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Code de procédure pénale : article 397-6, alinéa 2, dans sa rédaction résultant de la loi n°2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République

Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : article 65-3 dans sa rédaction résultant de la loi n°2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République

Lien vers la décision
https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2024/20241088QPC.htm

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Transcription
00:00Alors bonjour, nous avons à notre ordre du jour deux questions prioritaires de constitutionnalité.
00:18La première sous le numéro 2024-1088, dans laquelle Mesdames Gouraud et Malbec ont estimé
00:28devoir s'abstenir de siéger. Nous allons donc commencer avec cette QPC qui porte sur
00:37certaines dispositions de l'article 397-6 du code de procédure pénale et de l'article
00:4565-3 de la loi bien connue du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Alors Mme
00:54Lagré-Ferre, dites-nous où nous en sommes de la procédure d'instruction.
00:57Bonjour, merci M. le Président. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 19 février 2024 par un arrêt
01:03de la Chambre criminelle de la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité
01:07posée par Mme Juliette Philippe portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit
01:12du second alinéa de l'article 397-6 du code de procédure pénale et de l'article 65-3 de la loi du
01:2029 juillet 1881 sur la liberté de la presse dans leur rédaction résultant de la loi n°2021-1109 du 24 août 2021
01:29confortant le respect des principes de la République. Cette question relative à la procédure applicable
01:34en matière de délit de presse a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel
01:38sous le n°2024-1088 QPC. M. Raphaël Kempf et M. Christophe Bigot ont produit des observations
01:46dans l'intérêt de la partie requérante les 8 et 22 mars 2024. Le Premier ministre a produit des observations
01:52le 8 mars 2024. L'ACP Spinozi a demandé à intervenir dans l'intérêt de l'association de la presse judiciaire,
01:58la Ligue des droits de l'homme et l'association des avocats pénalistes et a produit à cette fin des observations
02:03les 8 et 22 mars 2024. L'ACP Hansevaux et Paul Matonnet a demandé à intervenir dans l'intérêt du syndicat
02:10des avocats de France et a produit à cette fin des observations le 8 mars 2024. Seront entendues aujourd'hui
02:16les avocats de la partie requérante, les avocats des parties intervenantes et le représentant du Premier ministre.
02:21Merci Madame. Nous allons procéder comme vous l'avez indiqué. Nous allons commencer par écouter M. Kempf et M. Bigot
02:32qui sont avocats au barreau de Paris, qui représentent Mme Juliette Philippe, partie requérante.
02:38Alors vous êtes réparti le temps qui n'est pas très long. Allez-y M.
02:43Merci M. Prident. Madame, messieurs les membres du Conseil constitutionnel, vous avez à traiter une question délicate
02:49mais tout à fait intéressante qui est celle de savoir si une loi confortant les principes de la République est conforme
02:55à un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Le but de la loi nouvelle, tel qu'on peut le lire dans l'étude d'impact
03:04du projet de loi rédigé par le gouvernement mais également dans les observations produites devant votre Conseil par le gouvernement,
03:10ce but est de permettre l'incarcération des auteurs de provocations commises sur les réseaux sociaux.
03:18Incarcération qui a pour but d'y mettre fin et de les combattre. La question que nous nous posons donc est de savoir
03:26si on peut lutter contre des idées, lutter contre des provocations au sens de la loi de 1880 en emprisonnant.
03:34J'aurais tendance à dire que l'incarcération permet au contraire le développement d'idées dangereuses pour le pouvoir
03:42et parfois même, il faut bien le reconnaître, pour le meilleur. Les 11 années de prison d'Antonio Gramsci nous ont légué des cahiers
03:53qui sont aujourd'hui lus, publiés et republiés et commentés encore et encore. Imaginons, monsieur le président, madame, messieurs,
04:03qu'à la suite d'une décision de votre Conseil, sur les réseaux sociaux, un individu, peut-être un professeur de droit constitutionnel,
04:12dise, mécontent de votre décision, qu'il faut brûler le Conseil constitutionnel. Cela serait sans conteste une provocation au sens de la loi de 1880.
04:25Et bien avec la loi nouvelle, ce professeur de droit serait jugé en comparution immédiate, peut-être placé en détention provisoire
04:34ou éventuellement sous mandat de dépôt. Après une perquisition, dès 6h du matin, une garde à vue, peut-être une nuit, peut-être deux nuits au commissariat,
04:45une troisième nuit dans les geôles du dépôt du tribunal, ce prévenu comparaîtrait devant les juges à Paris de la XXIIIe chambre en comparution immédiate.
04:58Nous avons cité dans nos écritures les travaux d'une sociologue, Angèle Christin, qui a décrit la comparution immédiate comme provoquant une situation de choc,
05:08décrivant la brutalité de l'audience, le flux considérable des dossiers limitant les droits de la défense. Et tout avocat qui peut lui-même le constater.
05:18Lorsque je suis moi-même de permanence à Paris en comparution immédiate, le matin vers 10 ou 11h, on me confie 3, 4 ou 5 dossiers que je dois lire, étudier.
05:27Je dois rencontrer des personnes que je ne connaissais pas auparavant dans les geôles du tribunal. Je dois établir avec elles un lien de confiance.
05:34Et cela est difficile. Je dois peut-être conclure par écrit. Et je dois élaborer une stratégie de défense.
05:42Et à 13h30, nous nous retrouvons devant les juges de la XXIIIe chambre, qui vont siéger peut-être jusqu'à 23h, 1h ou parfois même 2h du matin.
05:51Ils écouteront sans discontinuer des dossiers toute la journée. Et parmi ces dossiers, il y aura notre auteur de propos visant votre institution.
06:04Eh bien ce professeur, ce prévenu, arrivera devant ses juges avec ses vêtements d'il y a 3 jours, pas lavé, l'œil agarre, fatigué.
06:15Il devra s'expliquer devant ses juges, qui n'auront guère d'attention sur le sens de ces termes. Il faut brûler le Conseil constitutionnel.
06:22Eh bien ce que nous vous demandons, ce n'est pas d'empêcher que de tels propos puissent être poursuivis. Mais je sais, parce que je l'ai lu hier dans le journal,
06:31que votre Conseil est très attaché à la liberté d'expression, et y compris à la liberté de critiquer le Conseil constitutionnel.
06:38Ce que nous vous demandons, c'est de permettre que de tels propos puissent être poursuivis éventuellement, discutés devant des juges,
06:46qui aient le temps d'examiner si à travers ces propos, eh bien notre professeur souhaitait effectivement incendier ces bâtiments,
06:54ou s'il souhaitait exprimer une critique certes vive, mais peut-être nécessaire en démocratie, sur votre institution.
07:02Nous avons donc découvert ou constaté dans l'histoire de nos lois l'existence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République,
07:11qui est celui de procédures spéciales en matière de délits de presse. Nous avons vu dans les textes que depuis de nombreuses années,
07:22la République a toujours souhaité que les délits de presse soient jugés selon une procédure particulière.
