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Transcription
00:00 Il est 7h12 sur Europe 1, bon début de journée.
00:02 Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin l'écrivain Eric Emmanuel Schmitt.
00:06 Bonjour Eric Emmanuel Schmitt.
00:08 Bonjour.
00:09 Merci d'être avec nous ce matin sur Europe 1 pour rendre hommage à Bernard Pivot, mort hier à l'âge de 89 ans.
00:15 Il venait de fêter son anniversaire la veille ce dimanche, c'est assez incroyable.
00:20 Bernard Pivot, c'est celui que toutes les rédactions appelaient pour réagir à la mort d'un grand écrivain.
00:24 D'ailleurs, il en plaisantait lui-même en disant que le jour où il mourrait,
00:27 sans doute que les radios l'appelleraient pour une réaction.
00:29 Vous l'avez bien connu Bernard Pivot, Eric Emmanuel Schmitt,
00:32 ça remonte à quand la dernière fois que vous l'avez vu ?
00:35 C'était il y a quelques mois.
00:38 Il nous a fait le bonheur de revenir à la table du Goncourt,
00:42 cette table qu'il a présidée et moi à laquelle il m'a fait élire.
00:47 On l'a vu avec à la fois bonheur et une profonde nostalgie parce que
00:54 on le sentait diminuer, on savait au fur et à mesure toutes les maladies qu'il rencontrait,
00:59 toutes les luttes qu'il devait mener.
01:01 C'était un Bernard affaibli mais il y avait toujours l'œil qui brillait,
01:08 la curiosité, l'envie de rire parce que c'était quelqu'un qui était extrêmement rieur.
01:13 Et il ne riait pas en se moquant, c'était un rire un peu tendre pour dire vraiment
01:18 on est tous des cons, on est tous un peu minables.
01:21 C'était un rire attendri par rapport à l'humanité, c'était un rire très chaleureux.
01:26 Alors on va remonter le temps avec vous Eric Emmanuel Schmitt,
01:29 vous nous avez dit que vous avez été ensemble juré de l'Académie Goncourt,
01:33 c'est lui qui vous a fait entrer.
01:34 Il était quel genre de président ?
01:36 Lui le premier non-écrivain à rejoindre la prestigieuse institution du Goncourt.
01:42 Oui, il était d'abord très soucieux qu'on ne dise pas qu'il était écrivain
01:47 et il ne voulait pas non plus qu'on dise qu'il était critique.
01:51 Il disait qu'il était journaliste littéraire.
01:55 Et journaliste littéraire, ça voulait dire qu'il s'intéressait à l'actualité littéraire
02:00 et qu'il savait écrire parce qu'il devait être un bon journaliste.
02:04 Alors il a vraiment apporté beaucoup de choses au Goncourt.
02:08 Il a vraiment coupé les liens incestueux qu'il y avait entre certains jurés et des maisons d'édition.
02:15 Il a vraiment nettoyé avec François Chander-Nagor et Didier Decoin.
02:21 Il a vraiment nettoyé le Goncourt.
02:24 En fait, il s'est donné au Goncourt plutôt qu'il n'a donné le Goncourt à lui-même.
02:31 Il a voulu que ce soit propre.
02:33 C'était un homme de devoir.
02:35 C'était un homme qui ne s'aimait pas beaucoup lui-même
02:38 mais qui pouvait éventuellement aimer un peu de ce qu'il avait fait quand il pensait qu'il l'avait bien fait.
02:44 C'était quelqu'un d'infiniment modeste.
02:48 Il disait "je ne suis pas intelligent, je ne suis pas intellectuel, je ne suis pas un écrivain".
02:53 En fait, il se définissait modestement comme un passeur d'intelligence, un passeur de culture.
03:00 Il a aussi Bernard Pivot, c'est l'image qu'en retiendront beaucoup de Français, je pense.
03:05 Il a porté pendant 15 ans ce qui sûrement restera comme la plus importante émission littéraire
03:10 émission culturelle de l'histoire de la télévision française.
03:13 Enfin, apostrophe sur antenne 2 pour les plus jeunes qui nous écoutent.
03:16 Il faut s'imaginer que c'est 2 millions de téléspectateurs tous les vendredis soirs à 21h30
03:21 pour écouter les grands penseurs de notre temps, les grands écrivains, les grands artistes.
