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JUL, dessinateur, et auteur de bande dessinée, et Aïtor Alfonso alias “Sauce gribiche”, critique culinaire, professeur de littérature et scénariste, présentent “La Faim de l’Histoire. Une histoire du monde par la gastronomie. Tome I” (Dargaud).

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Transcription
00:00 France Inter, Alibado, Marion Lourds, le 6/9.
00:06 Une histoire du monde par la gastronomie, ce matin dans le Grand Entretien, c'est l'ambition
00:11 folle et ambitieuse d'un livre qui vient de paraître, et c'est drôle ! Un album illustré
00:15 et passionnant, on y apprend des tas de choses.
00:18 Le titre, « La fin de l'histoire », ça vient de paraître chez Dargo.
00:22 Vos questions, chers auditeurs, intervenez au 01 45 24 7000 ou sur l'application France
00:28 Inter, avec Marion Lourds, nos invités sont Jules et Heitor Alfonso.
00:32 Bonjour à tous les deux !
00:33 Bonjour !
00:34 Et bienvenue Jules, dessinateur, auteur de BD et combien de best-sellers, à commencer
00:38 par Silex and City.
00:41 Heitor Alfonso, vous êtes critique culinaire des dizaines de milliers de followers sur
00:46 les réseaux avec un pseudo « Sauce Gribiche » qui est assez formidable comme pseudo.
00:51 Il en met partout !
00:52 Il en met partout ! Vous avez eu du plaisir à faire ce livre, vous avez travaillé et
00:56 vous le disiez, juste avant d'entrer dans ce studio, Jules, au resto.
01:00 Mais oui, parce que je ne connaissais pas Heitor Alfonso.
01:02 Alors moi, je suis auteur de BD, un peu humoristique, j'avais déjà fait un livre hybride autour
01:06 de la philosophie avec Charles Pépin, que les auditeurs de France Inter connaissent
01:10 bien, « 50 nuances de grec » et « La planète des sages ». Et Heitor, critique gastronomique
01:16 et aussi chercheur, un peu universitaire de formation.
01:19 Vous êtes tous les deux universitaires de formation.
01:21 Exactement, mais alors un peu défroqué malgré tout, il m'a proposé justement de raconter
01:26 l'histoire du monde par ce prisme de l'assiette.
01:28 Il m'a dit « Est-ce que tu sais ce qu'on mangeait à Woodstock pendant le festival ?
01:32 Est-ce que tu sais ce qu'on mangeait à Pompéi avec les Romains avant l'éruption du volcan ? »
01:35 Et cette chose-là a déclenché ce livre, finalement, qui est une promenade à travers
01:39 les temps de Lascaux à la Station Spatiale Internationale, à travers ce qu'on mangeait
01:44 et ça raconte vraiment tout de nous, finalement.
01:46 Et en passant par les Vikings, en passant par la géographie, parce que c'est aussi
01:49 un voyage dans l'espace, si l'on songe à l'Inde, si l'on songe à la Chine, on va y revenir.
01:53 C'est ça, manger avec Gandhi, avec les Touareg.
01:54 Jésus.
01:55 Avec Jésus, alors manger, c'est intéressant, manger avec Jésus et les apôtres.
01:59 Et les apôtres, alors il y a la Seine.
02:02 Que mangeait Jésus ? La Seine, c'est quand même le repas le plus
02:05 célèbre au monde.
02:06 On s'est posé cette question, mais qu'avait-il à cette table ?
02:08 Oui.
02:09 En fait, ce qui se passe, c'est que Jésus balaye les vieux interdits alimentaires des
02:12 Juifs dont il est issu, évidemment.
02:13 Il dit « Non, non, les chrétiens pourront manger de tout.
02:17 » C'est un peu le McDonald de l'Antiquité, c'est-à-dire Jésus, c'est « Venez comme
02:20 vous êtes ». Et là, c'est un choc anthropologique majeur.
02:23 Non, mais c'est passionnant, parce que ça veut dire que le christianisme flambant neuf,
02:27 vous l'écrivez, veut être une religion pour tous.
02:29 Et ça passe notamment par ce qu'on met dans son assiette au cours de la Seine.
02:33 Et évidemment, on a tous en tête le tableau de Léonard de Vinci, dont vous êtes inspiré
02:37 pour la couverture, Jules.
02:38 Oui, absolument.
