Après le 11 septembre 2001, l’Irak de Saddam Hussein devient la cible principale de l’Amérique. Bush veut une guerre à tout prix, Chirac s’y oppose.
Pendant un an, entre 2002 et 2003, la France et l’Amérique vont s’affronter.
Dix ans plus tard s’appuyant sur des documents inédits et sur le témoignage d’agents des renseignements (CIA/DGSE), de militaires, de politiques français et américains, ce documentaire plonge dans les coulisses de l’Élysée, de la Maison-Blanche, du Quai d’Orsay, des services de renseignements et raconte une année faite de menaces, de coups bas, de fausses preuves, de manipulation de l’Onu par les États-Unis et du prix payé par la France pour s’être opposée à la toute puissance américaine.
Réalisateur : Elizabeth Drevillon
Pendant un an, entre 2002 et 2003, la France et l’Amérique vont s’affronter.
Dix ans plus tard s’appuyant sur des documents inédits et sur le témoignage d’agents des renseignements (CIA/DGSE), de militaires, de politiques français et américains, ce documentaire plonge dans les coulisses de l’Élysée, de la Maison-Blanche, du Quai d’Orsay, des services de renseignements et raconte une année faite de menaces, de coups bas, de fausses preuves, de manipulation de l’Onu par les États-Unis et du prix payé par la France pour s’être opposée à la toute puissance américaine.
Réalisateur : Elizabeth Drevillon
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00:00:00 [Musique]
00:00:04 5 mai 2002, Jacques Chirac vient d'être réélu président de la République face à Jean-Marie Le Pen avec 82% des suffrages.
00:00:13 La France explose de joie et à son QG de campagne, le gagnant sourit en pensant au boulevard politique qui s'offre à lui.
00:00:20 Il n'imagine pas encore qu'à 6200 km de là, un homme va bouleverser cette quiétude.
00:00:28 Saddam Hussein et ses fils doivent quitter l'Irak dans les 48 heures.
00:00:35 Un refus entraînerait un conflit militaire qui commencera quand nous le déciderons.
00:00:42 La France devait dénoncer une guerre illégitime et injuste qui a causé beaucoup de morts et qui a ouvert une boîte de pandore.
00:00:51 On voit tous la situation de l'Irak aujourd'hui.
00:00:53 [Explosions]
00:00:57 Entre 2002 et 2003, la France va s'opposer frontalement aux États-Unis entraînant un divorce qui laissera des traces et n'empêchera pas la guerre.
00:01:06 Dix ans plus tard, agents des renseignements, militaires, politiques français et américains,
00:01:12 tous acteurs de cette pièce de théâtre dramatique, témoignent de cette année faite de menaces,
00:01:18 de fausses preuves sur les armes de destruction massive irakienne et de manipulation de l'ONU par les Américains.
00:01:26 Cette insistance, pointée du doigt en prenant le représentant français, représentant du président de la République,
00:01:31 montrait bien que les Américains nous avaient dans le collimateur, comme empêcheurs de retourner en rond dans leurs entreprises.
00:01:38 J'ai demandé "Qu'allez-vous faire si vous allez là-bas et que vous ne trouvez rien ?"
00:01:43 Et il m'a dit "C'est important, on ne trouvera probablement pas ce qu'on a dit qu'il y avait,
00:01:49 mais on trouvera bien quelque chose et à ce moment-là, ça passera."
00:01:53 [Sirènes de police]
00:01:59 Croyez bien qu'en matière de respect des principes, nous irons jusqu'au bout.
00:02:04 [Musique]
00:02:29 Depuis le 20 mai 1980, après l'Afghanistan, les États-Unis ont décidé de contrôler le Proche et le Moyen-Orient,
00:02:38 tant sur le plan politique qu'énergie.
00:02:41 Leur première cible, l'Irak de Saddam Hussein, qu'ils accusent de collusion avec les terroristes et de détenir des armes de destruction massive.
00:02:49 Ça a réellement commencé après l'élection, lorsque Bush a prêté serment.
00:02:59 [Musique]
00:03:04 L'administration Clinton avait coupé les budgets Irak de la CIA pour les mettre sur l'Iran ou le terrorisme.
00:03:12 Ils ont dit qu'il fallait recentrer ses moyens sur l'Irak.
00:03:17 L'Irak était devenue la première priorité.
00:03:21 [Musique]
00:03:23 Deux camps vont alors s'affronter.
00:03:25 D'un côté, Jacques Chirac et son ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin.
00:03:29 La France veut que ce conflit soit encadré par les Nations Unies dans le strict respect du droit international.
00:03:37 De l'autre côté, George W. Bush et son entourage néo-conservateur, tel que Donald Rumsfeld,
00:03:43 Richard Perle et sa conseillère à la Sécurité Nationale, Condoleezza Rice.
00:03:48 Ils rejettent l'arbitrage de l'ONU et défendent un usage immédiat de la force.
00:03:53 Les États-Unis n'ont qu'un but, remodeler la carte géostratégique du Proche-Orient à leur avantage.
00:03:59 [Musique]
00:04:03 "Ladies and gentlemen, the President of the United States and Mrs. Laura Bush."
00:04:11 En ce printemps 2002, une fièvre belliciste s'est emparée de l'Amérique.
00:04:15 Et le 1er juin, devant l'académie militaire de West Point,
00:04:18 George Bush prononce un discours dans lequel la guerre apparaît en filigrane.
00:04:24 "La diplomatie est impossible lorsque des dictateurs déséquilibrés possédant des armes de destruction massive
00:04:33 peuvent armer des missiles ou en fournir secrètement à leurs alliés terroristes.
00:04:39 Nous devons porter la bataille chez l'ennemi,
00:04:43 perturber ses plans et affronter les menaces avant qu'elles n'émergent.
00:04:50 Dans le monde dans lequel nous entrons, la seule voie qui assure la sécurité,
00:04:54 c'est passer à l'action et nous agirons."
00:04:58 [Applaudissements]
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00:05:03 Très tôt, l'Amérique informe les Britanniques, leurs alliés de toujours, de leur décision de renverser Saddam.
00:05:09 Comme le prouve ce document ultra-secret des services de renseignement anglais,
00:05:12 en date du 23 juillet 2002, adressé à David Manning, le conseiller politique de Tony Blair.
00:05:19 Ce document dont la France n'a pas connaissance atteste
00:05:23 "Qu'une intervention militaire était désormais considérée comme inévitable.
00:05:27 Bush voulait renverser Saddam par une action militaire
00:05:30 justifiée par le lien entre terrorisme et détention d'armes de destruction massive.
00:05:35 Les renseignements et les faits étaient orientés en fonction de cette politique."
00:05:41 "Saddam Hussein était une menace pour la région.
00:05:45 Il avait envahi le Koweït, l'Iran, il avait des liens avec des organisations terroristes,
00:05:51 il haïssait les États-Unis."
00:05:54 [Musique]
00:06:01 "Après le 11 septembre, nous étions très inquiets.
00:06:04 Nous pensions qu'il fallait agir vite.
00:06:08 À ce point, la seule option était l'usage de la force."
00:06:14 [Musique]
00:06:18 Comment l'Irak peut-elle détenir des armes de destruction massive
00:06:21 alors que le pays vit sous embargo depuis 12 ans ?
00:06:25 Sur ce sujet, la France adopte une attitude de prudence.
00:06:28 Au ministère des Affaires étrangères, une réunion confidentielle rassemble le 29 août 2002,
00:06:33 diplomate et dirigeant de la DGSE.
00:06:36 À l'abri des regards, les uns et les autres expriment leurs doutes.
00:06:42 "Nous pensions, après les opérations qu'avaient menées les inspecteurs des Nations Unies dans les années 1990,
00:06:49 que les programmes balistiques irakiens avaient été complètement démantelés."
00:06:55 [Musique]
00:07:00 "La principale interrogation portait sur d'éventuels armements chimiques et bactériologiques.
00:07:06 Sur ce point, les inspecteurs des Nations Unies reconnaissaient
00:07:10 que leurs inspections n'avaient pas été conclusives."
00:07:13 "Nous n'avions aucune preuve que l'Irak, en 2002-2003,
00:07:21 possédait des armes de destruction massive ou avait repris des productions dans ces domaines."
00:07:29 [Musique]
00:07:34 "Il n'y avait absolument aucun indice dans le domaine nucléaire et dans le domaine des vecteurs.
00:07:42 L'Irak ne disposait pas des moyens de projeter au-delà de ses frontières
00:07:48 les armes de destruction massive qu'il aurait éventuellement possédées."
00:07:54 Si les Français semblent quasiment convaincus que l'Irak ne possède pas d'armes de destruction massive,
00:07:59 c'est parce que depuis plusieurs mois, nos services de renseignement travaillent sur le terrain
00:08:03 et ont établi des liens très étroits avec Najis Sabri Ahmad Al-Aditi Sabri,
00:08:08 le ministre irakien des Affaires étrangères.
00:08:12 Ses renseignements, la DST les partage avec un officier de la CIA,
00:08:16 lequel rencontrera à Paris un intermédiaire du ministre irakien.
00:08:21 "J'ai rencontré l'intermédiaire avec l'aide des Français à Paris au printemps 2002
00:08:29 et je lui ai fourni une liste de questions que nous souhaitions qu'il transmette à Najis Sabri.
