Aline Thomas s’est confiée sur les difficultés que rencontrent les personnes grosses dans le milieu médical. Réflexions, jugements, matériel inadapté… elle nous en dit plus sur la grossophobie médicale.
Le livre d’Aline, « Montez d'abord sur la balance », qui décrypte les mécanismes de grossophobie médicale, est dispo en librairie !
Le livre d’Aline, « Montez d'abord sur la balance », qui décrypte les mécanismes de grossophobie médicale, est dispo en librairie !
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00:00 Il y a une autre médecin, une nutritionniste, qui m'a dit "il faut absolument faire quelque chose mademoiselle
00:03 parce que si vous continuez comme ça, à 30 ans vous serez morte".
00:06 Je faisais 72 kg pour 1m70.
00:09 Je m'appelle Aline Thomas et aujourd'hui je viens vous parler de grossophobie médicale.
00:13 Moi j'ai toujours été, depuis l'enfance, stigmatisée à cause de mon poids.
00:17 Ça commence très tôt, quand j'ai à peu près 9 mois sur mon carnet de santé, il est écrit
00:21 "excellent éveil mais excès pondéral".
00:22 Et en fait c'est à cette consultation des 9 mois chez le pédiatre
00:26 que la surveillance de mon poids a commencé.
00:28 Tout le long de mon enfance, de mon adolescence et même à l'âge adulte,
00:32 à chaque fois que j'allais chez le médecin, j'ai commencé par monter sur la balance.
00:35 On a toujours stigmatisé ou surveillé mon poids.
00:38 C'est une succession de plein de petites choses, de plein de petites humiliations,
00:42 plein de petites réflexions chez le médecin, comme me demander si j'ai pensé à maigrir,
00:48 si je ne veux pas faire une opération bariatrique.
00:49 Expliquer aussi le fait que je vienne, par exemple je viens pour une angine.
00:53 La première chose dont on va me parler c'est de mon poids, avant de me parler de mon angine.
00:57 Quand on est stigmatisé pour son corps depuis l'enfance,
01:01 on finit par développer ce qu'on appelle "agrossophobie intériorisée".
01:04 Ça veut dire qu'on est persuadé que toute la société a raison.
01:06 On finit par le croire, on finit par se détester soi-même
01:10 et on finit par être persuadé que si on est en mauvaise santé
01:12 ou si on a besoin d'aller chez le médecin ou si le médecin nous engueule,
01:15 c'est parce qu'on l'a mérité ou c'est parce qu'on n'a pas fait assez d'efforts.
01:19 J'étais persuadée que j'avais toujours été grosse,
01:21 alors qu'en fait, quand je regarde les photos de quand j'étais enfant ou adolescente,
01:24 je ne l'étais pas. J'étais surveillée pour mon poids, j'étais peut-être un tout petit peu au-dessus de la norme,
01:27 mais je ne l'étais pas.
01:28 Aujourd'hui, je suis persuadée que si je suis grosse,
01:31 c'est parce qu'on m'a mise au régime dès l'enfance.
01:34 Dans ma vie, j'ai perdu plus de 80 kilos, je les ai toujours retrouvés avec un petit bonus.
01:39 Et ça, c'est très lié à la surveillance de mon alimentation depuis l'enfance.
01:45 Je peux dire aujourd'hui que si je suis devenue grosse,
01:48 c'est à cause des régimes, comme des millions de Français.
01:50 Et quand j'ai été adolescente, on m'a envoyée dans un camp,
01:55 une colée des petits gros, c'est-à-dire un centre d'amégrissement pour les adolescents.
01:58 Et il y a une médecin qui m'a reçue le jour de l'inscription,
02:02 et elle m'a dit "Ne vous inquiétez pas, vous allez vous en sortir".
02:05 C'est comme si j'avais une maladie grave, alors qu'en réalité,
02:08 j'avais 4-5 kilos de plus par rapport au calcul de l'IMC, ce qui est rien du tout.
02:12 Et quelques années plus tard, il y a une autre médecin, une nutritionniste,
02:15 qui m'a dit "Il faut absolument faire quelque chose, mademoiselle,
02:17 parce que si vous continuez comme ça, à 30 ans, vous serez morte".
02:20 J'en ai 42, donc a priori ça va.
02:22 Mais surtout à cette époque-là, je faisais 72 kilos pour 1m70.
02:26 La conséquence de toutes ces petites humiliations,
02:28 de toutes ces petites réflexions ou infantilisations,
02:31 ont fait que progressivement, j'ai arrêté de me soigner.
02:34 J'ai arrêté d'aller chez le médecin si vraiment je n'étais pas au dernier stade de la douleur.
02:38 Et puis il y a eu un événement, la maman d'une de mes amies, qui était grosse,
02:42 finalement on a découvert qu'elle avait un cancer au stade 4,
02:45 et elle est morte très peu de temps après.
02:46 Et ça a été un vrai déclic pour moi, parce que je me suis dit
02:48 "Mais en fait, je ne suis pas allée chez le médecin depuis des mois".
02:50 J'ai pris rendez-vous très vite,
02:52 et j'ai commencé à me demander si les personnes grosses mourraient du fait qu'elles soient grosses,
02:56 ou est-ce qu'elles ne mourraient pas aussi d'évitement de soins de santé comme ce que j'avais fait.
02:59 La grossophobie médicale, elle a trois visages.
03:01 Le premier, c'est le comportement des soignants envers les personnes grosses,
03:04 qui les culpabilisent et parfois les humilient.
03:06 Il y a le fait aussi que le matériel médical ne soit pas adapté aux personnes en surpoids,
03:10 c'est-à-dire les brassards, les scanners, les lits, les fauteuils roulants, les aiguilles de péridurale, par exemple.
03:16 Et puis, il y a tout ce qui concerne la posologie des médicaments,
03:19 c'est-à-dire les dosages des médicaments, qui ne sont pas adaptés aux personnes grosses,
03:22 comme la pilule, par exemple, ou certaines chimiothérapies, ou certains antidouleurs,
03:27 pour faire diminuer la grossophobie médicale dans la société.
03:30 Je pense qu'il y a plusieurs choses à faire.
03:32 La première, c'est d'écouter vraiment les personnes grosses, c'est-à-dire d'écouter leurs ressentis.
03:35 Et le corps gros représente une difficulté pour le corps médical.
03:39 Donc, la formation des médecins, elle est aussi très importante.
03:42 Ce qui est important aussi, c'est le chemin à faire des personnes grosses.
03:44 Apprendre à dire quand on se sent humilié ou on se sent diminué ou culpabilisé chez le médecin.
03:50 Je voudrais dire aux personnes grosses, je sais comme c'est difficile d'aller chez le médecin,
03:55 je voudrais leur dire qu'elles sont courageuses.
03:57 Et puis, je voudrais dire aux soignants que la santé,
04:00 ce n'est pas uniquement la santé physique, mais c'est aussi la santé mentale.
04:04 Et que, humilier un patient, lui dire qu'il est fainéant ou qu'il n'a pas de volonté,
04:08 c'est abîmer sa santé mentale.
04:10 C'est de la discrimination et c'est ce qui va l'éloigner le plus,
04:13 et de la santé et du soin.