02:39 Jésus a une phrase dans les évangiles où il dit « Ce qui est impur chez l'homme,
02:44 ce n'est pas ce qui rentre dans sa bouche, mais ce qui en sort ».
02:46 Waouh, le choc !
02:47 Donc en fait, ce n'est pas tel ou tel aliment interdit, c'est les mauvaises paroles et les
02:51 mauvaises pensées.
02:52 Donc sur cette base, le christianisme est un prosélytisme par l'estomac, en quelque
02:56 sorte.
02:57 Balaye l'idée d'interdit alimentaire, ouais.
02:58 Balaye l'idée d'interdit alimentaire, on va faire un petit tour du monde, mais c'est
03:02 assez fascinant de voir en fait que vous êtes remonté jusqu'à Cro-Magnon, jusqu'à l'Antiquité
03:06 pour ça.
03:07 L'Antiquité.
03:08 Bien avant l'Antiquité, mais il y a aussi un passage par l'Antiquité et par Cléopâtre.
03:12 Mais la préhistoire, qu'est-ce qu'on apprend quand on étudie ce que mangeaient les Cro-Magnons ?
03:17 Eh bien on apprend que contrairement à la représentation qu'on en a, ce n'est pas des
03:20 sauvages qui mangeaient des steaks de mammouths à longueur de journée.
03:23 En fait, ils ont une alimentation beaucoup plus omnivore et qu'à Lascaux précisément,
03:27 on chasse très peu le mammouth, on chasse beaucoup le renne, parce qu'à l'époque,
03:30 c'est une époque froide, il y a beaucoup de renne à Lascaux.
03:32 Et en fait, ils sont déjà très omnivores, ils ont des préparations d'herbes, des assaisonnements,
03:38 etc.
03:39 On a retrouvé tout un tas d'éléments dans les dents des crânes qui permettent aux
03:43 historiens sur lesquels on a basé cette BD d'aller très loin dans l'analyse.
03:47 Justement, Etienne Alfonso, le livre est savoureux, sans mauvais jeu de mots.
03:52 C'est aussi quand même un livre scientifique.
03:53 Vous avez des sources.
03:55 Alors est-ce que c'est facile sur un sujet qui peut sembler aussi trivial de trouver
03:58 des sources ?
03:59 Il y en a parce qu'en fait, la recherche sur l'histoire de l'alimentation est très
04:02 à la mode depuis 30 ans.
04:03 Il y a beaucoup de recherches, elle est très dynamique.
04:04 Ça, c'est basé sur tout un tas de sources que je cite à la fin de la BD.
04:08 On veut vraiment à la fois que ce soit une BD érudite, en même temps joyeuse et légère.
04:13 On est vraiment tous les deux des partisans du gay savoir.
04:16 On apprend des choses en riant.
04:17 C'est sérieux et léger à la fois.
04:19 Mais alors, ce qui m'a épaté, dans les sources d'Aitor, c'est par exemple si on
04:23 prend Pompéi.
04:24 Pompéi, c'est extraordinaire parce que l'éruption du volcan a eu lieu à l'heure
04:27 du déjeuner.
04:28 Donc finalement, les tables étaient dressées, les restaurants…
04:31 Alors, moi j'ai découvert l'existence des premiers fast-food pour rester McDonald
04:34 comme ça.
04:35 À Rome, ça s'appelait les Thermopoliers.
04:38 C'était des endroits où on mangeait sur le pouls au comptoir.
04:41 On a ces visions très Astérix et Obélix.
04:43 Des Romains qui mangent à Longers, des festins extraordinaires d'autruche à la graisse
04:47 du russe.
04:48 Mais en fait non.
04:49 Les Romains de base, ils mangeaient une espèce de porridge qui s'appelle le pouls.
04:52 J'ai découvert ça.
04:53 C'est la ration du légionnaire qu'on mangeait vite comme ça.
04:55 Et on a trouvé tout ça à Pompéi.
04:57 Avec en plus ce goût particulier.
04:59 Moi j'ai toujours des jeux de mots dans mes titres en général.
05:02 Et Aitor, je l'ai retrouvé là-dessus aussi.
05:04 Lui, il a insisté pour que le titre de ce chapitre soit « Ah qu'elles sont jolies
05:08 les filles de Pompéi ».
05:09 Ah mais les figues !
