L'invité de 8h15 est le médecin légiste Philippe Boxho, auteur de nombreux best sellers qui donnent la parole aux morts.
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00:00Pour Philippe Boxo, merci beaucoup d'être là.
00:03La mort, elle est omniprésente dans l'actualité.
00:05Elle est omniprésente aussi dans la production culturelle,
00:08les films, les séries.
00:09Et pourtant, dans notre quotidien, c'est encore un tabou.
00:13Pourquoi, selon vous ?
00:14C'est un tabou très sérieux parce que personne ne veut mourir.
00:17Enfin, sauf ceux qui se suicident parce qu'il n'y en a quand même pas mal.
00:20Mais la vie, enfin, se termine par cet acte-là qui est celui de la mort.
00:25C'est un acte que l'on tente un moment,
00:27que l'on tente de masquer, que l'on tente d'édulquerer.
00:30Je crois que c'est ça, une crainte.
00:32Une crainte surtout de ce qu'il y aurait après, s'il y a quelque chose.
00:35Alors peut-être que vous allez me dire s'il y a quelque chose ou pas,
00:38mais vous aiez sacralisé dans vos ouvrages la mort.
00:41Vous vous êtes donné aussi cette mission-là.
00:43Vous dites préférer rire de la mort avant qu'elle ne vous sourie définitivement.
00:47Le dernier de votre livre s'appelle « Entretien avec un cadavre ».
00:51C'est aux éditions Kenes, un médecin légiste fait parler les morts.
00:55Comment on se dit un jour « Tiens, et si je devenais médecin légiste ? »
00:59C'est quoi votre chemin qui vous a emmené là ?
01:01Ce n'est pas venu comme ça, c'est venu un peu par hasard, en fait.
01:04Par hasard ?
01:05Par hasard, oui.
01:06Je faisais de la dissection, c'est-à-dire je faisais de la recherche en dissection anatomique.
01:09Et j'avais besoin d'un appareil de radio, je suis passé en médecine égale
01:11parce qu'il y en avait un, il y en avait un là, juste là.
01:14Et j'ai pu l'utiliser, et puis j'ai assisté à une autopsie, ça m'a plu.
01:18J'ai dit « Tiens, c'est pas mal ce truc-là ».
01:19Et puis voilà, j'ai commencé tout doucement.
01:21Au départ, j'étais médecin généraliste,
01:23et puis j'avoue que j'en ai eu un peu marre d'entendre les gens se plaindre,
01:27et j'ai préféré faire parler les morts.
01:29Et comment… Est-ce que vous vous souvenez, tiens, de votre première mission en tant que légiste
01:33et donc de votre premier corps ?
01:35Oui, oui, tout à fait.
01:36C'était un décapité.
01:37Ça n'arrive pas souvent.
01:38Un décapité ?
01:39Oui, oui.
01:39C'est un type qui était sur l'autoroute en voiture.
01:41Il était passager avant, pas ceinturé.
01:44La voiture a pris la berne centrale de l'autoroute.
01:46Il a été projeté par le pare-brise avant,
01:48et sa tête est allée taper sur la berne centrale.
01:51Et donc, il a été décapité.
01:52La tête a roulé, elle a traversé l'autre bande de l'autoroute pour tomber dans le fossé.
01:56Les policiers n'aimaient pas trop aller la rechercher,
01:57donc on m'a demandé si je voulais m'y avenir.
01:59D'aller chercher la tête ?
02:00Oui, oui.
02:00Et vous y êtes allé, évidemment.
02:01Ah, j'y suis allé, oui.
02:02C'était 5h du matin.
02:03C'était spécial.
02:04Mais le policier n'a pas bien supporté.
02:06C'est-à-dire que quand j'ai eu la tête en main, je l'ai éclairée pour lui dire « je crois que j'ai trouvé ».
02:09Et lui, au loin, il est tombé.
02:12Incroyable, incroyable.
02:13Alors, il y a plusieurs questions qu'on se pose tous,
02:15et j'ai envie de vous les poser, puis vous allez nous répondre ou pas, d'ailleurs.
