"Le désamour c'est le moment où l'on peut démystifier l'amour", assure la philosophe Fabienne Brugère

  • il y a 4 mois
Fabienne Brugère, philosophe spécialisée en esthétique, en philosophie anglo-américaine et en théorie féministe, auteure de “Désaimer , manuel d’un retour à la vie” .

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Transcription
00:00 - Grand entretien ce matin avec Marion Lourdes, nous avons le plaisir de recevoir une philosophe,
00:05 présidente de l'université Paris Lumière, elle est professeure de philosophie des arts
00:09 modernes et contemporain à Paris 8, membre du comité de rédaction de la prestigieuse
00:15 revue Esprit et elle publie « Désaimés ». Sous-titre de cet essai d'utilité publique,
00:22 manuel d'un retour à la vie, c'est publié chez Flammarion, c'est une manière d'aborder
00:28 le nouveau désordre amoureux.
00:32 Bonjour Fabienne Brugère.
00:33 - Bonjour Ali Baddou.
00:34 - Et bienvenue.
00:35 « Désaimés », « Désamour » où on va en parler dans un instant, c'est pourtant,
00:39 malgré l'idée que c'est un livre sur la séparation, c'est un livre joyeux.
00:44 Et justement, j'invite nos amis auditeurs à partager leur expérience, leurs questions,
00:50 leurs regards sur l'amour et la séparation au 01 45 24 7000 ou sur l'application France
00:58 Inter.
00:59 Ce livre, il a ce titre étrange « Désaimés ». On connaît tous le verbe « aimer », on
01:04 sait le conjuguer en général à la première personne « je t'aime ». Mais qu'est-ce
01:10 que c'est que le « désamour » ?
01:12 - C'est vrai qu'en général, on ne dit pas « je désaime » pour la bonne raison
01:17 que c'est souvent une expérience qu'on subit, qu'on n'a pas envie de raconter,
01:23 qu'on n'a pas envie de faire puisqu'elle dit la fin de l'amour.
01:27 Mais bien évidemment, d'une part, il n'y a pas d'amour, il n'y a pas de désamour
01:33 sans amour.
01:34 Et puis ensuite, le désamour, on pourrait le caractériser comme un sentiment de la
01:41 perte.
01:42 C'est quelque chose qu'on perd.
01:44 - C'est quelque chose qu'on perd, mais ça peut avoir aussi une vertu positive.
01:49 Le sous-titre, je le rappelle, c'est un manuel de retour à la vie.
01:52 Il peut aussi y avoir quelque chose comme une voix, comme une joie, comme une affirmation
01:58 de soi dans le désamour.
01:59 - Oui, parce que dans la perte, il y a la possibilité, on perd, mais à partir de ce
02:04 qu'on perd, on peut gagner quelque chose.
02:06 Et à partir de ce qui se déconstruit, on peut reconstruire quelque chose.
02:12 Et donc, dans le désamour, il y a toute la possibilité d'un chemin.
02:17 C'est pourquoi j'ai appelé ça « désaimer ». Parce que dans « désaimer », il y
02:21 a l'idée d'une activité, il y a l'idée d'un passage, il y a l'idée d'un processus,
02:26 peut-être même l'idée d'une production de soi.
02:29 - Fabienne Brugère, vous êtes philosophe.
02:32 L'amour et le désamour, est-ce que ce ne sont pas par définition des choses qui échappent
02:37 à la raison, à la rationalité et donc à la philosophie ?
02:40 - Non, parce que la philosophie, c'est aussi les émotions, c'est aussi les affects, c'est
02:47 aussi les passions.
02:48 Moi, j'ai beaucoup travaillé à partir du 18ème siècle d'un philosophe comme David
02:53 Hume qui dit que justement la raison doit obéir aux passions.
02:57 Et donc forcément, le désamour, c'est très intéressant pour un philosophe parce qu'on
03:04 pourrait dire que c'est un fait affectif total.