05:10 Alors là c'est « Ah qu'elles sont jolies les filles de Pompéi ».
05:12 Parce qu'en fait, il y a un plateau de figues qui a été vitrifié par cette nuée ardente
05:17 et qu'on retrouve quasiment intact aujourd'hui.
05:19 Et c'est assez émouvant en fait.
05:20 Toutes ces sources autour de la nourriture.
05:22 Bien sûr, il y a des textes, des gens qui racontent des grands banquets.
05:25 Justement.
05:26 Oui, justement.
05:27 Parce que quand on a l'image de la manière dont les Romains pouvaient manger, on pense
05:32 forcément aux banquets.
05:33 Et alors vous racontez le banquet, évidemment, Heitor, mais en même temps vous le relativisez.
05:37 C'est-à-dire que ce n'était pas systématiquement des orgies licencieuses.
05:41 Ah bah non, à loin de là, on ne se faisait pas vomir entre deux plats tous les jours,
05:43 tous les quatre matins.
05:44 Non, c'est plutôt la haute société dans certains contextes très particuliers et surtout
05:48 dans certaines représentations littéraires.
05:50 Parce que nous on travaille les sources historiques mais aussi les représentations du repas.
05:53 Et évidemment, il y a de grandes représentations de repas.
05:56 Donc le satyricone, par exemple.
05:57 Dans le banquet de Trimalcion, c'est un bon exemple.
06:00 Mais c'est vrai que la nourriture quotidienne du Romain, du peuple, elle est beaucoup plus
06:05 austère.
06:06 Et un des trucs marrants, c'est que quand on va dans d'autres époques, c'est souvent
06:08 ça.
06:09 C'est-à-dire que d'un côté, il y a ce qu'on raconte de la nourriture et ce qui se
06:11 passe vraiment.
06:12 Par exemple, il y a un chapitre qui s'appelle "Soviet de table".
06:14 C'est manger avec Staline à l'URSS, au temps de l'URSS.
06:16 Et donc d'un côté, il y avait l'espèce de livre de cuisine officielle soviétique
06:20 qui chantait l'abondance.
06:23 C'est un livre de l'époque bolchévique déjà.
06:27 L'abondance de la révolution, alors que c'était des pénuries, pas possible.
06:31 Mais la maîtresse de maisons soviétiques avait ça, avec ces espèces de montagnes
06:36 de bocaux de cornichons.
06:37 - Il y a aussi manger avec Mussolini, ce qui est assez scintillant.
06:39 - Oui, manger avec les futuristes.
06:40 On connaît les futuristes pour avoir été des avant-gardistes iconoclastes en littérature.
06:45 - En art.
06:46 - En art, bien sûr, le futurisme en art.
06:47 Mais ils ont aussi écrit un traité de cuisine où ils faisaient table rase de la tradition
06:53 italienne.
06:54 - Un vrai manifeste.
06:55 - Un vrai manifeste violent.
06:56 - C'était Basta la pasta.
06:59 - Des Italiens qui refusent les pâtes.
07:01 - Ils disaient que les pâtes rendent les Italiens lourds et idiots.
07:05 Et les Italiens ont besoin d'être légers et prêts à la guerre pour conquérir le
07:08 monde.
07:09 Donc il faut manger du riz plutôt que des pâtes.
07:10 - L'homme nouveau fasciste était complètement influencé par ça.
07:13 Et ce qui est marrant, c'est que quand on étudie ça, on se rend compte qu'il y a plein
07:15 plein de liens avec aujourd'hui.
07:17 Même dans l'antiquité la plus lointaine.
07:20 Cette histoire de fascistes italiens et de gastronomie, on se rend compte que ça a créé
07:25 les prémices de la cuisine moléculaire aujourd'hui.
07:27 C'est-à-dire qu'à l'an 2000, on a l'impression qu'on découvre tout avec certains grands
07:32 chefs.
07:33 Mais cette dimension-là très technologique de la cuisine, elle était déjà chez les
07:35 futuristes, les fascistes italiens.
07:37 Et par exemple, si on remonte un peu à l'antiquité égyptienne, on se rend compte que le foie
07:41 gras, dont on parle beaucoup, les fêtes approchent bientôt, les gens font déjà des stocks.
