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Art et designTranscription
00:00Bonjour, Frédérique Paulet, presse de la Cité, avant de commencer je voulais excuser
00:08notre chère collègue Laurence Deschamps qui a un petit souci de santé aujourd'hui
00:13et en profiter pour vous présenter Laura Carvalho qui nous a rejoint en début d'année
00:20et qui travaille avec Laurence, donc Laura est attachée à la librairie et assistante
00:27commerciale. Bonjour à tous, je suis très heureuse de représenter ici les relations
00:33libraires pour les presses de la Cité. Pour cette rentrée littéraire on aura trois textes,
00:37deux textes à l'étranger et un texte au français. L'étranger vous sera présenté
00:41par Frédérique Paulet qui est juste ici et le français par Bérangère Bauchet qui
00:45est juste à ma droite. On commence par une auteure que vous connaissez déjà puisqu'il
00:55s'agit d'Emma Deneuilhou, septième livre publiée en France, beaucoup d'autres à l'international
01:01depuis qu'elle a commencé sa carrière. Emma Deneuilhou vous l'avez découverte en 2001 avec
01:05Room, un succès international et vous l'avez découverte retrouvée au presse de la Cité en
01:102020 avec Le pavillon des combattantes qui avait été un très joli succès de librairie. Elle
01:18revient avec un roman qui s'appelle Une fille j'ai embrassé et qui se situe en 1805 en Angleterre
01:26dans un pensionnat de jeunes filles qui s'appelle l'école Kingsmanoir et qui nous raconte l'histoire
01:35d'Elisa Rennes, une jeune fille qui a été envoyée par son père médecin aux Indes pour parfaire son
01:44éducation avec sa sœur dans ce pensionnat. Elle a huit ans quand elle arrive, elle est métisse puisque
01:50sa mère est ce qu'on appelait une épouse de campagne, son père avait épousé une indienne, enfin
01:55vivait avec une indienne et elle et sa sœur sont venues en Angleterre seules. Elles vont y
02:02rester puisque leur père va mourir et leur mère peu de temps après et elles sont donc orphelines.
02:07Donc métisse et orpheline évidemment c'est très difficile pour elle de s'intégrer et Elisa va
02:14rester seule dans sa mansarde jusqu'à ce qu'arrive un personnage, je dis vraiment un
02:19personnage parce qu'un personnage plus grand avec une envergure et une aura incroyable, une jeune
02:25femme de 14 ans qui s'appelle Anne Lister, qui se fait appeler Lister, pourquoi ? Parce qu'elle a
02:32décidé de se faire appeler comme les hommes, parce qu'elle est différente, elle a les cheveux courts,
02:36elle a une démarche plutôt sûre d'elle, le verbe haut, c'est quelqu'un d'extrêmement érudite,
02:42passionnée par les livres et les deux jeunes filles vont se retrouver un peu différentes,
02:46seules dans cette mansarde et une très belle amitié va tout de suite commencer entre elles.