00:08:36 C'était une façon de vérifier sa crédibilité ainsi que celle de la source
00:08:46 et nous avions nos propres moyens de vérification.
00:08:50 Les Français aussi ont fait ce travail afin de savoir si les questions avaient bien été transmises à Najis Sabri
00:08:55 et de guetter l'opportunité d'avoir les réponses."
00:09:01 Aujourd'hui, Najis Sabri vit au Qatar.
00:09:03 Il nous a adressé ce mail dans lequel il dément toute collaboration avec la DST et la CIA.
00:09:09 Dix ans plus tard, l'ancien ministre de Saddam Hussein, crayant pour sa vie, refuse encore de reconnaître les faits.
00:09:16 Si Najis Sabri prend langue avec les services de renseignement français,
00:09:20 c'est parce que depuis des décennies, la France et son gouvernement
00:09:23 entretiennent d'excellents rapports avec l'Irak.
00:09:26 Tout commence dans les années 1970.
00:09:31 "La première phase qui naît au début des années 1970,
00:09:34 et surtout après le quadruplement du prix du pétrole en 1973,
00:09:39 c'est une phase où, pour payer sa facture pétrolière,
00:09:42 la France vend des armes, du BTP, des équipements électroniques, les grands marchés d'État."
00:09:49 "Ces accords permettent à ces pays comme l'Irak de ne pas être uniquement dépendants de l'Union soviétique pour ses équipements,
00:09:55 et finalement, chacun, y compris dans le monde occidental,
00:09:58 voit un intérêt à ce que la France joue ce jeu particulier."
00:10:02 Et ce sont bien ces relations commerciales et les intérêts pétroliers de la France en Irak
00:10:07 que dénonceront tout au long de cette crise les États-Unis.
00:10:11 Une Amérique qui, pour le pétrole, reste un pays qui est un pays de l'Europe.
00:10:15 "Je me souviens des confidences d'un industriel français qui avait fait toute sa carrière dans l'énergie.
00:10:22 Il disait que la plupart des autres pays avaient des intérêts énergétiques dans des régions productrices,
00:10:29 mais que la France avait été exclue de ces régions."
00:10:34 "Cette histoire est toujours très importante pour moi,
00:10:38 car je pense que la France a toujours été exclue de ses régions."
00:10:43 "L'Irak a été une grande opportunité pour la France,
00:10:50 et Chirac a été la personne la plus impliquée dans le programme nucléaire fourni par la France à Saddam Hussein."
00:10:59 Vers le 15 septembre 2002, le ministre Najis Abri se rend à l'ONU.
00:11:09 Il fait alors passer aux agents de la CIA ses informations sur les armes irakiennes de destruction massive.
00:11:16 "Il nous a dit que Saddam Hussein avait pratiquement abandonné son programme d'armes chimiques,
00:11:24 laissant ce qu'il en restait à son clan, parce qu'il n'avait plus confiance en sa propre armée.
00:11:34 Il nous a dit que les efforts en matière d'armes bactériologiques poursuivis un temps
00:11:40 n'avaient pas donné de résultats, autre que ce qu'il a appelé des efforts artisanaux."
00:11:46 Quelques jours plus tard, le rapport de Bill Murray est transmis à George Tenet, le patron de la CIA.
00:11:55 "La Maison-Blanche lui a dit, c'est excellent, car maintenant nous avons une source,
00:12:01 nous ne dépendons pas des autres pays, nous avons notre propre source dans le gouvernement.
00:12:06 Mais quand ils ont lu ce que disait le rapport, ils n'ont pas beaucoup aimé."
00:12:10 Un rapport qui dément la présence d'armes de destruction massive ne va pas dans le sens des néoconservateurs.
00:12:18 D'autant que les autorités américaines ont entendu parler d'une autre source anti-Saddam celle-là
00:12:24 et baptisée du nom de code "curveball".
00:12:27 Son nom, Rafi Ahmed Al-Janabi.
00:12:30 Ce chimiste a fui l'Irak en 1999.
00:12:34 Il trouve alors refuge en Allemagne et prend contact avec les services secrets.
00:12:38 Janabi leur affirme avoir travaillé dans une usine à Jarfal Nadaf où l'ont fabriqué, selon ses dires, des armes biologiques.
00:12:46 Les services allemands transmettent aux agents de la CIA ces informations.
00:12:50 "Il a produit plus de 200 rapports.
00:12:55 Et quand les allemands lui demandaient "savez-vous quelque chose sur ces véhicules qui circulaient ?
00:13:00 Ou bien avez-vous un véhicule ayant telle ou telle chose ?
00:13:04 Et il disait "ouais".
00:13:07 Et c'était pris pour argent comptant.
00:13:10 Les allemands ont toujours dit "on vous les donne parce qu'on pense que c'est important.
00:13:16 C'est à vous de voir ce que vous allez en faire".
00:13:18 C'est ce qu'ils ont dit.
00:13:20 Ils n'ont jamais dit "c'est la vérité, allez-y".
00:13:23 Ils ont toujours dit "on sait pas".
00:13:26 À cette époque, les sources humaines appartenaient à des catégories quand même un peu bizarres.
00:13:33 C'est-à-dire qu'on avait des défecteurs, on avait des membres de l'opposition irakienne,
00:13:38 on avait même des prisonniers djihadistes.
00:13:43 Et tous ces gens-là avaient un intérêt à fournir aux anglo-saxons des informations qui leur plairaient.
00:13:53 Prudents, les services allemands précisent à la CIA
00:13:57 qu'aucune preuve ne permet d'étayer les propos de l'Irakien.
00:14:00 Qu'importe, cette thèse convient parfaitement aux néoconservateurs
00:14:04 qui, semaine après semaine, amplifient les rumeurs sur les armes de destruction massive
00:14:09 et sur la menace que représente Saddam Hussein pour le monde libre.
00:14:12 Allant même jusqu'à faire circuler de faux documents.
00:14:18 Il y avait des rapports selon lesquels Saddam Hussein avait l'intention d'acheter de l'uranium au Niger
00:14:24 pour le processus d'enrichissement militaire de matériaux nucléaires.
00:14:29 Ces rapports nous sont parvenus non pas via des faux documents fabriqués,
00:14:34 comme cela a été avancé depuis lors, mais via des sources que nous pensions fiables.
00:14:42 J'ai reçu un jour la visite d'un expert de la IA, que je connaissais depuis des années et des années,
00:14:48 qui avait dans ses mains un document avec l'entête d'un gouvernement étranger
00:14:54 adressé à l'Irak pour la fourniture de matériel
00:14:59 destiné à la réalisation d'armes de destruction massive.
00:15:02 Nous sommes allés ensemble aux archives du Qadorsay
00:15:10 retrouver des entêtes de ce même gouvernement pour vérifier que l'entête était la même.
00:15:15 Nous avons regardé et vérifié qu'à quelques millimètres près,
00:15:19 dans l'attitude de l'écriture, dans l'impression du logo de cette république et de ce gouvernement,
00:15:28 c'était un faux, ce n'était pas un vrai document.
00:15:31 Tandis que l'Amérique tente par tous les moyens de justifier sa guerre,
00:15:37 le 6 septembre 2002, George Bush appelle Jacques Chirac.
00:15:41 Nous avons eu accès au cours de notre enquête au compte-rembut de ces appels téléphoniques.
00:15:48 L'entretien que vous allez entendre a été, comme toutes les conversations officielles du chef de l'État,
00:15:54 relevé et codifié avant d'être archivé par un des conseillers techniques à la présidence de la République.
00:16:00 Je vais informer un certain nombre de dirigeants amis de ma position sur l'Irak.
00:16:15 Par-delà nos divergences, je crois qu'il y a deux points sur lesquels nous pouvons être d'accord.
00:16:20 1. Saddam Hussein est une menace.
00:16:23 2. Il s'obstine à défier la communauté internationale.
00:16:27 Ils sont très soucieux d'avoir la France avec eux, parce qu'ils connaissent les relais de la France sur la scène internationale.
00:16:36 Nous sommes un pays membre permanent du Conseil de sécurité, nous sommes des alliés de premier rang.
00:16:40 Les échanges qui se font avec eux montrent que les Américains, au maximum, essayent de prendre en compte notre point de vue.
00:16:52 Mais à un certain moment, on atteint la limite.
00:16:57 C'est là où nous nous disons que, vraisemblablement, les Américains ont des intentions qu'ils n'ont pas totalement dévoilées.
00:17:01 Quand je dis qu'ils veulent en découdre, c'est qu'effectivement, plus le temps passe,
00:17:04 et plus nous percevons que les Américains, quoi qu'il arrive, iront à la bataille.
00:17:07 Nous sommes ouverts au débat.
00:17:10 Il faut espérer que Saddam Hussein entende raison, car une intervention militaire constituerait, à mon sens, une aventure difficile et dangereuse.
00:17:17 Il ne peut ignorer que le choix est désormais entre le retour des inspecteurs et une action militaire.
00:17:22 Pour Jacques Chirac, loin d'être un pacifiste, toute tentative de renverser Saddam Hussein sans la caution de la communauté internationale risquerait d'introduire le chaos.
00:17:33 La France estime donc qu'un recours à la force armée ne pourrait avoir lieu que s'il est avalisé par le Conseil de sécurité des Nations Unies.