07:45 Les égyptiens, non seulement ils sont hyper étonnants, au pied des pyramides, ils gavaient
07:50 des oies, ils mangeaient du foie gras et puis aussi ils buvaient de la bière, qui était
07:53 la boisson de base en Égypte.
07:54 Il y a eu des révoltes pas possibles quand Cléopâtre a décidé de faire un impôt
07:57 sur la bière.
07:58 Elle devient extrêmement impopulaire.
07:59 Mais c'est assez vertigineux de voir à quel point les choses sont liées entre elles.
08:06 Et à propos du foie gras, Hector Alfonso, on apprend aussi, en tout cas moi j'ai appris
08:10 que Voltaire était devenu végétarien par conviction philosophique.
08:13 Oui, sur ses vieux jours, effectivement, il s'est demandé si le veau que l'on tue pouvait
08:17 parler, est-ce qu'on continuerait à le manger ? Au 18e siècle, évidemment, les philosophes
08:21 des Lumières interrogent le monde dans toutes ses expressions et aussi le fait de manger.
08:25 Ils veulent en finir avec la pénurie et ils s'interrogent notamment sur comment mettre
08:29 fin, un terme à la faim dans le monde.
08:31 Et ça passe par des interrogations sur le végétarisme, ça passe aussi par la découverte
08:35 de nouveaux végétaux.
08:36 C'est à cette époque-là que la pomme de terre devient un bien de consommation courante.
08:39 Et Voltaire rêve, il dit que s'il y avait des cocotiers dans le monde entier et des
08:44 arbres à pain, on pourrait en finir avec la faim dans le monde.
08:47 Donc c'est une utopie alimentaire.
08:48 On n'est pas complètement fini.
08:50 Jules, c'est là qu'on retrouve un écho avec aujourd'hui.
08:53 Je pense à Pierre Hermé qui sort un livre de pâtisserie végétale, je pense à Thierry
08:56 Marx qui a supprimé 80% de la part animale dans ce qui sert dans ses restaurants.
09:02 On a cet écho encore une fois.
09:03 Oui, c'est étonnant.
09:05 Et à vrai dire, on a des visions souvent un peu tordues.
09:09 Il y a tout un chapitre sur « manger à Cuba » avec Fidel Castro.
09:12 Et là, on découvre qu'on est dans un monde de pénurie, les gens font la queue,
09:17 on ne peut pas manger.
09:18 Mais en même temps, Fidel Castro, à titre personnel, était fan absolu de glace et de
09:22 crème glacée.
09:23 Et donc, il a créé le plus grand glacier qu'on connaisse avec le plus grand nombre
09:26 de choix au cœur de la Havane.
09:27 Et puis, justement, pour assurer ça, ils ont fait un croisement de vaches.
09:32 Ils ont essayé de la cloner, après ça n'a pas trop marché.
09:34 Mais ils ont créé la vache la plus productive en lait que la Terre ait jamais portée.
09:38 Elle était classée au Guinness Book.
09:39 Elle s'appelait Uve Blanca, les pies blanches.
09:41 Et en fait, il s'est fait prendre en photo avec elle.
09:44 Elle a été mise en scène dans la propagande officielle.
09:46 Elle a même déclaré que c'était le plus grand révolutionnaire que Cuba ait porté.
09:49 Devant Che Guevara.
09:50 En sorte de stacanov bovin.
09:51 Mais ce qui est impressionnant, c'est que c'est au fond aussi une histoire sociale.
09:54 On ne mange pas la même chose selon qu'on est riche et qu'on est pauvre, c'est une
09:57 évidence.
09:58 Mais vous allez dans le détail et vous racontez même les fractures d'une société à certaines
10:03 époques à travers l'alimentation.
10:05 Il est clair que l'assiette raconte toujours une sociologie, une époque, des rapports
10:09 politiques.
10:10 Alors nous, on raconte l'abondance et les beaux plats et les bons mets.
10:13 On raconte aussi la pénurie, les mets dégoûtants et évidemment les rapports de fonds.
10:17 Et vous racontez par exemple, et on est en novembre, la nourriture dans les tranchées.
10:21 Ce que mange le poilu dans les tranchées.
10:24 C'est effrayant.
10:25 Il ne sait pas trop en fait, surtout, ce qu'il mange.
10:27 Il ne sait pas trop ce qu'il mange.
10:29 Et puis effectivement, dans ce grand théâtre de la guerre, dans cette boucherie infâme,
10:33 manger devient d'abord une urgence.
