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00:00 On y va ? Ok, super. Bon, ben merci à tous d'être venus. On est très heureux parce
00:09 qu'on a une rentrée dont on est très fiers, qui est variée. L'an dernier, vous nous
00:15 aviez beaucoup soutenus dans notre rentrée littéraire, donc merci mille fois. On espère
00:20 que cette année, ça va vous plaire également. On a cinq titres en littérature française,
00:25 deux titres en littérature étrangère et un OVNI. Bonjour à toutes et à tous. Je
00:31 vais vous présenter les titres de fiction française dont j'ai la responsabilité. J'étais
00:36 déjà là l'année dernière et je suis heureuse de vous retrouver cette année. Je
00:40 commence par... Je m'appelle Alice Dandigny, pardon. Je vais commencer par vous évoquer
00:48 un premier roman. Il se trouve que dans mon métier, je reçois un à deux manuscrits
00:53 par jour, en général avec une bonne tartine biographique et de préférence avec une recommandation,
01:00 ce qui fait que je fais un refus, puis deux refus. Bref, il y a un peu de pression dans
01:04 l'air. Et là, j'ai reçu, il y a un peu plus d'un an, un manuscrit avec deux lignes.
01:10 Et dans les deux lignes, il y avait ceci. C'est l'histoire d'un amour et d'un désamour,
01:15 thème qui n'a jamais été abordé en littérature. Alors ça m'a fait rigoler et du coup j'ai
01:19 ouvert. Et en fait, le type est super brillant, très intéressant. Il a 28 ans. Il travaille
01:28 au musée Beaubourg et il avait envie de raconter l'histoire de deux étudiants. Victor, étudiant
01:38 en architecture à Lille et Fleur qui veut devenir institutrice. Je me garderais bien
01:44 de vous dire comment ça finit. Mais ce qui est intéressant, j'ai trouvé, c'est que
01:49 ce soit un jeune homme et que ce ne soit pas forcément comme on entend beaucoup aujourd'hui
01:53 les femmes qui parlent de ce sujet. Et il y a une grande force, une grande maturité
02:03 des sentiments dans ce qu'il a accompli.
02:08 On peut dire quand même que c'est un livre aussi sur ce que l'amour peut avoir de violent.
02:14 Oui, d'où le désamour. Voilà. Ensuite, je voudrais vous évoquer Camille Pascal. Camille
02:26 Pascal, vous le connaissez sans doute parce qu'il a eu le Grand Prix de l'Académie
02:33 française pour l'été des Quatre Rois et a fait à chaque fois des ventes très solides
02:41 pour ses précédents romans. Et là, je vous assure, il casse la baraque. C'est un livre
02:48 qui évoque une histoire qu'on connaît plus ou moins, qui est celle de l'escroquerie
02:56 dont a été victime Marie-Antoinette. C'est l'histoire de ce qu'on appelle l'affaire
03:00 du collier de la reine, à ne pas confondre avec celle des trois mousquetaires qu'on
03:04 a tous vus sur les écrans l'année dernière. En fait, ce qui est très intéressant dans
03:08 cette histoire, c'est deux choses. D'abord, c'est qu'elle se passe en 1787 et vous allez
03:14 voir comme en fait 1789 est déjà là et on voit la vraie bascule de la Révolution
03:22 française. Et la deuxième chose, c'est que vous verrez une espèce de duo qui oppose
03:29 donc Marie-Antoinette, la reine qui a tout, à une jeune femme, Jeanne de Valois, qui
03:35 n'a rien mais qui a une audace absolument démente. Cette Jeanne de Valois, elle utilise
03:41 l'image de Marie-Antoinette. Elle va même recruter une jeune femme de Paris pour se
03:46 faire passer pour Marie-Antoinette. Tout ça est véridique. Et elle a pour cible ce fameux
03:54 collier qui devait être avissant parce qu'il avait 650 diamants. Je ne sais pas si vous
04:00 vous rendez compte. Et il vaudrait l'équivalent, pour peu que la comparaison en vaille, l'équivalent
04:06 de 25 millions d'euros. Donc ça ne passe pas inaperçu. Et au milieu, il y a, j'allais
04:13 dire un pigeon, pardon de ce mot, mais c'est vraiment le cas. C'est un homme qui s'appelle
04:20 le cardinal de Rouen, qui est aussi cardinal que moi, mais qui a beaucoup d'argent et qui
04:26 est désespéré parce que Marie-Antoinette refuse de le recevoir. Et il se dit que par
04:32 ce biais-là, il va acheter le... par ce biais-là, il retournera à la cour. Et je ne vais pas
04:39 tout vous raconter parce que l'histoire est folle et extraordinaire. Ça se lit comme
04:42 un polar. Et vous verrez que quand même, il y a un procès, bien sûr. Il y a une arrestation
04:48 très impressionnante. Il y a un procès assez magistral. Et le fameux Rouen, lui, il va à
04:54 la Bastille quand même, pendant un moment. De même que la fameuse Jeanne de Valois.
