• il y a 6 mois
L'artiste peintre et dessinateur Marcos CARRASQUER commente à Evelyne ARTAUD, critique d'art, sa démarche artistique et les oeuvres exposées à La Fabrique Centre d'Art (93100-Montreuil).
Transcription
00:00 Le portrait, quand les gens le voient, parce qu'il était avant accroché derrière, puisque
00:20 c'est la collection de Bruno, tout le monde y est.
00:25 Il a l'air navré.
00:30 Oui, ça veut dire navré.
00:36 Alors, est-ce l'état du monde qui te navre à ce point-là ?
00:44 Ben si, c'est parce que oui, mais c'est vrai que ce tableau, je l'ai fait aussi quand
00:51 j'ai fait le changement d'atelier, j'étais 15 ans dans un atelier et après c'est le
00:58 changement d'atelier et c'est un atelier où finalement je suis resté que deux mois,
01:03 mais bon, c'est aussi pour le changement d'espace.
01:06 Et aussi, encore plus important, à ce moment-là, ma mère est décédée.
01:16 Et après il y avait aussi le manteau de survie.
01:24 Donc c'était une conjonction de choses qui t'arrivaient en fait.
01:28 Oui, parce que j'ai vu aussi avec les attentats de Bataclan et tout ça, c'était après.
01:35 Mais avec tout le manteau de survie aussi pour les gens qui sortaient, c'était aussi
01:44 une image qui m'était restée.
01:46 Le poids des choses.
01:49 Et finalement aussi, avec tout l'aluminium, c'était un truc aussi bien agréable à
01:55 peindre, c'est un défi aussi.
01:56 Oui, c'est un défi.
01:57 Tout le monde regarde cette couverture avec admiration.
02:03 Donc il y a toujours une combination de facteurs plus formels de la lecture et du sens en
02:14 fait.
02:15 Et c'est un mélange de contenus qui est lié à la vie, à la société.
02:22 Oui, à ce qui nous arrive en fait.
02:25 Et c'est présent dans beaucoup de tes tableaux, ce qui nous arrive.
02:31 Et il y a une accumulation de choses qui se conjuguent entre elles, alors que dans la
02:40 vie, elles ne sont pas forcément conjuguées.
02:42 Non, mais après, disons qu'il y a des choses qui passent dans ta tête, ou une assombration
02:52 de pensées qui sont contenues pendant la journée.
02:57 Donc tu penses à beaucoup de choses et après tu penses à une autre.
03:01 Donc finalement, tout ce qui rentre dans le tableau, c'est juste une petite partie.
03:07 Des choses qui sont encore assez minimales, disons.
03:11 Parce que tout ce qui passe dans ta tête pendant la journée, c'est incroyable, c'est
03:16 des milliers de pensées.
03:18 Et d'images, et d'images.
03:21 Oui, les images.
03:23 C'est vrai que quand je commence un tableau, je n'ai pas vraiment une idée concrète
03:29 de ce que je vais faire, au niveau de la composition ou des éléments dans le tableau.
03:35 Et donc ça se met en place au fur et à mesure que je travaille.
03:40 Donc ce n'est pas un truc que je dis, depuis le début, je vais mettre ça et ça.
03:46 La composition elle vient.
03:47 Oui, il y a une idée de base, donc j'ai une idée, c'est vrai que je commence avec
03:51 une idée.
03:53 Et après je commence à peindre, avec des fois une petite esquisse qui ne vaut rien
03:59 du tout, c'est juste 4 ou 5 lignes comme ça.
04:03 Et c'est vrai que des fois je le retrouve sur le sol de la télé.
04:08 A partir de rien ?
04:10 Oui, après je retrouve une esquisse que j'ai faite, un tableau, et après je coller le
04:17 résultat final et ça n'a vraiment plus rien à voir.
04:21 Tout se construit au moment même.
04:23 Et dans les dessins c'est encore plus…
04:25 Les dessins c'est compliqué.
04:27 Encore plus chargé je dirais de scène.
04:30 Oui, mais bon après le dessin c'est compliqué parce que ce n'est pas une composition définitive
04:39 au début.
04:40 Et avec la plume, l'encre et la plume, c'est une technique qui ne permet pas l'erreur.
04:47 Donc il faut vraiment savoir ce que tu vas faire parce que si tu mets un truc là-bas
04:54 et après tu dis "ah non, je vais mettre quelque chose devant, je vais perdre trop
04:58 de temps".
04:59 C'est un peu comme ça.
05:00 Et moi ce qui m'a beaucoup intéressé dans ton travail, que je ne connaissais pas, ça
05:05 ne fait pas longtemps que j'ai vu, c'est cet espace surchargé.