00:17:40 Le 12 septembre 2002, à six mois du déclenchement de la guerre,
00:17:47 Georges Bush, dans un simulacre d'apaisement, se présente devant l'ONU,
00:17:54 laissant croire qu'il serait prêt à passer par le Conseil de sécurité et y soumettre une résolution pour légitimer l'usage de la force.
00:18:01 En 1991, l'Iraqi machine de l'armée de l'Ouest, la plus grande,
00:18:06 s'est engagée à détruire et à arrêter de développer des armes de destruction massive et des missiles de longue portée.
00:18:13 Il devait prouver au monde qu'il s'était acquitté de cette tâche en acceptant de rigoureuses inspections.
00:18:20 L'Iraq a rompu tous les aspects de cet engagement.
00:18:25 Nous collaborerons avec le Conseil de sécurité de l'ONU en vue d'obtenir les résolutions nécessaires.
00:18:32 Mais que personne ne mette en doute les intentions des États-Unis.
00:18:37 Les résolutions du Conseil de sécurité seront respectées ou une action sera inévitable.
00:18:44 Nous découvrons la position de Georges Bush aux Nations Unies dans une position d'expectative.
00:18:51 Nous nous interrogeons sur le sens réel de cet engagement.
00:18:57 Il y avait le sentiment que l'administration américaine voulait jouer le jeu.
00:19:02 En même temps, les informations qui nous parvenaient montraient que le Pentagone mobilisait,
00:19:08 qu'il y avait sur place un certain nombre de forces qui s'organisaient.
00:19:13 Nous avions le sentiment que tout était possible, que ce discours pouvait être légitimement fondé sur le fait que l'on avait un plan de lutte.
00:19:21 Mais qu'en même temps, il souhaitait garder de fer au feu.
00:19:27 Je ne pensais pas que l'ONU puisse être efficace à ce moment-là pour désarmer l'Irak.
00:19:33 Les Nations Unies n'ont jamais désarmé personne.
00:19:37 Il y a eu des pays qui ont désarmé dans un contexte de fin de conflit.
00:19:42 Mais une situation comme celle-ci, c'est une situation de désarmement.
00:19:47 Il n'y avait aucune raison de penser que Saddam Hussein allait volontairement abandonner les armes que nous pensions qu'il cachait depuis des années.
00:19:57 Le 16 septembre, Saddam Hussein accepte enfin le retour des inspecteurs de l'ONU,
00:20:07 ceux qui contrarient les plans des néoconservateurs, persuadés qu'ils refuseraient.
00:20:12 Les Américains s'uranchérissent et proposent dans leur projet de résolution sur l'Irak,
00:20:18 déposé à l'ONU, que l'armée américaine accompagne les inspecteurs des Nations Unies dans leur travail sur le terrain.
00:20:24 Une véritable provocation.
00:20:27 Nous devions déshabiller le texte provoquant imposé à Colin Powell par les néoconservateurs,
00:20:35 pour faire atterrir les États-Unis sur un texte qui nous donnerait satisfaction.
00:20:42 Et donc on avait d'un côté ceux qui, au Conseil de sécurité, étaient prêts à négocier, conduits par la France.
00:20:55 De l'autre, les néoconservateurs américains, qui étaient prêts à faire des choses,
00:21:01 qui voulaient garder le texte le plus provocant pour saboter la résolution et la négociation.
00:21:08 Aux Nations Unies, il y a toujours des marchandages.
00:21:12 Si vous voulez une résolution dure, il faut demander une résolution très dure,
00:21:17 car vous pouvez revenir en arrière et obtenir ce qui est acceptable pour vous.
00:21:22 Il était totalement exclu dans notre esprit que le texte provoquant
00:21:28 n'était pas un problème sur place, même mineur.
00:21:33 Les États-Unis puissent en prendre prétexte et, sans accord du Conseil de sécurité,
00:21:39 décident d'engager des opérations militaires.
00:21:43 Et pourtant, le 10 octobre 2002, George Bush obtient le feu vert du Congrès et du Sénat
00:21:50 pour mener, lorsqu'il le jugera utile, la guerre contre l'Irak.
00:21:54 Je remercie les membres des assemblées.
00:21:59 Je viens de m'entretenir avec eux il y a quelques minutes sur le vote de la politique en cours
00:22:05 qui autorisera le moment venu l'usage de la force contre l'Irak, si cela est nécessaire.
00:22:12 Après ce vote, Paris, qui rejette une guerre sans l'accord de l'ONU,
00:22:18 commence à prendre conscience que le passage de George Bush par les Nations Unies
00:22:22 n'est qu'un leurre.
00:22:24 L'Amérique n'a qu'un but, maintenir son hégémonie dans le monde et non promouvoir la paix.
00:22:29 Vous avez bien compris que le but de l'administration Bush, c'était le chèque en blanc.
00:22:33 La France, avec d'autres États au Conseil de sécurité, signait et c'était un chèque donné
00:22:38 pour l'intervention américaine. Nous n'avons jamais cédé là-dessus.
00:22:42 Nous avions les Anglais qui étaient dans une position particulière,
00:22:47 parce que Tony Blair était, dans le fond, prêt à y aller.
00:22:52 Et donc, de sympathie avec George Bush, mais pour lui c'était très important
00:22:59 de respecter pleinement l'ordre international, et donc pour lui c'était très important
00:23:04 d'avoir une bonne résolution du Conseil de sécurité.
00:23:07 Il fallait que la volonté internationale puisse s'exprimer à chaque étape.
00:23:11 Et si donc il y avait défaillance de Saddam Hussein,
00:23:15 si les inspecteurs ne pouvaient pas faire leur travail,
00:23:18 nous voulions retourner devant le Conseil de sécurité,
00:23:21 et qu'il y ait le vote d'une deuxième résolution pour éventuellement envisager une intervention militaire.
00:23:28 Au Conseil de sécurité, l'organe exécutif des Nations unies,
00:23:38 la première résolution, la 1441, qui fixe les obligations de Saddam Hussein,
00:23:43 est votée à l'unanimité.
00:23:46 Paris, qui s'est battue avec acharnement, a obtenu qu'il n'y ait pas de guerre automatique,
00:23:51 et réussit à persuader les Américains d'utiliser le "et" au lieu du "ou".
00:23:56 Ainsi, ce sont deux conditions, fausse déclaration et manque général de coopération de Saddam,
00:24:03 qui constitueront une violation patente de la résolution.
00:24:07 À nos yeux, c'était une victoire, parce que nous obtenions la mise en œuvre
00:24:12 finalement de ce processus en deux phases,
00:24:15 que le président Chirac avait décrit dans son interview au New York Times.
00:24:19 Une première phase avec le retour des inspecteurs en Irak,
00:24:22 et une éventuelle deuxième phase dans laquelle le Conseil de sécurité se réservait
00:24:27 de tirer les conséquences d'un éventuel refus irakien ou d'une mauvaise foi irakienne.
00:24:33 Bien sûr, la résolution exigeait des inspections supplémentaires,
00:24:38 et quand ces inspections n'ont pas donné les résultats escomptés,
00:24:42 il y a eu beaucoup de gens au sein de l'administration américaine
00:24:45 qui ont pensé qu'on avait fait tout ce que nous devions faire sous les auspices des résolutions de l'ONU,
00:24:50 et que maintenant, nous avions la légitimité pour user de la force.
00:24:55 Pour George Bush et ses néo-conservateurs,
00:25:01 passer par l'ONU n'a jamais été considéré comme une alternative à la guerre,
00:25:05 mais comme le moyen d'obtenir le ralliement de pays européens.
00:25:09 Ainsi, britanniques, italiens et espagnols se rangent dans le camp des pro-guerre.
00:25:15 Le 21 novembre 2002, lors du sommet de l'OTAN,
00:25:18 Jacques Chirac met une fois de plus en garde George Bush,
00:25:21 contre toute véléité d'attaquer Saddam.
00:25:24 Cette action, si vous l'engagez sans l'appui de la communauté internationale,
00:25:31 sera considérée comme injuste et elle déchaînera une vague de terrorisme sans précédent.
00:25:36 Et donc, ayant dit cela, le président Bush, qui écoute attentivement, lui dit
00:25:41 "Ce n'est pas notre perception des choses, nous avons affaire à Saddam Hussein,
00:25:46 qui est devenu un danger, et donc il faut aller de l'avant,
00:25:49 il a des armes de destruction massive qui nous menacent,
00:25:52 et vous ne pouvez pas vous rendre compte, en tant que français,
00:25:55 que ce sont les Etats-Unis qui sont menacés et que nous devrons agir."
00:25:59 Ce dont les français se rendent compte, c'est qu'une guerre préventive des Etats-Unis contre l'Irak,
00:26:03 risque d'encourager dans l'avenir d'autres Etats à agir de même, au nom de leurs intérêts nationaux.
00:26:08 Pas question donc pour la France de laisser faire l'Amérique.
00:26:11 A Bagdad, le 7 décembre 2002, les autorités irakiennes dévoilent à la presse
00:26:16 leur propre rapport sur leurs armes de destruction massive, demandées par les Nations Unies.
00:26:25 "Si l'intention des Etats-Unis et des Anglais est de désarmer l'Irak,
00:26:29 je pense que ce rapport sera conforme aux résolutions de l'ONU.
00:26:34 Et si les Américains font preuve d'un minimum de bonne foi, d'un minimum de clairvoyance,
00:26:44 ils diront oui, ce rapport est une preuve indiscutable."
