L’interview d’actualité - Pr David Cohen

  • il y a 4 mois
L'invité de Maya Lauqué est le professeur David Cohen, chef du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'hôpital de la Pitié Salpetrière, à Paris.

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Transcription
00:00 -Cohen. -Bonjour, Maya.
00:01 -Merci d'être avec nous. Je précise que vous pilotez aussi la création de l'Institut Idéal,
00:05 qui est le plus grand réseau français de prise en charge des enfants et adolescents
00:09 en questionnement d'identité de genre, un sujet sur lequel on entend beaucoup les politiques,
00:13 en ce moment assez peu les médecins, donc on avait envie de vous inviter ce matin
00:17 pour peut-être aussi casser quelques clichés.
00:20 Celui-ci, par exemple, est-ce que vous diriez, comme on l'entend souvent,
00:23 qu'il y a une mode, voire on entend aussi épidémie, autour des questions de genre et de transidentité ?
00:30 -Non, je ne parlerai pas d'épidémie. Par contre, il y a effectivement une modification
00:36 dans la société que les adultes, puisque les politiques sont tous des adultes, doivent entendre,
00:40 c'est qu'aujourd'hui, le genre s'est modifié et que maintenant, pour les jeunes, c'est un continuum.
00:47 La vision binaire du genre n'existe plus dans la jeunesse contemporaine,
00:51 pour une partie en tout cas d'entre elles, et donc on est passé dans un genre non-binaire
00:56 et vous avez des jeunes qui disent qu'ils sont 10% filles, 70% garçons, 20% neutres, etc.
01:04 Vous avez tous les combinatoires possibles, mais tous ces jeunes qui sont en questionnement non-binaire
01:10 ne sont pas des jeunes qui vont demander à transitionner,
01:13 c'est-à-dire à changer le sexe biologique qu'ils avaient à la naissance.
01:17 -On va en parler, mais c'est vrai qu'on en fait tous l'expérience autour de nous, dans nos familles,
01:22 nos cercles d'amis, avec chez les ados, parfois même chez les enfants un peu plus jeunes,
01:28 ces discussions autour du genre et beaucoup d'adultes ne savent pas trop comment écouter
01:35 ou comment réagir. Est-ce que ces questions-là, elles sont récentes chez nos enfants et nos ados ?
01:41 -Alors, les questions, elles ne sont pas récentes puisque la problématique est ancienne,
01:46 mais c'est vrai que dans les sociétés occidentales, qui ne répriment pas, encore une fois,
01:52 les réflexions autour des droits des femmes, parce que n'oublions pas que toutes ces questions
01:57 des droits des minorités viennent d'abord du droit des femmes, ensuite des droits des gays et lesbiennes,
02:02 et maintenant sur les droits des trans. Donc dans les sociétés occidentales,
02:07 c'est un questionnement récent, mais c'est vrai que ces modifications, encore une fois,
02:11 sur le genre non-binaire, elles sont plus récentes et elles activent finalement beaucoup de contradictions
02:19 entre le point de vue des adultes et le point de vue de la jeunesse, mais ce n'est pas le seul sujet
02:23 sur lequel les adolescents contestent le point de vue des adultes, puisque l'adolescence,
02:28 par définition, aime bien contester. -Evidemment. Alors, vous allez peut-être
02:33 aider les adultes qui nous regardent sur des termes précis. Est-ce que dysphorie de genre
02:39 et transidentité, c'est la même chose ? -Non, ce n'est pas la même chose.
02:43 En fait, vous avez plusieurs termes. Incongruence de genre, c'est le fait que quelqu'un
02:47 ne se sente pas à l'aise dans le corps qui est le sien et qui correspond en général au sexe biologique
02:54 et qui, du coup, souhaite avoir l'autre genre. La transition, c'est le fait de faire ce chemin
03:02 entre le sexe biologique qui a été assigné à la naissance et le fait d'accéder à l'autre genre.
03:09 Et puis la dysphorie de genre, puisque c'est la question que vous me posiez, c'est le fait que
03:13 quand on ressent une incongruence de genre, on en ressent une souffrance spécifique.
03:19 Et nous, psychiatres, finalement, c'est ces personnes-là surtout qu'on voit,
03:22 puisque quand elles ont une souffrance, elles vont aller chercher de l'aide.
03:26 Mardi soir, le Sénat a adopté un texte controversé qui vise à encadrer,
03:31 ou fortement restreindre, les transitions de genre avant 18 ans.
03:35 Que pensez-vous de cette mesure ?
03:38 Alors, il y a beaucoup d'aspects dans cette loi et puis il y a aussi beaucoup de, comment dire,
03:44 d'étapes dans la décision qui a conduit les politiques à prendre cette proposition de loi
03:48 qui maintenant a été votée au Sénat, mais pas encore complètement acceptée.