07:30Jadis, en 1830 et 1848, les délits de presse devaient être jugés par le jury, par les citoyens réunis en jury.
07:40Cette règle a été écartée depuis, mais c'est important de souligner cette clémence du législateur républicain à l'égard des délits de presse.
07:47En 1863, la première loi qui venait encadrer les flagrants délits, c'est-à-dire les ancêtres de nos comparutions immédiates,
07:55dit de façon très claire que cette loi n'est pas applicable aux délits de presse. Ce principe a été confirmé par les lois républicaines,
08:02notamment celle de 1880. Il n'a jamais été remis en cause, pas même par les lois scélérates de 1893 et 1894.
08:11Et nous avons donc là un principe important. Et votre Conseil a déjà reconnu l'existence d'un PFRLR en matière de procédure spéciale,
08:20en l'occurrence en 2002 s'agissant de la procédure spéciale applicable aux mineurs. Et il n'y a pas eu d'exception à ce principe,
08:29contrairement par exemple à ce que vous avez jugé récemment s'agissant des cours criminels départementales.
08:34Maintenant, un mot sur la notion de délit de presse. Vous savez probablement comme moi que le délit de presse se définit comme
08:40la manifestation d'une pensée coupable rendue publique avec intention de nuire, soit à l'aide de la presse, soit à l'aide de la parole,
08:47de l'écriture ou d'un autre mode de publication. Et à l'article 23 de la loi de 1880, nous pouvons lire que ces modes de publication sont
08:56les discours, les cris, les dessins, les peintures, les emblèmes. Tout autre support de l'écrit, notamment les placards et les affiches,
09:03c'est dire que pour le législateur des 1880, la loi sur la presse est applicable à tous et toutes et pas uniquement aux journalistes.
09:12Louis Blanc disait « Ce fut le tour des placards, ce fut le règne des affiches, une âme fut en quelque sorte soufflée aux édifices,
09:21les pierres même se couvrirent d'idées et les murailles parlèrent ». Cette loi est applicable à tous qui décident de prendre la parole
09:30dans l'espace public. Ce que nous vous demandons donc, c'est de dire que les provocations qui seraient commises par des journalistes
09:37sous le contrôle d'un directeur de la publication ne sont pas moins graves ou moins dangereuses que celles qui pourraient être commises
09:43sur les réseaux sociaux. Et nous avons dans nos écritures donné des exemples précis. Nous vous demandons de dire que la République
09:50reconnaît un principe fondamental en matière de liberté d'expression, en matière de liberté de la presse, et y attache des garanties spécifiques.
09:59Et nous vous demandons de dire que la prison ne permet pas de lutter contre des idées, des abus de la liberté d'expression
10:07et des idées qui nous paraîtraient problématiques. Ce que nous vous demandons, d'une certaine manière, c'est d'être fidèle à ces mots
10:13de Georges Clemenceau qui, en 1880, au cours des débats parlementaires sur la liberté de la presse, contestait l'inscription dans cette loi
10:23du délit d'outrage à la République qui n'a pas été retenue. Et il disait la République, M. le Président, Mme, M. le Président,
10:29la République vit de liberté. Elle pourrait mourir de répression. Je vous remercie.
10:33Merci. Nous allons maintenant écouter Maître Bigot.
10:37M. le Président, Mesdames, Messieurs les membres du Conseil, quelques mots de complément pour indiquer à votre Conseil que vous avez aujourd'hui
10:48à traiter deux sujets. D'abord l'utilisation de la procédure de comparution immédiate pour les infractions à la loi sur la presse et ensuite
10:56la suppression des exigences de précision, qualification et articulation qui figurent dans l'acte initial de poursuite pour certaines catégories d'infractions.
11:07Je veux tout de suite évoquer une décision de votre Conseil qui est la décision 2018-706 QPC qui concernait l'apologie de terrorisme qui avait été soumise
11:20à votre Conseil par Jean-Marc Rouillon. Vous avez accepté à cette occasion d'externaliser une infraction de la loi sur la presse vers le Code pénal.
11:30Nous ne sommes pas dans ce cas de figure puisque nous sommes ici dans le cas de figure d'infraction qui reste dans la loi du 29 juillet 1881.
11:39Et dans cette décision 2018-706 QPC, vous avez clairement indiqué qu'il y avait des garanties procédurales spécifiques au délit de presse.
11:50Ce sont vos mots. Et l'occasion vous est donnée aujourd'hui de dire si ce concept que vous avez déjà utilisé a un sens ou s'il est vide de sens.
12:02Et c'est précisément les raisons pour lesquelles il y a selon nous un principe fondamental. Alors les problèmes de fond de la comparution immédiate sont doubles.
12:12D'abord, elle implique une contrainte physique, ce que vous a indiqué à l'instant mon confrère. Et ensuite, elle est évidemment trop rapide et ne permet pas de juger d'un délit d'expression.
12:24Et votre triptyque, nous le savons, c'est le caractère nécessaire, adapté, proportionné des atteintes à la liberté d'expression. Vous l'avez dit dans des dizaines de décisions.
12:37Est-ce qu'impliquer la contrainte physique avant la décision est nécessaire à l'évidence ? Non. Est-ce que juger en urgence, en quelques jours, dans une procédure de comparution immédiate est nécessaire à l'évidence ? Non.
12:52Surtout, on doit avoir conscience que la notion de comparution immédiate, de flagrant délit, est absolument antinomique de ce qui est demandé au juge, qui est précisément la balance des intérêts en matière de liberté d'expression et la proportionnalité.
13:13Il y a une opposition ontologique entre la procédure de comparution immédiate et la balance des intérêts. Et c'est la raison pour laquelle la comparution immédiate est effectivement inadaptée à un délit d'expression.
13:30Il y a d'autres procédures d'urgence. Les référés, mais ils sont provisoires. Ils sont de nature civile. Il y a des décisions très circonscrites en matière électorale. Tout ça est adapté et proportionné. Mais la comparution immédiate ne l'est pas.
13:47Que dire de l'exigence de forme lors de l'acte initial de poursuite ? On a une situation qui est totalement contradictoire, puisque nous sommes ici dans le cadre des infractions prévues par la loi du 29 juillet 1980, qui sont les plus graves, celles qui sont susceptibles de peine de détention.
14:07Or, on voudrait que pour ces infractions les plus graves, le prévenu soit précisément privé de la principale garantie du procès de presse, qui est la possibilité d'éviter toute équivoque dans la qualification de l'acte initial de poursuite.
14:25Vous avez indiqué en mai 2013 que ces garanties de la voix sur la presse étaient même nécessaires et proportionnées dans le cadre des procédures d'urgence civiles. C'était une décision de mai 2013 qui porte la référence 2013-311 QPC.