02:51Elles sont assez fascinées l'une par l'autre, Elisa par la culture et l'audace de Lister et
03:00Lister par l'exotisme et aussi tout ce que Elisa a vécu aux Indes, la faune, la flore. Donc cette
03:09amitié va peu à peu se transformer en une passion amoureuse. Elles vont être découvertes par
03:19d'autres amies et la structure du roman, parce que je ne vais pas vous dire ce qui se passe ensuite,
03:27on retrouve dix ans après Elisa enfermée à nouveau dans un asile et qui écrit à son amour
03:36Lister qui elle a disparu. Donc c'est toute l'originalité de ce livre, c'est qu'il s'agit
03:43de l'histoire d'un premier amour mais il s'agit aussi d'une histoire vraie. Anne Lister a réellement
03:49existé, Elina Rennes aussi. Anne Lister est très connue en Angleterre pour sa carrière d'écrivain,
03:57de poète et d'exploratrice. Elle est connue en France pour avoir été la première à avoir
04:04escaladé un mont dans les Pyrénées, le mont Vindermal. Je ne sais pas pourquoi je le prononce
04:10à l'anglaise mais c'est Vindermal. L'originalité de ce roman, c'est toujours la force d'Emma
04:19Donoghue, c'est de faire la part belle aux femmes, à la puissance des femmes, à la souffrance des
04:25femmes. On a deux très beaux portraits là. C'est une histoire d'amour, une passion, c'est une
04:30éducation sentimentale aussi. Et puis c'est la construction de ce livre qui m'a aussi beaucoup
04:34séduite. Emma Donoghue s'est beaucoup documentée autour de cette histoire. Elle a lu la vingtaine
04:43de journaux intimes qu'a écrit Lister pendant sa vie. Elle a lu aussi toutes les lettres inachevées
04:51qu'a écrit Elisa depuis son asile. Pourquoi inachevée ? Vous allez le découvrir. En tout
04:59cas c'est avec ces pièces qu'elle a réussi à broder ce roman qui est plus vrai que nature. Il y a
05:04aussi toute la minutie de cette autrice Emma Donoghue qui nous raconte aussi le contexte,
05:12donc les guerres néapoléoniennes, le colonialisme. Donc il y a des thématiques toutes féministes
05:21évidemment. Et aussi on parle beaucoup de racisme. C'est un roman qui fait écho à tous
05:30les problèmes qu'on a aussi, l'actualité d'aujourd'hui. Voilà je vais passer au suivant.
05:37Alors une découverte, Polly Clark. Ce n'est pas son premier roman puisqu'elle en a déjà publié
05:44un en Angleterre qui a reçu un prix. Elle a été aussi primée pour ses recueils de poésie. Elle
05:52est poète et puis c'est une aventurière elle aussi parce que c'est une autrice qui aime
05:58l'immersion. C'est-à-dire que quand elle écrit un roman, elle va le vivre avant et pour celui-ci
06:05elle a été travailler dans un zoo et puis elle a été aussi en Sibérie à la rencontre des tigres
06:14blancs de Sibérie en plein hiver. Donc le roman est contemporain et on rencontre il y a Frida qui
06:22est une jeune femme d'une trentaine d'années, britannique. Frida est primatologue, elle est
06:28spécialiste des bonobos et elle travaille dans un institut de recherche jusqu'au jour où elle est
06:34sauvagement agressée dans la rue et qu'elle va sombrer dans le coma quelques temps et
06:41elle va être dépendante de la morphine. Cet accident va lui coûter son travail et c'est
06:51grâce à un ami qu'elle trouvera un travail dans un petit zoo du Devon où on lui confie les
06:59singes au départ et puis ce zoo est en pleine effervescence quand elle arrive parce qu'on
07:04attend une tigresse qui vient de Sibérie et qui doit arriver pour se reproduire avec le tigre du
07:15zoo. Frida va être absolument fascinée par cette tigresse qui arrive un peu comme elle, plus cabossée
07:26que ce qu'on attendait, elle arrive borgne et il y a une espèce d'attirance entre Frida et cette
07:33tigresse parce qu'elle a envie de comprendre pourquoi elle est arrivée dans cet état et
07:37puis parce qu'elle a aussi ce don de communiquer avec les animaux, on va lui confier les soins de
07:43cette tigresse. Quelques temps plus tard, alors qu'elle s'occupe d'elle, qu'elle est dans la cage
07:49avec elle, la tigresse lui saute à la gorge et manque la tuer. Donc qu'est-ce qui s'est passé ?