00:26:52 "Quand Iraïs m'appelle, il me dit vous avez vu ce rapport, je lui dis oui, alors qu'est-ce que vous en pensez ?
00:26:57 Et elle me répond, it's a joke, c'est une blague.
00:27:00 Et c'était pas notre avis, parce que d'abord il fallait l'analyser,
00:27:05 il fallait le donner aux gens compétents pour l'analyser,
00:27:07 donc nous avons senti ce jour-là qu'il y avait un parti pris américain
00:27:12 de décider que quoi qu'il arrive du côté de l'Irak,
00:27:16 de toute façon c'était pas bon, c'était mauvais, c'était même pas regardé."
00:27:19 "On a tout épluché, tout épluché à la phrase près, à la photo près, à la carte près,
00:27:26 et je vais vous dire dans ces 12 000 pages, il n'y avait quasiment pas un renseignement d'intéressant.
00:27:31 Les Irakiens n'avaient rien apporté de convaincant, ce qui d'ailleurs ne nous aidait pas."
00:27:35 Si Saddam Hussein ne fait pas preuve de bonne volonté,
00:27:42 le Conseil de sécurité pourrait voter un recours à la force.
00:27:45 Jacques Chirac ne peut plus exclure une intervention armée.
00:27:49 À l'état-major, dans le plus grand secret, les officiers élaborent plusieurs cas de figure d'intervention.
00:27:54 À la mi-décembre, tout s'accélère.
00:27:57 "J'ai demandé au président Chirac, au début du mois de décembre,
00:28:01 si je pouvais envoyer mon sous-chef opération, le général Gaviard,
00:28:05 pour voir avec les Américains quelle place nous aurions si nous participions.
00:28:17 Je m'attendais à un refus.
00:28:19 Je m'attendais à ce que le président Chirac me dise,
00:28:21 il n'est pas question d'avoir quelque contact que ce soit avec les Américains.
00:28:24 Pas du tout, pas du tout.
00:28:26 Il a tout de suite donné son accord."
00:28:28 "C'est un samedi, donc il n'y a pas grand monde.
00:28:30 Je rentre dans une salle assez froide,
00:28:33 et il y a six ou sept généraux américains, quatre étoiles, dont je connais la plupart.
00:28:43 Et je leur pose la question de "pouvez-vous me dire
00:28:47 quand est-ce que vous allez rentrer en guerre, et puis avec quels moyens ?"
00:28:52 Mais là, tout de suite, arrêt.
00:28:55 Arrêt complet. On connaît les Américains.
00:28:58 Ils ont même souri lorsque j'ai posé la question.
00:29:00 Ça voulait dire "vous avez tenté, mais vous savez bien que je ne vais pas vous répondre."
00:29:04 Jean-Patrick Gaviard réussit toutefois à obtenir quelques informations de ces généraux,
00:29:09 tous des proches de Donald Rumsfeld, néo-conservateur et ministre américain de la Défense.
00:29:14 "Cette mission, au moins, nous a permis de voir que les Américains ont un dispositif qui est verrouillé,
00:29:19 qui est ficelé, qu'ils ont des troupes, des moyens militaires, des moyens matériels sur place,
00:29:24 et qu'il n'y a pas de place pour la France, pour le cas où la situation se présenterait."
00:29:30 Pourtant, la démarche des Français fait naître un certain espoir chez les Américains.
00:29:35 Paris pourrait se rallier, et le 7 janvier 2003, lors de ses voeux aux armées,
00:29:40 le chef de l'État entretient cette confusion, y compris dans ses propres rangs.
00:29:44 "Madame la ministre de la Défense, dans l'année qui vient, de nombreux défis, bien sûr, nous attendent.
00:29:52 Sur le plan opérationnel, il y a tout lieu de croire que les théâtres d'opérations sur lesquels nos forces sont déployées
00:29:59 continueront de nous solliciter.
00:30:02 D'autres, hélas, pourraient s'ouvrir.
00:30:05 Se tenir prêt à toute éventualité est au cœur du métier de soldat que vous avez choisi."
00:30:10 "J'ai été très surpris de l'entendre me dire, nous dire, que les armées devaient être prêtes à tout moment,
00:30:20 à tout événement qui surviendrait et qui nécessiterait leur engagement.
00:30:24 D'abord parce que pour moi ça allait de soi, et puis ensuite parce que ça avait l'air de se raccrocher précisément à l'Irak.
00:30:32 L'image de la France était celle d'un pays qui aimait à renacler, mais au dernier moment, s'inclinait.
00:30:40 Madame Thatcher avait eu cette merveilleuse formule auprès de Bouchbère lors de la première guerre d'Irak,
00:30:50 c'était quelque part l'été 90.
00:30:53 Vous allez voir, Mitterrand va multiplier les difficultés, mais quand on en viendra au prendre et au faire,
00:31:00 la France sera là. When the ship sails, France will be there."
00:31:04 Les Français sont contre la guerre et le manifestent régulièrement.
00:31:08 Jacques Chirac prendra-t-il alors le risque de casser sa popularité en se ralliant à George Bush ?
00:31:14 A l'état-major, les plans militaires sont achevés et transmis secrètement aux Américains par le général Gaviard.
00:31:20 "Ce qui est mis sur la table, c'est approximativement 10 000 hommes pour l'armée de terre,
00:31:27 c'est une centaine d'avions pour l'armée de l'air, et c'est le porte-avions avec tout ce soutien,
00:31:34 ce qu'on appelle le groupe aéronaval."
00:31:36 Début janvier 2003, la tension monte au Quai d'Orsay.
00:31:43 Depuis plusieurs semaines, Colin Powell, le secrétaire d'état américain,
00:31:47 un modéré plutôt favorable à un encadrement du conflit par l'ONU, n'appelle plus.
00:31:54 "Il disparaît pendant 15 jours, 3 semaines. Je ne l'entends plus. Et là je me dis mais c'est bizarre.
00:32:00 Et donc dans les derniers jours de l'année, les premiers jours de janvier, je me dis, il faut aller au contact.
00:32:06 Il faut aller au contact de la déploiation américaine parce que, en céphalogramme plat,
00:32:11 c'est pas normal quand on les connaît, il y a quelque chose qui est caché, il y a une anguille sous roche."
00:32:16 Que signifie ce silence ? Que préparent les Américains ?
00:32:21 Le 13 janvier, Maurice Gourdeau-Montagne et Jean-David Lévitte rencontrent Condoleezza Rice.
00:32:26 "Elle nous a dit, en gros, écoutez, on a pris la décision d'y aller.
00:32:33 Et maintenant, à vous de choisir, vous êtes avec nous ou vous n'êtes pas avec nous.
00:32:39 Je lui dis, mais nous constatons qu'il y a cette montée en puissance de la force américaine dans la région,
00:32:47 qu'est-ce qui pourrait vous arrêter ?
00:32:50 Et elle me répond du tac au tac, le départ de Saddam Hussein.
00:32:54 Et je lui dis, ah bon ? Ah, elle me dit, oui, le départ de Saddam Hussein, et puis je lui dis, après, qu'est-ce que vous feriez ?
00:33:00 Ah bah, après, nous changerions toutes les têtes du régime irakien,
00:33:03 et puis nous nous occuperions, naturellement, de démanteler les armes de destruction massive."
00:33:09 Quelques heures plus tard, Maurice Gourdeau-Montagne rencontre le néoconservateur Paul Wolfowitz, numéro 2 du Patagone.
00:33:16 "Pendant trois quarts d'heure, il me pointe du doigt comme ça en me disant, nous savons que vous savez.
00:33:20 Et il accuse donc la France de mensonge sur la question des armes de destruction massive,
00:33:25 qu'il met au premier plan comme, je dirais pas comme prétexte, mais en fait c'était bien ça.
00:33:30 Nous savons que vous savez qu'il y a des armes de destruction massive en Irak, et vous refusez de le dire, nous le savons.
00:33:37 Cette insistance, le pointer du doigt, en étant le représentant français, le représentant du président de la République,
00:33:42 montrait bien que les Américains nous avaient dans le collimateur, comme empêcheurs de retourner en rond dans leurs entreprises."
00:33:49 Les Américains ne jouent plus, et en France, la posture de Jacques Chirac ne convient plus à certains qui estiment que Paris doit cesser d'affronter Washington.
00:33:59 "Vous aviez beaucoup de diplomates qui étaient totalement effrayés de voir le divorce avec les Américains,
00:34:05 totalement effrayés de voir que nous ne suivions pas l'allié traditionnel américain.
00:34:10 Et je vous passe un certain nombre d'intellectuels que Dominique de Villepin avait réunis à déjeuner,
00:34:16 et qui avaient fait part aussi de leurs très grandes inquiétudes."
00:34:19 "Dans l'entourage de Chirac, notamment dans les milieux économiques,
00:34:23 le seul grand patron au dîner du siècle qui n'approuve pas la guerre, c'est Louis Gallois.
00:34:30 Tous les autres chefs d'entreprise disent, ils disent ils sont pas pour la guerre, mais ils disent on ne peut pas aller contre l'opinion américaine."
00:34:38 Mais Dominique de Villepin ne plie pas, et repart à l'assaut de l'Amérique.
00:34:43 Il y a chez le ministre des Affaires étrangères une certaine constance.
00:34:48 Washington veut une guerre immédiate, Paris croit encore pouvoir l'empêcher.
