• il y a 5 mois
Alors que nous les encensions au début, alors que nous les alimentions en toute innocence, avec nos données, nos humeurs, nos commentaires… Les réseaux sociaux sont devenus un sujet d’inquiétude majeur, un sujet politique.
Comment en est-on arrivé là ? Que s’est-il passé depuis la création de Facebook par Mark Zuckerberg ?
Les réseaux sociaux menacent-ils nos démocraties ? Les Etats sont-ils impuissants ?
Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat.
Année de Production : 2023

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Transcription
00:00Marc Zuckerberg, l'empereur de Facebook, de Julien Lebeau et Laurent Folléa, documentaire éclatant sur la machine Facebook et sa mise en route depuis la chambre d'un étudiant
00:12qui n'avait, semble-t-il, absolument pas conscience de ce qu'il était en train de créer. L'œuvre a-t-elle échappé à son créateur et qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
00:19On va en parler avec nos invités. Catherine Morin de Sailly, bienvenue. Vous êtes sénatrice union centriste de la Seine-Maritime, membre de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport.
00:29Vice-présidente de la commission d'enquête sur l'utilisation de TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence. Mathieu Slama, bienvenue à vous également.
00:38Essayiste, vous enseignez la communication politique au Celsa Sorbonne Université. Vous alertez régulièrement sur les atteintes aux libertés individuelles et fondamentales, notamment dans cet ouvrage
00:48« Adieu la liberté », essai sur la société disciplinaire aux éditions Presse de la Cité. François Salciel, bienvenue à vous également.
00:56Bonjour.
00:57Journaliste, réalisateur, producteur de radio, notamment de l'émission « Le meilleur des mondes », chaque semaine sur France Culture, qui traite justement des sujets liés aux numériques et aux nouvelles technologies.
01:05On peut aussi vous écouter tous les matins dans la matinale. Et vous êtes l'auteur de deux essais, « Le vendeur de thé qui changea le monde » avec un hashtag et « La société du sans contact, selfie d'un monde en chute » chez Flammarion.
01:17Olivier Alexandre, bienvenue à vous également. Docteur en sociologie, chargé de recherche au CNRS, vous êtes membre du Centre Internet et Sociétés.
01:24En 2023, vous avez publié « La Tech » quand la Silicon Valley refait le monde aux éditions du Seuil. Merci à tous les quatre d'être ici.
01:32Je voudrais d'abord votre regard sur ce que semble démontrer ce film. Il donne le sentiment que Mark Zuckerberg n'était pas vraiment taillé pour le costume qu'il s'est lui-même créé, passant du petit étudiant geek à celui de géant du web.
01:45Ma question va être un peu directe et elle est pour vous, François Salciel. Est-ce que Facebook a été créé par un adolescent immature ?
01:51En tout cas, ce qui est certain, c'est que cet adolescent qui a créé Facebook, et ça, je pense que le documentaire le traduit bien, ne pouvait pas imaginer le succès que ça allait être.
02:00De toute façon, qui aurait pu imaginer que ce premier réseau social allait générer un usage mondial et toucher des milliards d'utilisateurs ?
02:09Je pense que si on prend ne serait-ce que la question de la modération, on voit bien qu'elle n'a pas été pensée à la hauteur, finalement, du déploiement qui est fait de l'outil.
02:16Donc, je ne sais pas s'il est immature, sans doute. Du moins, dans la lecture qui a été faite du personnage, c'est un jeune qui avait ses envies.
02:23On voit bien d'ailleurs que la conception même de Facebook, au départ, n'était pas forcément des plus vertueuses.
02:27Non, c'est un joujou sexiste. C'est ce qu'on comprend dans le film.
02:29Il s'agissait de comparer qui était la fille la plus attrayante. Donc, on est bien aussi là dans les fondamentaux, un peu nord-américains, la performance, la compétition, le choix.
02:40Donc, sans doute qu'il y avait une forme d'immaturité et que personne ne pouvait imaginer que cet adolescent allait devenir l'un des hommes peut-être les plus puissants de la Silicon Valley.
02:50C'est une certitude. Et comme on sait que la Silicon Valley nourrit nos imaginaires, nos comportements et nos usages, par définition, peut-être l'un des hommes les plus puissants du monde.
02:57Olivier Alexandre, c'est un peu la thèse de ce film. C'est de nous montrer que, finalement, le créateur de Facebook était presque un ado attardé.
03:04Est-ce que c'est... On peut le confirmer ? Ou c'est un ressenti ? Ou c'est un peu injuste, un gras ?
03:11C'est un ressenti, je ne sais pas. Mais en tout cas, c'est l'image que se donne la Silicon Valley.
03:15Parce que ce qui est intéressant avec Marzucarbec, c'est que c'est devenu un stéréotype qui est porté à l'écran, qui est le visage, d'une certaine façon, de la Silicon Valley.
03:25Alors même que c'est une industrie qui n'a pas tout à fait les mêmes qualités. C'est-à-dire que c'est une industrie assez ancienne, elle est même plus ancienne qu'Hollywood.
03:31C'est une industrie, en fait, de gens qui ont de l'argent, des investisseurs, des capital-riskeurs.
03:35Et d'ailleurs, on insiste beaucoup dans le film sur le rôle de Marzucarbec, mais en fait, c'est une équipe qui est autour.
03:40Et puis, encore un autre point. Si vous regardez Facebook, les fondateurs, ils sont cinq. Ce n'est pas Marzucarbec tout seul.
03:47Et une autre singularité de son parcours, par contre, pour le coup, une vraie singularité, c'est que Marzucarbec est à la fois founder, créateur de l'entreprise, et toujours CEO, dirigeant, PDG de l'entreprise.
03:59Et ça, si vous regardez les grands de la tech aujourd'hui, c'est une vraie rareté.
04:03Donc, il a fallu sûrement une part de hasard. Et d'ailleurs, les gens dans la Silicon Valley insistent beaucoup là-dessus.
04:08La part de chance, puis aussi sûrement d'une capacité à apprendre. Et c'est d'ailleurs une des valeurs de l'entreprise, apprendre vite.
04:14Trop de pouvoir entre les mains d'un seul homme ou pas, Mathieu Slamad ?
04:17Alors, déjà, vraiment, si je peux avoir une première remarque qui, moi, m'a fascinée dans ce documentaire,
04:24c'est qu'en fait, en effet, on se rend compte que Facebook démarre avec une logique sexiste, masculiniste.