02:18Est-ce que la mort a une odeur, déjà ?
02:20Oui.
02:21Tout à fait.
02:22Mauvaise, j'imagine ?
02:23C'est spécial.
02:24Dès le début, il y a une odeur de mort.
02:26C'est vrai, ça sent la mort.
02:27Les gens disent souvent ça.
02:28Oui, oui, c'est vrai, on l'entend beaucoup dans les films.
02:29C'est totalement vrai.
02:30Et chez les personnes qui agonisent, c'est une odeur qui apparaît même parfois avant qu'ils ne meurent vraiment.
02:35Et puis alors, il y a toute la dégradation, puis très factive.
02:37C'est une odeur qui est absolument atroce.
02:39À laquelle vous vous êtes habitué, vous ?
02:41Moi, je ne m'y habite pas.
02:41Non, non, à chaque fois, je dois m'y refaire.
02:43C'est-à-dire que quand je rentre dans la pièce où se trouve le corps, je tourne autour.
02:47Je prends le temps de m'habituer à l'odeur.
02:49De vous imprégner de l'odeur, c'est dur à dire.
02:51C'est insupportable.
02:52Est-ce qu'un corps mort peut encore bouger ?
02:56Alors, c'est une très bonne question, comme j'ai posé quelques fois.
02:59Et il peut effectivement encore bouger, pas faire des mouvements,
03:03mais des petits tremblements, ce qu'on appelle des fasciculations.
03:06Ce sont des petits groupes musculaires qui se contractent.
03:09Ça nous a d'ailleurs venu une plainte, une fois,
03:10parce que dans le service d'urgence, le monsieur était mort.
03:14Sa famille est venue le voir et était persuadée qu'il vivait toujours
03:17parce qu'il y avait encore des petites fasciculations.
03:19Incroyable. Est-ce que vous parlez, vous, aux morts que vous autopsiez ?
03:22Ah non, non, non, non, non, non.
03:24Vous ne leur adressez pas la parole ?
03:25Mais non, ils n'entendent pas, ça ne sert à rien.
03:26Non, mais vous pourriez, vous, ça pourrait vous donner,
03:28je ne sais pas, une espèce d'inspiration ou de...
03:30Ah, j'ai besoin de ça.
03:32Non.
03:32Ce qui m'inspire, moi, c'est d'aller à la recherche de quelque chose,
03:35d'aller chercher, vous voyez ?
03:36Donc, ce qui m'inspire, c'est vraiment ça, c'est mon boulot.
03:38Parler aux morts, je pense bien qu'ils ne m'entendent pas.
03:41Et de toute façon, une fois que je vais retirer le cerveau,
03:42c'est sûr, ils n'entendent plus.
03:44Est-ce que vous pensez, on l'évoquait tout à l'heure,
03:47qu'il y a une vie après la mort ?
03:49Ou est-ce que vous ressentez, peut-être, dans les salles d'autopsie,
03:52l'âme des morts autour de vous, des choses peut-être un peu paranormales ?
03:57Il y a un gars qui a fait une expérience pour savoir si on avait une âme.
04:03Et il espérait, entre avant la mort et après la mort,
04:05qu'il y ait une disparition de poids, une perte de poids.
04:08Cette expérience a été foirée, mais ce n'est pas très grave.
04:10C'était une idée.
04:11Vous, votre ressenti quand vous êtes là dans cette pièce ?
04:14Moi, je suis persuadé qu'il n'y a rien après.
04:16Mais je serais très heureux s'il y avait quelque chose après.
04:19En plus de 30 ans d'autopsie, vous avez à peu près tout vu,
04:22ce que vous racontez dans vos livres.
04:23Un agriculteur qui fait disparaître sa femme en la jetant dans l'eau,
04:26au cochon, une ancienne bouchère qui brûle son ex-mari chez elle
04:30après l'avoir découpée comme une volaille.
04:31Une femme qui rencontre un homme sur un site de rencontre,
04:34qui va le voir chez lui et qui ne ressortira jamais vivante.