10:34 Avec survivre, c'est la deuxième urgence.
10:36 Et il y a, paradoxalement, des espèces d'instants de grâce.
10:38 Notamment quand les poilus reçoivent les colis de leur région.
10:41 Qui ? Le camembert normand, qui devient le grand fromage national.
10:44 Le foie gras du Gers.
10:46 Des spécialités provençales.
10:47 Et à l'occasion de l'ouverture de ces colis régionaux, il y a une confraternisation
10:51 des français.
10:52 Et là, paradoxalement, dans cette horreur, le début d'une sorte de cuisine nationale.
10:57 Ça crée une identité gastronomique.
10:59 Les tranchées, c'est un lieu de mort et c'est aussi un lieu de rencontre et de réunion
11:03 qui se fait à travers ces différents colis qui viennent de tous les coins de la France.
11:06 Ça a valu pour les langues.
11:08 Parce que qui parlait de provençal, le normand, le picard ? Et puis tout d'un coup, on a
11:11 créé cette langue commune et on a créé cette gastronomie commune, vraiment ouverte
11:15 à tout.
11:16 Et moi, ce que j'ai bien aimé avec Haythor, c'est que je me suis plongé dans ses essais.
11:18 Il faut dire que ce livre, il est fait d'une manière un peu particulière.
11:22 Parce que d'un côté, il y a une page de bande dessinée.
11:23 De l'autre côté, il y a un essai parsemé de...
11:25 Mais c'est pas vraiment une bande dessinée en fait.
11:27 C'est une illustration d'un livre.
11:28 Voilà, c'est un essai et bande dessinée qui dialoguent entre eux.
11:31 C'est-à-dire qu'à la fois les gens qui sont lecteurs de livres et qui ne sont pas
11:34 tellement familiers ou adeptes de la bande dessinée peuvent vraiment se plonger dans
11:37 quelque chose.
11:38 Il y a beaucoup de connaissances.
11:39 Même si c'est joyeux, c'est quelque chose d'assez informé.
11:40 Et de l'autre côté, quand on n'est pas un spécialiste de quoi que ce soit, on peut
11:43 vraiment rentrer en se marrant par ces images et ces scènes un peu burlesques, mais à
11:48 partir vraiment de faits historiques.
11:49 Et ça, c'est assez chouette.
11:50 Mais Haythor, Alfonso, on parlait des restrictions.
11:52 La question alimentaire, ça a même précipité des révolutions.
11:55 Je pense à 1789.
11:56 Bien sûr.
11:57 Mais presque avec des échos avec aujourd'hui.
11:59 Il y a de l'inflation, beaucoup, sur les produits alimentaires.
12:01 Il n'y a pas de pain.
12:02 On spécule beaucoup sur le grain.
12:05 Et on sait très bien que cette spéculation, cette crise frumentaire, elle va accélérer
12:08 et précipiter absolument la révolution.
12:10 Avec cette phrase que l'on attribue à tort à Marie-Antoinette.
12:12 Vous savez, ils n'ont pas le droit de manger de la brioche.
12:14 On essaie aussi d'aller à l'encontre de certaines vérités que l'on croit certaines.
12:19 Par exemple, Catherine de Médicis aurait ramené la fourchette en France.
12:22 C'est faux.
12:23 Bref, on raconte tout ça dans la vie.
12:24 Le régime paléo qu'on déconseille formellement.
12:26 En fait, le régime paléo conseille de manger des choses qui n'existaient pas au paléolithique.
12:30 La banane, l'orange, tout ça, ça n'existait pas.
12:32 Et qui a permis à des gens de mourir en parfaite santé à l'âge de 30 ans.
12:35 Absolument.
12:36 Mais il y a des moments aussi plus graves avec les sorcières, par exemple, au 17ème
12:40 siècle.
12:41 Et puis, de nombreuses questions.
12:42 Je vous le disais, on apprend des tas de choses et des questions d'auditeurs.
12:45 Alors, parmi les questions d'auditeurs, il y a celle de Jean-Louis qui vous demande si
12:48 le sanglier était vraiment le plat favori des Gaulois.
12:51 Bravo pour l'album et merci.
12:52 Le sanglier, il était déjà mangé à Lascaux, déjà.
12:56 Oui, sans doute un peu plus tard.