04:34Et c'est très révélateur de l'imaginaire néolibéral que Marzucarbec incarne, peut-être mieux que personne aujourd'hui,
04:43qui est un imaginaire très viriliste, qui est un imaginaire très... Si on veut, on peut, évidemment...
04:49T'es beaucoup dit dans le film. C'est vraiment montré, ça.
04:52N'importe qui peut y arriver, avec le côté développement personnel, sur lequel Marzucarbec insiste beaucoup dans ses discours.
04:59Et en fait, on se rend compte qu'on a là un peu la caricature, en fait, du néolibéralisme contemporain, avec aussi ses plus mauvais côtés.
05:10La seule chose qui m'a frappée aussi, c'est quand Marzucarbec, finalement, a un aveu devant les sénateurs.
05:15Il a dit, moi, je vends de la pub. En fait, mon métier, c'est... Voilà.
05:20Il faut qu'on fasse des profits, et je suis là pour vendre de la pub.
05:23T'es un homme d'affaires.
05:24Et au fond, c'est un peu ça, quand même, que je retiens.
05:26C'est que l'espèce de rêve un peu hippie, tel que je pense peut-être que certains y ont cru,
05:34on se rend compte qu'en fait, c'est une entreprise capitaliste, comme les autres, avec tout ce qu'il y a derrière.
05:42Et il y a une autre confidence dans ce film, Catherine Morin de Sailly, à un moment donné, on entend un off sur Marzucarbec,
05:48qui aurait dit, ils me font confiance, ces abrutis.
05:51Donc, il n'y a pas forcément... Il n'y a pas que de l'innocence derrière tout cela.
05:54Il y a aussi une forme de cynisme, peut-être même de manipulation.
05:57Quel regard vous portez sur Marzucarbec ?
06:00Je le crois volontiers.
06:02Vous vous souvenez que nous avons auditionné ici Francis Hogan,
06:06qui a travaillé chez Facebook, lanceur d'alerte, et qui est venu faire un tour en Europe,
06:10et qui a dénoncé devant le Parlement, en France, mais aussi à Bruxelles,
06:15les pratiques de Facebook, dont elle avait honte, en réalité.
06:18Et qui nous a dit cette phrase que je retiens devant nos commissions.
06:22Elle a dit, il ne faut pas se méprendre, ils ont beau la main sur le cœur dire qu'ils vont autoréguler,
06:28ils vont modérer, etc.
06:30Le profit présidera toujours à la sécurité des enfants.
06:34Toujours à la sécurité des enfants.
06:36Donc, cette revendication d'un modèle publicitaire faussement gratuit,
06:40en réalité, ultra-capitaliste, le capitalisme de surveillance,
06:44tel que ça a été théorisé par la professeure de Harvard, Soshana Zuboff,
06:47c'est une réalité.
06:48Donc, Marzucarbec est un aphérisme peu scrupuleux.
06:52D'ailleurs, il ment sciemment devant le Congrès américain
06:55au lendemain de l'affaire Cambridge Analytica.
06:57Il était parfaitement au courant, le board avait remonté,
07:01qu'il y avait des failles et donc des ingérences, des infiltrations des Russes
07:06pour manipuler, avec l'entreprise de traitement de données Cambridge Analytica,
07:09l'élection américaine.
07:11Donc, ce sont des aphéries, ce ne sont pas des philanthropes.
07:13Nous ne sommes pas dans le monde des blousonous,
07:15et je terminerai en disant, on est très loin, je pense, du modèle initial des pères fondateurs.
07:20Je me souviens aussi, Tim Berners-Lee, que nous avons auditionné ici,
07:23qui était assez concerné de ce qui était devenu le réseau,
07:26des réseaux captés par quelques géants.
07:28Mais c'est un peu là où je voulais en venir, c'est ce que c'est devenu.
07:30Parce que n'oublions pas qu'au départ, en tout cas quand Facebook apparaît,
07:33on est tous assez contents, on alimente nous-mêmes le réseau social
07:37avec toutes nos données, toutes nos humeurs et tous nos commentaires.
07:40Et puis, il y a eu du bien dans Facebook, et c'est dit aussi dans le film.
07:43Il y a eu les révolutions arabes, on a eu des merci Facebook
07:45en Égypte et en Tunisie, François St-Celciel.
07:47On ne peut pas non plus crier Haro complètement sur Facebook.
07:51En fait, dans le monde du numérique, il y a toujours beaucoup d'ambivalence.
07:54Et je pense qu'il faut essayer de s'extraire de la vision un peu trop manichéenne.
07:57C'est-à-dire que Mark Zuckerberg, évidemment, on peut lui adresser beaucoup de critiques.
08:00Maintenant, on est tous un peu complices aussi de ce système-là.
08:03Lorsqu'il dit, ils m'ont livré leurs données, ces imbéciles.
08:07On sait bien, nous aussi, on a tous utilisé Facebook.
08:10Et dans cette magie de l'outil, on y a tous aussi tiré quelque chose.
08:13Après, lorsqu'on dit, c'est une entreprise privée qui fait de la publicité.
08:16Si on demande au patron de TF1 ou de M6 quel est son modèle d'affaires,
08:19ce qu'il va dire, c'est faire de la publicité.
08:20Comment il fait de la publicité ?
08:21En captant l'attention du téléspectateur pour lui offrir une page de publicité.
08:24Le plus longtemps possible.
08:25Le plus longtemps possible.
08:26Donc, finalement, la mécanique privée de ce média-là n'est pas forcément nouvelle.
08:30Et puis, est-ce qu'on peut attendre de Mark Zuckerberg,
08:33un entrepreneur dans un pays d'entreprise, de faire autre chose ?
08:36Non.
08:37Après, la question de savoir, est-ce qu'il faut développer des services publics,
08:39des réseaux sociaux ?
08:40Est-ce qu'il faut les réguler, les moduler ?
08:42Est-ce qu'on ne lui a pas donné trop de pouvoir ?
08:43La question se pose.
08:44Je crois qu'aujourd'hui, on est dans un temps législatif fort
08:46où l'Europe essaie justement de mettre en place des directives
08:49pour contrôler les effets néfastes.
08:50Maintenant, comme vous le dites, ça a été aussi un storytelling
08:53qui a été beaucoup employé, ces révolutions arabes.
08:55Il y a eu effectivement des bienfaits,
08:57mais on va dire que c'est plutôt les utilisateurs qui l'ont rendu comme tel.
08:59C'est-à-dire que c'est presque un détournement de l'usage premier
09:01lorsque Mark Zuckerberg met en place Facebook
09:03ou les autres fréquences qui se disent pas que ça va libérer la révolution.