05:13 Alors toi tu dis en fait, il est presque minimal par rapport à tout ce qui se passe dans nos
05:18 têtes en une journée, mais il est particulier à notre époque parce qu'en fait on a cette
05:27 humilité je dirais par tout ce qui nous est bombardé en permanence des images et qui
05:37 nous habite sans qu'on le décide d'ailleurs.
05:41 Et ce n'est plus une seule perspective comme dans les tableaux classiques, mais c'est des
05:53 scènes avec des perspectives différentes les unes des autres et qui quand même fonctionnent
06:00 ensemble.
06:01 Oui, c'est un drôle de gâcheur parce que c'est un espace qui n'est pas réaliste au vrai
06:09 sens du terme.
06:10 Non, non, c'est un espace inventé, mais ce n'est pas une peinture réaliste.
06:17 Non, non, non, non, non.
06:23 Comme je dis, chaque fois que je commence un tableau et que je l'ai fini, c'est rare
06:31 que je travaille sur deux tableaux à la fois.
06:35 Ah, c'est ça.
06:36 Si je travaille sur deux parce que je travaille à la télé, la peinture, et à la maison,
06:41 le dessin.
06:42 Je me rappelle, je mets ce peint à l'huile et après le soir, la nuit, je tape le dessin
06:51 à l'encre au bois sur papier.
06:55 Et souvent ce sont des inspirations qui te viennent de l'histoire de l'art, de la chanteuse.
07:02 Ah oui, aussi, l'histoire tout court, c'est une référence à l'histoire de l'art, parce
07:08 que c'est toujours présent.
07:10 Cette grande toile-là, on pourrait la mettre à côté des toiles du Louvre.
07:15 C'est une peinture d'histoire.
07:19 J'aimerais bien, mais bon.
07:22 Non, mais c'est vrai que là, je suis un peu inspiré, pas directement, mais il y a des
07:31 portraits de groupes.
07:33 Il y a bien sûr, comment s'appelle, Rembrandt, de Marquardt, en mode de nuit, et là, je suis
07:47 avec Mélanie, donc un groupe de personnes.
07:53 Et là, c'est une autre référence.
07:56 Les sujets lourds, avec les fleurs.
07:58 C'est une peinture qui est quand même impressionnante, qui est inspirante.
08:04 Après, c'est faire une autre personne.
08:06 Mais c'est dans cette lignée, je dirais.
08:09 Oui, j'ai fait un essai de mettre personnelle, parce que j'ai mis, après, la référence
08:16 historique aussi, avec la Révolution française, parce que c'était l'origine de l'idée
08:21 du tableau, l'ambassade du genre humain.
08:26 Moi, j'ai fait de Beauchamp à Rotterdam, au Pays-Bas.
08:31 Et franchement, disons que pour moi, avec le Récul, le plus important, c'était mes
08:38 amis, donc les autres étudiants.
08:40 Ils ont mis, ils faisaient des trucs, on faisait des scénographies, on collait la nuit, on
08:45 faisait des livres.
08:47 Et ça, ça donnait une énergie aussi collective, de parler avec les autres, et de voir des
08:55 expositions, de visiter des musées, donc c'était, il s'est immergé dans le monde
09:00 de l'art, de choses qui se passaient à ce moment-là.
09:04 Après, le prof, oui, il avait, c'était pour moi, personnellement, le moins important.
09:09 Donc il y avait une ou deux profs qui avaient fait ce qu'il m'entendait bien.
09:14 Et des techniciens, des ateliers, surtout, pour faire la gravure.
09:21 Et c'était génial, moi, j'étais content.
09:23 Moi, j'ai passé un très bon temps au Beaux-Arts.
09:27 Alors, je connais un peu ta biographie, il y a une, dans ta peinture, est-ce que tu y
09:35 mets, comment dire, une intention politique ?
09:39 Ben, je pense que oui.
09:42 Qui est aussi minoritaire, je pense.
09:46 Après, aussi, c'est pas une œuvre militante, comme ça, mais après, il y a, bien sûr,
09:56 il y a des choses qui, ben là aussi, toute la terre qui est en flamme, tout ça, il
10:06 y a toujours des références, là aussi, ici, il y a le monde du travail, mais c'est
10:13 quelque chose qui est un bagage que j'ai accumulé pendant des années, ou des idées,
10:20 ou une espèce de colère aussi, d'injustice, après, il faut le mettre en image.
10:27 Oui, oui.
10:28 Après, si tu peins le sens que tu sens.