04:58 Et vous verrez que ce moment, par exemple, de la Bastille, c'est une scène extraordinaire
05:04 et qui montre que 1789 est déjà là. Et je pense que c'est très intéressant de le
05:11 lire aussi pour voir l'opposition entre la ville de Paris, qui est en train de progressivement
05:17 monter et ourdir sa rage, versus Versailles, le château, qui est éteint, qui est divisé.
05:26 Marie-Antoinette et Louis XVI ne forment pas du tout le couple qu'on dit uni. C'est bien
05:33 plus complexe. Et vous verrez, c'est à la fois très amusant, très instructif, très
05:38 passionnant. Et ces deux figures de femmes, vous verrez, elles sont assez attachantes,
05:46 assez passionnantes. Oui, on est assez impressionné par Jeanne de Valois. Elle réussit à faire
05:52 payer par le cardinal de Rouen ce collier incroyable en disant que c'est la reine qui
05:57 le demande. Et puis, évidemment, elle va s'approprier. Et ensuite, elle est quand même poursuivie.
06:01 Ça commence à se savoir. Et là, elle a des nerfs absolument d'acier. C'est assez étonnant.
06:06 Elle est d'une audace insensée. Vous jugerez. Sachez que tout est vrai. Ça, c'est très
06:13 important. D'abord, dès qu'un personnage public ouvre la bouche, tout a été retranscrit.
06:20 Dès que Marie-Antoinette ou Louis XVI ou même Rouen, tout est vrai. Et puis, Camille
06:27 Postcal est quand même historien de départ. Et il y a un truc qui est très amusant. Vous
06:32 verrez, il y a un personnage qui s'appelle Le Noir, qui est un peu l'équivalent de
06:36 Darmanin aujourd'hui, l'inspecteur général de police. Et il avait écrit jour après
06:43 jour tout ce qui se passait. Il savait dès le début. Et ses archives, elles ont partiellement
06:49 été oubliées. Et il les a retrouvées à Orléans. Donc, ça permet aussi, si vous
06:56 voulez, de vous dire à quel point tout est vrai. Ensuite, je voudrais vous présenter
07:08 un coup de cœur particulier qui est une jeune femme que vous avez peut-être connue, mais
07:12 il y a un certain temps parce qu'elle n'a pas publié ces dernières années, qui s'appelle
07:16 Clémence Boulouk, que vous aviez peut-être défendue. Elle est la fille du juge Boulouk
07:22 qui a été poussée au suicide par une affaire crapuleuse de Mitterrand. Et elle avait écrit
07:28 un livre qui s'appelait "Mort d'un silence" qui avait très bien marché. Elle était
07:32 toute jeune. Il était sorti chez Gallimard. Ça remonte. Clémence est une fille si exceptionnelle
07:38 qui est partie enseigner à New York, où elle est. Mais elle va revenir en France pour
07:44 défendre son livre. Et elle a une passion depuis des années qui est Stéphane Zweig.
07:52 La moitié des œuvres de Stéphane Zweig est dans le fond de Robert Laffont. Donc, je
07:57 lui ai dit "c'est ta maison". Et qu'est-ce qu'elle nous propose ? Elle nous raconte
08:04 un événement qui a vraiment eu lieu. Juillet 1938, nous sommes à Londres. Stéphane Zweig
08:12 est en transition entre Vienne. À ce moment-là, l'Autriche a été envahie par les nazis.