09:07C'est des gens qui se sont dit fâts dans un pays cloisonné
09:09avec des médias qui sont très contrôlés.
09:11Quels sont les angles morts pour pouvoir faire passer des idées
09:13et fédérer une communauté ?
09:14Il s'avère qu'à ce moment-là, les angles morts étaient les réseaux sociaux,
09:16ce qui est beaucoup moins le cas aujourd'hui
09:18parce qu'entre-temps, ils ont été largement contrôlés.
09:19Finalement, c'est pas trop si c'est l'outil qui pose problème
09:21ou ce qu'en font les utilisateurs, non, Alexandre ?
09:23Je me souviens d'une interview qu'il avait donnée assez tôt,
09:26Mark Zuckerberg en l'occurrence,
09:27où il disait quelque chose d'assez sensé
09:29et avec un point de vue d'ingénieur.
09:31Il ne faut pas oublier que c'est un ingénieur
09:33et à l'origine, ce n'est qu'un ingénieur
09:35avec tous les biais que ça implique
09:37en termes d'informatique, de masculinisme, etc.
09:39Il disait, quand Internet s'est développé,
09:42quand les réseaux sociaux ont commencé aussi à se développer,
09:44et en fait, Facebook, c'est 2004,
09:46mais il y a des réseaux sociaux à partir de la fin des années 90,
09:48il disait, c'était évident pour nous,
09:50au sein de la communauté informatique,
09:51des jeunes qui s'étaient intéressés,
09:52que quelqu'un allait développer
09:54un mode d'organisation pour l'ensemble d'Internet.
09:57Il y aurait peut-être différents concurrents,
09:59mais il y aurait un grand modèle qui allait s'imposer.
10:01Et Facebook a imposé son modèle.
10:03Et son modèle, c'est quoi, en termes d'informatique ?
10:06En termes d'informatique, c'est du graphe.
10:07C'est-à-dire, composer des grands graphes
10:09où chacun peut se connecter,
10:11ce qui permet d'organiser à la fois les utilisateurs,
10:13mais aussi l'information au sein de ce système.
10:15Par ailleurs, cette vision d'ingénierie,
10:17elle est entrepreneuriale,
10:18et je rebondis un peu sur l'expression que vous utilisez,
10:21celle de pères fondateurs.
10:23Aux États-Unis, il ne faut pas oublier que les pères fondateurs,
10:25c'est les fondateurs de la déclaration d'indépendance,
10:28et que les premiers droits,
10:30c'est la liberté d'expression.
10:32Facebook est pleinement dans cette tradition,
10:34mais c'est aussi la liberté d'entreprendre.
10:36Le problème, c'est que parfois, il y a une contradiction
10:38entre cette liberté d'entreprendre et cette liberté d'expression.
10:40Parce que quand la liberté d'entreprendre
10:42devient quasiment un monopole
10:44sur les structures de diffusion de l'information,
10:46ça peut en arriver à un peu occulter,
10:49rendre difficiles les capacités d'expression,
10:51ou faire l'objet d'investissements clairement malveillants
10:55par des acteurs assez éloignés de la Silicon Valley.
10:57Alors, on va y venir, justement,
10:59puisqu'il y a une intervention dans ce film
11:00que j'ai trouvée particulièrement intéressante,
11:02et même très inquiétante, disons-le,
11:03c'est celle de l'ancien Premier ministre belge,
11:05Guy Verhofstadt.
11:06Lui parle carrément de menaces pour nos démocraties,
11:08et il interroge sur ce sujet le patron de Facebook.
11:11On écoute.
11:33Il y a un monstre numérique qui détruit
11:35nos démocraties et nos sociétés.
11:37C'est ainsi qu'il faut penser les choses
11:39sur Facebook et sur tous les autres réseaux sociaux.
11:41Ces géants du numérique sont devenus
11:43des mastodontes et maintenant des monstres
11:45qui avalent tout sur leur passage.
11:47Et on pourrait associer aussi bien
11:49Microsoft, Google...
11:51Vous les mettez tous dans le...
11:53C'est leur modèle économique.
11:55Et c'est aussi le fait qu'on a pêché
11:57par naïveté, complaisance,
11:59par négligence,
12:01qui, par négligence,
12:03on n'a rien fait pendant des années.
12:05Quand on savait qu'ils avaient capté l'écosystème,
12:07ce qu'ils continuent d'ailleurs de faire très largement
12:09en abusant de leur position déminante.
12:11Ils ont abusé fiscalement,
12:13ils ont abusé de par leur position
12:15dominante, mais aussi nos règles
12:17de concurrence en Europe les ont largement aidées.
12:19Dieu merci, ça a changé
12:21maintenant avec le DMA,
12:23un règlement qui s'applique directement
12:25dans les 27 États. Bon, on va commencer à réguler
12:27ce marché, le rendre à peu près
12:29un peu plus loyal, un peu plus équitable.
12:31Ils ont abusé
12:33très largement, on l'a vu, dans la manipulation
12:35des opinions publiques
12:37et des scrutins électoraux.
12:39D'ailleurs 2024 est l'année un peu de tous les dangers
12:41puisque dans la plupart des bureaux, on est des élections.
12:43Donc je le dis aussi très clairement,
12:45on n'en a pas toujours conscience.
12:47Bref, là,
12:49enfin, on a gagné
12:51ce que j'appelle la course des tortues
12:53de la très belle expression
12:55la prix Nobel de la paix
12:57de la journaliste américano-philippine
12:59Maria Teresa
13:01qui a dit on a gagné la bataille,
13:03la course des tortues en Europe.
13:05On a enfin réglementé. Donc on pose
13:07un cadre, ça ne suffit pas, mais on pose au moins
13:09un cadre qui dit stop. Maintenant, il y a
13:11une redevabilité, il y a une responsabilité
13:13de ces géants du numérique.
13:15Mais on en est loin, parce que le DSA
13:17est encore largement insuffisant. Je parle
13:19du modèle d'affaires qui est extrêmement toxique,
13:21extrêmement pervers, de captation,
13:23de saturation de notre attention, et c'est très
13:25dangereux pour les enfants.
13:27Et je le dis
13:29d'autant plus volontiers que je pense être équilibré
13:31dans ma vision de ce monde des nouvelles technologies
13:33qui me fascinent en même temps et pour lesquelles
13:35j'estime qu'il y a aussi beaucoup de progrès.