10:32 Il y a des attitudes, les téléphones, le désespoir du couple, il y a des choses qui
10:41 nous… En fait, ce qui est drôle dans ta peinture, c'est que, pour le spectateur,
10:48 en fait, ça lui révèle à lui-même, à celui qui regarde, plutôt que ce que tu as
10:59 voulu dire, on ne sait pas, donc on y projette ce que nous… Il y a une liberté dans ta
11:07 peinture qui fait qu'on peut projeter.
11:10 Non, parce qu'il y a toujours des gens, il n'y a pas de…
11:17 Il n'y a pas de leçon.
11:19 De nature morte, il n'y a pas de leçon, non.
11:23 Il n'y a pas ce que tu penses.
11:25 Comme je maîtrise les gens, le monde, l'homme, l'homme, l'homme, après, c'est une
11:36 espèce d'empathie, pas d'empathie, mais il n'y a pas de moralité, parce qu'on
11:48 essaie tous fort de donner du sens à notre vie, même de faire le bien, mais on n'y
11:58 arrive pas souvent.
12:00 La peinture, c'est quand même une mise en relation avec l'autre, quelque part.
12:05 Tu donnes quelque chose à voir, donc tu donnes quelque chose à l'autre.
12:10 Oui, c'est ça, c'est ce que j'ai le droit de dire.
12:15 C'est quand même une espèce de… C'est fait pour moi seulement.
12:21 Si quand tu peintres, c'est toi qui juges, au moment du travail tu te juges toi-même,
12:30 ça ne sert pas bien, il faut changer ça.
12:34 Mais ce n'est pas dirigé vers moi tout le temps, je fais ça pour moi, mais après
12:41 c'est la communique des choses.
12:44 Oui, dans des scènes quelquefois absurdes qu'on ne comprend pas forcément, mais ce
12:53 n'est pas très important de comprendre, plutôt de sentir.
12:58 Tu nous fais ressentir plutôt que de comprendre quelque chose.
13:02 Non, parce que je sais aussi que des fois je mets des éléments, et après ce n'est
13:09 pas vraiment un truc que je peux expliquer non plus, ou que je peux justifier.
13:14 J'ai mis ça parce que ça veut dire ça.
13:17 En fait on s'en fout.
13:19 En général, oui, bon après il y a comme un tableau de philosophe grec dans une salle
13:26 de bain.
13:27 Après le titre, si tu vois le titre, à partir du titre tu peux dire ah oui, on ne me mène
13:36 pas, parce que là c'est un peu compliqué.
13:39 Mais pour moi c'était aussi une façon de raconter l'histoire de Paul Bompocer,
13:51 disons que la démocratie, la sceptique.
13:57 Oui, plus que ce qu'est la philosophie grecque, en fait on s'en fout quand on regarde,
14:02 que ce soit des décrites, ou des frères.
14:05 Mais là c'est aussi un thème qui fait référence à l'histoire, parce que c'est
14:10 à un moment donné pendant l'époque de la peinture baroque, c'était une idée,
14:18 une idée de la démocratie, c'était de plusieurs peintres, parce que ça représentait
14:27 la vision comique, le dirigeant de la vie et la vision tragique de la vie.
14:36 Oui, les deux côtés de la pensée grecque.
14:41 Peut-être pas si opposé que ça, parce qu'on a au moins moins de choses, c'est toujours
14:48 entre deux pôles, si tu regardes le monde et tu as une vision comique ou ironique de
14:54 choses, mais aussi une vision tragique parce que ça ne se rassemble pas.
15:00 Et on a toujours un peu été entre les deux et finalement ça se ressemble, ça se ressemble.
15:08 Simplification, ça c'est la politique, le pôle de Gilles, le pole de Gilles,
15:18 Oui, tu es ou à gauche ou à droite, tu ne peux pas être les deux.
15:21 Mais non, mais tu ne peux pas être les deux, ça c'est vrai, ça je suis d'accord.
15:26 Mais après, à part ça, comment dire, ce n'est pas une question de gauche ou droite,
15:35 il y a un truc de démagogie et là c'est insupportable, de expliquer les choses d'une
15:47 façon simple pour que tout le monde comprenne et pour nous traiter comme des débiles.
15:54 Bien sûr.
15:56 Et moi je n'aime pas ça.
15:58 Oui, moi non plus.
16:00 Les choses sont compliquées, tu ne peux pas dire, et c'est pour ça que ça ne me gère
16:10 pas, disons la politique, parce qu'il ne veut pas comprendre comment nous sommes.