03:06 C'est un moment où ça bouillonne.
03:08 - Et il y a quelque chose qui va résonner dans l'esprit et dans le cœur de beaucoup
03:13 de nos auditeurs avec une chanteuse qu'on adore ici sur France Inter.
03:17 Juliette Armanet, "Sauver ma vie".
03:19 Pourquoi cette chanson ?
03:35 - Parce que précisément, ce dont il s'agit dans le désamour, c'est de sauver sa vie.
03:40 - Sauver sa vie, rien de moins.
03:41 - Rien de moins parce qu'en fait, on est souvent face à un mur et précisément, ce mur, il
03:48 va falloir faire avec et passer de côté, passer ailleurs et se déplacer.
03:52 Et puis, ce sont aussi des situations d'urgence, ce sont des situations où on peut subir mais
03:59 à partir de ce qu'on subit, on va agir.
04:01 Donc, c'est tout un nœud du volontaire et de l'involontaire qui se met en place.
04:06 - Le désamour, ça existe, disait le psychanalyste Pontallis que vous citez et pourtant, on n'en
04:13 parle pas.
04:14 Comment est-ce que vous l'expliquez ça ?
04:15 - Parce que souvent, on n'a pas envie de le vivre.
04:20 On n'a pas envie de le vivre parce que c'est une épreuve et qu'en général, les épreuves,
04:25 on a plutôt tendance à les fuir.
04:27 Mais en même temps, les épreuves, c'est formateur.
04:30 C'est ce qui fait que dans la vie, on peut justement se transformer, qu'on peut bouger,
04:35 qu'on peut aller ailleurs.
04:37 Et ce qui est bien dans ce texte de Pontallis, c'est que justement, il explique que c'est
04:43 comme ça, ça arrive, c'est comme ça, donc qu'est-ce qu'on fait avec ?
04:46 - C'est comme ça, oui.
04:48 - Est-ce que le désamour, c'est l'inverse de la cristallisation qui avait été théorisée
04:53 par Stendhal ?
04:54 - Je ne sais pas, je ne dirais pas.
04:56 - Il décristallise.
04:57 - Je dirais plutôt que c'est une déconstruction.
05:00 Je dirais que c'est une déconstruction de l'idéalisation de l'amour.
05:05 Parce qu'en fait, l'amour, encore aujourd'hui dans nos sociétés, vraiment, c'est une injonction,
05:12 c'est un idéal, c'est l'amour romantique.
05:14 Ah oui, on nous dit qu'il faut aimer, globalement.
05:18 On nous dit aussi qu'il faut aimer d'une certaine manière, en étant en couple.
05:23 Enfin, je veux dire, c'est quand même quelque chose d'extrêmement présent.
05:29 Et donc le désamour, c'est aussi ce moment où on démystifie l'amour.
05:34 Ça ne veut pas dire qu'on ne va plus aimer, si.
05:37 On va encore aimer, mais on va pouvoir aimer mieux et autrement.
05:40 - Il y a de nombreuses questions d'auditeurs Fabienne Brugère et notamment Sarah qui nous
05:44 appelle.
05:45 Bonjour !
05:46 - Pourquoi est-ce que tu ne m'aimes plus ?
05:47 - Pourquoi est-ce que tu ne m'aimes plus, Sarah ?
05:50 Sarah, qu'on va retrouver dans un instant sur l'application France Inter.
05:55 Sophie vous demande, peut-on vraiment rester amie avec ses ex ? Il y a beaucoup, beaucoup
05:59 de questions en tout cas.
06:00 Et comme si on attendait de vous une solution, un remède à la haine, au chagrin, à la
06:07 paranoïa, la culpabilité qui peut accompagner une séparation amoureuse.
06:11 - Ce que je dirais, c'est que quand on a aimé, il y a eu des attachements, des attachements
06:17 très forts.
06:18 Et donc ces attachements, même si on les nie, même si tout d'un coup on se dit c'est
06:23 fini, et bien ils seront toujours là.