13:37L'intelligence artificielle n'est ni bonne ni mauvaise,
13:39ça dépend de l'usage.
13:41Mathieu Slama ?
13:43Je m'oppose un peu à ce discours pour une raison
13:45assez simple. En fait,
13:47on entendait beaucoup ce discours, un peu
13:49réactionnaire, je ne dis pas que vous l'êtes,
13:51mais
13:53ce discours sur la télévision, on l'entendait.
13:55Ce discours-là sur les débuts d'Internet,
13:57on l'entendait aussi.
13:59Ça va être un immense danger pour la jeunesse,
14:01ça va être un danger pour nos pays.
14:03Mais là, on parle du futur, on ne dit pas ça va l'être,
14:05on dit ça l'est, ça l'est déjà.
14:07Je dis
14:09attention à ce discours-là,
14:11parce que d'abord,
14:13les réseaux sociaux, ça a apporté des choses formidables.
14:15Je veux dire, honnêtement,
14:17quand on est jeune aujourd'hui, heureusement
14:19qu'il y a les réseaux sociaux. Je veux dire, que ce soit
14:21sur Instagram, sur Twitter,
14:23sur TikTok, on apprend mille choses.
14:25On apprend plein de choses, mais sur plein de domaines différents.
14:27Que ce soit sur l'art, sur la culture,
14:29il y a aussi
14:31une politisation qui se fait sur les réseaux sociaux.
14:33Je vais y venir après, il y a aussi le danger de l'extrême droite,
14:35bien sûr, mais aussi à gauche, il y a une politisation
14:37qui peut se faire sur les réseaux sociaux.
14:39C'est essentiel de nous aider à faire communauté.
14:41Et comme ça a été dit avant,
14:43c'est aussi tout dépend de ce qu'en font les gens.
14:45Et il y a des gens qui font des réseaux sociaux,
14:47des endroits qui sont absolument passionnants
14:49et formidables. Par exemple, aux Etats-Unis,
14:51tous les mouvements Black Lives Matter
14:53ont été portés par les réseaux sociaux.
14:55Des mouvements antiracistes qui ont fait énormément
14:57de bien à la démocratie américaine.
14:59Qui ont permis de la transparence.
15:01Tous les mouvements progressistes aussi
15:03ont énormément bénéficié des réseaux sociaux.
15:05Alors oui, il y a le danger de l'extrême droite.
15:07Oui, il y a Elon Musk avec Twitter,
15:09qui est un danger immense.
15:11Elon Musk est une personnalité d'extrême droite
15:13qui est extrêmement dangereuse. Mais l'extrême droite,
15:15ce n'est pas les réseaux sociaux.
15:17Si l'extrême droite monte actuellement,
15:19c'est par rapport au discours politique.
15:21C'est dans la société toute entière.
15:23Ce n'est pas la faute des réseaux sociaux.
15:25Je voudrais réagir.
15:27Le modèle de ces plateformes,
15:29le modèle économique de ces plateformes
15:31favorise, par le clic rémunérateur,
15:33justement la polarisation
15:35sur les contenus les plus contestables
15:37et les plus contestés,
15:39les plus dangereux.
15:41D'où l'importance de la modération.
15:43C'est l'écosystème qui est potentiellement dangereux.
15:45Ce n'est pas le fait qu'il y ait des réseaux sociaux.
15:47C'est même très bénéfique pour les personnes âgées
15:49qui peuvent aussi être en contact avec d'autres.
15:51François Salciel, on fait le procès des réseaux sociaux.
15:53Le modèle économique,
15:55qui est capté par quelques-uns,
15:57peut être très dangereux.
15:59Ce qui est compliqué lorsqu'on parle de réseaux sociaux
16:01et comme lorsqu'on parle d'écrans,
16:03parce qu'aujourd'hui on parle beaucoup d'écrans,
16:05c'est que les usages sont protéiformes,
16:07et des réseaux sociaux, et des écrans.
16:09Je pense qu'aujourd'hui, on ne peut pas dire
16:11les écrans c'est mal, c'est bien,
16:13ça ne veut rien dire, les réseaux sociaux non plus.
16:15Évidemment, la situation est plus complexe,
16:17et je pense qu'on a besoin de nuances
16:19pour davantage l'accerner, sinon on s'enferme en disant
16:21les réseaux sociaux sont une menace dramatique
16:23pour la démocratie, il faut tous les interdire,
16:25et qu'est-ce qui se passe après ? On ne sait pas grand-chose
16:27puisqu'il faut accepter aussi les nouveaux outils de l'époque
16:29qu'on utilise tous.
16:31Médias confondus, hommes politiques confondus,
16:33qu'est-ce qu'aujourd'hui une campagne politique sans les réseaux sociaux ?
16:35Je ne sais pas. Qu'est-ce qu'un média aujourd'hui
16:37qui ne tenterait pas de séduire un jeune public
16:39avec les réseaux sociaux ? Sans les réseaux sociaux
16:41aujourd'hui, la plateforme, l'outil numéro un
16:43d'information de la jeunesse, je ne dis pas que c'est bien
16:45ou c'est mal, mais c'est une réalité,
16:47il faut donc l'accepter, et il faut toujours,
16:49à mon avis, considérer l'usage.
16:51Les gens ne sont pas totalement idiots, s'ils y trouvent
16:53un intérêt, c'est qu'il y a un usage.
16:55Vous avez signifié Black Lives Matter, on peut signifier MeToo,
16:57qui est également, je pense, MeToo,
16:59ça n'aurait jamais existé sans les réseaux sociaux.
17:01Qu'est-ce qui serait passé sans les réseaux sociaux ?
17:03On aurait dénoncé le scandale Harvey Weinstein dans la presse américaine,
17:05on serait donné quelques brèves par-ci ou là
17:07dans la presse internationale, et basta.
17:09Ce qui s'est passé, c'est qu'il y a eu une reprise en main,
17:11une appropriation par les femmes de ce phénomène
17:13d'actualité pour dire, moi aussi.
17:15Et c'est ce moi aussi qui est né grâce aux réseaux sociaux
17:17et qui a permis une évolution sans doute sociétale
17:19et sociale. Donc je pense que
17:21c'est compliqué de tout mettre dans un même panier
17:23maintenant, ce que vous évoquiez sur
17:25ce qu'on appelle les dark patterns,
17:27c'est-à-dire que les dark patterns sont des outils
17:29de manipulation cognitive, c'est-à-dire que
17:31ces réseaux sociaux ont été aussi
17:33imaginés avec des
17:35neurologues, des neuropsychologues
17:37qui savent comment agir
17:39sur la partie reptilienne
17:41de notre cerveau. Exactement, qui savent utiliser
17:43nos failles. Donc quand vous appelez justement
17:45le mode d'engagement, on sait très bien qu'on sait
17:47ce qui fait réagir les gens, on sait que
17:49la peur, l'angoisse...