08:18 L'un de chose a eu lieu. Donc, il a fui Vienne et il va vers les États-Unis. Il s'arrête
08:24 à Londres. Qui arrive à ce même moment ? Freud, très malade, très vieux, très
08:32 fatigué, désespéré parce qu'il sait qu'il ne retrouvera jamais son pays. Et un troisième
08:39 larron qui, lui, n'en a rien à faire de l'ordre du monde ou plutôt du désordre
08:45 du monde qui est Salvador Dali. Salvador Dali est un personnage parfaitement insupportable
08:50 mais très romanesque qui n'a qu'une idée en tête, son ambition personnelle et veut
08:56 pour cela avoir rencontré Freud et avoir sa bénédiction en quelque sorte. Et c'est
09:03 Zweig qui fait l'intermédiaire. Donc, vous avez trois générations un peu de géants.
09:07 Freud, Zweig et Dali qui se sont vraiment rencontrés en cet après-midi de juillet
09:14 1938 à Londres. Et Clémence qui connaît l'œuvre de Zweig par cœur, qui connaît
09:18 l'œuvre de Freud par cœur, vous raconte ce qui s'est passé. Alors, en fait, ça
09:27 ne se passe pas très bien parce que vous avez peut-être en tête le fait que Freud
09:32 n'a pas du tout à prouver ce que les surréalistes ont fait. Mais bon, vous verrez. Et ça vous
09:40 permet aussi de retrouver cette époque qui précède juste le début de la guerre. C'est
09:50 celle qu'avait choisie Éric Villiard pour l'ordre du jour. Et je souhaite à Clémence
09:56 que vous lui fassiez un petit coup de main. C'est un presque comparable. Elle y a mis
10:01 tout son cœur, toute son intelligence, toute sa passion, toute sa culture. Vous verrez,
10:05 c'est un roman très émouvant et que moi, je trouve aussi très intéressant puisqu'on
10:09 y apprend quelque chose. Alors, la conversation, pour le coup, est totalement inventée. Personne
10:15 n'était présent à cette fameuse rencontre. Mais toutes les réuditions de Clémence font
10:20 qu'on a l'impression vraiment de voir ces trois monstres sacrés parler devant nous.
10:25 On assiste à une conversation brillante avec la nostalgie des deux déracinés que sont
10:31 Freud et Zweig. Celui qui se tourne déjà vers l'avenir et vers les États-Unis qui
10:37 est Dali avec sa femme Gala. Les deux prennent assez cher dans ce livre. Mais ça apporte
10:43 aussi beaucoup d'humour. Et on a l'impression d'être à un point de bascule du monde. D'où
10:48 la comparaison avec Villiard. C'est un court roman qui fait 180 pages. Je sens déjà un
10:54 peu des frémissements de lecture. Donc vraiment, je vous invite à l'ouvrir et j'espère que
10:59 ça vous intéressera. Et donc Clémence sera là cet automne. Donc si vous avez un coup
11:03 de cœur, dites-le nous. Vous avez nos contacts sur la plaquette et on peut tout à fait organiser
11:07 les rencontres. Ensuite, je voudrais vous évoquer Alain Mabancou qui évoque "Cette
11:20 femme qui nous regarde". C'est un très beau titre et qui est particulièrement pertinent
11:24 quand on découvre le livre. Cette femme en question, c'est Angela Davis. Je ne sais
11:29 pas si vous l'avez en tête. C'est cette icône américaine qui, depuis son enfance
11:37 et maintenant elle a 80 et quelques années, défend la cause des Noirs aux États-Unis
11:43 et des femmes. Et il se trouve qu'en fait Alain Mabancou, lui, est né au Congo. C'était
11:50 la dictature. C'était un pays très compliqué qui oscillait entre les croyances ancestrales
11:56 et puis une vraie oppression. Et Angela Davis, quand elle a écrit son premier livre qui
12:02 était un premier livre de mémoire, a été une espèce de figure tout de suite, dès
12:07 l'enfance de Mabancou. Et donc Alain Mabancou raconte qui elle est dans une espèce de dialogue
12:15 imaginaire où elle dit un peu son destin. Elle dit les États-Unis qu'elle a traversé.