03:26 Vous regardiez ça, vous Eric Emmanuel Schmitt, apostrophe, quand vous étiez jeune ?
03:30 Mais bien sûr, mais avec passion. Je ne ratais jamais apostrophe, c'était le rendez-vous.
03:35 Et puis il était répercuté dans les librairies.
03:37 Il y avait la table des livres qui allaient être présentés à apostrophe la semaine d'avant et les semaines suivantes.
03:44 En fait, avec cette émission, il inventait l'intellectuel à la télévision.
03:49 Il inventait aussi l'écrivain contemporain.
03:53 Parce qu'au fond, je me souviens, j'étais un lycéen qui lisait les manuels de littérature,
04:00 qui n'avait affaire qu'à des morts.
04:01 Et tout d'un coup, grâce à lui, je voyais qu'il y avait des écrivains vivants.
04:05 Je pense que ça a même joué dans mon destin dès l'enfance.
04:10 Il y avait des écrivains vivants, c'est beau ce que vous dites, Eric Emmanuel Schmitt.
04:13 Moi, ce qui me frappe aussi, quand on regarde "Apostrophe" avec l'œil d'aujourd'hui,
04:18 c'est qu'il y a un goût du débat.
04:21 On se régalait des confrontations d'intellectuels.
04:25 Et c'était parfois violent, c'était parfois très dur.
04:27 Mais ça avait lieu.
04:29 Oui, mais comme vous dites, c'est le débat, ce n'est pas le duel.
04:34 Il y avait quand même, au milieu, deux oreilles qui écoutaient.
04:40 C'était Bernard Pivot, qui faisait en sorte que ça puisse rebondir.
04:44 C'était vraiment l'échange d'idées.
04:47 Avec la noblesse de l'échange et la noblesse de la confrontation.
04:53 C'est vrai qu'aujourd'hui, on est plutôt dans des affrontements sourds.
04:57 Chacun gueule de son côté et aucun n'écoute l'autre.
05:00 Là, il y avait la nécessité, ne serait-ce que pour être brillant et pour faire un mot d'esprit,
05:04 d'écouter ce que disait son adversaire.
05:06 Je voudrais, pour terminer cet entretien avec Emmanuel Schmitt,
05:10 en hommage à Bernard Pivot, son célèbre questionnaire de Proust.
05:13 Vous l'avez soumis, je crois.
05:15 Oui, oui.
05:17 Il m'a beaucoup soutenu dans le début de ma carrière.
05:21 Je vous le fais, le questionnaire, très rapidement.
05:24 Votre mot préféré, Eric Emmanuel Schmitt ?
05:26 Moi, c'est "tilleul".
05:30 Parce que c'est droit comme un T et doux comme un Yule.
05:35 Le mot que vous détestez ?
05:39 "Buzz".
05:41 Votre bruit préféré, Eric Emmanuel Schmitt ?
05:46 Le bruit de la machine à espresso le matin.
05:52 Pas mal.
05:53 La plante, l'animal dans lequel vous aimeriez être réincarné ?
05:57 Ma chienne.
05:59 Le juron, le gros mot, le blasphème que vous préférez ?
06:04 "Mince".
06:10 C'est mon seul accès à la minceur, je dis "mince".
06:14 Vous êtes d'une grande politesse.
06:16 On ne vous imagine pas dire des grossières.
06:19 Non, c'est vrai, je ne jure pas.
06:21 Le métier que vous n'auriez pas aimé faire, Eric Emmanuel Schmitt ?
06:26 "Griffier".
06:29 Un homme ou une femme pour un nouveau billet de banque ?
06:32 Vous avez le droit de dire Bernard Pivot.
06:34 Merci de m'avoir soufflé.
06:37 Et enfin, cette dernière, c'était la question toujours, il y avait des réponses exceptionnelles.
06:41 Si Dieu existe, Eric Emmanuel Schmitt, qu'aimeriez-vous après votre mort l'entendre vous dire ?
06:46 Il y a du monde qui t'attend.
06:51 Merci beaucoup Eric Emmanuel Schmitt d'avoir été avec nous pour partager ces instants d'émotion
06:56 à la mémoire de Bernard Pivot qui nous a donc quittés hier à l'âge de 89 ans.
07:00 Je vous souhaite une excellente journée Eric Emmanuel Schmitt.
07:03 Merci d'avoir été avec nous sur Europe 1 ce matin.

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