16:21 Non, non, tu veux qu'on fasse un peu le tour et tu me parles avec les…
16:27 Aujourd'hui, je suis avec la France à un tableau de Richard Hamilton, une peau parte
16:33 avec l'Italie.
16:35 Mais bon là, c'est les salles de bain, le salon et la cuisine.
16:40 Il manque la chambre.
16:44 Oui, mais ils n'ont pas besoin de cuisine.
16:48 Donc là, il y a une scène de film pornographique.
16:54 C'est des films qui entraînent les jeunes.
16:58 C'est des films de la fille qui n'a pas très l'enforme.
17:04 Il a des beaux ongles bleus.
17:08 Oui, j'adore les ongles.
17:11 Et là, ça c'est un peu la société numérique.
17:18 Le narcissisme, il s'embrasse lui-même.
17:25 On n'est jamais mieux servi que par soi-même.
17:30 C'est des essais.
17:33 C'est un tableau qui est assez désespérant.
17:40 Oui, mais il y a quand même huit ans, on ne sait jamais.
17:45 Il s'appelle Jock.
17:49 La fille biblique qui perd tout.
17:54 C'est comme tester le tir pour mettre à l'épreuve.
18:02 Pour tester sa foi.
18:05 Mais Jock aussi comme dans le sens anglais de job.
18:10 C'est un travail de volon.
18:14 C'est un militaire qui rentre dans sa maison.
18:19 C'est un truc de viol.
18:22 C'est le travail d'oublier et de faire la mort de Marie.
18:31 Il y a une femme, le bébé qui est aussi enlevé.
18:39 C'est une actualité aussi.
18:43 À Mars par exemple, le 7 octobre, les enfants ont eu peur.
18:50 Malheureusement.
18:53 Toute la violence humaine.
18:56 Alors ceux-là, on les reconnaît plus ou moins ?
19:00 Oui, bien sûr.
19:03 On les met sur des têtes.
19:10 Et là, c'est Bush.
19:13 George W. Bush, le président espagnole américain qui s'est mis à peindre.
19:20 Il a pris sa retraite.
19:22 Il a fait des expositions.
19:25 Ah bon ? C'est vrai ?
19:27 Il a commencé à faire des portraits de soldats qui étaient venus d'Irak.
19:36 Sa guerre a mutilé.
19:40 Donc il a fait des portraits de soldats qui ont été mutilés dans la guerre d'Irak.
19:47 C'est pour ça que tu l'as positionné là.
19:50 D'accord.
19:52 C'est le comble de cynisme qui peint le...
19:57 Pas ce qu'il a peint.
19:59 C'est lui qui nous a envoyés à la guerre ou à la mutilation.
20:04 Après, il le peint.
20:07 C'est comme ça.
20:09 C'est vrai que...
20:12 On n'a pas besoin de tout saisir.
20:15 C'est pas le...
20:17 On voit le vase.
20:20 On voit Picasso.
20:23 Tout est simultané, je dirais.
20:27 Y compris l'écriture sur les tuiles.
20:30 Oui, l'écriture, après, comme j'ai eu l'idée de le faire,
20:35 de la consister dans le bois.
20:38 Mais en fait, c'est vraiment...
20:41 Tu peux le lire.
20:43 Tu peux lire le texte du poète espagnol, de l'exil.
20:49 Et "Aux deux soldats qui étaient au front",
20:52 qui écrit le poème sur la guerre.
20:55 Mais je voulais quand même le mettre...
20:58 C'est vraiment du texte à l'autre.
21:01 Pas juste des lettres.
21:03 Juste des lettres.
21:05 C'est une espèce d'hommage.
21:07 Si tu vas au fond, je vais au fond.
21:10 C'était vraiment...
21:12 Allez, on y va.
21:14 Et le Guernica, c'était le premier tableau que j'ai...
21:17 Le Guernica, c'est que tu l'as...
21:20 Oui.
21:22 Comme c'est un peu la mémoire,
21:25 donc c'est jamais intact.
21:28 Oui.
21:30 Mon père avait ça au-dessus de son bureau.
21:33 Et donc, en fait, c'est le premier tableau que j'ai vu à comment fendre.
21:37 C'est quoi, je sais pas.
21:40 C'est un Guernica épicace.
21:42 Et puis il m'a raconté l'histoire du bombardement.
21:45 Donc c'est un tableau qui a toujours été dans ma tête.
21:52 Et ça, c'est ma fille.
21:55 Donc en fait, c'était un peu pour mon père.
21:59 Moi, je l'ai fait et...
22:01 Elle est dans la transmission.
22:03 Elle est dans la...
22:05 J'ai de la chance.
22:07 [SILENCE]

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