06:26 Même si on les refoule, il y aura toujours un fil.
06:32 Donc est-ce qu'on peut être amie avec ses ex ? Et bien tout dépend des situations.
06:39 L'idéal, ce serait quand même une éthique.
06:42 Ce serait quand même d'arriver à bien se séparer.
06:45 - Mais il n'y a pas de droit de l'homme ou de règle en amour ?
06:48 - Non, mais je pense en particulier qu'en amour, celle ou celui qui part doit pouvoir
06:56 afficher un certain soutien à l'égard de celle ou celui qui subit, qui reste, qui
07:03 peut se sentir abandonné.
07:04 - Vous racontez très bien d'ailleurs que dans l'amour aujourd'hui tel qu'on le
07:08 vit ou tel qu'on l'idéalise, il y a l'idée qu'il est éternel.
07:13 L'éternité de l'amour est consubstantielle à l'amour et pourtant on se sépare.
07:17 Il y a Elodie qui vous demande est-ce qu'on peut mettre toute une vie à désaimer ? Paul
07:24 vous demande si désaimer c'est forcément triste.
07:27 De nombreuses questions justement sur ce qui advient à ce moment-là, celui où l'on
07:33 peut dire « je ne t'aime plus mon amour ».
07:34 - C'est-à-dire que dans le fait de désaimer, il y a un moment de tempête.
07:39 C'est un sujet qui est dans la tempête.
07:41 Mais après, une tempête, ça se traverse.
07:43 Et donc cette traversée, elle peut inaugurer de la joie, parce qu'elle inaugure une
07:53 nouvelle expérience de vie et que surtout, elle inaugure certainement un souci de soi.
07:58 Parce que le propre de l'amour, c'est quand même la fabrication d'un entre où on déploie
08:03 une possibilité de soi parce qu'on est avec quelqu'un et les autres possibilités,
08:07 on les laisse de côté.
08:08 Et ce qu'on peut retrouver dans l'expérience justement du désamour, c'est d'autres
08:14 possibles du moi.
08:15 D'autres possibles du moi que l'on va pouvoir justement explorer.
08:18 Dans cette exploration, il peut vraiment y avoir quelque chose de joyeux.
08:21 Vous dites « moi ». Moi justement, parce qu'il y a ce qui vient de votre travail
08:27 d'universitaire, vos recherches, il y a les films, il y a beaucoup de lectures de
08:32 psychanalystes et puis les conversations d'amis.
08:35 Et il y a ce qui vient de votre propre existence passée, présente, de vos habitations, du
08:41 sujet abîmé par le désamour.
08:44 L'expression, elle est très belle.
08:45 Expliquez-nous en fait, comment est-ce que vous, vous vous êtes emparée de cette difficulté.
08:53 Je crois que je suis comme tous les sujets du 21e siècle.
08:57 Les couples se forment, se déforment, se reforment.
09:00 Et donc oui, forcément, cette expérience, je l'ai vécue.
09:06 Mais j'ai toujours travaillé philosophiquement sur des expériences que j'ai vécues.
09:11 Donc l'écriture de ce livre a été différente de l'écriture d'autres livres, par exemple
09:16 ceux que vous avez consacrés à l'impressionnisme ou à d'autres sujets ?
09:19 Oui, parce que c'est quelque chose qui concerne la figure du, à un moment ou à un autre,
09:25 du sujet en crise.
09:26 Et quand on est un sujet en crise, on écrit autrement.
09:31 On a peut-être une écriture de la crise.
09:32 Alors si on utilise votre manuel, vous commencez en fait par nous décrire les signes avant-coureurs
09:38 du désamour.
09:39 Et pour nos auditeurs qui ont envie de savoir où ils en sont dans leur relation, quels
09:42 sont-ils ces signes ?
09:43 Les signes avant-coureurs, c'est d'une part la dispute.
09:47 Et la dispute jusqu'à ce qu'elle devienne quelque chose d'irréparable.
