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00:00 Il y a 30 ans, David Herzog décide et est balayeur des marges du festival de Cannes.
00:04 Aujourd'hui, il présente son premier film, un documentaire sur l'immense compositeur Michel Legrand au festival de Cannes.
00:09 Il nous raconte ce parcours hors norme.
00:11 Déjà, je viens d'ici.
00:12 De Cannes même ?
00:13 Oui. Je viens d'un quartier, on va dire c'est la banlieue cannoise qui s'appelle l'Aboka,
00:18 qui est un tout petit quartier où évidemment, bah voilà, vivent des gens qui n'ont pas les moyens de vivre sur la croisette.
00:24 Moi en fait, d'abord, ma maman m'emmenait quand j'étais très très jeune, je parle de 5-6 ans,
00:28 m'emmenait sur la croisette, j'ai connu l'ancien palais des festivals.
00:31 Ensuite, un peu plus tard, à l'âge de 20 ans, j'ai perdu ma maman.
00:34 Et ma maman travaillait en tant qu'employée municipale.
00:38 Et je me souviens très bien que la mairie m'a convoqué en me disant "Voilà, vous êtes pupille de la nation."
00:42 Nous, on a une tradition, c'est que quand un parent décède, il libère donc forcément un poste au sein de la mairie.
00:49 Et on offre ce poste à l'enfant.
00:52 Est-ce que ça vous intéresse d'avoir un job à la mairie ?
00:55 Je dis "Bah oui, qu'est-ce que je vais faire ? On peut vous poser le balayage."
00:59 Ou derrière la benne, ce qu'on appelle "ripper", à ramasser les conteneurs, à les accrocher, à les vider,
01:05 puis à tourner comme ça dans le calme.
01:06 Et j'ai fait ça pendant quelques années.
01:08 Quand j'ai eu 20 ans et que je me suis retrouvé par moments à devoir balayer les marches,
01:13 je me souviens d'un soir, il devait être 4h du matin, enfin une nuit plutôt, il était 4h du matin,
01:17 et comme ça j'avais monté les marches habillées en balayeur,
01:20 c'est-à-dire avec un plastron jaune fluo, un bleu de travail.
01:25 Et arrivant aux démarches, j'avais regardé comme ça le point de vue,
01:29 qu'est-ce que ça faisait de voir ce que les stars voyaient.
01:31 Je me suis allongé sur le tapis, j'ai regardé comme ça au plafond,
01:35 et je me suis dit à moi-même "Un jour tu viendras avec ton film ici."
01:37 C'est sympa de rêver, ça coûte pas cher.
01:39 C'est une envie, mais c'est même pas un désir en fait.
01:41 Et puis après c'est devenu un désir.
01:44 C'est devenu un désir parce que je suis passionné de cinéma,
01:46 et que je me suis dit que être sélectionné dans le plus grand festival du monde,
01:50 en plus chez soi, un festival qui m'a vu grandir,
01:53 un festival qui m'a fait grandir sur le plan cinématographique,
01:56 c'est-à-dire que moi Cannes, ça m'a ouvert les portes du cinéma international.
02:00 J'ai fait connaissance avec des réalisateurs que je soupçonnais pas,
02:04 j'ai fait connaissance avec Rinikita Miralkov,
02:07 j'ai découvert le cinéma russe avec Cannes,
02:09 j'ai découvert Nanny Moretti, je suis un fan de Nanny Moretti,
02:11 ça a étoffé ma culture cinématographique.
02:14 Donc être sélectionné à Cannes, en sachant qu'on a balayé les marches,
02:17 hier je montais les marches avec mon papa,
02:20 qui est un maçon, qui n'a rien à voir avec le festival de Cannes.
02:23 C'est un monsieur qui a 89 ans,
02:26 qui a travaillé toute sa vie, qui a fabriqué,
02:28 qui a construit ici des immeubles.
02:30 C'était une fierté incroyable de faire monter mon père
02:33 sur ces marches que j'avais 30 ans avant balayées.