00:35:03 La France, qui en ce mois de janvier 2003 préside le conseil de sécurité de l'ONU, décide d'en réunir les membres.
00:35:10 La veille de cette réunion, le 19 janvier, après trois semaines de silence,
00:35:15 Dominique de Villepin rencontre enfin à New York dans une suite du 6ème étage du Waldorf Astoria, son homologue Colin Powell.
00:35:22 "J'entreprends sur la situation en Irak. Et là, un nouveau blanc, un nouveau silence.
00:35:28 Colin Powell me regarde et me dit, Dominique, ne sous-estime pas la détermination de notre administration à avancer en Irak.
00:35:41 Là, je vais vous dire, en une phrase, j'ai compris ce qui se passait.
00:35:47 La bataille était jouée, la partie était réglée, l'Amérique était décidée à faire la guerre.
00:35:55 Je le regarde, il était blême. On n'a rien eu à ajouter, on s'est levés, on s'est serrés la main. Il fallait en tirer des conclusions."
00:36:06 "Nous constatons qu'effectivement, nous sommes arrivés au bout de la négociation.
00:36:11 Et qu'il va falloir maintenant choisir entre se rallier aux Américains, trouver une petite porte de sortie pas très honorable,
00:36:18 ou au contraire, aller beaucoup, beaucoup plus loin dans l'affichage de notre détermination."
00:36:24 Le 20 janvier 2003, les 15 membres qui composent le Conseil de sécurité prennent place.
00:36:31 D'un côté, les Américains qui prônent une guerre immédiate et leur allié britannique.
00:36:36 De l'autre côté, les Français et les Allemands déterminés à respecter les décisions de l'ONU.
00:36:41 "La 4688ème séance du Conseil de sécurité est ouverte."
00:36:47 Pour que Colin Powell assiste à cette réunion, Dominique de Villepin lui a certifié que l'objet en était le terrorisme.
00:36:53 Mais très vite, le débat s'oriente sur la question irakienne.
00:36:58 "Colin Powell s'est senti piégé. Piégé. C'est le mot d'ailleurs qu'il a employé, 'trapped'.
00:37:04 Il l'a employé dans la presse américaine, il l'a employé ensuite à plusieurs reprises, il l'a redit dans ses mémoires que j'ai lues avec beaucoup d'attention.
00:37:10 Et il s'est senti piégé par cette réunion."
00:37:14 Colin Powell ne soutiendra plus la position française auprès de George Bush.
00:37:19 Dominique de Villepin vient de perdre un précieux allié.
00:37:23 Et lorsqu'un journaliste lui demande jusqu'où ira la France dans son opposition à la guerre, c'est le coup de théâtre.
00:37:29 "Vous évoquez le droit de veto. La France, comme membre permanent du Conseil de sécurité,
00:37:34 assumera toutes ses responsabilités fidèles aux principes qui sont les siens.
00:37:39 Je réponds là une nouvelle fois la question qui m'a été posée sur l'inconstance de la France.
00:37:44 Croyez bien qu'en matière de respect des principes, nous irons jusqu'au bout."
00:37:49 "J'estime que le moment de l'avertissement est venu, puisque les Américains mobilisent,
00:37:54 puisque la diplomatie américaine a rendu les armes, parce que j'ai bien compris que Colin Powell ne se battrait pas
00:37:58 contre le reste de l'administration, qu'il avait en quelque sorte enterriné le rapport de force,
00:38:02 que le Pentagone était plus fort, que les néo-conservateurs étaient plus forts,
00:38:06 et que la décision était prise par George Bush."
00:38:08 "Moi dans la salle, et moi d'ailleurs de la plupart des conseillers qui étaient présents,
00:38:13 du représentant permanent, parce qu'on sent bien que c'est à ce moment-là que le Rubicon a été franchi."
00:38:20 "Nous mettons carte sur table. C'est l'inverse du dans le buscade.
00:38:24 C'est un avertissement sonnant, trébuchant, à bon entendeur, salut."
00:38:30 La France menace d'utiliser son droit de veto contre Washington.
00:38:35 Elle ne l'a jamais fait depuis la crise suède en 1956.
00:38:39 La réponse ne se fait pas attendre.
00:38:42 "Vous pensez que l'Europe c'est l'Allemagne et la France.
00:38:48 Moi, je ne le pense pas. Je pense que c'est la vieille Europe.
00:38:52 Si vous regardez l'Europe de l'OTAN aujourd'hui, le centre de gravité penche vers l'Est.
00:38:58 Vous regardez les nombreux pays de cette Europe, ils ne sont pas avec la France, ni avec l'Allemagne.
00:39:03 Ils sont avec les États-Unis."
00:39:06 Au même moment, aux quatre coins de ce vieux continent vili-pandé,
00:39:12 les vieux Européens manifestent à nouveau contre la guerre,
00:39:15 y compris chez les alliés américains, en Italie, en Espagne et en Grande-Bretagne.
00:39:21 Le 28 janvier 2003, George Bush ne cache plus ses intentions.
00:39:29 Face au Congrès pendant une heure, son discours ne laisse aucun doute sur sa détermination.
00:39:34 La guerre est inévitable.
00:39:37 "Le dictateur irakien ne désarme pas. Au contraire, il trompe.
00:39:44 Des informations secrètes, des sources de renseignements
00:39:48 et des témoignages de personnes sous protection
00:39:51 confirment que Saddam Hussein aide et protège des terroristes,
00:39:55 parmi lesquels des membres d'Al Qaïda.
00:39:59 Beaucoup pensaient que Saddam Hussein pouvait être sous contrôle.
00:40:05 Imaginez les 19 pirates de l'air avec d'autres armes,
00:40:09 d'autres plans envoyés par Saddam Hussein.
00:40:12 Il suffirait d'introduire dans notre pays un tube, une boîte, une caisse,
00:40:18 pour déclencher une horreur sans précédent.
00:40:23 Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour nous assurer
00:40:27 que cela n'arrivera jamais."
00:40:30 Le 5 février 2003, Colin Powell durcit le ton devant les 15 membres du Conseil de sécurité.
00:40:46 Pendant 90 minutes, le secrétaire d'État américain va se lancer
00:40:50 dans un réquisitoire contre Saddam et son régime.
00:40:54 Sous le regard attentif du chef de la CIA,
00:40:58 il tente de prouver à l'aide de cartes et de graphiques
00:41:01 que Saddam est au point des armes chimiques.
00:41:04 Sur cette photo, prise en mai 2002,
00:41:09 on voit clairement, explique-t-il, des camions de décontamination.
00:41:13 Sur cette deuxième photo, prise deux mois plus tard, tout a disparu.
00:41:17 Preuve, selon lui, de l'échec du désarmement.
00:41:21 "Saddam Hussein et son régime ont fait tout ce qu'ils ont pu
00:41:28 pour que les inspecteurs ne trouvent absolument rien."
00:41:32 Puis devant les membres du Conseil, Colin Powell brandit un flacon d'anthrax
00:41:38 pour dénoncer l'existence d'armes biologiques.
00:41:42 Pour terminer sa démonstration, le secrétaire d'État accuse enfin
00:41:46 photo à l'appui, l'Irak, de vouloir développer l'arme nucléaire.
00:41:50 "Saddam Hussein possède déjà deux des trois composantes nécessaires
00:41:55 pour fabriquer une bombe nucléaire.
00:41:58 Il a des scientifiques compétents et il a déjà des plans de cette bombe."
00:42:03 Autour de la table, les 15 membres du Conseil
00:42:06 écoutent attentivement ce réquisitoire.
00:42:09 Colin Powell le sait, l'assistance est partagée
00:42:12 et ses preuves seront balayées par certains d'un revers de la main.
00:42:16 "Ces images, je savais qu'elles étaient fausses.
00:42:19 Et je me souviens vraiment très précisément, c'est la scène qui m'a le plus marqué
00:42:23 de ce moment où ils montrent la fiole et où vous entendez tout le crépitement
00:42:26 des photographes autour et vous savez que toute la presse mondiale
00:42:30 va être inondée de ces photos alors que c'est faux et que c'est du montage."
00:42:34 "La semaine avant le discours de Powell à l'ONU,
00:42:38 nous avons reçu une copie d'une partie du discours,
00:42:42 celle qui concernait notre région et on était supposés la valider.
00:42:47 Et là j'ai dit, mais c'est le rapport Curveball.
00:42:52 Et on m'a dit, oui, c'est le rapport Curveball."
00:42:56 Le faux rapport de la top allemande.
00:43:01 Inquié, Tyler Drumeller s'épenche auprès de ses supérieurs à la CIA.
00:43:06 "Tyler s'inquiète de ce que le rapport allemand pourrait être une pure fabrication.
00:43:11 Et John a dit, oh ouf, j'espère que non, parce que c'est tout ce que nous avons.
00:43:17 C'est la seule chose de fiable que nous ayons dans ce discours."
00:43:22 "De nombreux détails ont été avancés dont certains, on le sait depuis,
00:43:32 étaient faux. Mais à cette époque, Colin Powell y croyait,
00:43:37 le président Bush y croyait, nous tous y croyons.
00:43:41 Évidemment, tout cela a été étudié de manière très précise.
00:43:46 Colin Powell était sceptique.
00:43:48 Il a passé des heures à poser des questions et à obtenir des réponses."
00:43:53 En Allemagne, ce jour-là, Rafi Ahmed Aljanabi, l'imposteur,
00:44:01 se réjouit en entendant Colin Powell.