04:37Si vous ne deviez choisir qu'une histoire à nous raconter ce matin,
04:40rapidement, laquelle ce serait ?
04:42Ce serait celle que vous n'avez pas racontée,
04:44celle d'un mort qui était vivant.
04:47C'est un policier, des policiers qui m'appellent en me disant
04:49« Viens vite, il y a un mort, j'arrive ».
04:51Et c'est une personne qui vit seule à domicile.
04:54Elle porte un veston comme moi ce matin,
04:56est couchée sur le ventre.
04:57Et quand j'arrive, je constate qu'il n'est pas mort.
04:59Les policiers l'ont fait réveiller sans faire exprès.
05:02Ils pensaient qu'il était mort.
05:04Ils ont voulu vérifier son identité.
05:06Donc, ils ont passé la main entre le sol et le cadavre
05:09pour aller chercher son portefeuille dans la poche.
05:11Et quand le policier a retiré le portefeuille,
05:13le cadavre lui a attrapé le bras.
05:14Ça a été la truie de sa vie.
05:16À chaque fois qu'on allait voir des cadavres ensemble,
05:18il me donnait son flingue.
05:19Avant, il me dit « Écoute, j'ai failli dégainer, donc je te donne mon flingue ».
05:22Vous écrivez « Ce que j'affectionne par-dessus tout,
05:25c'est d'aller à la découverte des traces et des indices
05:28de tous ces éléments qui permettent de donner une dernière fois
05:31la parole aux morts et de les écouter dans ce qu'ils ont à dire. »
05:34Est-ce qu'il y a un mort célèbre ou un corps célèbre
05:37que vous auriez aimé pouvoir examiner dans l'histoire ?
05:41Napoléon.
05:43Napoléon ?
05:43Napoléon, parce qu'on se pose toujours aujourd'hui la question de savoir
05:45s'il est mort intoxiqué par le cyanure ou pas.
05:48L'arsenic, pardon.
05:49Par l'arsenic ou pas.
05:50Et voilà.
05:52Aujourd'hui, on a des techniques autopsies qui nous permettraient de le démontrer.
05:55Donc si on avait accès au corps de Napoléon, et on pourrait,
05:58parce qu'il est encore conservé aux Invalides,
06:00on pourrait peut-être ouvrir et aller voir.
06:01Alors en ce moment…
06:02Mais ce n'est pas trop tard, là, des décennies ?
06:05Comme je dis toujours, c'est comme une boîte de chocolat.
06:07Quand vous déterrez un cadavre, c'est jamais sur quoi vous allez tomber.
06:10Et il peut être intact, il peut être franchement putrifié,
06:12il peut être dans tous les états qu'on imagine.
06:15Est-ce que vous avez peur de mourir, vous ?
06:16Non.
06:18C'est inutile.
06:19On va mourir.
06:20À quoi ça sert d'avoir peur de quelque chose qui va de toute façon arriver ?
06:22Donc ce métier vous a anesthésié ?
06:25Un peu, c'est vrai.
06:26Et si jamais vous deviez être examiné par un médecin légiste après votre mort…
06:30Une belle femme.
06:30Qu'auriez-vous envie de lui dire ?
06:32Travaille bien, sois observatrice.
06:35Et vous préférez que ce soit une femme ?
06:36Oui, je dis ça comme ça, je ne la verrai plus, c'est dommage.
06:40Merci beaucoup, Philippe Orso, d'être venu sur le plateau de Télématin.
06:43Je rappelle donc votre livre « Entretien avec un cadavre ».
06:46C'est aux éditions Kenes.
06:47Avant lui, il y a eu « Les morts ont la parole », qui est tout aussi passionnant.
06:50La version audio est disponible.
06:52Vous en préparez un pour le mois d'août.
06:54C'est ça.
06:54Ce sont toujours des best-sellers.
06:56C'est absolument délicieux, c'est difficile à dire,
06:58mais c'est la réalité de lire vos anecdotes.
07:01Merci mille fois d'être venu sur le plateau de Télématin.
07:04Merci, merci à tous les deux.
07:05On se retrouve dans quelques instants.
07:06Restez avec nous.