07:54En fait Frida a envie de savoir ce qui s'est passé et quelle est l'histoire de cette tigresse et c'est
07:59là que le roman prend un souffle épique, c'est qu'on est transportée dans cette taïga, qu'on va
08:06rencontrer un autre personnage, Thomas, qui lui est responsable de la réserve des tigres et qui est
08:13un personnage aussi qui est plein de fêlures, on va comprendre pourquoi. Ensuite,
08:19on rencontre, troisième tableau, on va rencontrer une jeune femme, Edith et sa fille Zina, qui
08:26elles appartiennent à la communauté des Oudéguais. C'est une communauté très ancienne et qui vit
08:35encore des rites ancestraux. C'est une communauté qui existe, qui vit en Sibérie et qui vit
08:43avec les tigres. Le roman est construit comme un puzzle, c'est ça qui est absolument
08:48fascinant, c'est que vous avez trois tableaux qui vont résonner, les personnages de chaque tableau
08:54ont un lien qui est leur rencontre avec ce tigre et je dirais qu'il y a tout en fait, il y a le fond,
09:01donc le fond c'est ce dont je viens de vous parler, il y a aussi la forme puisque l'écriture
09:07de Paulie Clark est à la fois très lyrique par moment, poétique, qu'elle nous emporte, c'est
09:14presque du nature writing dans ses plaines vierges et blanches de Sibérie et puis il y a le
09:23souffle romanesque puisque c'est vraiment un roman qui parle de la brutalité des
09:32univers animaux et humains et du choc qui se passe quand ils se rencontrent. C'est un roman
09:38qui parle d'extinction aussi des races, de toute la notre, la race humaine et les
09:44animaux bien sûr et la nature donc qui fait aussi, et c'est ça qui m'a séduite, écho à notre
09:52monde actuel. Voilà pour ces deux romans de rentrées littéraires étrangères, j'espère
09:58qu'ils vous plairont. Je passe la parole à ma collègue. Merci beaucoup, ça dérange pas la prise
10:04de vue si je me lève ? Non, c'est bon. Alors en deux mots, je suis ravie de vous rencontrer, de vous retrouver,
10:10je suis Bérangère Bauchet et j'ai rejoint les presses il y a quelques semaines pour m'occuper de la
10:14fiction française. Je vous présente un livre qui s'appelle Un jardin pour royaume qui est
10:21le sixième roman de Gwenaël Robert, six romans parmi lesquels Le dernier bain qui a reçu entre
10:28autres le prix de Bretagne en 2019 ou encore Sous les feux d'artifice récompensé par le prix
10:34Ouest en 2023. De fait sa production est multiprimée et on est ravis de l'accueillir pour son sixième
10:40roman aux presses de la cité. Alors Un jardin pour royaume, c'est une sorte d'exploration des
10:46utopies familiales à travers deux histoires entremêlées. La première c'est l'histoire de la
10:51narratrice qui a grandi dans les années 80 dans un tout petit village de l'Oise à la frontière de
10:57la région parisienne. C'est un village à l'écart du siècle, à l'écart de la société, complètement
11:03perdu au milieu des champs de betterave, ignorant tous les emblèmes de la modernité, aussi bien
11:09les aéroports, les autoroutes, les supermarchés, les parcs d'attractions, les
11:15enseignes lumineuses, les panneaux publicitaires, la télévision, bref. Dans ce village ne régnaient
11:21que trois principes fondateurs, le travail, la terre et les saisons. La deuxième histoire racontée
11:28par ce roman est beaucoup plus lointaine, elle est celle du marquis de Girardin qui a conçu tout
11:34près de ce village, à la fin du 18e siècle, le parc du château d'Hermenonville, comme une
11:40sorte de paradis originel où Rousseau, dont il était un fervent admirateur, a passé ses
11:48derniers jours et où il a été enterré. Ce parc a été pensé par le marquis de Girardin par
11:56opposition au jardin à la française de Versailles, à leurs massifs rectilignes, à leurs allées ordonnées,
12:03à leurs buies taillées aux cordeaux. La nature devait, comme dans ce roman, y reprendre ses droits dans
12:11le désordre des parterres et le refus de la contrainte. Ainsi que le met en scène savamment
12:17l'autrice et le distille métaphoriquement tout au long de son texte, on retrouve là appliqués les
12:23grands préceptes de la philosophie de Rousseau qui fut également un grand botaniste et qui prenait
12:29d'élever les enfants loin de la civilisation et de la perversion des villes. Alors le roman met en
12:37oeuvre la confrontation de ces deux mondes à travers les souvenirs d'enfance de la narratrice.