14:47Comment pourrait-on comprendre, si ce n'est par une contradiction totale, qu'on va priver le justiciable de ces garanties alors que, précisément, il risque des peines de prison ?
15:01Dernier point, l'égalité. En effet, c'est un principe cardinal. Aujourd'hui, vous avez une disposition qui porte atteinte à l'égalité. Elle porte atteinte, je pense, définitivement au principe que vous avez posé dans votre décision 2020-801-DC.
15:21Lorsque vous avez été amené à apprécier la loi dite Avia, vous avez rappelé que la liberté d'expression de l'internaute est à l'égal de la liberté d'expression du professionnel de la presse.
15:36Par conséquent, des procédures qui discriminent l'un et l'autre sont contraires à l'égalité et ne sont pas nécessaires, adaptées et proportionnées. Voilà pourquoi nous demandons à votre Conseil de faire droit à nos deux questions prioritaires de constitutionnalité.
15:53Merci, maître. Alors maintenant, nous allons écouter maître Spinozzi, qui est avocat au Conseil, qui représente l'Association de la presse judiciaire, la Ligue des droits de l'homme et l'Association des avocats pénalistes parties intervenantes. Maître.
16:14Monsieur le Président, mesdames, messieurs les membres du Conseil, vous venez de le dire, je représente diverses associations, une association de défense des droits des journalistes et des associations de défense des libertés, qu'il s'agisse de la Ligue des droits de l'homme ou de l'Association des avocats pénalistes.
16:30J'aimerais essentiellement vous parler ici, en ma qualité de représentant des journalistes, sur une question qui me semble absolument déterminante et que vous avez à trancher, qui vous est posée.
16:40C'est la reconnaissance d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui viendrait consacrer le droit pour la presse à bénéficier d'une procédure particulière.
16:52C'est sur ce fondement que la QPC vous a été transmise, puisque la Cour de cassation vous a renvoyé cette question comme étant nouvelle, et c'est suffisamment rare pour qu'on puisse s'y arrêter un instant.
17:03C'est évidemment une invitation qui vous est faite par la Cour de cassation, qui s'interroge elle-même. Y a-t-il là, pour vous, matière à faire évoluer votre jurisprudence, à consacrer, à développer le bloc de constitutionnalité ?
17:15Et il y a là donc une question absolument déterminante qu'il vous appartiendra de trancher au préalable de la décision que vous serez susceptible de rendre s'agissant de cette QPC.
17:25Trois conditions dans votre jurisprudence pour la reconnaissance d'un nouveau principe fondamental reconnu par les lois de la République.
17:31La première, il faut que ce principe ait une base textuelle suffisante antérieure à 1946. Cela ne pose pas véritablement de difficultés. En tout cas, le secrétariat général du gouvernement reconnaît cette existence.
17:43De la même manière, il faut que ce principe ait fait l'objet d'une application continue depuis lors. Là, encore une fois, il n'y a pas véritablement de difficultés.
17:51En revanche, c'est bien la troisième condition qui, elle, fait débat. Je vous rappelle votre jurisprudence. Le principe doit énoncer une règle suffisamment importante, avoir un degré suffisant de généralité,
18:03et intéresser des domaines essentiels de la vie d'une nation comme les libertés fondamentales, la souveraineté nationale ou l'organisation des pouvoirs publics.
18:13Je ne reviendrai pas ici sur le rôle déterminant habituel que les juridictions qui défendent les libertés fondamentales reconnaissent à la presse.
18:24Et à cet égard, on peut lire les motifs relativement lyriques des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, qui sont quelquefois plus diffères que vos propres décisions,
18:35qui rappellent qu'il y a auprès de la presse un rôle de chien de garde de la démocratie et combien les libertés d'expression comme de la presse constituent, je la cite,
18:45l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, l'une des conditions essentielles de son progrès et de l'épanouissement de chacun.
18:53Mais – et c'est là ce que je souhaiterais véritablement vous dire – c'est que ce qui était vrai hier l'est encore plus aujourd'hui.
19:01La décision que vous allez rendre est d'autant plus déterminante que ce qui se joue ici, c'est la fondamentalisation de l'un des principaux contre-pourvoirs au risque des dérives populistes.
19:14Et il faudrait être aveugle ou particulièrement naïf pour ne pas voir la menace qui pèse déjà actuellement sur l'ensemble des démocraties d'Europe.
19:26De nombreux pays y ont déjà succombé, qu'il s'agisse bien sûr de la Hongrie, de la Pologne, même si, heureusement, les dernières élections ont vu la défaite d'Uppis,
19:35mais encore de la Slovaquie, de l'Italie et dernièrement encore les Pays-Bas.
19:40En cette période électorale que nous connaissons actuellement, l'échéance de 2027 est évidemment dans tous les esprits.
19:48Et nul ne sait quel sera notre avenir collectif dans les prochaines années.
19:54Bien sûr, c'est le principe même de la démocratie de permettre l'alternance politique.
20:00Mais c'est aussi le principe même de la démocratie d'assurer que cette alternance politique puisse ne pas porter atteinte à l'État de droit.
20:10Or, par nature, la presse, comme le pouvoir judiciaire d'ailleurs, est l'une des premières victimes des assauts des gouvernements populistes et souverainistes.
20:23Et les pays qui ont vu leur pouvoir exécutif et législatif conquis par ces partis peu enclins aux libertés fondamentales et qui ont la légitimité d'une élection,
20:38eh bien évidemment vont chercher à systématiquement porter atteinte à l'indépendance, qu'il s'agisse des journalistes ou des juges,
20:47qui constituent par essence dans un système démocratique le dernier frais aux ambitions autoritaires d'un gouvernement.
20:55Et c'est pourquoi il convient absolument dès à présent, en des temps où la démocratie s'exerce sans contrainte,
21:03de garantir au plus haut niveau ses contre-pouvoirs fondamentaux en les mettant hors d'atteinte des attaques que des futurs gouvernements seront susceptibles de leur porter.
21:16Et je ne suis pas en train d'agiter les fantasmes, les exemples historiques sont présents.
21:22Qu'il s'agisse du gouvernement de Viktor Orban en Hongrie, qu'il s'agisse du gouvernement du PiS à l'époque en Pologne,
21:31ou encore celui de Robert Pico en Slovaquie, toutes ces législations nationales cherchent à porter atteinte à la liberté de la presse
21:39et elles ont été régulièrement dénoncées devant la Cour européenne des droits de l'homme,
21:44et elles ont même abouti dans certains cas à des sanctions qui ont été prononcées contre certains de ces pays par la Cour de justice de l'Union européenne.
21:51Et il ne s'agit pas que d'un problème de l'Est, puisque tout à côté de chez nous, l'Italie n'est pas en reste,
21:56et vous avez pu lire évidemment combien aujourd'hui il y avait des menaces qui pesaient en Italie sur la liberté de la presse,
22:02au point que ce pays de grande tradition démocratique est passé de la 41e à la 46e place en matière d'atteinte aux libertés de la presse
22:10dans le classement de reporter sans frontières.