17:51Après c'est toujours compliqué de se dire, est-ce que c'est les réseaux
17:53sociaux qui ont amené la société dans laquelle on vit
17:55qui est très polarisée, ou est-ce que finalement
17:57notre société est polarisée et les réseaux sociaux sont
17:59une phase de résonance.
18:01Moi je pense que les réseaux sociaux en général
18:03sont une amplification de phénomènes existants.
18:05Je donne un dernier exemple et j'arrêterai ici.
18:07Le harcèlement scolaire, par exemple, ça a toujours
18:09existé. On parle beaucoup de cyberharcèlement,
18:11le cyberharcèlement n'a pas inventé
18:13le harcèlement scolaire, il l'a amplifié.
18:15C'est-à-dire que là il ne s'arrête jamais. C'est déjà beaucoup.
18:17Non mais je ne dis pas que c'est rien,
18:19mais je pense qu'il faut faire attention
18:21au discours extrême,
18:23car il ne permet pas de penser
18:25je pense avec nuance.
18:27Parce que certains sont quand même à se demander
18:29si c'était une bonne idée cette invention
18:31des réseaux sociaux, Olivier Alexandre. Est-ce qu'il faut regretter
18:33l'invention des réseaux sociaux ? De toute façon ils sont là,
18:35mais effectivement il faut peut-être un effort pour mieux les comprendre.
18:37Et même quand on parle de Facebook,
18:39de quoi on parle ? Parce que Facebook
18:41c'est certes l'entreprise fondée par
18:43Mark Zuckerberg, mais c'est aussi
18:4597 entreprises
18:47achetées par Facebook depuis
18:49la création, pour près de 30 milliards
18:51de dollars. C'est aussi
18:53Instagram, c'est aussi Messenger,
18:55donc c'est tout un écosystème
18:57et effectivement qui pénètre
18:59la population de manière assez
19:01différente. Si on regarde effectivement
19:03les jeunes, qui n'est qu'un mot
19:05comme disait Pierre Bourdieu,
19:07on s'aperçoit que Snapchat,
19:09Messenger, Youtube,
19:11TikTok sont en tête
19:13en gros jusqu'à 25 ans. A 25 ans
19:15là ça bascule, on rebascule vers du
19:17Facebook. Et en fait chaque génération
19:19adopte son réseau social
19:21pas tant par
19:23par... comment dire...
19:25par perte de vitesse
19:27de Facebook, mais plutôt parce que chaque génération
19:29essaie de se trouver un endroit à lui. Et puis
19:31le tout dernier point,
19:33c'est qu'il ne faut pas oublier que les réseaux sociaux
19:35existaient avant les réseaux sociaux. Et en tant que
19:37sociologue, je suis bien blessé pour le savoir, on parle de réseaux sociaux
19:39depuis au moins 1910-1920.
19:41Les réseaux sociaux c'est juste la manière dont les gens
19:43vivent ensemble. Et là en l'occurrence...
19:45L'échelle n'est pas la même quand les commentaires
19:47vont être lus dans le monde entier.
19:49La majorité des utilisateurs
19:51de Facebook ne communiquent pas
19:53directement sur Facebook, c'est plutôt des
19:55spectateurs, quasiment un rapport
19:57télévisuel à Facebook.
19:59Et ensuite, la majorité des réseaux
20:01sur Facebook, c'est des petits réseaux.
20:03On parle avec ses amis, sa famille,
20:05les gens proches de soi, on reconstitue
20:07une espèce d'écosystème. Alors évidemment,
20:09si on parle comme ça, et moi j'ai le défaut d'être sociologue,
20:11donc du coup je m'intéresse aux moyennes, aux effets de masse.
20:13Et ça n'écrase pas
20:15tout ce qui se passe de négatif.
20:17Mais il ne faut pas oublier que ce qui se passe de négatif,
20:19c'est minoritaire, le complotisme,
20:21le climato-sceptique, que ça soit sur
20:23Facebook ou ailleurs, c'est minoritaire dans les
20:25usages. Par contre, ça donne une représentation
20:27de l'espace public qui est extrêmement anxiogène
20:29et qui en plus est reprise très souvent
20:31de manière plus ou moins instrumentalisée
20:33par les politiques. Alors, dans ce contexte,
20:35les puissances publiques semblent
20:37un peu impuissantes, même l'Europe dont vous
20:39parlez, Catherine Morin de Sailly, qui a pourtant mené un combat
20:41pour la protection des données personnelles des utilisateurs.
20:43Le rapport du Sénat, après
20:45les émeutes de juillet dernier, a
20:47mis en cause les réseaux sociaux et a,
20:49pour la première fois, évoqué la
20:51possibilité d'une coupure. Il faut
20:53créer un cadre général de blocage
20:55de certaines fonctionnalités des réseaux
20:57sociaux sous de strictes conditions
20:59pour reprendre le contrôle, nous dit
21:01François-Noël Buffet, président de la commission des lois
21:03ici au Sénat, pouvoir reprendre
21:05la main en cas de situation extrêmement
21:07tendue. Dans le film, il y a
21:09aussi des propositions. Je voudrais
21:11qu'on les écoute et je vous demande votre avis après.
21:13Si on veut être
21:15sûr que les plateformes ne nous mentent pas,
21:17il faut qu'on puisse les auditer, il faut
21:19qu'on puisse auditer les serveurs, il faut qu'on puisse
21:21auditer les algorithmes, et aujourd'hui,
21:23l'accès aux données des plateformes, c'est vraiment
21:25le cœur des débats.
21:27Est-ce qu'on veut vraiment que nos sphères
21:29publiques numériques soient contrôlées par ces
21:31hommes pour le moins étranges,
21:33sans quasiment aucun moyen de contrôle ?
21:35Selon moi, la réponse
21:37est simple. Le public
21:39doit contrôler la place publique.
21:41Et pour l'instant, on en est
21:43très loin.
21:45Alors, on en arrive à... Qu'est-ce qu'il faut faire ?
21:47Est-ce qu'il faut contrôler les réseaux sociaux
21:49parce que c'est aussi l'espace public, Catherine Morin ?
21:51Moi, je suis pour la liberté d'expression.
