-histoire, c'est-à-dire que si on ne tient pas compte
14:39 de la situation, de la position géographique des choses, les unes par rapport aux autres,
14:43 il y a la distance, l'éloignement, je viens de voir combien ça coûtait cher au 18ème
14:46 et puis aussi sur les milieux naturels par rapport auxquels ils sont, bon il fallait
14:50 des régions sans hiver, et bien vous ne comprenez plus rien.
14:53 Donc si vous cartographiez, si vous localisez sérieusement, bref si vous faites des atlases
14:58 comme je le fais ou si vous les lisez, oui là on comprend beaucoup mieux, on a besoin
15:02 de rendre terrestre et dans notre, la dernière fois que j'étais venu rendre entretien,
15:07 c'était pour parler de la place historique de la Terre, et la Terre c'était justement
15:12 quelque chose sur lequel on est terriblement amnésique, et toutes les mémoires de notre
15:16 Terre, et aujourd'hui où on se préoccupe de notre planète, de son état, de ce qu'on
15:20 lui fait, et bien si on ne la met pas dans une situation historique, si on ne fait pas
15:23 ce raisonnement géo-historique, on ne comprend plus rien et on est amnésique.
15:27 Et vous publiez d'ailleurs une géo-histoire aux éditions Les Arènes, c'est un livre
15:30 qui est une somme, une autre histoire des humains sur la Terre, qu'est-ce que ça
15:34 raconte ? La meilleure manière de raconter le monde, je le disais en commençant, c'est
15:38 la géographie, mais en l'occurrence c'est une histoire globale, c'est ça l'objectif
15:44 que vous, vous avez dans vos recherches.
15:46 Globale, si vous prenez ça en source de globe terrestre, oui, je suis tout à fait d'accord.
15:49 Oui, oui, c'est une histoire où il s'agit de prendre l'ensemble des humains et de
15:53 voir cette tension qu'il y a entre le fait qu'ils sont fractionnés en sociétés,
15:57 le pluriel de sociétés, et au contraire qu'il n'y ait qu'une humanité, et qu'une
16:01 seule planète.
16:02 En souriant et avec de la naïveté, parce que c'est vrai que l'histoire, on la
16:06 raconte souvent à travers les personnages illustres, on raconte aussi l'histoire
16:10 des guerres, on raconte l'histoire des conquêtes par exemple, vous, vous partez
16:14 donc des cartes, des mobilités.
16:16 Oui, mais aussi de petits personnages illustres que sont des objets parfois significatifs.
16:20 On a vu l'Anse de Tasse il y a un instant, j'aime beaucoup l'aiguille à chat, l'aiguille
16:24 à coudre.
16:25 Sans l'aiguille à coudre, qui est une invention du paléolithique, il y a au moins plus de
16:29 20 000 ans, on en connaît des très anciennes, on n'aurait pas peuplé l'Amérique parce
16:34 qu'on n'aurait pas pu coudre des vêtements.
16:35 Si vous ne pouvez pas coudre des vêtements…
16:37 Expliquez-nous ça.
16:38 Pour peupler l'Amérique, il a fallu passer par ce qu'on appelait rétrospectivement
16:42 la Béringie, c'est-à-dire le détroit de Béring émergé.
16:44 On a pu caboter aussi, mais de toute façon…
16:46 Le détroit de Béring, c'est…
16:48 Tout au nord…
16:49 L'Alaska, c'est ce qui se sépare…
16:50 Voilà, entre l'Alaska et la Sibérie, c'est tout au nord de l'océan Pacifique.
16:54 Il fait très froid.
16:56 Et il faisait encore plus froid puisque c'était une période glaciaire.
16:58 Or, les hommes sont passés.
17:00 S'ils n'étaient pas habillés de manière serrée, vêtus, pas drapés, sans aiguilles
17:05 à chat, l'Amérique n'aurait pas été peuplée.
17:07 Et colons, ils seraient bien arrivés en Amérique, mais vierges.
17:09 Et votre géohistoire raconte beaucoup de choses.