22:13Et sans avoir besoin de cette assistance du droit comparé, il suffit de regarder dans les récentes propositions législatives
22:21que les ambitions sont à peine voilées de certains partis politiques qui n'attendront certainement pas demain
22:29pour chercher à porter atteinte ou à limiter la liberté de la presse.
22:34Ainsi, à l'occasion de la loi sur la protection des élus locaux, un amendement a été proposé parlementaire
22:40qui permettait d'allonger jusqu'à un an la prescription du délit de diffamation ou injure lorsqu'elle concernait un élu ou un homme politique
22:49qui est aujourd'hui à trois mois.
22:51Il y a eu évidemment une réaction de la part des associations que je représente,
22:54et la commission mixte paritaire s'est défait de cet amendement.
22:58Mais c'est bien la démonstration que les ambitions sont là et que le statut procédural particulier qui a été reconnu à la presse
23:08gêne les manipulateurs d'opinion et que la tentation sera très forte du législateur demain de chercher à y déroger.
23:18Et c'est bien la raison pour laquelle vous devez absolument dès à présent le garantir.
23:23Et vous ne vous laisserez pas abuser par le discours qui vous est tenu par le secrétaire général du gouvernement relativement artificiel
23:31qui prétend que vous ne pourriez pas consacrer ce nouveau principe fondamental reconnu par la loi de la République
23:36car on ne saurait reconnaître à un statut procédural particulier une valeur fondamentale.
23:43Je pense que cet argument est doublement erroné.
23:46D'abord parce qu'on vous l'a dit, vous l'avez déjà fait, vous l'avez reconnu s'agissant de la justice pénale des mineurs.
23:52Mais ensuite et surtout c'est une vision qui démontre une approche des libertés fondamentales aujourd'hui à mon sens totalement dépassée.
24:01Le droit anglo-saxon a bien compris et depuis longtemps que pour garantir une liberté il vaut mieux encadrer strictement les moyens d'y porter atteinte
24:11que de l'inscrire au frontispice de déclaration solennelle.
24:15En droit c'est bien de la forme que naît la garantie du fonds et le législateur de 1880 l'avait bien compris déjà.
24:24Le régime particulier qui a été accordé à la presse n'est que la transposition concrète, effective du droit fondamental à la libre expression de la presse en France.
24:34Le régime dérogatoire qui est aujourd'hui prévu par la loi et dont on vous demande de consacrer au titre constitutionnel
24:41est consubstantiel de la nature fondamentale du rôle que la presse joue dans notre démocratie.
24:49Et je me réfère pour ce faire aux propos qui ont été tenus par monsieur Lisbonne en 1881, c'est la séance du 24 janvier 1881,
24:57lui qui était le rapporteur de la loi à la Chambre des députés qui disait quand il s'agira, je le cite, de la définition des délits,
25:05eh bien elle devra se conformer autant que possible aux règles du droit commun.
25:09Quand il s'agira au contraire de définir les responsabilités, quand il s'agira de déterminer les juridictions compétentes et la durée des prescriptions,
25:19alors dans l'intérêt de la presse elle-même, en faveur de la liberté de la presse, au lieu de se rapprocher du droit commun, il faut s'en éloigner essentiellement.
25:30En 1881, l'objectif était de libérer la presse, de la mainmise d'une droite conservatrice qui, à l'issue de la commune,
25:39se cherchait à être garante de l'ordre moral et souhaitait alors soumettre à un régime d'autorisation et de cautionnement l'ensemble des journaux français.
25:49150 ans plus tard, les objectifs ont changé, mais il reste la nécessité d'éviter de revenir sur des attaques institutionnelles que l'opposition publique gêne
26:03et d'éviter qu'un gouvernement cherche à porter atteinte à cette liberté pour garantir le populisme dont on sait qu'il est nécessairement lié
26:16à une forte emprise politique sur les outils de communication.
26:20C'est tout l'enjeu de la reconnaissance du principe constitutionnel que vous avez l'opportunité historique de consacrer aujourd'hui.
26:26Civis pacem parabelum, c'est maintenant et non pas plus tard, quand il sera peut-être trop tard, que les garanties constitutionnelles doivent être édictées.
26:38L'histoire ne laisse en la matière hélas que peu de place aux doutes. Vous construisez en ce moment même par votre jurisprudence les digues qui seront éprouvées demain
26:51quand tant de signes menaçants pèsent sur lui. Ne laissez pas s'échapper cette occasion qui vous est donnée de renforcer notre état de droit.
27:02Merci, Maître. Alors, maintenant, nous allons écouter Maître Mettonnet, qui est avocat au Conseil, lui aussi, qui représente le syndicat des avocats de France, partie intervenante. Maître.
27:15Merci, Monsieur le Président. Mesdames et Messieurs les conseillers, pour le syndicat des avocats de France, je ne saurais évidemment longuement vous rappeler que la liberté d'expression
27:26fait l'objet, dans votre jurisprudence, d'une protection toute particulière, comme dans celle de toutes les juridictions internes ou internationales avec lesquelles vous êtes en dialogue,
27:35car cette liberté, on le sait, est une condition dans la démocratie. Et vous exercez à cet égard un contrôle entier à l'égard des lois qui peuvent emporter des restrictions à cette liberté.
27:45Vous exercez un contrôle à l'égard de ces atteintes dont vous vous assurez alors le caractère adapté, nécessaire et proportionné.
27:52Dans un autre contexte, lorsqu'ils ont à exercer un contrôle, cette fois-ci inconcréto, le juge pénal et la Cour européenne des droits de l'homme tiennent compte, lorsqu'il s'agit de déterminer
28:04le caractère proportionné d'une atteinte à la liberté d'expression en raison d'une condamnation pénale ou civile, de l'ensemble des mesures dont la personne a pu faire l'objet,
28:13et non pas uniquement de la sanction qui a été prononcée. La Chambre criminelle de la Cour de cassation vise ainsi que c'est l'incrimination pénale d'un comportement,
28:22et l'ensemble de ses effets, qui doit être prise en considération lorsqu'il s'agit d'apprécier la proportionnalité d'une atteinte à la liberté d'expression.
28:31Et la Chambre criminelle reprend ici les solutions adoptées par la Cour européenne des droits de l'homme, qui a eu l'occasion de constater le caractère disproportionné
28:39d'une atteinte à la liberté d'expression, alors même que le juge avait prononcé une sanction minime, voire même avait prononcé une dispense de peine,
28:48à raison, la disproportion résultait à raison, d'une détention avant jugement, d'une perquisition, voire même simplement du poids qu'avait représenté la crainte,
28:57tout au long de la procédure, de faire l'objet d'une sanction. Et ce dont il est tenu compte, alors, ce n'est pas tant du traitement réservé à la personne qui est poursuivie
29:06et de la sévérité de la sanction, mais de l'effet dissuasif de ce traitement à l'égard de l'intéressé et à l'égard du public, effet dissuasif qui pourrait conduire ces personnes
29:18à ne plus exercer leur liberté d'expression, alors évidemment à ne pas diffuser le même propos dans le même contexte, avec le même sens et la même connotation,
29:28puisque c'est l'effet de la peine, mais à exercer une liberté, en général, pour diffuser des propos qui, sans être ceux qui ont été condamnés, participent et peuvent participer au débat démocratique.