21:53J'ai voté contre la loi
21:55visant à lutter contre la manipulation
21:57de l'information, dont j'étais rapporteure,
21:59ainsi que la loi visant les contenus
22:01et neurones, parce que je trouvais que c'était des fausses
22:03bonnes solutions. Elles étaient très
22:05attentatoires aux libertés publiques
22:07et à la liberté d'expression.
22:09La manipulation de l'information,
22:11la désinformation, elle a toujours existé.
22:13Aujourd'hui, c'est l'amplification qui est donnée
22:15à travers le jeu des algorithmes
22:17qui est souvent terrible,
22:19qui fait peur et qui conduit à des phénomènes
22:21de masse et qui peuvent être
22:23potentiellement, en effet, dangereux.
22:25Je ne suis pas pour les coupures. En revanche, je suis
22:27pour une législation rigoureuse
22:29qui va beaucoup plus loin que le DSA.
22:31Je l'ai toujours plaidé, et c'est les
22:33conclusions aussi de la commission d'enquête
22:35TikTok avec mon collègue Claude Maldurey,
22:37qui est de conférer aux plateformes
22:39une vraie responsabilité,
22:41une vraie responsabilité à travers
22:43un statut entre hébergeur, éditeur.
22:45On doit être responsable, d'une certaine façon,
22:47de ce qui est publié
22:49sur les réseaux.
22:51Donc responsabilisation plutôt qu'interdiction.
22:53Je ne suis pas
22:55réactionnaire dans le sens, monsieur.
22:57Je vous le dis très clairement.
22:59Je suis une geek avérée.
23:01Je plaide pour le
23:03développement de l'IA, de l'expérimentation.
23:05Ça va occasionner des progrès formidables
23:07dans le domaine de la santé, de la médecine, etc.
23:09de la recherche environnementale.
23:11En revanche, ça peut produire
23:13le pire.
23:15Voilà où est le danger du danger.
23:17C'est le décrochage entre une élite technologique,
23:19un monde non régulé,
23:21la population,
23:23et en plus les plus fragiles,
23:25qui, parce qu'il n'y a pas
23:27de prévention, d'éducation,
23:29d'accompagnement, ne comprennent pas
23:31ce monde dans lequel ils peuvent être potentiellement
23:33manipulés. On le voit bien.
23:35Dans la guerre hybride que nous mènent les Russes,
23:37la guerre des perceptions
23:39sur certains endroits de la planète
23:41est en train d'être gagnée par les Russes.
23:43Cette guerre de la perception passe par les réseaux sociaux
23:45et la manipulation des réseaux sociaux
23:47par des utilisateurs.
23:49On n'a pas parlé de l'utilisation des États.
23:51Il faut quand même...
23:53Les ingérences étrangères nous trahiront là-dessus en ce moment.
23:55Il faut être lucide.
23:57Ça peut être très bien.
23:59C'était ce que voulait d'ailleurs, encore une fois,
24:01ce qui était à l'origine du réseau des réseaux.
24:03C'est-à-dire un monde où on partage la connaissance,
24:05libre, ouvert, neutre.
24:07C'était ça. Mais cet idéal,
24:09malheureusement, a du plomb dans l'aile.
24:11Qu'est-ce que ça veut dire ? Que l'État doit intervenir ?
24:13Je pense que sur la question...
24:15En tout cas, l'État, la société, ne peut pas se satisfaire,
24:17pour revenir deux secondes sur Mark Zuckerberg,
24:19des excuses telles qu'il les a formulées à maintes reprises.
24:21C'est le côté de... Désolé, je savais pas.
24:23Pardon, je ferai mieux la prochaine fois.
24:25Ça ne marche plus. Parce que là, effectivement,
24:27où je vous rejoins totalement, c'est dans le statut
24:29que l'on accorde, dans la manière
24:31dont ces réseaux sociaux s'autodéterminent.
24:33Ils ne sont pas totalement déconnectés
24:35de tout, juste des hébergeurs.
24:37On sait très bien qu'ils ont des impacts réels
24:39sur la société, sur l'opinion,
24:41sur la manipulation de l'opinion.
24:43Mais on doit les responsabiliser jusqu'où ? C'est-à-dire les sanctionner ?
24:45Potentiellement des poursuites judiciaires ?
24:47C'est ce qui est en train d'être mis en place, justement.
24:49De se dire, tiens, si on voit que manifestement
24:51cette plateforme ne fait pas d'efforts suffisants
24:53en modération, en termes de prolifération
24:55de contenus haineux, de désinformation
24:57ou d'atteinte
24:59à danger d'autrui, il faut intervenir.
25:01Ce qui s'est passé, justement, après le Capital, c'était quand même
25:03un usage d'un réseau social
25:05pour aller vers une sorte de guerre civile.
25:07Qu'est-ce qui a été fait, au fond,
25:09depuis le Capital ? Qu'est-ce qui a amélioré
25:11la situation de manière à ce que ça ne se reproduise plus ?
25:13Déjà, je pense qu'il y a déjà une prise de conscience générale.
25:15On arrive quand même à un point de maturité,
25:17du moment où on s'en rapproche,
25:19du grand public où on est maintenant tout à fait
25:21conscients des dérives des réseaux sociaux.
25:23Et ça, je pense que c'est déjà un premier point.
25:25C'est passer la magie, le côté
25:27enchanteur de ces réseaux et de ces plateformes
25:29qui nous proposent toujours un monde meilleur.
25:31On comprend aujourd'hui qu'ils peuvent être dangereux
25:33parce que je pense que déjà, ça, on y participe.
25:35Et tout de même, il y a quand même des...
25:37Prenons un cas très simple, TikTok Lite.
25:39Très récemment, c'est-à-dire qu'une version de TikTok
25:41qui a été déployée en Espagne et en France
25:43qui encourageait finalement
25:45les jeunes utilisateurs ou les utilisateurs
25:47à regarder le plus longtemps possible leur écran et d'être récompensés
25:49en monnaie virtuelle. On peut dire que ça va
25:51quand même à l'opposé de toutes les recommandations actuelles.
25:53TikTok Lite a été retirée,
25:55du moins TikTok l'a retirée sous pression
25:57de la Commission européenne.
25:59Donc là, on voit qu'à un moment donné, des instances
26:01ont pu se saisir de ces questions-là.
26:03Donc on n'est pas dans une impuissance totale des pouvoirs publics,
26:05Mathieu Slamard ?
26:07Moi, je ne pense pas qu'il y ait une impuissance des pouvoirs publics.