00:44:04 "M'en diriez-vous encore ?
00:44:08 Oui, oui, définitivement. Je ferai quelque chose contre Saddam,
00:44:13 contre le vieux régime, je ferai tout ce qui est possible.
00:44:16 Si je revenais en 2000 et si on me le redemandait, je dirais la même chose,
00:44:20 parce que je ne voudrais pas que ce régime continue de diriger notre pays."
00:44:27 Un an plus tard, Colin Powell reconnaîtra dans un article du New York Times
00:44:32 avoir été manipulé par la Maison-Blanche et la CIA.
00:44:35 "Il s'est avéré que les preuves étaient fausses
00:44:38 et que dans certains cas, on m'est délibérément induit en erreur.
00:44:42 Je suis déçu et je le regrette."
00:44:45 Le 7 février 2003, à 17h30, Jacques Chirac appelle George Bush.
00:44:52 Alors que nous sommes à quelques semaines du déclenchement de la guerre,
00:44:56 le chef de l'État tente pour la énième fois de convaincre son homologue.
00:45:00 Un échange téléphonique quasi surréaliste.
00:45:03 "Je ne partage toujours pas votre position quant à la nécessité
00:45:08 d'engager dès à présent une action militaire contre l'Irak.
00:45:11 Il y a d'autres solutions pour obtenir le désarmement.
00:45:14 Nous nous opposons à la guerre quand celle-ci n'apparaît absolument pas nécessaire."
00:45:18 "Moi non plus, je n'aime pas la guerre.
00:45:21 Une chose me sépare toutefois de vous.
00:45:23 Je considère que Saddam Hussein constitue une menace contre le peuple américain."
00:45:27 La conviction du président Chirac, c'était, je le répète,
00:45:34 qu'une brèche avait été ouverte dans ce régime dictatorial
00:45:38 lorsqu'il avait accepté que les inspecteurs viennent sur le terrain.
00:45:41 "Je suis convaincu qu'il reste possible de désarmer Saddam sans provoquer une guerre.
00:45:46 Sachez que si celle-ci avait lieu néanmoins,
00:45:50 la France et les États-Unis se retrouveraient ensuite pour traiter le problème de la reconstruction."
00:45:54 En fait, le président français cherche à ménager un avenir qui, il devine, est difficile.
00:46:02 Alors, comment Bush a-t-il interprété les choses ?
00:46:05 Très difficile à savoir.
00:46:07 On a l'impression, d'après certaines sources américaines,
00:46:10 qu'il a probablement mal compris ce que Chirac voulait lui dire,
00:46:15 à savoir qu'il tenait à ce que les mitiés franco-américaines
00:46:18 ne soient pas trop ébranlés par ce qui allait se passer
00:46:21 et espérer qu'au fond, cela signifiait que la France adoucirait,
00:46:27 d'une façon ou d'une autre, son opposition au Conseil de sécurité.
00:46:30 Si George Bush pense que la France va cesser son opposition à l'Amérique, il se trompe.
00:46:37 Cinq mois déjà que les inspecteurs de l'ONU travaillent en Irak.
00:46:41 Dominique de Villepin vient de prendre connaissance de leur dernier rapport en date.
00:46:45 Il y est mentionné que leurs équipes ont visité plus de 300 sites
00:46:49 sans découvrir de nouvelles armes de destruction massive.
00:46:52 Le ministre français des Affaires étrangères espère encore sauver la paix.
00:46:57 Il sera la caution morale de la communauté internationale.
00:47:01 Dominique de Villepin s'apprête à jouer son baroud d'honneur
00:47:04 avec l'accord de Jacques Chirac.
00:47:07 Le 14 février 2003, à 11 heures du matin, une limousine sillonne les rues de New York.
00:47:12 A l'intérieur, Dominique de Villepin relie le discours qu'il prononcera dans quelques instants
00:47:17 à la table du Conseil de sécurité.
00:47:19 Il va répondre à l'exposé mensonger de Colin Powell du 5 février.
00:47:23 Dans ce temps, plus de 100 000 personnes sont en danger.
00:47:27 Les gens sont en danger.
00:47:29 Les gens sont en danger.
00:47:31 Le Conseil de sécurité de New York va répondre à l'exposé mensonger de Colin Powell du 5 février.
00:47:37 Dans ce temple des Nations Unies, nous sommes les gardiens d'un idéal.
00:47:41 Nous sommes les gardiens d'une conscience.
00:47:44 La lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les nôtres
00:47:49 doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement, dans la paix.
00:47:56 La France d'un vieux pays, la France d'un vieux continent comme le mien,
00:48:01 l'Europe, qui vous le dit aujourd'hui, qui a connu les guerres, l'occupation, la barbarie,
00:48:10 un pays qui n'oublie pas et qui sait tout ce qu'il doit aux combattants de la liberté venus d'Amérique et d'ailleurs,
00:48:20 et qui pourtant n'a cessé de se tenir debout face à l'histoire et devant les hommes.
00:48:27 Fidèles à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les membres de la communauté internationale.
00:48:35 Il croit en notre capacité à construire ensemble un monde meilleur.
00:48:41 Je vous remercie, Monsieur le Président.
00:48:43 Des applaudissements dans une enceinte où il est interdit d'applaudir.
00:48:48 Ce discours qui marquera l'histoire des Nations Unies vient de provoquer en quelques minutes le divorce franco-américain.
00:48:55 Je crois que la désapprobation américaine de la politique française a viré à la colère
00:49:06 lors des efforts intenses déployés par le gouvernement français, par Dominique de Villepin,
00:49:11 pour rallier les opposants à notre politique.
00:49:16 Cela nous apparaissait comme allant bien au-delà de ce qu'un allié responsable était supposé faire.
00:49:21 Colin Powell revient à Washington, m'appelle, je vais le voir, et il me dit "Jean-David, tu as bien compris, je suis carbonisé".
00:49:31 Après ce discours, moi j'étais dans le fond l'avocat, tant bien que mal, de la thèse de ceux qui disaient
00:49:43 "Il ne faut pas y aller sans l'accord du Conseil de sécurité, maintenant la messe est dite".
00:49:48 Ce jour-là, le 14 février, aurait pu être le jour où les Nations Unies étaient enterrées.
00:49:57 Ce jour-là, l'ONU aurait pu être définitivement discréditée.
00:50:01 Si la France s'était couchée, si la France avait renoncé à défendre sa voix,
00:50:06 si alors, par volonté d'être dans la bataille, nous avions envoyé dépêcher des soldats aux côtés des Américains,
00:50:15 alors oui, la France aurait renoncé comme les autres.
00:50:17 Si George Bush estime qu'attaquer l'Irak est un acte de légitime défense,
00:50:22 Tony Blair, en mauvaise posture face à une opinion hostile à la guerre,
00:50:26 a lui besoin d'obtenir une nouvelle résolution des Nations Unies.
00:50:30 L'allié indéfectible des Américains a donc besoin de l'aval de l'ONU.
00:50:35 "Arme aux têtes, stop the war !"
00:50:40 Beaucoup de juristes anglais, très influents au Parlement, disaient
00:50:48 "Entrer en guerre pour le Royaume-Uni sans une deuxième résolution autorisant la guerre
00:50:56 placerait le Royaume-Uni en violation de la charte."
00:51:01 La France ne veut pas de seconde résolution alors que les inspections se poursuivent en Irak
00:51:06 et que pour l'instant Saddam Hussein n'a pas enfreint les termes de la 1441.
00:51:11 Paris en informe Washington qui, une fois de plus, n'entend pas.
00:51:15 En Europe, l'Allemand Gerhard Schröder et le Russe Vladimir Poutine,
00:51:23 qui sont également hostiles à la guerre, se rangent aux côtés de la France.
00:51:27 Le front du refus vient de naître.
00:51:31 Pour obtenir une seconde résolution, l'Alliance anglo-américaine a besoin de 9 voix sur 15.
00:51:37 Début mars, Dominique de Villepin sera en Guinée, en Angola et au Cameroun.
00:51:42 Ces trois pays font partie à cette époque des 10 membres non permanents du Conseil de sécurité.
00:51:47 Il doit les convaincre de ne pas voter la seconde résolution.
00:51:53 Le voyage africain de Dominique de Villepin a sans doute été le pire moment des relations franco-américaines.
00:52:02 Cela semblait un acte délibérément hostile et provocateur, absolument non nécessaire.
00:52:09 Pendant que mon collègue Dominique de Villepin sort rendez dans trois pays africains pour obtenir leur soutien,
00:52:17 j'appelais avant qu'il atterrisse.
00:52:21 En disant quoi ? Fermez l'aéroport ?
00:52:24 En m'assurant qu'il n'ait pas les trois votes. Je ne voulais pas aller plus loin.
00:52:29 C'était une expérience diplomatique fascinante.
00:52:32 Je me souviens que beaucoup de gens se remémoraient la fameuse entrevue entre Charles de Gaulle et Dean Acheson
00:52:42 durant la crise des missiles de Cuba, quand Acheson a proposé à de Gaulle de lui montrer les preuves
00:52:49 et que de Gaulle a répondu qu'entre alliés on ne demande pas les preuves.
00:52:54 C'est la réponse que nous attendions des français et ce n'est pas ce que nous avons obtenu.
00:53:01 Chirac n'était pas de Gaulle.