29:39Car autant la liberté d'expression est précieuse, autant elle est fragile. Ces dangers résident non seulement dans les atteintes qui peuvent lui être faites de l'extérieur que dans le risque de l'auto-censure.
29:52Ainsi, le caractère proportionné d'une atteinte à la liberté d'expression que génère une incrimination pénale dépend non seulement de la nature et des limites de l'infraction en cause,
30:01mais également de la manière dont la répression est mise en œuvre. On pourrait dire, somme toute, que si la procédure est la sœur jumelle des libertés,
30:08elle peut tout en tant être l'adversaire de la liberté d'expression lorsqu'elle entraîne à l'égard de ceux qui en font l'objet une rigueur qui aurait pour effet de dissuader l'auteur des propos ou le public,
30:18quel que soit le sens final de la décision reçue par le juge, condamné à son collapse, d'exercer sa liberté d'expression.
30:24Et la loi du 29 juillet 1880 s'inscrit dans cette logique, puisqu'il a toujours été considéré, il est notoire, qu'il s'agit d'une loi plus de procédure que de fond,
30:33et que ce sont les règles de procédure particulières qui ont depuis bientôt un siècle et demi assuré l'équilibre entre la liberté d'expression et les intérêts auxquels son exercice peut porter atteinte.
30:45Et parmi ces règles figurent, jusqu'aux dispositions législatives contestées, l'exclusion de tout recours aux procédures d'urgence, comparation immédiate aujourd'hui, procédure des flagrants délits ensuite.
30:55Alors, s'agissant du caractère inadapté de la procédure à la comparation immédiate, dont il vous a déjà fait état, le syndicat des avocats de France, de par son expérience, peut témoigner.
31:06Témoigner que le procès de comparation immédiate se joue dans des conditions, conditions concrètes, qui sont incompatibles avec l'office du juge et l'exercice d'une loi de la défense,
31:17qui supposent non pas l'application d'un syllogisme classique, mais au contraire un mode de raisonnement beaucoup plus approfondi, que vous connaissez évidemment très bien,
31:25qui consiste à faire la pesée des balances, à mettre en perspective le discours avec son contexte, à le mettre en perspective avec un éventuel débat public.
31:33Tout ceci demande du temps, tout ceci demande de la sérénité, tout ceci demande que l'on soit éloigné de l'émotion.
31:41Tout ceci nécessite un procès qui ne peut pas avoir lieu à la va-vite, tard le soir, en catimini, alors même qu'on attend de sa part des bénéfices en termes pédagogiques.
31:53Et je rappellerai simplement, d'une part, qu'en 2015, la Commission nationale consultative des droits de l'homme a déjà, en ce qui concerne l'audit d'hypologie de terrorisme,
32:03invité la suppression du recours à la comparation immédiate pour ce délit, compte tenu du caractère inadapté de la comparation immédiate au contentieux de la liberté d'expression.
32:13Et c'est tellement inadapté qu'en réalité, ce qu'on constate dans la pratique, c'est que les juridictions qui sont saisies en termes de comparation immédiate,
32:20non seulement renvoient l'affaire à une audience ultérieure pour pouvoir être jugée plus sereinement, mais même la renvoient, pour Paris, à la juridiction spéciale, à la chambre spécialisée de la 17e chambre.
32:29Ce qui montre bien que quand on institue une chambre spécialisée en matière de presse, ce n'est pas pour rien.
32:34Et ce qui pose la question de savoir, finalement, quel est l'intérêt, quelle est la nécessité d'une procédure d'urgence qui conduit à des renvois quasiment systématiques.
32:43Mais parce que la difficulté résulte d'un autre effet de cette procédure de comparation immédiate, et qui porte là sur la question du caractère proportionné de l'atteinte qui en résulte.
32:55Car la procédure de comparation immédiate, et comme elle, avant elle, la procédure de flagrant délit, se caractérise par une contrainte inhérente à l'exercice des poursuites,
33:03puisque la personne concernée est maintenue sous main de justice jusqu'à ce qu'elle soit jugée.
33:09Elle est peut-être déférée devant le procureur de la République le matin, elle ne sera jugée que le soir, même plutôt fin de soirée,
33:16puisque les juges feront d'abord passer toutes les personnes prévenues qui sont détenues, afin que l'escorte puisse rentrer,
33:22puis tous ceux qui sont plus susceptibles que d'autres de faire l'objet d'une sanction de privatif de liberté, pour les mêmes raisons.
33:28Bref, on gardera pour la fin la discussion la plus compliquée, on fera comparer le prévenu avant minuit pour éviter une irrégularité de procédure,
33:36et on examinera tout ça entre minuit et une heure du matin, la personne sortira du tribunal une fois toutes les formalités terminées,
33:42et elle rentrera chez elle au milieu de la nuit.
33:45Alors, on s'en remet. On s'en remet d'une telle épreuve.
33:48Oui, le salarié trouvera le moyen de justifier auprès de son employeur son absence.
33:52Le commerçant arrivera à récupérer les contrats qu'il a perdus à raison de cette dernière.
33:56L'avocat ira expliquer à ses clients pourquoi il n'était pas à l'audience.
34:00Mais ce qui est certain, c'est qu'aucune de ces personnes ne se retrouvera de nouveau sur les réseaux sociaux,
34:07de peur qu'un pas de côté qui leur serait reproché leur impose de nouveau une telle épreuve.
34:14Et ceci, qu'elles aient été condamnées, et souvent à une peine qui est relativement légère, ou qu'elles aient été relaxées.
34:21Et c'est ce risque d'autocensure qui résulte de cette contrainte inhérente,
34:26qui s'étendra non seulement à la personne qui a fait l'objet de cette épreuve, mais à tous ceux qui en seront témoins.
34:32Alors, vous allez me dire, oui, mais après tout, c'est de la rigueur à l'égard des discours de haine.
34:37Et il faut combattre les discours de haine. Et nous n'avons aucune difficulté à accéder.
34:41Oui, il faut combattre les discours de haine. Il faut être ferme.
34:44Le syndicat des avocats de France a toujours considéré, a toujours soutenu les infractions qui réprimaient
34:50les appels à la haine, les provocations, les diffamations à caractère racial.
34:54Mais la question, c'est de savoir à l'égard de qui et par qui, à l'égard de qui, quelle est la cible, quel est le champ d'application.