26:09Je dirais qu'il y a
26:11deux choses qui sont
26:13un peu opposées
26:15mais qui coexistent.
26:17D'un côté, il est évident que,
26:19par exemple, sur certains réseaux sociaux
26:21comme sur Twitter, il n'y a pas de modération.
26:23Il n'y a plus de modération.
26:25Elon Musk en fait même une...
26:27Il y a quand même des lois. Il y a quand même les lois
26:29qu'il est obligé de respecter, etc.
26:31D'ailleurs, on dit Twitter, mais c'est X.
26:33En effet, le nouveau nom. Mais c'est vrai que, par exemple,
26:35sur ce réseau social,
26:37vous avez un déferlement de propos
26:39racistes, homophobes,
26:41sexistes,
26:43etc., qui ne sont absolument
26:45pas modérés. Et ça, c'est une réalité
26:47qui fait le jeu,
26:49encore une fois, des courants les plus
26:51réactionnaires, les plus extrémistes.
26:53Les conséquences, on les connaît, mais comment on l'utilise ?
26:55Les plus extrémistes parce qu'aussi, d'un certain côté,
26:57je suis tout à fait lucide là-dessus, ça libère la parole.
26:59Et que, du coup, forcément, en plus,
27:01on est actuellement à une époque
27:03où il y a une montée du populisme,
27:05du populisme d'extrême droite notamment,
27:07avec des discours de plus en plus intolérants.
27:09Genre, ma question, Mathieu Slama !
27:11Les États doivent-ils intervenir ?
27:13Comment intervenir ?
27:15Là, par contre, moi, je dis attention, danger,
27:17sur la tentation liberticide
27:19autoritaire. Quand, après,
27:21par exemple, les émeutes
27:23à la suite de la mort de Nahel,
27:25il y en a des politiques, en plus des politiques modérées,
27:27pas des extrémistes, qui disent, il faut couper Snapchat,
27:29il faut couper TikTok, etc.
27:31Moi, je dis, ça, c'est inévitable.
27:33Bloquer certaines fonctionnalités
27:35quand il y a des tensions.
27:37C'est pas la Chine.
27:39Pour moi, c'est un discours qui est extrêmement dangereux.
27:41C'est le Parti communiste chinois, bien sûr.
27:43Ça, c'est un discours extrêmement dangereux.
27:45C'est une tentation autoritaire de contrôle
27:47avec un rôle de l'État extrêmement fort
27:49comme on peut en trouver dans les régimes
27:51autoritaires. Et moi, je dis,
27:53attention à cette pente-là. Et comment on trouve le juste équilibre ?
27:55Voilà. Mais attention, parce que ça,
27:57c'est une pente, on met le pied là-dedans
27:59et on sait pas jusqu'où ça finit. Mais on veut tout ?
28:01On veut la paix sociale et on veut aussi la liberté d'expression ?
28:03Qu'est-ce qu'on fait, Olivier Alexandre ? Je pense qu'il faut pas oublier
28:05quels ont été nos rêves.
28:07Notamment en Europe, en Occident,
28:09aux États-Unis, au moment où
28:11on a sorti notamment de la Seconde Guerre mondiale
28:13et où, à une époque,
28:15on a fait des médias, des instruments de pouvoir,
28:17de propagande, de domination,
28:19des corps et des esprits. Et toute une partie
28:21des acteurs
28:23des médias, de la théorie, de l'information,
28:25des ingénieurs système,
28:27ont cru, ont beaucoup cru
28:29dans cette idée que plus on développerait
28:31des systèmes d'information ouverts,
28:33plus on aurait une société
28:35ouverte aussi, juste,
28:37démocratique, libérale.
28:39Et ce jeu-là,
28:41pour tout un tas d'entrepreneurs, d'ingénieurs
28:43et de scientifiques, il s'est passé
28:45en rivalité
28:47avec les États. C'est-à-dire qu'il a fallu
28:49résister, contourner
28:51les États, toujours
28:53suspicieux,
28:55envisagés comme des menaces
28:57pour la liberté des individus et la liberté
28:59des entrepreneurs, des scientifiques, etc.
29:01Là, aujourd'hui, ce qui est intéressant et un peu
29:03ironique, dans le moment historique
29:05qu'on vit, c'est que c'est l'inverse, d'une certaine façon.
29:07Les systèmes d'information sont devenus tellement puissants
29:09du point de vue des simples utilisateurs
29:11qu'on en appelle à l'État.
29:13Parfois, les entrepreneurs en appellent
29:15aussi aux États. On a vu Mark Zuckerberg
29:17devant le Congrès dire
29:19« Aidez-nous à nous réguler ».
29:21Le problème,
29:23c'est que les États
29:25n'ont pas toujours les moyens de résister
29:27face à des entreprises qui sont
29:29internationales et
29:31face à quoi on a différents
29:33arsenales ou répertoires de solutions.
29:35Les entreprises technologiques proposent
29:37des solutions technologiques, c'est ce que ça va faire.
29:39On va faire de l'IA, on va taguer,
29:41on va pouvoir voir les fake news, etc.
29:43Ça va être merveilleux. En plus, on n'aura pas besoin
29:45d'accoucher beaucoup de monde. Du coup, on pourra
29:47licencier des gens au Kenya ou dans les Philippines
29:49qui sont aujourd'hui les gens qui
29:51s'occupent de la modération.
29:53Il y a les solutions des États
29:55qui s'appuient sur des nouveaux systèmes réglementaires
29:57en Europe, mais aussi à Washington,
29:59et qui mettent des amendes. Le problème des amendes,
30:01c'est qu'on remplit les caisses,
30:03mais ça ne solutionne pas forcément le système
30:05et le modèle qui est en place.
30:07Il y a une troisième voie,
30:09qui est le modèle des
30:11citoyens justiciables,
30:13qui peuvent, d'eux-mêmes,
30:15engager une procédure judiciaire.
30:17Ça arrive quasiment tous les jours dans le monde,
30:19avec des gens qui se rendent dans les cours de justice
30:21et qui attaquent directement
30:23des grandes entreprises
30:25technologiques.
30:27Dans tout ce paysage-là, il y a quelque chose
30:29qui m'interroge, c'est qu'on oublie
30:31de considérer ces big tech
30:33comme le produit d'un système
30:35industriel et aussi d'un certain âge
30:37du capitalisme. On arrive à la fin de ce débat.