17:13 Par exemple, l'histoire du thé, si on revient à votre histoire du petit-déjeuner, elle
17:17 est édifiante parce qu'elle montre déjà la dissymétrie dans le commerce international
17:20 avec la Chine, par exemple.
17:22 C'est intéressant à noter alors qu'on attend le président chinois en visite aujourd'hui.
17:26 A l'époque déjà, vous le dites, la Chine était le seul exportateur de thé et n'importe
17:31 aiguère, la compagnie des Indes était condamnée à d'énormes sorties de capitaux.
17:35 Donc déjà à l'époque…
17:37 Tout à fait.
17:38 Ces capitaux jouent un grand rôle.
17:40 Mais d'abord, c'est une histoire bien plus ancienne que le petit-déjeuner.
17:43 C'est ce que Fernand Brunel appelait le « puits d'argent » qu'était la Chine.
17:46 Tout l'argent finissait par converger vers la Chine.
17:49 Ce n'était pas une histoire nouvelle.
17:51 Et en particulier, l'argent d'Amérique que les Espagnols vont ramener va transiter
17:56 par l'Europe et beaucoup l'enrichir, mais aussi transiter par ailleurs.
17:58 Et finalement, c'est largement en Asie qu'il termine, et particulièrement en Chine.
18:02 Parce que c'est de là qu'on va extraire ces produits dont consomment les Européens.
18:06 Et ce phénomène va effectivement être lié à la demande de thé qui explose en Europe,
18:15 et particulièrement en Angleterre, au XVIIIe siècle.
18:18 Mais les Chinois vendent, mais n'achètent pas.
18:21 L'excédent de leur balance commerciale, c'est un nouveau.
18:24 Pourquoi ils n'achètent pas ?
18:25 Parce que les objets européens ne les intéressent pas.
18:27 Ils les refusent.
18:28 Et ça, c'est une très longue histoire.
18:31 Ah oui, très très ancienne.
18:33 Ce monde immense qu'est la Chine se suffit à lui-même, y compris dans sa propre idéologie.
18:39 Et là, vous étiez en train d'achever un travail sur ?
18:43 Je termine avec l'astronome Pierre Léna, un atlas historique du ciel.
18:47 Et la Chine a refusé l'astronomie européenne.
18:50 C'est un élément fort, pratiquement jusqu'à Mao Tse-tung compris.
18:53 Donc vous avez là une opposition de la Chine au monde.
18:57 C'est assez normal que la société la plus gigantesque qu'il y ait parmi les sociétés,
19:01 finalement, elle tienne le monde à distance.
19:03 Alors que les plus petites, au contraire, sont beaucoup plus mondiales.
19:06 Alors on a pas mal de questions sur l'appli, je voudrais vous les poser avant qu'on termine.
19:09 Sur le sucré et le salé.
19:10 Grégory qui dit "les Français sont un des seuls pays dans le monde à prendre un petit
19:13 déjeuner sucré.
19:14 Pourquoi ?"
19:15 Et Catherine qui demande comment on est passé du salé au sucré.
19:17 Le sucré c'est facile.
19:20 On est passé au 18ème siècle pour les plus riches.
19:23 Parce que le sucre c'est cher jusque là.
19:24 Il n'y en a pas beaucoup.
19:25 En dehors du miel.
19:26 Et le miel, malgré tout, c'est quand même rare.
19:27 Donc accéder à du sucre de masse, c'est seulement au 19ème siècle avec la mélasse
19:32 puis le sucre de Petrave qu'on va pouvoir le faire.
19:34 Et là, il va y avoir surconsommation de sucre.
19:36 Puisque vous savez que c'est les plus pauvres qui sont les plus obèses.
19:40 Et puis par exemple, cette histoire qui permet de comprendre comment passent des croissants
19:44 multinationales.
19:45 Il faut lire le monde dans nos tasses.
19:48 L'étonnante histoire du petit déjeuner.
19:49 C'est passionnant Christian Gratalus.
19:50 C'est publié chez Duneau en poche.
19:53 Et la géohistoire, une autre histoire des humains sur la terre, c'est publié aux
19:57 arènes.
19:58 Merci infiniment d'avoir été l'invité d'Inter.
20:00 A suivre la Reboucle.

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