09:53 Quand on dit par exemple "je ne t'aime plus" dans la dispute, c'est quand même très fort.
09:58 Il y a bien sûr l'ennui.
10:01 Et puis il y a le silence.
10:04 On ne se parle plus.
10:05 On ne se parle plus.
10:07 Alors attention, tous les silences dans la vie amoureuse ne sont pas des signes du désamour.
10:15 Mais les silences, comme dans le film "Le Chat" avec Signoré et Gabin, où ce vieux
10:21 couple ne se parle jamais.
10:23 Sauf pour se dire des horreurs.
10:25 Sauf pour se dire des horreurs.
10:26 C'est bien un signe avant-coureur du désamour.
10:30 Et puis il y a justement ce qui est implacable, ce qui s'impose et qui peut même aller
10:35 jusqu'au mépris, c'est aussi un film de Jean-Luc Godard, dialogue entre Michel Piccoli
10:41 et Brigitte Bardot sur les marches de cette sublime villa à Malaparte à Capri.
10:46 Pourquoi est-ce que tu ne m'aimes plus ?
10:48 C'est la vie.
10:50 Pourquoi est-ce que tu me méprises ?
10:54 Ça je te le dirai jamais.
10:57 Même si je devais mourir.
10:59 Dis-le moi ou je te fais mal.
11:00 Pourquoi je te veux me faire mal en plus ?
11:02 Parce que je ne sais pas pourquoi tu me méprises.
11:06 C'est à senser tout de même.
11:08 Je ne sais pas pourquoi tu veux que j'accepte quand même.
11:11 Parce qu'on a besoin de cet argent pour payer l'appartement.
11:14 Je ne tiens pas à recommencer à t'activer.
11:16 Je ne vais pas accepter après ce qui s'est passé.
11:19 Évidemment alors que tu me méprises.
11:28 Il y a le film de Godard avec cette musique évidemment.
11:33 Il y a le roman de Moravia.
11:36 Mais c'est implacable.
11:38 C'est implacable et c'est le moment de l'irréparable.
11:43 Je ne t'aime plus, tu me méprises.
11:46 Donc effectivement l'expérience du désamour,
11:51 c'est aussi une expérience du mépris.
11:54 C'est aussi une expérience de la non-estime de soi
11:58 et de la non-estime de l'autre.
12:00 Bonjour Sarah.
12:02 Oui bonjour.
12:03 Et bienvenue sur France Inter.
12:05 Merci beaucoup.
12:07 Je voulais apporter un témoignage un peu décalé.
12:11 Les parents ont divorcé quand j'avais 7 ans.
12:16 Et souvent c'est quelque chose qui est associé à quelque chose de très dramatique.
12:21 On dit souvent que c'est toujours un traumatisme pour les enfants.
12:24 Moi ça n'a pas du tout été un traumatisme.
12:26 Au contraire, ça a été vraiment la découverte d'une grande joie.
12:31 Parce que du coup j'avais une nouvelle vie de famille,
12:34 plus apaisée et avec effectivement beaucoup de bonheur.
12:38 Merci pour ce témoignage.
12:40 C'était très chouette.
12:41 Merci à vous.
12:42 Ce sont vos mots d'ailleurs Sarah.
12:45 Comment est-ce que vous recevez ce témoignage ?
12:47 Justement, c'est ça le sens du livre.
12:51 C'est que c'est un passage, c'est une découverte de soi.
12:56 Et je crois que c'est particulièrement aujourd'hui vrai pour beaucoup de femmes
13:01 qui découvrent justement tout un rapport à elles-mêmes.
13:06 Pourquoi particulièrement les femmes ?
13:08 A cause de l'histoire des femmes.
13:10 Parce que les femmes ont longtemps été prises dans les conventions du mariage,
13:15 dans la nécessité de se réaliser comme mère de famille.