12:21 Il dit aussi le Congo en écho, bien sûr, plus personnellement. Et puis il dit aussi
12:27 les États-Unis d'aujourd'hui. Et on a en tête tous les élections américaines
12:35 du mois de novembre. Alain Mabancou vit aux États-Unis depuis 20 ans. Il est professeur
12:41 à UCLA à Los Angeles. Et donc il est assez bien placé pour parler de l'évolution des
12:49 États-Unis, de la question noire et puis de toute la dimension politique qu'il y a
12:56 derrière ce combat. Donc ça fait un peu écho à "Rumeurs d'Amérique" qui a été publié
13:03 il y a quelques années chez Plon, sachant que l'oeuvre de fiction d'Alain Mabancou
13:07 est au seuil. Il fait un pas de côté avec nous. Et il sera là tout le mois de septembre
13:13 aussi. Enfin, je vous présente un petit genou de l'année que je connais depuis longtemps
13:23 et pour qui j'ai beaucoup d'amitié. Parce qu'Eric Orsenna, je le défendais quand je
13:31 travaillais chez Stock auparavant. Et on était partis il y a quelques années sur une discussion
13:36 un peu libre et échevelée comme il a le génie de les provoquer sur Venise. Eric peut parfois
13:47 donner l'impression d'être légèrement éparpillé. En réalité, il a des vraies
13:52 constantes, il a des vraies structures de vie. Et une de ces constantes, c'est la musique.
13:58 La musique d'abord, il est pianiste. Il est associé aux arts florissants depuis une vingtaine
14:05 d'années. Et là, il a voulu réunir cet amour de la musique et sa préoccupation pour
14:14 l'eau, qui était une de ses grandes batailles. Il imagine un roman qui se passe donc à Venise,
14:20 dans un avenir proche, où un énième grand paquebot menace de détruire la ville. Et
14:29 on parle de la dangerosité de la montée des eaux. Et la ville tombe dans une nuit
14:36 éternelle, c'est-à-dire qu'elle reste bloquée à deux heures du matin parce que
14:40 les éléments, la nature en ont marre de la folie des hommes. Et comme le temps s'est
14:48 arrêté, peut réapparaître un certain Vivaldi. Vivaldi qui est l'enfant de Venise, qui a
14:54 écrit les quatre saisons en 1725. Donc on commémorera les 300 ans des quatre saisons
15:02 de Vivaldi l'année prochaine. Ça c'était un hasard, mais en l'occurrence, voilà.
15:08 Et Vivaldi va essayer de réconcilier les éléments, la nature, qui est trop choquée
15:16 par la folie des hommes, en écrivant une cinquième saison. D'où le titre du roman.
15:23 C'est un roman où vous vous promenez dans tout Venise, qui est très amusant, qui a
15:29 un vrai sens aussi sur une forme de méditation de ce qui se passe aujourd'hui. Et Eric l'a
15:41 écrit au fur et à mesure des années, en faisant autre chose en même temps. Et puis
15:44 finalement il m'a dit "maintenant c'est celui-là qui compte". Donc il sera là pour
15:50 le défendre. Je dis qu'il est tellement mélomane qu'il nous invite dans huit jours
15:57 deux musiciens pour la présentation de rentrée qu'on fera la semaine prochaine. Enfin bref,
16:05 c'est son monde. Et c'est très facile à lire. Et on a essayé de faire un livre le
16:11 plus joli possible parce que je pense que c'est un livre cadeau à faire éventuellement
16:17 à l'automne. Il y a beaucoup de rythme, beaucoup de fantaisie mais aussi de profondeur.
16:21 On est étonnés par plein de moments du récit. Il y a une passion pour l'eau aussi chez
16:27 Eric Orsenna qui est un autre, qui est un fil conducteur aussi de son oeuvre. Voilà,
16:32 qui est une de ses constantes. Et on ne vous dit pas la fin mais la fin est assez génialement
16:37 inventive je trouve. Voilà, je vais passer la parole à ma collègue Claire Dossérault.
16:45 Bonjour, je suis ravie d'être avec vous pour vous parler des deux textes de rentrée
16:52 littéraire étranger qui je pense sont de voix très spéciales. Mais je vais vous
16:57 expliquer pourquoi. La première, Sandra Newman. Alors Sandra Newman, c'est une autrice qui
17:02 a six romans derrière elle. Ce n'est pas une toute jeune autrice. Néanmoins, c'est
17:06 son premier roman traduit en français magnifiquement par Hélène Cohen. Et la couverture, j'allais
17:11 dire, est assez parlante puisque, comme vous pouvez le voir, le roman qui s'intitule
17:16 Julia n'est autre qu'une réécriture féministe de 1984. Alors dit comme ça, on peut avoir
17:22 deux réactions. La première qui est, mon Dieu, jamais. 1984 étant un chef d'oeuvre
17:28 de la littérature mondiale qui d'ailleurs continue de nous inspirer et qui continue
17:33 de très très bien se vendre aussi pragmatiquement. On l'a vu avec les nouvelles traductions
17:37 de José Camus et successivement. Mais ce qui est intéressant ici, c'est que ce n'est
17:41 pas juste une réécriture. C'est vraiment ce qu'on appelle un roman compagnon. Un, non,
17:45 on n'a pas besoin d'avoir lu 1984 pour le lire. C'est un roman qui se suffit à lui-même.