00:53:04 La superpuissance américaine va plier devant la France.
00:53:12 George Bush sait qu'il n'aura pas la majorité des voix au conseil de sécurité.
00:53:17 Il abandonne le vote d'une deuxième résolution et Tony Blair se plie à sa décision.
00:53:22 Tony Blair savait très bien à quelle catastrophe cette guerre allait mener,
00:53:26 mais il n'a pas jugé qu'il pouvait s'opposer aux américains.
00:53:31 Donc il a suivi la guerre américaine contre son gré.
00:53:34 Et c'est là où la Grande-Bretagne a montré sa non-pertinence.
00:53:37 La pertinence de la Grande-Bretagne, c'est de pouvoir influencer la position américaine.
00:53:41 Tony Blair a constaté qu'il ne l'influençait en rien et il a néanmoins suivi.
00:53:45 Et du coup, il est rentré dans l'histoire de façon négative, comme le caniche de George Bush.
00:53:51 Le 18 mars 2003, George Bush lance un ultimatum à Saddam Hussein.
00:53:59 Saddam Hussein et ses fils doivent quitter l'Irak dans les 48 heures.
00:54:11 Un refus entraînerait un conflit militaire qui commencera quand nous le déciderons.
00:54:17 Ne détruisez pas les puits de pétrole, une source de revenus qui appartient au peuple irakien.
00:54:25 N'exécutez aucun ordre vous demandant d'utiliser des armes de destruction massive
00:54:30 contre qui que ce soit, y compris contre vous, peuple irakien.
00:54:34 La réponse de Saddam ne se fait pas attendre.
00:54:40 Quand la guerre sera déclarée, il doit savoir que nous le poursuivrons sur terre, sur mer et dans le ciel.
00:54:51 C'est-à-dire partout dans le monde.
00:54:55 Dans les rues de la capitale irakienne, le peuple témoigne sa solidarité avec son raïs.
00:55:04 Tous sont prêts à recevoir, arme à la main, les soldats américains.
00:55:09 Quel que soit l'évolution prochaine des événements,
00:55:14 cet ultimatum met en cause l'idée que nous nous faisons des relations internationales.
00:55:20 Il engage l'avenir d'un peuple, l'avenir d'une région, la stabilité du monde.
00:55:27 L'Irak ne représente pas aujourd'hui une menace immédiate telle qu'elle justifie une guerre immédiate.
00:55:38 Face à l'attitude des français, l'opinion américaine fait bloc derrière son gouvernement
00:55:43 et 71% du peuple américain soutient l'entrée en guerre contre l'Irak sans l'aval de l'ONU.
00:55:49 Et le 20 mars 2003, à 2h45, George Bush lance l'opération Iraqi Freedom.
00:55:58 En quelques heures, 148 000 soldats américains, 45 000 britanniques et leurs alliés envahissent l'Irak.
00:56:04 Les néo-conservateurs ont gagné leur pari et pavoisent devant les français.
00:56:09 Jean-David Lévitte les met en garde.
00:56:12 Le président de l'Union Européenne, Jean-Michel Blanquer,
00:56:16 a été le premier à faire face à l'Irak.
00:56:19 Il a été le premier à faire face à l'Irak.
00:56:22 Il a été le premier à faire face à l'Irak.
00:56:27 Si vous faites sauter Saddam Hussein, vous faites sauter le bouchon
00:56:32 et vous déclenchez la machine à faire éclater l'Irak.
00:56:39 Non, non, non, pas du tout. Non seulement la démocratie va se répandre comme un bienfait en Irak,
00:56:45 mais elle va gagner de proche en proche.
00:56:48 Vers l'Irak, vers la Syrie, de la Syrie, vers les autres pays de la région.
00:56:53 Et ça sera formidable parce que les démocraties ne se faisant jamais la guerre,
00:56:59 il va y avoir la paix entre Israël et les Palestiniens.
00:57:03 C'était un rêve halluciné, absurde,
00:57:09 mais les néo-conservateurs y croyaient dur comme fer.
00:57:15 L'Irak est tombé en quatre semaines.
00:57:18 Le 1er mai, George Bush annonce sur l'Abraham Lincoln la fin des opérations majeures.
00:57:24 L'occupation du pays commence.
00:57:27 Les opérations les plus importantes en Irak sont terminées.
00:57:32 Les États-Unis et leurs alliés peuvent être fiers.
00:57:37 À l'Élysée, après cette guerre éclaire, c'est l'embarras,
00:57:40 et pour Jacques Chirac c'est une victoire à l'apyrus.
00:57:43 Paris n'a pas pu s'imposer face à la superpuissance américaine.
00:57:47 Pire, la Vox populi la montre du doigt.
00:57:50 La France est devenue le pays de la traîtrise,
00:57:53 et aux États-Unis, la francophobie, le French bashing fait rage.
00:57:57 La principale émission de Fox News, c'est Bill O'Reilly.
00:58:01 Une heure par jour, et une heure par jour, il faisait du French bashing.
00:58:06 C'est-à-dire qu'il y avait un bandeau qui défilait,
00:58:08 "Envoyez vos insultes à l'ambassadeur de France, Jean-David David,
00:58:11 voilà son numéro de téléphone, son adresse e-mail."
00:58:14 Et une heure par jour, il faisait de la désinformation,
00:58:19 il ne nous appelait même plus des Français,
00:58:22 il nous appelait les "surrender monkeys cheese eaters",
00:58:30 les singes défaitistes mangeurs de fromage.
00:58:34 Si les produits français, de luxe en particulier, sont la cible de boycott intensif,
00:58:38 l'Amérique, dans son French bashing, ira plus loin en s'attaquant à l'armée française.
00:58:43 Dès la chute de Bagdad, le cabinet de M. Rumsfeld a appelé le cabinet de Mme Agnomari
00:58:52 pour lui dire que le président Bush avait pris la décision d'interrompre toute coopération militaire
00:58:59 entre la France et les États-Unis, d'une part,
00:59:02 et de mettre l'embargo sur toutes les pièces détachées américaines
00:59:07 qui pouvaient participer à l'équipement des forces armées françaises.
00:59:14 Interdit également pour les militaires français de voyager aux États-Unis
00:59:19 et de participer à toute manœuvre internationale sur le sol américain.
00:59:23 Les aviateurs voient ainsi leur participation au red flag,
00:59:27 le plus important exercice aérien au monde, annulé.
00:59:31 - Je suis prêt à tout.
00:59:33 Après l'opposition, vient le temps de la réconciliation.
00:59:46 Le 15 avril à 17h30, Jacques Chirac appelle Georges Bush.
00:59:50 La France est marginalisée, mais ne peut pas rester coupée des événements.
00:59:55 - Nous ne sommes pas parlés depuis quelques temps.
01:00:00 Sachez que notre analyse quant aux circonstances du déclenchement du conflit n'a pas changé.
01:00:04 Mais nous sommes satisfaits que celui-ci ait été bref.
01:00:07 Et je souhaite vous exprimer mes condoléances pour les pertes que vous avez subies.
01:00:11 - Le président Chirac dit "la guerre est finie".
01:00:14 Donc maintenant, évidemment, nous sommes disposés,
01:00:18 avec la communauté internationale, à accompagner ce qui vient de se passer.
01:00:21 Il y a tout un environnement, il faut être là, il faut stabiliser la région,
01:00:25 parce que les choses sont loin d'être stabilisées.
01:00:28 Donc il faudrait faire intervenir l'ONU, il faut que tout ce qui va être fait soit,
01:00:33 je dirais, accompagné par la communauté internationale.
01:00:36 Et ce qui est la légitimité, ne peut l'avoir qu'à travers des décisions de l'ONU.
01:00:40 - Il reste encore beaucoup à faire pour sécuriser le pays,
01:00:43 et venir en aide aussi à la population.
01:00:46 Nous nous y employons avec nos alliés britanniques.
01:00:49 Et la situation ne tendra pas à s'améliorer.
01:00:52 Jacques Chirac fait alors des propositions très surprenantes à Georges Bush.
01:00:57 - Sur le plan militaire, je vous propose que l'OTAN intervienne.
01:01:02 Le président Bush note cette nouveauté, que la France est prête à ce que l'OTAN
01:01:07 s'organise pour accompagner la stabilisation sur le plan militaire de cette région.
01:01:13 Mais à l'époque, il ne reneève pas positivement,
01:01:15 parce qu'à l'époque, les Américains ont manifestement l'intention de rester seuls,
01:01:18 aux commandes, en Irak, avec leurs partenaires britanniques,
01:01:21 et quelques autres dans la coalition, qui sont, je dirais là, en force d'appoint.
01:01:25 Quelques fois d'ailleurs, à leurs risques et périls, avec des pertes importantes.
01:01:28 Mais enfin, ceux qui sont aux commandes, ce sont les Américains.
01:01:31 Bush est stupéfait par les propos de Chirac.
01:01:35 Le soutien à un déploiement de force sous la bannière de l'Alliance Atlantique
01:01:38 constitue bien un retournement de la position française sur le dossier irakien.
01:01:43 La France s'incline et rentre dans le rang.
01:01:46 Jacques Chirac est prêt à tout pour réchauffer ses relations avec Georges Bush.
01:01:50 Il ne veut pas être exclu des décisions internationales à venir,
01:01:53 et surtout que la France bâtisse de la rupture qui vient de se produire.