13:18 Et que finalement, on peut découvrir un rapport à soi, une émancipation,
13:24 un véritable souci de soi et non seulement un souci des autres.
13:27 Alors on a une question de Elodie sur l'application France Inter.
13:31 Est-ce que l'infidélité est forcément source et cause de séparation et donc de désamour ?
13:36 Alors c'est pas forcément synonyme séparation et désamour.
13:39 Est-ce qu'on trompe quand on est plus amoureux ou ça peut arriver ?
13:43 Tout dépend. Ce qui est sûr c'est que l'infidélité est souvent à l'origine des séparations et des divorces.
13:52 Ça c'est statistique.
13:54 Mais après tout dépend comment un couple, comment une relation amoureuse est organisée vis-à-vis d'infidélité.
14:01 C'est un sort de contrat en fait.
14:03 Voilà ce qui est compliqué, ce sont les mensonges réitérés.
14:07 Quand le contrat finalement est rompu et quand l'un des deux ment à l'autre continuellement.
14:14 Parce que là, dans ces cas-là, il y a quand même une forme de non-respect de celui avec qui on a une relation.
14:20 Et ça, ça interroge éminemment.
14:24 Le désamour c'est aussi une expérience physique.
14:27 C'est quelque chose qu'on vit dans son corps.
14:29 C'est-à-dire qu'il y a eu la cygne avant-coureur dont on parlait tout à l'heure et après l'arrachement presque.
14:33 Oui, j'ai envie de dire, on perd des organes. Parce que l'amour c'est comme une sorte d'organisme.
14:38 Et donc au moment du désamour, on perd des organes.
14:41 Et donc si on le subit en particulier, on n'a plus faim, on n'a plus envie de manger, on reste dans son lit, on ne veut plus bouger.
14:51 Donc il y a bien une perte corporelle.
14:55 Vous dites qu'il faut apprendre à désaimer.
14:59 On peut apprendre, on devrait apprendre à désaimer Fabienne Brugère.
15:04 Malgré tout, pourquoi est-ce que vous imaginez que ça puisse aussi être une expérience collective ?
15:09 Pas simplement quelque chose d'individuel, pas simplement une crise qu'on traverse seule dans la séparation ?
15:16 Tout simplement parce que si on fait ce chemin du désamour,
15:20 qui consiste quand même à enclencher une forme de réflexivité que j'ai pensé sur le modèle du manuel un peu d'Epic-Tête.
15:28 Si on fait ce chemin-là, on ne va plus aimer de la même manière.
15:32 On se constitue, moi j'aime bien cette expression, on se constitue un héritage, un savoir de l'amour,
15:38 qui fait que précisément on va aimer de manière je dirais plus réaliste.
15:43 Et c'est bien le réalisme dans l'amour.
15:46 Bonjour Catherine !
15:47 Par contre j'entends la radio.
15:50 Catherine, nous vous entendons et vous êtes à la radio.
15:53 Vous nous appelez sur, d'ailleurs vous êtes dans les terres de Marion, dans le Morbihan.
15:59 Je suis partie dans le Morbihan, oui.
16:01 En Bretagne.
16:02 Et donc vous aviez une intervention que vous vouliez partager avec notre invitée.
16:07 Oui, je voulais partager.
16:08 Donc moi j'ai quitté mon mari il y a un an, on était ensemble pendant 40 ans.
16:13 Je l'avais déjà quitté en 2005, mais là on était vraiment dans le désamour.
16:17 Pendant deux ans on a vécu séparément sous le même toit, on ne faisait plus rien ensemble.
16:22 Il n'y avait pas de partage, il n'y avait pas de joie, il n'y avait plus rien.
16:28 Et donc moi je me suis dit que ce n'était pas la peine de continuer comme ça.
16:34 J'ai essayé de lui parler, mais bon on reste ensemble de toute façon, ça fait 40 ans qu'on est ensemble.
16:40 Et quand je suis partie, il est tombé des nues complètement.