17:49 Deux, si on l'a lu, évidemment c'est mieux puisque on va retrouver tout l'univers de
17:54 la neuve langue, tout l'univers créatif et froid et ténébreux de 1984. Mais néanmoins,
18:02 ce qui est assez fascinant ici, c'est que quand on réfléchit, quand on a lu 1984,
18:06 c'est un univers qui est diablement froid. Alors ça on est bien d'accord. Mais diablement
18:10 masculin. C'est-à-dire que Julia, on s'en rappelle à peine, Julia c'est en fait finalement
18:15 la femme qui est désirée par Winston, qui est l'objet de son amour. Mais elle n'existe
18:21 pas en fait. Elle n'a pas de corps, elle n'a pas de voix. C'est ce qu'on appelle le fameux
18:24 n'est-ce pas "male gaze". Et l'univers en général est un univers extrêmement masculin
18:29 dans la mesure où il n'est jamais question de maternité, il n'est jamais question de
18:33 reproduction, il n'est jamais question de sexualité. Oui, mais uniquement une sexualité
18:37 évidemment tout à fait fantasmée par les hommes. Or là, ce que fait Sandra Newman
18:42 magnifiquement, c'est finalement de réécrire d'une certaine façon 1984 à travers le point
18:47 de vue de Julia. Donc c'est comme si on avait mis presque une caméra dans des angles morts
18:51 et qu'on s'imaginait finalement qu'est-ce que c'est qu'être une femme dans cet univers.
18:55 Qu'est-ce que c'est que ces violences, évidemment encore plus extrêmes faites aux femmes. Qu'est-ce
18:59 que c'est qu'accoucher dans cet univers, qu'est-ce que c'est que d'essayer d'avorter de façon
19:03 clandestine. Et ce qui est fascinant aussi c'est que Julia, c'est la citoyenne parfaite.
19:08 Elle travaille au service de la fiction, de la vérité. Elle est une citoyenne qui est
19:13 capable tout à fait, qui n'a pas d'idée politique, qui est totalement nihiliste d'un
19:17 certain point de vue, mais en même temps qui sait aussi trouver son plaisir en brisant
19:22 les règles et les tabous. Et elle est presque, justement, toute la question du roman c'est
19:27 est-ce qu'elle est vraiment nihiliste, est-ce qu'elle est une figure apolitique qui est
19:31 le produit de Big Brother ou est-ce qu'au contraire elle est une version, j'allais dire,
19:37 émancipatrice. Je m'arrête là, je n'en dirai pas plus. Et encore une fois, magnifiquement
19:42 traduit par Ellen Cohen, vous verrez il y a une très courte note au début du livre.
19:45 Je pense qu'il est important parce que, évidemment, il y a eu tout un travail de traduction pour
19:50 savoir parfois si on réutilisait des termes de la traduction de José Camus ou d'autres
19:55 traductions ou des inventions, tout à fait, parce qu'il y a des inventions langagières
19:58 aussi dans le roman. Donc c'est Big Brother, la regarde.
20:02 Mais on peut tout à fait aussi, moi, mettre les souvenirs de 1984, c'est vraiment très
20:07 très ancien. Et à un moment j'ai laissé tomber, c'est-à-dire que j'ai vraiment lu
20:10 Julia, cette nouvelle histoire dans un monde dont on a effectivement Big Brother, Neuve
20:16 Langue, des repères, mais sans trop me souvenir de l'histoire de Winston et l'histoire de
20:20 Julia même est passionnante.