12:57 Mais ce qui est clair, c'est que les Gaulois ont inventé sans doute la charcuterie.
13:03 C'est-à-dire, en fait, cette manière de conserver, sans doute, de fumer des viandes
13:06 de cochon, de sanglier, mais d'autres animaux aussi.
13:09 Oui, oui, je crois qu'on peut l'affirmer, oui, bien sûr.
13:11 Est-ce qu'il y a des barrières psychologiques concernant la nourriture ? Par exemple, les
13:14 cuisses de grenouilles et les escargots en France, les chiens en Chine.
13:17 D'où est-ce que ça vient ? Vous demande Lucas.
13:19 Alors, ça, c'est des constructions historiques.
13:23 J'en ai une très bonne, Darwin, le grand scientifique qui a fait le tour du monde,
13:27 il a tout mangé.
13:28 Il a mangé tout ce qu'il a étudié.
13:29 Il a mangé tout ce qu'il a étudié.
13:30 Les gobelets, les oiseaux, les mammifères.
13:31 Il était dingue.
13:32 Tout ce qu'il a observé, c'était un grand mangeur.
13:34 Et le seul truc qu'il a rebuté, c'est un jour dans la Pampa, avec des gauchos, donc
13:37 des cow-boys argentins, on lui sert une viande et en fait, on lui dit que c'est du fœtus
13:42 de puma.
13:43 Et là, il dit, alors là, c'est sa limite culturelle.
13:45 Mais pour le reste, il a croqué dans absolument tout ce qu'il a étudié.
13:48 Mais entre le monde brahmanique de Gandhi, parce qu'il y a un chapitre "Manger ou ne
13:51 pas manger" avec Gandhi, évidemment, sur le jeûne, etc. en Inde.
13:55 Entre cette culture brahmanique d'un côté et de l'autre côté de la frontière, les
13:59 Chinois, qui sont le grand peuple omnivore extravagant, c'est vrai qu'il y a un monde
14:04 dans lequel on se déploie tous.
14:06 Et en fait, chaque individu se place.
14:07 Mais il y a un menu impérial chinois invraisemblable qui prend une demi-page où on mange absolument
14:16 tout.
14:17 On mange l'univers, Serge Gagnon.
14:18 C'est un univers, en fait, c'est ça.
14:19 C'est une espèce de repas totaliste.
14:20 Un banquet total.
14:21 On met sur la table, pour réunir tous les Chinois à l'époque de l'empire Manchou,
14:25 tout ce que la Chine compte de comestible.
14:27 Il y a vraiment un enjeu politique.
14:29 108 plats.
14:30 Dont de lourangoutans, de la pomme d'ours, de la bosse de chameau, du placenta de léopard,
14:36 des nigirondelles, ailerons de requin, j'en passe, mais du bambou, des moris, des trémelles
14:40 branches.
14:41 Vous êtes allé très très loin dans la reconstitution de cette histoire réelle.
14:46 Et pendant ce temps, de l'autre côté de la mer, au Japon, parce qu'il y a un chapitre
14:50 qui est fabuleux sur les samouraïs, manger avec les samouraïs au temps du shogun.
14:54 Sake-soirée.
14:55 Voilà, sake-soirée.
14:56 Bon, il y a toujours une blague par chapitre.
14:58 Sorry.
14:59 Non mais là c'est très drôle.
15:00 Et en fait, on se rend compte que là, par contre, il y a un sens de l'épure.
15:03 Parfois, on a la nourriture pour la regarder.
15:06 Évidemment, le samouraï, il est toujours doté de ses deux sabres, de son grand katana,
15:12 etc.
15:13 Et l'art de la découpe devient dans la nourriture et dans la préparation des plats quelque chose
15:15 d'essentiel.
15:16 Et il y a la sobriété du christianisme aussi, que vous mettez en scène, que vous montrez.
15:20 Il ne faut pas trop manger.
15:21 Ça, c'est pas bien.
15:22 Ah oui, c'est ça.
15:23 D'un côté, voilà, il y a toute une culture de la sobriété, de se priver de ce qui est
15:25 bon.
15:26 Donc, plus c'est bon, plus c'est valeureux, finalement, et pieux de s'en priver.
15:30 Mais cette histoire des Japonais, ils ont quasiment des spectacles où il y a les bouchers
15:33 qui découpent des pièces de viande devant eux.