30:39Je vais vous demander un tout petit mot à tous
30:41pour savoir si, oui ou non, il faut être inquiet
30:43ou optimiste. Vous parliez
30:45de l'année 2024 qui va être une année d'élections
30:47dans énormément de pays dans le monde.
30:49Faut-il s'inquiéter de l'impact
30:51des réseaux sociaux ? Surtout, il faut être très vigilant
30:53et exigeant, en réalité.
30:55C'est ça.
30:57Moi, je ne suis pas pour regarder le verre
30:59à moitié vide, je suis toujours pour regarder le verre à moitié plein
31:01et trouver des solutions
31:03et de dire que science sans conscience
31:05n'est que ruine de l'âme. Ayons la conscience
31:07de savoir
31:09cadrer, réguler
31:11de manière non liberticide.
31:13Vous avez raison de le dire,
31:15surtout en France. Nous avons toujours défendu
31:17aussi, à travers nos différentes législations,
31:19la liberté d'expression.
31:21Mais c'est un monde
31:23qui ne peut pas être la jungle.
31:25À partir du moment où certaines
31:27plateformes deviennent des facilités essentielles,
31:29ça veut dire quoi en termes juridiques ? C'est qu'on est obligé
31:31de passer par elles. On ne peut pas faire autrement,
31:33par exemple, pour faire de la recherche. Google, c'est 95%
31:35de la recherche.
31:37À partir du moment où elles deviennent des facilités essentielles,
31:39il y a une exigence, une redevabilité
31:41et des règles à respecter
31:43qui doivent être
31:45des règles éthiques.
31:47Je pense que prononcer le mot d'éthique,
31:49de déontologie, à la fin de ce débat,
31:51c'est extrêmement important.
31:53On n'a pas eu le temps de parler de cette éthique,
31:55cette déontologie pour les plus jeunes de nos concitoyens,
31:57mais c'est important.
31:59On a déjà eu l'occasion de le faire sur ce plateau.
32:01En deux mots, lucide et optimiste.
32:03Lucide, ça renvoie justement
32:05à ce point de maturité dont je parlais,
32:07c'est-à-dire qu'on est maintenant, et le débat public y participe,
32:09à peu près conscient des dangers,
32:11ce qui ne veut pas dire qu'on y échappe.
32:13Quand on dit lucide, c'est aussi lucide
32:15sur ses propres comportements à nous d'utilisateur,
32:17parce que là-dessus, on peut agir, se dire
32:19pourquoi je vais sur les réseaux sociaux,
32:21pourquoi j'y passe autant de temps, quelle est mon intention,
32:23pourquoi je partage cette information,
32:25est-ce que je ne me fais pas avoir, moi aussi,
32:27par ces mécanismes persuasifs ?
32:29En étant lucide, on reprend la main.
32:31C'est déjà une petite victoire personnelle de se dire
32:33si j'ai compris que je pouvais faire autrement,
32:35ou je peux essayer d'utiliser ces réseaux pour le meilleur,
32:37car ce meilleur existe aussi.
32:39Et puis, optimiste, parce que je trouve qu'on est quand même dans une période
32:41et les réseaux sociaux y participent, puisque je parlais d'amplification,
32:43d'anxiété,
32:45c'est-à-dire que l'actualité est anxiogène,
32:47les réseaux sociaux le sont aussi,
32:49les discours haineux aussi,
32:51donc on est comme ça dans une sorte de petit bocal
32:53où on a du mal à voir la lumière,
32:55à voir le futur, et je pense qu'il faut garder cet optimisme-là.
32:57Olivier Alexandre parlait de recultiver nos rêves,
32:59il faut aussi retrouver nos rêves
33:01de faire monde ensemble
33:03par les réseaux sociaux, par l'espace physique aussi,
33:05je trouve que c'était très intéressant dans le rapport
33:07de la Commission Écran de dire qu'il faut repenser
33:09aussi l'espace public, donc gardons
33:11espoir, forts de cette lucidité,
33:13on est plus forts lorsqu'on sait, et continuons à espérer.
33:15Olivier Alexandre ?
33:17Je crois que ce qui est important
33:19c'est de comprendre que les technologies, c'est un moyen
33:21de faire de la politique autrement,
33:23à côté, et donc
33:25ça nécessite
33:27de développer une éducation
33:29technologique
33:31en tant qu'éducation politique, donc apprendre à coder
33:33et à décoder, sûrement,
33:35c'est le principal, en prenant
33:37aussi conscience que
33:39on n'est pas tant dans un état
33:41nation que dans un état
33:43d'accélération, et donc
33:45il faut savoir relever le défi de ce temps,
33:47et le temps est
33:49compté face aux grands défis
33:51qui nous attendent, les défis politiques,
33:53mais aussi les défis écologiques,
33:55et puis peut-être aussi
33:57comprendre ce que nous apprend
33:59ce machin, si on pouvait
34:01parler comme de Gaulle,
34:03Facebook c'est un machin, et je crois aux yeux même des gens qui l'ont fait,
34:05ils n'ont pas forcément
34:07une conscience
34:09de ce qu'ils ont créé,
34:11et ce machin fait du lien
34:13entre nous, qu'on le veuille
34:15ou non, entre des pays qui n'ont pas forcément
34:17des choses à voir historiquement
34:19entre eux, puis entre générations
34:21aussi, et donc
34:23c'est aussi un moyen de reconstituer
34:25le...
34:27Mathieu Slama, pour conclure.
34:29Oui, j'ai envie moi aussi d'être optimiste, malgré
34:31l'inquiétante montée du populisme,
34:33encore une fois, de la tentation autoritaire
34:35et liberticide, qu'on voit
34:37beaucoup beaucoup en ce moment en France
34:39et beaucoup en Europe, moi je reste optimiste
34:41parce que d'abord je crois qu'il faut
34:43faire confiance à la jeunesse, moi je pense que la jeunesse
34:45est loin d'être bête, elle sait très
34:47bien ce qu'elle fait, elle sait très bien comment elle utilise
34:49les réseaux sociaux, et qu'il ne faut pas penser
34:51qu'elle est facilement manipulable,
34:53on l'entend parfois, on n'a pas du tout dit ça
34:55évidemment ce soir, mais...
34:57Alors essayons de rester positifs et optimistes,
34:59merci beaucoup à tous les quatre d'avoir participé à ce débat,
35:01merci à vous de nous avoir suivis comme chaque semaine,
35:03émissions et documentaires à retrouver
35:05en replay sur notre plateforme
35:07publicsenat.fr, à très vite sur Public Sénat, merci.
35:23Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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