20:21 Voilà. Et alors, une autre découverte. On reste dans une voix très incarnée, mais
20:30 cette fois-ci du côté du Chili. Alors Aliette Rabuco Serane, c'est une autrice qui a déjà
20:35 eu un roman publié chez Actes Sud. Pas de suspense ici. Non, il n'a pas cartonné, sinon
20:39 je pense que vous le sauriez. Néanmoins, c'est une autrice qui a été sur le prix
20:43 de l'International Book Award traduit pour ce roman en cours dans 16 pays et qui est
20:48 vraiment en train de, parmi ces autrices latino-américaines comme Marianna Henriquez par exemple, en train
20:53 vraiment d'exploser la scène internationale. Propre titre assez énigmatique me direz-vous.
21:00 Oui, c'est vraiment la traduction littérale de l'espagnol "Limpia" traduit ici aussi
21:05 magnifiquement par Anne Plantagenet. C'est l'histoire d'une domestique, Estela. C'est
21:11 la voix d'abord de Estela qui, on l'apprend dès la première ligne du roman, est accusée
21:16 potentiellement du meurtre d'une petite fille. Et on va assister à son monologue tandis
21:22 qu'elle essaye peut-être ou pas de se justifier ou en tout cas d'expliquer sa version des
21:26 faits. Aliette Rabucocera nous dit qu'elle a été très inspirée par "Les Bonnes de
21:31 Genève". Ce qui est intéressant c'est que quand on regarde la réception critique
21:35 puisqu'il vient de sortir en Angleterre par exemple ou au Chili, elle peut avoir à
21:39 la fois des citations de Fernanda Melchior comme de Paula Hawkins. Et c'est un livre
21:44 qui a cette ambition-là, c'est-à-dire qu'à la fois il y a une voix incarnée,
21:48 une voix très forte. Moi quand je lisais, la première fois que je l'ai lu, j'ai
21:52 su que je voulais le publier parce que simplement c'était impossible de le lâcher. Il y avait
21:57 cette capacité à nous mettre dans la tête de cette femme qui, à 14 ans, est envoyée
22:02 dans cette famille, quitte sa mère, se retrouve avec ses gens riches dans une chambre sombre,
22:09 seule, d'une solitude telle que la seule personne avec qui elle arrive à parler c'est
22:13 un chien noir qui devient son compagnon. - C'était peut-être un mot de l'intrigue ?
22:17 - Bien sûr, et l'intrigue c'est justement, elle va se retrouver à s'occuper d'une
22:22 petite fille et puis voilà, cette petite fille va disparaître, n'est-ce pas, nous
22:27 pourrions le dire comme ça. Et encore une fois, l'intrigue c'est vraiment non pas
22:32 uniquement de savoir si elle l'a fait ou non, parce que ça, j'allais dire si, ça
22:34 vous tient en suspense quand même. Il y a une dimension thriller d'où d'ailleurs
22:37 la citation de Paula Hawkins. Mais ce qui est vraiment intéressant c'est que c'est
22:40 plutôt un portrait de fracture des classes. Qu'est-ce que c'est en fait que la vraie
22:44 violence ? Est-ce que la vraie violence c'est le meurtre ou est-ce que la vraie violence
22:48 c'est la silenciation, c'est la solitude, c'est le fait d'exister dans une maison
22:52 où on vous demande de nettoyer et de tout maintenir propre, mais où on vous regarde
22:56 à peine, où on vous adresse à peine la parole, où finalement vous êtes aussi importante
22:59 que le chien noir qui rôde dans la rue. Tout ça sur fond de révolution, puisqu'on
23:03 est dans une période au Chili où les consciences s'agitent et la rue bruit. Et donc c'est
23:07 ça que j'ai trouvé magnifique. C'est vraiment intéressant que ce soit Anne Plantagenet,
23:12 peut-être vous avez lu son magnifique roman paru au Seyr récemment. Mais finalement voilà,
23:15 on est sur quand même un vrai portrait de classe, du silence, de ce que ça implique
23:20 en fait. Et c'est une voix très très très forte. En plus, Alia a aussi écrit un magnifique
23:27 texte de non-fiction qu'on publiera l'année prochaine, qui est en cours d'adaptation sur
23:30 Netflix. C'est une autrice qui est vraiment en train de, encore une fois je pense, de
23:36 prendre le devant de la scène dans la nouvelle littérature latino-américaine qui est prise
23:40 par les femmes. Et je m'arrête là et je cède la parole à Camille Racine qui s'occupe
23:45 de La bête noire, Ailleurs et demain et qui va se présenter.