15:35 Ils passent les pièces de viande devant les gens et puis ils les enlèvent, ils ne les
15:38 mangent même pas.
15:39 Ils les admirent.
15:40 Ils les ont déjà mangés d'une manière spirituelle.
15:42 Et vous vous amusez, Jules, avec ce qui est aujourd'hui devenu un passage obligé de
15:46 beaucoup, beaucoup, beaucoup de gens, à savoir regarder les Nutri-score sur les aliments
15:51 dans le supermarché.
15:52 Oui, parce qu'il y a un combat de sumo.
15:54 C'est deux sumos face à face et à la place d'avoir le score du combat, il y a leur Nutri-score
15:58 qui empire au fur et à mesure des étapes.
16:00 Avec la cuisine japonaise, ce n'est pas une chose qui se mange, mais une chose qui se
16:04 regarde et mieux encore, qui se médite.
16:07 C'est un grand écrivain japonais en l'occurrence que vous citez, "La fin de l'histoire",
16:12 c'est évidemment une référence à l'un des essais les plus célèbres des dernières
16:16 décennies, celui de Francis Fukuyama, "La fin de l'histoire et le dernier homme".
16:19 Au fond, est-ce qu'il y a une morale à cette histoire-là ?
16:22 D'abord, évidemment, l'homme mange et mangera tant qu'il sera homme.
16:28 C'est moins une morale qu'une sorte de rapport à l'alimentation.
16:32 Enfin, j'ai envie de citer Lévi-Strauss qui disait "Un plat doit être bon à manger,
16:35 mais doit être aussi bon à penser".
16:36 Et ça c'est un truc…
16:37 À penser ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
16:39 Il est un signe, il est un symbole, il représente quelque chose des rapports entre les hommes
16:43 dans les sociétés données.
16:44 C'est bien au-delà.
16:45 Et en fin de compte, se dire aussi dans un temps qui aujourd'hui est fait de désarroi,
16:49 de haine, de séparation entre les gens, entre les peuples, on le voit bien dans chacune
16:53 de nos sociétés, on vient d'écouter le journal, c'est une vallée de l'arme finalement
16:58 ce qui nous environne en ce moment.
17:00 Et bien cette chose-là, cette nourriture, le fait de se mettre ensemble, de partager
17:04 la nourriture, ça parvient à réconcilier des gens, à mettre quelque chose de commun
17:09 entre des gens que tout sépare.
17:11 Et ça c'est assez beau.
17:12 Il y a une espèce de vertu comme ça.
17:13 Donc on s'est dit, voilà, de mettre la gastronomie et l'histoire dans un livre,
17:16 il y a aussi quelque chose de bon en fait.
17:19 Petite précision, la fin de l'histoire, le livre de Fukuyama c'est F.I.N.
17:22 Là c'est F.A.I.N.
17:24 La fin, Miam Miam.
17:26 Il y a un clin d'œil, sans aucune célébration.
17:29 On va lui envoyer le livre à Francis Fukuyama quand même, on va voir ce qu'il en pense.
17:32 Et Aitor Alfonso, est-ce qu'avec 20% d'inflation en deux ans sur les produits alimentaires,
17:36 on peut encore s'alimenter avec quelque chose qui a du sens ? Ou est-ce que finalement
17:40 on en est juste à se nourrir ?
17:41 Il y a de grandes interrogations évidemment.
17:44 C'est une des grandes questions du contemporain.
17:45 Comment nourrir tout le monde ? Comment nourrir tout le monde décemment ? Comment bien se
17:48 nourrir ? Non, non, c'est des enjeux graves.
17:50 Notre livre raconte aussi la gravité liée à l'absence d'alimentation, la difficulté
17:55 de s'alimenter.
17:56 Bon, il faut essayer de réenchanter ça, il faut essayer de poser ces questions-là
18:00 et certains le font.
18:02 L'un des épisodes de cette histoire que je trouve absolument passionnant, c'est
18:05 celui qui concerne l'esclavage.
18:06 Parce que c'est vrai que ce que vous disiez à l'instant, c'est-à-dire qu'il y a
18:10 dans le système de violence infligée par les Blancs aux presque 4 millions d'esclaves
18:14 noirs des Etats-Unis en 1860, la nourriture devient une arme de soumission.
18:19 Expliquez-nous ça.