02:36 Et en fait, quand je me suis effectivement retrouvé comme ça devant Michel
02:41 pendant le tournage,
02:43 je me suis dit, c'est fou parce qu'en fait,
02:46 je m'autorise à l'âge que j'ai, c'est-à-dire 51 ans,
02:49 de continuer à avoir des rêves de gosse.
02:51 Je me suis rendu compte que c'était un point commun qu'on avait avec Michel.
02:54 C'est-à-dire qu'en fait, Michel était ce qu'il était parce que
02:58 toute la durée du tournage où j'ai eu la chance de côtoyer intimement Michel,
03:02 j'ai vu un enfant de 12 ans dans un corps de 85.
03:06 Et ça c'est le secret.
03:07 Pourquoi il est arrivé à la philharmonie de Paris
03:10 sur le point de mourir,
03:11 mais en donnant tout ce qu'il avait envie pour faire ce concert,
03:14 c'est parce qu'en fait, perdurait en lui l'âme de l'enfant qu'il était.
03:20 Et vraiment là-dessus, c'est quelque chose où je me suis reconnu
03:23 sans aucune prétention.
03:24 Je ne suis pas en train de dire, moi je suis comme Michel Legrand, pas du tout.
03:28 En revanche, humainement parlant, on avait vraiment des terrains similaires.
03:31 Et c'est ça que j'ai découvert pendant ce film avec lui aussi.
03:34 Pourquoi il t'a fallu 30 ans
03:36 pour en arriver jusque là, au final ?
03:37 J'ai eu peur en fait de me mettre à l'écriture.
03:41 J'ai eu peur de réaliser des films
03:44 parce que j'ai eu peur à un moment donné qu'on me dise
03:46 "Mais en fait, ce que tu fais, ça ne nous intéresse pas."
03:49 Le simple fait d'avoir eu envie de faire quelque chose sur Michel
03:53 m'a obligé à dépasser mes peurs, mes peurs artistiques.
03:58 Et alors ce qui est encore plus fou,
03:59 c'est que Michel lui-même m'a totalement affranchi de ces peurs.
04:03 Il fallait y aller, il fallait se dire
04:04 "Ce que je vais faire, ça va plaire, j'y crois, je vais me donner,
04:08 je vais me dépasser, je vais aller au bout de mon envie."
04:10 Et Michel, il vous insufflait ça en fait.
04:14 Moi, Michel, il m'a permis d'oser.
04:17 Du coup, là, tu as accompli un sacré rêve,
04:19 un rêve que tu avais depuis 30 ans.
04:22 Tu en as d'autres à accomplir encore ?
04:23 J'ai déjà un scénario de long métrage qui est prêt depuis deux ans maintenant,
04:27 que j'ai co-écrit avec Willy Durafour,
04:29 qui est d'abord un copain, qui est un ami.
04:32 Même, on a ce scénario qui est prêt
04:34 et on va tout faire pour le porter à nouveau.
04:36 Vous savez, le cinéma, c'est une question d'envie.
04:41 Pas seulement bien sûr, parce qu'encore une fois derrière,
04:43 il faut avoir l'argent, il faut trouver les financiers,
04:46 il faut trouver accessoirement un co-producteur ou un producteur.
04:48 Oui, il faut du talent, je suis d'accord,
04:50 mais l'envie, elle est importante.
04:52 Vous savez, des fois, il y a des gens qui n'ont pas forcément de talent,
04:54 mais qui ont tellement d'envie qu'ils se retrouvent à faire des choses.
04:57 Moi, je suis très admiratif de ça.
04:59 C'est important la motivation, c'est quand même le premier moteur.
05:02 Le talent, ça peut s'accrire au cours des années.
05:05 Votre premier film est un essai, votre deuxième film est un essai.
05:08 Et puis votre troisième film, ça peut être un chef d'oeuvre.
05:10 Ça, c'est génial.
05:11 Si vous n'avez pas d'envie, vous n'aurez jamais de talent.
05:14 Jamais.
05:14 *Bruit de pas*
05:16 En mini !