12:43Une narratrice qui est elle-même confrontée à une situation douloureuse au début du roman
12:50puisqu'elle voit le départ de sa dernière fille qui quitte la maison, qui quitte le domicile
12:55familial. Or ce départ fait naître l'envie, le besoin viscéral même, chez la narratrice de
13:03revenir sur les terres de sa propre enfance. Elle prend alors le prétexte de vouloir reprendre le
13:10travail d'une thèse entamée et délaissée il y a vingt ans sur l'influence de la botanique sur
13:16les écrits de Rousseau, les derniers écrits, et elle va alors séjourner quelques jours non loin de
13:22son village natal, au château d'Hermenonville précisément, qui est devenu, je vous conseille
13:27d'ailleurs d'y aller c'est très beau, un hôtel et un musée. Et ce roman est la narration de ces
13:33dix jours passés à nouveau à l'écart du bruit du monde. Alors Un jardin pour royaume c'est un roman
13:42sur la façon dont l'enfance résiste, sur la façon dont nous sommes encore chacun et chacune à sa
13:49recherche longtemps après l'avoir quittée. Par petite touche, l'herbier que compose ce roman
13:56prend forme. La narratrice recueille des éclats d'enfance, saisit et retient en elle ce qui nous
14:03échappe, approche ce qui est resté enclos dans la mémoire, ce qui palpite faiblement hors des mots.
14:09Avec une grâce infinie, que j'espère que vous apprécierez autant que nous, avec aussi beaucoup
14:15de pudeur, Gwenaëlle Robert privilégie le peu, le neutre, le presque rien, le fragment, l'infime
14:25pour retrouver souvent une image, une couleur, une saveur de ce royaume d'abord façonné pour elle
14:32par ses parents, puis façonné par elle pour ses enfants vingt ans plus tard et finalement déserté
14:38par eux. Ces images prélevées au ras du réel nous transforment en spectateurs un peu étourdis
14:44d'une enfance qui défile et qui est d'une extraordinaire familiarité. Gwenaëlle Robert, elle est
14:51hantée par la recherche de toutes les bornes qui pourraient marquer une bonne fois pour toutes la
14:56fin de l'enfance. Mais ce roman est la démonstration que toutes les premières fois sont aussi bien
15:01souvent, sans qu'on le sache, des dernières fois. Les premiers sourires, les premiers pas, les premiers mots
15:08et il y a aussi, nous dit l'autrice, toutes les dernières fois dont on ignore qu'elles n'auront pas de
15:19suite et je la cite parce qu'il faut la lire en vérité. La dernière fois que mes enfants m'ont
15:25tenu la main sur le chemin de l'école, qu'ils ont entouré mon cou de leurs bras, qu'ils sont
15:30venus s'asseoir sur mes genoux pendant que je lisais avant d'en glisser aussitôt pour retourner
15:34à leur jeu. Ce que l'on retient de ce roman est que l'important n'est pas ce qui s'est passé mais
15:41comment cela s'est imprimé en nous. Or il n'est pas anodin que la résurrection de l'enfance prenne
15:47dans ce roman la forme d'un jardin, d'où son titre comme une devise, un jardin pour royaume. Ici
15:54l'enfance n'est pas un temps mais un lieu, un territoire, le village où la narratrice a grandi et
16:00qui a d'ailleurs un nom bien évocateur, Ève. La langue de ce roman au fond c'est notre langue
16:07maternelle à tous, celle qui dit la quête jamais close de ce moment qui a structuré pour toujours
16:13notre rapport à la vie, à soi et au monde. Et pour faire aussi court j'en terminerai là car le roman
16:20fait à peine 200 pages, Gwenaëlle Robert a passé du temps à gommer le superflu, l'emphase, les
16:27facilités et à ne garder que l'essentiel, que l'enfance n'est pas derrière nous mais bien
16:32devant, éternel jardin à jamais inachevé, toujours à cultiver, explorer et faire refleurir. Voilà,
16:40bonne découverte de ce texte.