35:02Lorsqu'on examine de plus près la loi, on se constate que ce qui est visé par la loi, les infractions concernées,
35:10ne sont pas uniquement celles que l'on considère généralement comme relevant des discours de haine,
35:15puisqu'on y retrouve les appels, les provocations au crime et au délit, et notamment des provocations au vol, aux dégradations.
35:22On pense tout de suite aux militants écologistes, qui feraient un appel à un démantèlement,
35:26qui, malgré son caractère symbolique, serait considéré comme une provocation pénalement prépréhensible,
35:36de moins faire l'objet d'une comparaison immédiate, qu'on mobilisera évidemment, d'autant plus que peut-être que cela permettrait
35:42de dissuader des personnes, non seulement de réitérer de tels messages, mais de donner un signal fort avant l'événement annoncé.
35:50Mais surtout, par qui ? Parce que le recours inhérent à la contrainte est inhérent aux poursuites qui sont décidées par le procureur de la République.
36:06Et elles produisent leur effet à l'égard du prévenu et à l'égard de la personne, de tout le public qui en est témoin du traitement qui est réservé,
36:15indépendamment d'une décision du juge et indépendamment du sens de cette dernière, que ce soit une condamnation,
36:24souvent une peine dont la sévérité est moindre que l'épreuve que la personne a subie, mais cela peut être également une relaxe,
36:32et les effets auront quand même été produits. Ce qu'il cherchait dans la loi, ce n'est pas une exemplarité par la peine,
36:40c'est une exemplarité par la poursuite et par sa rigueur. Ce sont les propos même du garde des Sceaux devant l'Assemblée nationale.
36:48Il disait « Je ne crois pas à l'exemplarité de la peine ». En revanche, pour les gamins qui sont les nus du quotidien,
36:54la comparution immédiate peut avoir un effet intéressant en termes d'exemplarité. C'est la comparution immédiate par opposition à la peine qui est recherchée.
37:04Or, lorsque la rigueur qui découle du simple exercice des poursuites est plus élevée que la sanction que peut prononcer le juge,
37:12et plus encore, lorsqu'elle peut produire des effets dissuasifs à l'égard de la liberté d'expression, indépendamment de la décision du juge,
37:19c'est que la loi opère un transfert du pouvoir de dissuader des certaines prises de parole du juge au ministère public.
37:28Confier en matière de presse au seul ministère public, sans contrôle du juge, un pouvoir de contrainte, accessoire et inhérent à l'exercice des poursuites,
37:36revient, si cette contrainte a un effet dissuasif à l'égard de la liberté d'expression, à confondre juge et procureur, et à confier, ce dernier, la police de la parole.
37:48Je n'aurai pas besoin de faire un scénario catastrophe, bien que la catastrophe soit, comme cela vous indiquez, plus proche qu'on ne le croit et ne relève pas nécessairement de la fiction.
37:58Un scénario d'une démocratie libérale, dont les débuts débuteraient par l'instrumentalisation de portes judiciaires initiées par un parquet,
38:04encore placé sous l'autorité des gardes des sceaux, est tenu de mettre en application des circulaires de politique pénale,
38:10prenant la poursuite systématique de tel ou tel type de propos et prudisant ces effets tant qu'il n'y ait pas encore suffisamment de relax qui permettent de faire comprendre au ministère public
38:20que ces positions systématiques ne sont pas suivies.
38:24Mais sans avoir même à tomber dans cette projection, regardons le contenu de la loi.
38:28Le contenu de la loi est le suivant.
38:31La loi produit un effet dissuasif car par la rigueur toute particulière qu'entraîne, indépendamment du sens de la décision que prendra le juge chési à l'égard des personnes poursuivies,
38:43sur la seule décision du ministère public et la procédure de comparaison immédiate qui produit cette rigueur laissée à la seule discrétion du ministère public
38:55et qui efface le rôle du juge dans l'arbitrage nécessaire entre les propos et les intérêts qui doivent être protégés contre les abus de la liberté d'expression,
39:04est contraire à la liberté d'expression.
39:07C'est à notre sens la principale difficulté que posent ces dispositions législatives, outre la rupture d'égalité dont il a fait état et sur laquelle je ne reviendrai pas.
39:16C'est en cela que les dispositions législatives doivent être censurées,
39:19soit au terme de la reconnaissance du principe fondamental reconnu par les lois de la République sur l'existence duquel la Cour de cassation vous questionne,
39:26soit sur le fondement de la liberté d'expression.
39:28Merci Maître Matonnet.
39:31Alors maintenant nous allons écouter pour le gouvernement M. Canguier.
39:39Merci M. le Président.
39:42Mesdames, Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
39:44la présente QPC, vous l'aurez compris, porte sur deux dispositions distinctes relevant de textes différents modifiés par la loi du 24 août 2021
39:52confortant le respect des principes de la République.
39:54Il convient donc pour l'examen de leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantie de les examiner indépendamment et successivement.
40:02D'abord sur l'article 397-6 du Code pénal et particulièrement son second alinéa qui a été introduit par cette loi du 24 août 2021.
40:11Cet article 397-6 opère par référence aux dispositions des articles 393 à 397-7 du Code de procédure pénale
40:21qui sont relatifs aux procédures de convocation par procès verbal, de comparution immédiate et de comparution différée.
40:27Cet article 397-6 du Code de procédure pénale voit donc dans son premier alinéa que ces procédures accélérées,
40:35et pas uniquement la comparution immédiate, mais l'ensemble de ces trois procédures ne sont pas applicables en matière de délit de presse.
40:41Mais le deuxième alinéa de cet article et l'objet de cette QPC prévoit par dérogation au premier alinéa que nous venons d'évoquer
40:50que les délits, et là encore cet article opère par référence, que les délits prévus aux articles 24, 24 bis et au troisième et quatrième alinéa
40:57de l'article 33 de la loi du 29 juillet 1880 sur la liberté de la presse peuvent être jugés selon ces procédures particulières.
41:07Les délits concernés par ces renvois textuels à la loi de 1881 sont par exemple les provocations directes et publiques non suivies des faits
41:15à commettre certaines infractions graves comme les atteintes volontaires à la vie ou les agressions sexuelles,
41:21la contestation de crimes contre l'humanité ou encore les provocations publiques à la haine ou à la violence à caractère discriminatoire.
41:28Il est enfin essentiel de préciser que cette dérogation est exclue, la dérogation du second alinéa du 397-6 est exclue,
41:37dès lors que les faits résultant du contenu d'un message placé sous le contrôle d'un directeur de publication,
41:46seuls sont donc visés par ces dispositions les auteurs de messages diffusés sur un espace de contribution personnelle en ligne
41:54qui n'est pas sous la responsabilité d'un directeur de publication.