18:20 Voilà, et en même temps d'affranchissement.
18:21 C'est effectivement priver les gens, les toucher, les contrôler même à travers leur
18:27 corps dans tout ce qu'ils ingèrent.
18:29 C'est quelque chose d'une violence absolue.
18:30 Et en même temps, justement, cette manière de retrouver et la cuisine africaine mélangée
18:35 à la cuisine autochtone indienne et aux produits qui sont sur place, fait que la "South
18:40 food" noire, qui pour un peuple qui avait été privé d'alphabétisation, qui a été
18:45 interdit d'étudier pendant si longtemps, a été justement un énorme refuge culturel.
18:49 Et là, on retrouve les vistros encore une fois.
18:51 La "South food", cette nourriture de l'âme, en fait, chose roboravide de la mer africaine
18:57 et finalement des plantations et des communautés esclaves, a jusqu'à aujourd'hui été un
19:02 étendard, une bannière des Noirs des Etats-Unis.
19:05 Et c'est quelque chose de vraiment puissant.
19:07 La manière d'accommoder le barbecue, par exemple, avec les sauces.
19:10 Et on est en ligne au standard avec Frédéric, bonjour !
19:13 Oui, bonjour à tous, j'allais vous dire bon appétit.
19:16 Merci, on vous a ouvert l'appétit.
19:18 On n'a rien à manger en plus, là !
19:21 Moi, je voulais parler de Pantaguel et de Gargantua, parce que bien entendu, quand on
19:26 parle alimentation, ça vient un petit peu à l'esprit.
19:29 Je me réfère à ce que les auteurs peuvent nous dire des habitudes alimentaires et de
19:33 la culture alimentaire de l'époque de Rabelais.
19:36 Très bonne question, réponse sauce grimiche !
19:39 Alors, évidemment, Rabelais, c'est l'un des grands référents de cette espèce d'outre-mange
19:45 à la française.
19:46 C'est évidemment une représentation très littéraire.
19:47 C'est par excellence le géant dévorateur.
19:50 On écrira, je vous promets, que pour le deuxième volume de la fin de l'histoire, on parlera
19:55 de Rabelais et de manger, à l'époque de Rabelais, notamment avec montagne.
19:58 Parce qu'il y a plein de choses à en dire.
20:00 Montagne, par exemple, les huîtres, qu'il adore mais qu'il ne peut pas manger.
20:02 On s'imagine que le Moyen-Âge, très souvent, de toute façon, on sait bien à quel point
20:07 le Moyen-Âge, c'est un petit peu le parent pauvre des représentations et des fantasmes
20:10 historiques.
20:11 Ce qui serait un âge un petit peu sombre où il ne se passe pas grand-chose.
20:14 Alors qu'au contraire, il y a une vivacité incroyable.
20:17 À l'époque de Rabelais, on a plein de textes dans le livre sur la nourriture des moines.
20:21 Et la façon dont dans les monastères, on se baffre.
20:24 Avec des dessins géniaux, Sainte Alcacézère qui vient de Saint Pierre le Filet, Saint
20:29 Jacques la Carpaccio, Saint Émilion, Saint Joseph l'Évain, Saint Nectaire, Saint Marcelin
20:34 les fromages, Sainte Honorée.
20:35 Voilà, Sainte Honorée pour le dessert et puis Sainte Alcacézère qui est le saint
20:39 un petit peu oublié de la Gitanie.
20:41 Ce qui est amusant, c'est qu'il y a une sorte de querelle des œufs à l'époque.
20:44 Les différentes confréries de moines s'opposent en disant quelle est la façon vraiment chrétienne
20:49 de cuisiner les œufs.
20:50 Pas trop gourmand.
20:51 Le chapitre s'appelle « Sonner les tartines ».
20:53 Sonner les tartines, oui.
20:54 Exactement.
20:55 Et c'est donc le chapitre qui est consacré aux moines bénédictins.
20:59 En tout cas, c'est absolument passionnant.
21:01 Merci Jules, merci Heitor Alfonso d'avoir été nos invités.
21:04 Une histoire du monde par la gastronomie.
21:06 Le titre c'est donc « La fin F A I M de l'histoire ». C'est publié chez Dargaud.
21:12 C'est passionnant et on le recommande chaleureusement.
21:15 A suivre sur Inter, la revue de presse.

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