16:43 Et après moi je pensais qu'on pouvait se revoir quand même,
16:48 comme vous disiez, de soutenir celui qui reste.
16:53 Mais lui n'a voulu me voir que parce qu'il pensait que j'allais revenir.
16:59 Et à partir du moment, il y a quelques mois, où à chaque fois je lui disais "mais non, je ne reviendrai pas".
17:05 Et à un moment il a préféré, maintenant il n'y a plus rien, plus de contacts, plus rien.
17:10 Et c'est triste parce que, je veux juste dire une chose de plus, c'est que c'est comme un deuil aussi.
17:16 Même si j'ai choisi de partir, comme vous disiez tout à l'heure, pour qu'il y ait du désamour, il y avait de l'amour.
17:22 - Et vous ne pouvez plus le revoir Catherine ?
17:24 - Non, il ne veut plus me revoir. Du tout.
17:28 C'est-à-dire que, voilà, moi j'aimerais bien, parce qu'il y a un manque aussi quand même.
17:33 On avait des choses en commun, mais il y a longtemps.
17:36 Mais lui ne veut plus me revoir. Et donc ça c'est très difficile.
17:41 Pour lui aussi, moi je suis triste pour lui aussi.
17:45 - Merci pour la sincérité et pour ce témoignage Catherine.
17:50 Une réaction Fabienne Brugère ?
17:52 - Oui, c'est comme faire un deuil, une séparation.
17:57 Mais comme le dit l'auditrice, il y a eu des attachements, il y a eu des liens.
18:03 Et c'est dommage de ne pas pouvoir les poursuivre.
18:06 Et ce qu'elle évoque c'est aussi ces vies de couple, où finalement la vie à deux, ça devient simplement une cohabitation.
18:12 Et continuer dans la cohabitation, c'est quand même très difficile.
18:18 - Juste une dernière question, parce qu'on va arriver à la fin de l'entretien.
18:21 Le désamour, ça peut aussi être une volonté des deux, je pense, au moment où vous citez dans votre livre "La La Land",
18:27 le film où ces deux protagonistes s'aiment, se comprennent, etc.
18:31 Mais finalement, la vie les sépare parce qu'ils n'ont pas les mêmes envies, etc.
18:34 Ils sont obligés d'apprendre. On peut l'apprendre ?
18:37 - Oui, enfin on l'apprend sans l'apprendre.
18:40 C'est-à-dire que bien évidemment, ce n'est pas un processus didactique.
18:44 Mais dans "La La Land", c'est incroyable de voir comment les désirs pourraient se rejoindre,
18:50 et comment en même temps, ils ne se rejoignent jamais.
18:52 Et il y a ça aussi dans le fait de désaimer.
18:55 Il y a le fait que quelque chose pourrait se passer, et que finalement, ça ne se passe pas comme ça.
19:00 Et qu'il y a des vies qui, tout d'un coup, sont disjointes.
19:04 Et puis on est aussi dans une société qui est une société des individus.
19:09 Et donc la société des individus, ça fait aussi réfléchir sur ce que c'est que désaimer.
19:15 Parce qu'on désaime plus facilement.
19:18 On désaime plus facilement en même temps en sachant qu'on nous pousse toujours au couple, à la famille, à la vie conjugale.
19:25 Donc il y a là une contradiction entre le collectif et la cellule familiale,
19:30 et puis l'individu qui doit faire sa vie et jouir de lui-même, de ses propres désirs.
19:36 En tout cas, c'est passionnant Fabienne Brugère, ce manuel d'un retour à la vie
19:40 qui est donc une sorte de revisitation du manuel d'Épictète.
19:44 Désaimer, c'est chez Flammarion.
19:46 Ça donne envie d'aimer, ça donne envie d'être joyeux, ça donne envie de voir des tas de films,
19:50 d'écouter de la musique et de lire de très grands livres.
19:55 Merci infiniment d'avoir été l'invité de France Inter.
19:57 À suivre, La Météo.

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