41:58Il est en premier lieu soutenu que cette possibilité de poursuivre selon des procédures que l'on qualifiera d'accélérer
42:05certains délits prévus par la loi du 29 juillet 1881 méconnaîtraient le principe fondamental reconnu par les lois de la République
42:12selon lequel les délits de presse seraient soumis à des règles de procédure spéciales
42:15qui excluraient ainsi la possibilité d'un jugement selon une procédure d'urgence.
42:20Ce principe fondamental reconnu par les lois de la République n'a jamais été reconnu par votre jurisprudence
42:26pour une raison très simple, c'est que les conditions nécessaires à une telle reconnaissance ne sont pas réunies.
42:32Un principe fondamental reconnu par les lois de la République doit être un principe qui trouve son fondement textuel
42:38dans une ou plusieurs lois intervenues sous un régime républicain antérieur à 1946.
42:42Cela est constamment rappelé par votre jurisprudence.
42:46Et effectivement, cela a déjà été dit, l'exclusion des délits de presse de l'instruction des flagrants délits
42:51figure dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui est une loi républicaine, nul n'en dit ce qu'on viendra.
42:58Mais pour autant, cette loi, pas plus qu'aucune autre loi par la suite, ne pose de principe général.
43:06S'il y a incontestablement une règle de procédure, il n'y a pas pour autant de principe général.
43:12Or, votre jurisprudence exige que la règle ait une importance et un niveau de généralité suffisants
43:19pour pouvoir être qualifiée de principe fondamental.
43:23Il ne suffit pas qu'une règle soit reconnue par les lois de la République, encore faut-il que le principe soit fondamental.
43:29Et ainsi, aucune règle de procédure n'a été jusqu'ici érigée en principe fondamental reconnu par les lois de la République.
43:35Les parties requérantes et intervenantes, comme dans leurs observations écrites, se prévalent de votre décision 461 d'essai relative à la justice des mineurs.
43:44Mais le principe fondamental reconnu par la République consacré à cette occasion ne vise pas une règle particulière de procédure,
43:52mais bien le principe même d'une atténuation de la responsabilité des mineurs et du traitement pénal adapté que cela implique.
44:00En l'espèce, cette règle, selon laquelle il est impossible dans certains cas de recourir aux procédures d'urgence en matière de délit de presse,
44:08est une des modalités par lesquelles le législateur garantit le respect d'un principe constitutionnel qui existe bel et bien
44:17et qui est largement consacré et repris par votre jurisprudence, qui est le principe constitutionnel de la liberté d'expression.
44:24Pour autant, cette règle de procédure n'est qu'une modalité parmi d'autres de la protection de ce principe constitutionnel
44:31et cette règle n'a pas par elle-même un degré de généralité suffisant pour constituer un principe fondamental autonome auquel le législateur ne pourrait déroger.
44:40Ainsi, aucune loi antérieure à 1946 n'a consacré de principe général autonome interdisant de juger les délits de presse en comparution immédiate.
44:51En deuxième lieu, et en accord avec les exigences de votre jurisprudence, les dispositions contestées portent à la liberté d'expression en ligne et sur les réseaux
44:59une atteinte nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi.
45:02En effet, le législateur a entendu sanctionner rapidement les provocations, injures et appels à la haine commises sur Internet et sur les réseaux,
45:11en dehors de tout contenu éditorialisé.
45:14Ainsi que cela ressort des travaux parlementaires, une réponse pénale rapide est ainsi nécessaire et adaptée, adaptée notamment au regard du lieu où ces délits sont commis,
45:25les réseaux et autres contenus non éditorialisés en ligne, qui se caractérisent par leur immédiateté et par la grande publicité donnée aux propos.
45:34La répression rapide de ces délits est également proportionnée à la nature des abus à la liberté d'expression sur Internet, et ce pour deux raisons.
45:43D'une part, ces procédures accélérées ne portent pas atteinte aux droits de la défense qui sont préservés.
45:51D'autre part, et c'est sans doute le point essentiel de la présente question, les dispositions contestées ne sont pas applicables au contenu d'un message placé sous le contrôle d'un directeur de la publication.
46:04Dans ce cas caractéristique d'un délit de presse, les garanties propres aux droits de la presse continuent évidemment de s'appliquer.
46:12Le Conseil d'État, dans son avis rendu sur le projet de loi du 24 août 2021, avait d'ailleurs reconnu que, loin de porter atteinte aux principes de liberté d'expression,
46:22les dispositions en cause aujourd'hui permettaient, nous citons, « d'apporter une réponse prompte et efficace à des agissements constitutifs des abus les plus graves et manifestes de la liberté d'expression qui ne sauraient relever du droit d'informer ».
46:37Enfin, les dispositions du deuxième alinéa de l'article 397-6 du Code de procédure pénale ne portent pas davantage aux principes constitutionnels d'égalité.
46:48Il existe en effet bien une différence objective de situation selon que les contenus sont ou non publiés sous le contrôle d'un directeur de publication.
46:57Et comme l'avait également relevé le Conseil d'État dans son avis, la facilitation des poursuites se justifie compte tenu de propos tenus en dehors du contrôle d'un directeur de publication dans un espace d'expression non éditorialisé
47:09et qui n'obéissent ainsi pas aux mêmes règles, notamment en ce qui concerne l'identification des auteurs des propos litigieux et donc la désignation de la personne responsable.
47:20Pour conclure sur cette première partie de la QPC, sur les premières dispositions visées par celle-ci, il est utile de préciser que,
47:28loin de la généralisation de la comparution immédiate qui est crainte par mes contradicteurs, la part des poursuites engagées par la voie des procédures rapides de jugement
47:38est en réalité assez faible, de l'ordre de 15% des poursuites totales. Pour donner l'illustration chiffrée la plus significative pour l'année 2022,
47:48il y a eu en tout 613 poursuites pour injures discriminatoires et parmi elles 65 comparutions immédiates, 44 convocations par procès verbal et moins de 5 comparutions à déférer,
48:00soit environ 17% du total des poursuites pour injures discriminatoires.
48:08Très rapidement en ce qui concerne l'autre disposition législative visée par la présente QPC, l'article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881,
48:18et plus particulièrement son second alinéa qui dispose que le deuxième alinéa de l'article 65 de la loi n'est pas applicable pour les délits qui sont l'objet de la présente QPC.
48:31Cet article 65, auquel renvoient donc les dispositions objets de la QPC, et pour en écarter l'application, dispose, nous citons,
48:38que avant l'engagement des poursuites, seules les réquisitions aux fins d'enquête sont interruptives de prescription.
48:45Ces réquisitions devront à peine de nullité articuler et qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquelles l'enquête est ordonnée.
48:53Ces dispositions sont issues de la loi du 27 janvier 2017, relative à l'égalité et à la citoyenneté, et leur objet était de rapprocher du droit commun le régime applicable aux injures, diffamations et provocations.