01:01:56 Dominique de Villepin, lui, ne partage pas ce point de vue.
01:01:59 Je crois qu'il faut absolument travailler avec les États-Unis à chaque fois que cela est nécessaire,
01:02:04 mais je ne crois pas qu'on puisse le faire dans l'ambiguïté.
01:02:07 Et je crois qu'il serait dangereux d'envoyer de mauvais signaux à cette administration,
01:02:11 qui pourrait lui donner le sentiment que la France, en tout, est une variable d'ajustement négociable.
01:02:15 Ma conviction a toujours été que nous n'avons rien à renier de nos positions sur l'Irak,
01:02:22 l'histoire prouvera que l'Amérique ou l'administration Bush avaient un examen de conscience à faire,
01:02:27 mais en ce qui nous concerne, nous n'avions fait que ce que nous devions.
01:02:30 Quelle que soit la position de son ministre des Affaires étrangères,
01:02:37 fin avril 2003, lors du sommet des Viands, Jacques Chirac décide de faire un geste important.
01:02:43 Il annonce à Georges Bush son intention d'envoyer quelques 300 hommes des forces spéciales en Afghanistan.
01:02:51 J'ai proposé au président Chirac d'engager un détachement de forces spéciales françaises en Afghanistan
01:02:57 aux ordres directs des Américains.
01:02:59 J'ai lui proposé ça en faisant valoir deux raisons.
01:03:03 La première, c'est que c'était une nécessité opérationnelle pour l'entraînement de nos forces spéciales.
01:03:08 Et la deuxième, c'était que ça nous permettrait de renouer des relations militaires bilatérales avec les États-Unis.
01:03:18 Malgré cet effort, la glace ne fond pas.
01:03:21 On sait, quand D. Rice le raconte dans ses mémoires,
01:03:26 que le président Bush a pris un plaisir pervers à quitter de façon prématurée le sommet
01:03:32 pour aller promouvoir un règlement de paix au Moyen-Orient.
01:03:36 C'était évidemment un coup de griffe au président français.
01:03:41 Quoi qu'elle fasse, pour les États-Unis, la France soutient l'axe du mal.
01:03:47 Et dans les colonnes du New York Times, nous pouvons lire sous la plume du journaliste Thomas Friedman
01:03:52 "La France n'est pas seulement un allié agaçant, ce n'est pas seulement un rival jaloux,
01:03:57 la France est devenue notre ennemi."
01:03:59 Et les mesures de rétorsion sont loin d'être finies.
01:04:08 Le 18 septembre 2003, George Bush écrit à Jacques Chirac
01:04:12 l'objet de ce courrier "L'avenir de l'Irak",
01:04:15 une lettre que nous avons eu l'autorisation de retranscrire lors de notre enquête.
01:04:19 "Il nous faut les aider à reconstruire leur nation
01:04:22 et créer les conditions propices à leur croissance économique et à la transition démocratique.
01:04:27 Les membres de la communauté internationale ont là une occasion d'assumer un rôle plus large
01:04:32 en contribuant à faire de l'Irak une nation libre et démocratique."
01:04:41 En décembre 2003, Jacques Chirac reçoit James Baker, missionné par George Bush.
01:04:46 L'ancien secrétaire d'Etat américain a un ordre de mission très précis,
01:04:50 parler de la dette irakienne.
01:04:52 "Nous avons eu une discussion à propos de la réduction de la dette irakienne
01:04:58 pour apporter au peuple irakien liberté et prospérité.
01:05:02 Et je pense que nous sommes d'accord qu'il est important de réduire cette dette."
01:05:10 Jacques Chirac vient d'octroyer à James Baker une réduction de 50% de cette dette
01:05:16 qui s'élève en 2003 à plus de 5 milliards d'euros.
01:05:19 "Mais nous disions pourquoi le faire chez les Irakiens alors qu'il y a d'autres pays
01:05:23 qui sont beaucoup plus méritants et qui mériteraient, eux, qu'on leur annule la dette
01:05:26 pour que leur économie redémarre. Donc on ne peut pas faire ça."
01:05:29 Mais la guerre en Irak va coûter 70 milliards de dollars par an au budget américain.
01:05:35 Washington décide alors de mettre la pression sur l'Élysée.
01:05:39 De son côté, Jacques Chirac décide de conditionner son aide à une participation
01:05:43 des entreprises françaises à la reconstruction de l'Irak.
01:05:46 "Il aurait été politiquement impossible de récompenser des entreprises françaises
01:05:54 avec des contrats financés par l'argent du contribuable américain,
01:05:57 compte tenu du fait que la France avait été opposée à notre politique.
01:06:01 Imaginez la situation inverse, de l'argent français allant à des entreprises américaines
01:06:08 après une guerre à laquelle les États-Unis étaient opposés."
01:06:11 Pas de contrepartie. L'Élysée reste donc sur sa position, une réduction de 50% de la dette.
01:06:19 "Le club de Paris, qui était responsable de cette dette irakienne,
01:06:22 ne pouvait pas le faire d'un coup de plume sans réfléchir aux conséquences
01:06:25 que ça emportait pour les autres pays endettés.
01:06:28 La pression américaine a été considérable."
01:06:32 Washington veut que Paris cède 95% de la dette irakienne.
01:06:37 Les tractations prendront des mois.
01:06:39 Entre-temps, George Bush est réélu président des États-Unis le 9 novembre 2004.
01:06:44 Quelques semaines plus tard, la France rend sa décision.
01:06:54 Elle cédera 80% de la dette, un cadeau de 4 milliards d'euros.
01:06:58 "Finalement, le président de la République, sous la pression américaine,
01:07:04 mais aussi parce que c'était un moyen pour nous d'obtenir des marges de manœuvre,
01:07:09 de discussion, de compréhension et d'action avec les Américains sur d'autres sujets importants,
01:07:14 et je pense en particulier au dossier libanais,
01:07:16 le président a laissé tomber la dette irakienne dont nous n'invendions pas grand-chose."
01:07:23 "Oui, il cède, mais cela c'est la dimension secrète,
01:07:27 peut-être justement la plus exacerbée de la stratégie de Jacques Chirac.
01:07:33 Il ne peut évidemment pas le dire de front aux Français,
01:07:37 car il lui faut capitaliser la popularité qu'a pu lui valoir son opposition aux Américains."
01:07:43 L'occupation américaine aura duré 10 ans.
01:07:55 Cette guerre, qui a coûté la vie à 3 000 soldats américains et 120 000 civils irakiens,
01:08:00 a été un formidable moyen de propagande pour Al-Qaïda.
01:08:04 Elle a aussi favorisé, comme le craignait Jacques Chirac, l'axe chiite,
01:08:09 et renforcé l'Iran comme puissance régionale.
01:08:12 Par ailleurs, cette guerre basée sur le mensonge et la dissimulation
01:08:16 a décrédibilisé le discours sur la démocratie du monde occidental.
01:08:20 Et la France, 10 ans plus tard, a-t-elle eu raison de s'opposer à l'Amérique ?
01:08:26 "Je crois que c'est le mérite de la France que d'avoir dit haut et fort
01:08:34 ce que beaucoup pensaient, mais n'osaient pas dire, face à l'Amérique."
01:08:40 "D'abord, la France a gagné son honneur.
01:08:43 Et dans l'histoire de France, l'honneur est quelque chose qui compte.
01:08:47 La France est une puissance qui gagne aussi les cœurs des peuples,
01:08:51 étant capable de défendre des idées qui ne se pèsent pas seulement en espèces sonantes et trébuchantes.
01:08:57 Et à mes yeux, c'est très important."
01:09:00 La France a donc gagné de l'honneur.
01:09:03 Mais elle n'en a tiré aucun profit dans les pays du Golfe,
01:09:06 qui restent les obligés des États-Unis.
01:09:09 Pas de vente d'armes, ni de rafales, ni de centrales,
01:09:12 et encore moins d'accès facilité au pétrole.
01:09:15 Quant à sa participation dans la reconstruction de l'Irak,
01:09:18 qui se chiffre à 435 milliards d'euros,
01:09:21 elle est quasi inexistante.
01:09:23 En 2011, les parts de marché des entreprises françaises
01:09:26 s'évaluaient faiblement à 3%, contre 11% avant la guerre.
01:09:31 "La voix de la France a été entendue à ce moment-là,
01:09:33 la diplomatie française a été attendue.
01:09:35 Ça rend encore plus frappant le silence de la diplomatie française en Afghanistan,
01:09:40 l'alignement de la diplomatie française sur la position américaine en Afghanistan.
01:09:45 Ça rend encore plus choquant l'absence d'initiative de la France au Proche-Orient,
01:09:49 l'absence aujourd'hui d'initiative de la France sur l'Iran.
01:09:52 Oui, ça fait ressortir le fait que la France devrait être là
01:09:56 et qu'elle malheureusement, elle ne l'est pas suffisamment."
01:09:59 Si le nom de la France n'a pas permis à la diplomatie française
01:10:03 de s'imposer sur les grandes décisions de la région,
01:10:06 il a évité que se creuse le fossé qui sépare le monde occidental du monde musulman.
01:10:11 Malheureusement, ce nom reste figé dans une époque.
01:10:14 La France n'a pas su depuis anticiper les évolutions du monde arabe
01:10:18 et encore moins ses révolutions.
01:10:20 Le nom français reste à ce jour un nom de prestige.
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