23:48 Parfaite transition avec le livre de Claire. C'est un immense honneur de voir un livre
23:55 de La bête noire en rentrée littéraire et la première fois aussi que Carille Ferret
23:59 fait un livre en rentrée littéraire. C'est pas facile, j'y réfléchis tout le week-end
24:04 parce que là je vais vous parler d'un féminicide et en plus d'un livre OVNI. Donc clairement
24:08 je pars avec d'énormes boulets au pied. Mais ce livre est absolument incroyable. Quand
24:14 on s'attaque à un fait divers, il y a à peu près deux chemins. Celui du sensationnalisme
24:21 où on est clairement dans la position du voyeur et un autre chemin, je ne suis pas
24:25 là pour juger, qui est plus un chemin sociologique, social, littéraire où on cherche à prendre
24:31 de la hauteur. C'est ce que Carille Ferret fait avec ce texte qui s'appelle Magali. Magali
24:36 c'est le prénom de Magali Blandin, une éducatrice spécialisée, mère de quatre enfants, qui
24:43 a été assassinée par son mari en 2021. Alors vous allez me dire mais comment est-ce
24:48 que Carille Ferret s'intéresse à cette affaire-là particulièrement ? Parce que c'est ça le
24:54 truc avec les faits divers. Qu'est-ce qui fait qu'un jour dans votre quotidien, il
24:58 y a un fait divers qui va vous titiller, qui va vous titiller tellement qu'il va vous obséder
25:04 et que si vous êtes écrivain, qu'est-ce que vous faites ? Vous vous mettez à écrire.
25:07 Carille Ferret, on est en février 2021, on est encore confiné, pas complètement mais
25:12 encore un peu. Il a sa petite routine d'écriture, c'est la première scène du livre et là
25:17 il entend parler sur France Culture de la disparition de Magali Blandin. Ce nom ne lui
25:23 dit rien mais sa disparition a lieu dans une ville qu'il connaît très bien, c'est
25:27 le Mont-Fort-sur-Meux en Ile-et-Vilaine et c'est sa ville natale. Donc l'écoute de
25:34 cette disparition déclenche en lui quelque chose de très fort. Il commence à s'intéresser
25:39 à l'affaire. L'affaire a été très médiatisée, notamment par Ouest France. Assez vite le
25:46 mari est démasqué, l'affaire a été jugée donc vous n'allez pas avoir de révélation
25:55 dans ce livre-là. Ce qui est intéressant c'est que Carille a décidé d'enquêter.
25:59 Il est à la fois fait diversier et il va mener ce qu'on appelle une enquête de voisinage.
26:06 Dans la brigade criminelle quand il y a un crime, ce que les policiers font c'est qu'ils
26:10 vont voir tous les habitants du village et c'est ce qu'a fait Carille. Il a rencontré
26:15 le notaire, il a rencontré la pharmacienne, il a rencontré le bar du coin et vous allez
26:22 voir que c'est assez mystérieux tout ce qui se passe autour de cette femme. Donc ce
26:27 livre c'est une enquête mais c'est aussi de l'autofiction et Carille se met beaucoup
26:35 en scène puisque c'est l'occasion pour lui de revenir sur son enfance, sur ce qu'il
26:39 y a vécu parce qu'il ne comprend pas comment dans cette ville si tranquille il y a pu y
26:43 avoir ce féminicide terrible parce que, pas de spoiler, mais toute la famille est impliquée.
26:50 Donc c'est un livre très émouvant, c'est aussi intéressant qu'un homme prenne la
26:56 parole sur un féminicide et je vous conseille vivement de refaire vos stocks de jouissance
27:02 club et l'autre titre c'est "Le mythe de la virilité" d'Olivia Gazelay parce que Carille
27:07 en parle beaucoup dans son texte et il conseille fortement à toutes les femmes évidemment
27:14 mais tous les hommes de lire ces textes et si on ne les comprend pas la première fois
27:17 de les relire une seconde fois pour comprendre tous les enjeux.
27:22 Donc "Ma galie" est un livre ovni, il est très court, il fait 200 pages, c'est un
27:27 pas de côté pour Carille Ferret qui a un habitué des grands espaces dans les polars
27:32 qu'il fait chez Gallimard, là on serait plutôt vers le huis clos, le huis clos de
27:37 son enfance, de ses origines, c'est un texte vraiment très émouvant et je crois que j'ai
27:41 terminé mes trois minutes donc bonne lecture à tous.
27:44 (applaudissements)