49:04D'une part, ces dispositions n'ont pas pour objet d'empêcher la personne poursuivie de connaître précisément les propos dont elle doit répondre, mais portent sur le délai de prescription et ses causes interruptives.
49:18D'autre part, ces modalités d'interruption de la prescription n'ont aucune incidence sur l'exercice des droits de la défense.
49:25Le grief tiré de la béconnaissance par ces dispositions du principe consigné de respect du droit de la défense est donc inopérant.
49:33Aucune exigence est consignée n'ayant été méconnue. Je vous invite à déclarer les dispositions contestées conformes à la Constitution.
49:40Merci, M. Canguilhem.
49:42Alors, nous avons entendu des observations de nature, enfin d'un sens différent. Est-ce que vous êtes éclairé, mes chers collègues ? Est-ce que vous souhaitez poser telle ou telle question ?
49:54M. le conseiller Mézard.
49:56Merci, M. le Président. Oui, j'aurais une question à M. Canguilhem, mais qui s'adresse aussi aux avocats que nous avons entendus,
50:04et en particulier à M. Bigaud qui a insisté sur ce point-là en ce qui concerne le deuxième alinéa de l'article 65.3
50:15sur la suppression d'exigences d'articulation et de qualification dans les réquisitions avant l'engagement des poursuites.
50:25Pratiquement pour vous, M. Canguilhem, et la question s'adresse à tout le monde, quels actes et quelles conséquences, tant pour les personnes qui pourraient être suspectées que pour les victimes ?
50:37M. Canguilhem.
50:42Alors, effectivement, je pense qu'un complément pourra vous être apporté de l'autre côté de la barre.
50:47Je pense, et d'ailleurs, aussi bien l'avis de l'avocat général que le rapport que les écritures dans la procédure contradictoire révèlent que l'objet de ces dispositions,
50:58il est essentiellement sur la question du délai de prescription et sur la question de la cause interruptive de prescription.
51:12Et comme je l'ai dit rapidement dans les observations liminaires, ces dispositions n'entraînent pas de facto, si vous me permettez, le fait que, évidemment, les personnes poursuivies sont informées de la teneur de ce qui leur est reproché.
51:30Merci, Maître.
51:33Merci, M. le Président.
51:36Juste une mise en perspective. Nous avons trois textes. Pour la citation, c'est l'article 53. Il faut préciser et qualifier.
51:46Pour le réquisitoire introductif et la plantation de partie civile, il faut préciser, articuler, qualifier.
51:54Il faut donc également une garantie pour les réquisitions d'enquête.
51:58Or, ces réquisitions d'enquête sont précisément garanties par cette disposition de l'article 65 alinéa 2, qui disparaît pour les infractions qui sont donc les plus graves.
52:11Ce qui est incohérent, puisqu'on se retrouve dans une situation, en effet, où la réquisition d'enquête n'a plus du tout de nécessité de renforcer, de garantir les droits de la défense.
52:27Il s'agit simplement d'un droit commun. Et on peut se retrouver entendu, y compris en garde à vue, sans bénéficier de ces fameuses garanties qui permettent,
52:38votre jurisprudence l'a dit, y compris en matière civile, qui permettent d'éviter tout équivoque sur la portée des propos poursuivis.
52:48Voilà pourquoi, selon moi, c'est une atteinte aux droits de la défense.
52:52Merci.
52:54M. le conseiller Mézard, je vous en prie.
52:56En garde à vue, ça voudrait dire que la personne qui est en garde à vue, on ne lui signifierait pas la teneur exacte des propos ?
53:07On pourrait ne pas lui signifier la teneur exacte des propos. D'ailleurs, dans l'affaire précisément qui nous occupe, ça ne lui a été signifié que dans les interrogatoires,
53:20les derniers interrogatoires sous le contrôle de mon confrère Kempf. Donc, en effet, on se trouve dans un cas de figure où il n'y a pas de garde-fou pour garantir contre l'équivoque
53:33sur les propos eux-mêmes et leurs qualifications. Voilà.
53:39Merci.
53:41M. Kempf, venez à la barre, s'il vous plaît.
53:43Merci, M. le Président, M. le membre du Conseil constitutionnel. Oui, un mot pour vous parler de la jeune femme, Mme Juliette Philippe, que nous défendons avec maître Bigot,
53:52qui est étudiante au Beaux-Arts et stagiaire au Mobilier national et qui a eu peut-être des mots qu'un tribunal pourra peut-être juger comme étant malheureux sur Twitter.
54:02Mais peu importe. Dans ce dossier, le ministère public avait effectivement pris des réquisitions en fin d'enquête qui n'étaient pas articulées et qualifiées selon les exigences
54:11qui viennent de vous être rappelées par maître Bigot. Et elle a été interpellée à 6h du matin à son domicile. Elle a été placée en garde à vue.
54:17Et elle n'a pas été immédiatement informée du contenu des propos qui lui étaient reprochés à cette occasion. Et ce n'est qu'au cours des questions qui lui étaient posées
54:28au cours de sa garde à vue qu'elle a pu plus ou moins deviner ce qui lui était reproché, car c'est un tweet qui fait plusieurs lignes. Et seule une petite partie de ce tweet
54:37est finalement reproché. Si vous me permettez, M. le Président, de dire un mot en réponse aux observations du représentant du gouvernement, parce qu'il y a...
54:47Un mot, non, mais quelques-uns seulement.
54:49Merci. Merci beaucoup, M. le Président. Il a été évoqué la notion de contenu éditorialisé avec cette idée que des propos tenus dans la presse
55:01sous le contrôle d'un directeur de la publication seraient moins dangereux que des propos tenus sur les réseaux sociaux. Nous l'avons écrit, mais j'attire l'attention
55:10du Conseil sur un arrêt de la Cour de cassation à un événement que notre histoire républicaine a bien connu et qui, moi, me touche toujours encore aujourd'hui.
55:19Ce sont les propos et les écrits rédigés par Charles Maurras dans un journal, l'Action française en 1935, qui étaient des horreurs antisémites visant Léon Blum,
55:28à la suite desquelles Léon Blum a fait l'objet d'une attaque et de voix de fée par des militants d'extrême-droite.
55:34Ces propos ont certes été condamnés comme étant des provocations, et c'est bien naturel, mais ils ont été rédigés sous le contrôle d'un directeur de la publication,
55:45de telle sorte que des propos extrêmement dangereux et que la loi nouvelle ne permettrait pas à ce que Charles Maurras soit jugé en comparution immédiate.
55:53Donc, on voit bien que la loi nouvelle ne permet même pas d'atteindre le but qu'elle se donne. Je vous remercie.
55:59D'autres questions ? Non ? Vous êtes éclairé. Très bien. Donc, nous allons regarder tout cela de très près, bien sûr, et nous rendrons notre décision,
56:11comme toujours, rapidement, puisque nous la rendrons dans dix jours, le 17 mai. Voilà. Nous allons terminer avec la première question.