03:53 Et il y a beaucoup d'absurdités dans cette loi.
03:56 D'abord, ce qui a fait l'enjeu pour les sénateurs, c'est une forme d'inquiétude
04:03 concernant les filles adolescentes, puisqu'on a constaté qu'un certain nombre de filles à l'adolescence
04:12 venaient plus nombreuses dans ces consultations pour demander une transition identitaire.
04:18 Mais ça reste quelques centaines d'adolescentes en France.
04:20 C'est ce que j'allais vous demander, pardon je vous interromps, mais on a l'impression,
04:24 quand on entend certains débats, que vos salles d'attente sont pleines,
04:29 qu'il y a un déferlement de consultations pour demander une réassignation sexuelle.
04:34 Est-ce que c'est le cas ?
04:34 Non, ce n'est pas du tout le cas.
04:36 Et d'ailleurs, moi je fais partie d'une des rares équipes qui publie ces chiffres très régulièrement,
04:41 et d'ailleurs ils sont cités dans la presse régulièrement.
04:43 On parle d'une centaine d'adolescents et d'adolescentes en France.
04:49 Et c'est la même chose en Angleterre, c'est la même chose en Suède,
04:51 on a des données épidémiologiques beaucoup plus solides.
04:53 Donc une centaine de consultations, d'opérations ?
04:58 Non, non, non, c'est des consultations.
04:59 Après, loin s'en faut, tous vont transitionner, et loin s'en faut, tous vont…
05:04 parce qu'il y a plusieurs, encore une fois, étapes dans la transition,
05:07 et elles ne sont pas toutes conduites à terme.
05:10 Il y a des transitions sociales, des transitions hormonales,
05:14 c'est sur quoi d'ailleurs insiste la loi,
05:17 et puis des transitions chirurgicales, mais les transitions chirurgicales
05:19 sont quasiment inexistantes à l'adolescence.
05:21 Donc c'est un sujet qui est un faux débat.
05:24 Mais si vous voulez, les différentes étapes
05:26 qui concernent cette inquiétude par rapport aux filles,
05:31 elles ont conduit finalement à l'idée qu'il fallait,
05:35 pour possiblement quelques erreurs médicales,
05:39 puisque c'est toujours, vous savez, il y a toujours un bouc émissaire
05:41 quand on prend une décision, donc c'est les docteurs qui sont bouc émissaires de tout,
05:43 mais les pédopsychiatres ont l'habitude d'être bouc émissaires.
05:46 Et donc on se trompe.
05:47 Mais qui ne se trompe pas dans la vie ?
05:49 Donc pour quelques erreurs,
05:50 puisqu'il y a des adultes qui ont regretté cette transition,
05:55 à ce moment-là, on va interdire les soins pour le plus grand nombre,
06:00 mais je voudrais rappeler quand même un chiffre si vous me permettez,
06:02 c'est que le risque de suicide dans les dysphories de genre,
06:06 il est 13 fois plus élevé chez les filles que la population générale.
06:13 Et je ne parle pas de tentative de suicide, je parle de suicide.
06:16 Donc c'est de suicide complété.
06:18 Et chez les garçons, il est 5 fois plus élevé.
06:20 Donc il faut prendre en charge ces jeunes.
06:23 On ne peut pas dire on va interdire uniquement pour des raisons idéologiques.
06:28 Le deuxième élément qui est totalement absurde,
06:30 dans la dernière version que j'ai vue de la loi,
06:32 mais encore une fois il y a eu plein d'amendements,
06:34 c'est qu'on nous dit, au départ on devait interdire les bloqueurs de puberté.
06:38 Il semble qu'il y ait eu un amendement qui nous dise
06:39 on va les utiliser pour des projets de recherche.
06:42 Mais on interdit les hormones qui permettent d'accéder au genre désiré.
06:47 C'est-à-dire les hormones masculines quand on veut devenir homme,
06:51 ou les hormones féminines, ou les blocages d'hormones masculines
06:55 quand on veut devenir femme.
06:57 Mais bloquer la puberté, c'est quelque chose qui est temporaire.
07:02 On le fait que pour un ou deux ans, le temps d'attendre,
07:04 de comprendre ce qui se passe,
07:06 et puis aussi d'éviter des transformations corporelles trop importantes
07:09 qui angoissent énormément certains jeunes,
07:12 et qui vont, s'ils vont jusqu'au bout de la transition,
07:14 nécessiter de la chirurgie justement.
07:17 Donc c'est absurde de dire qu'on va bloquer la puberté,
07:19 puisqu'en général on bloque la puberté entre 12 et 14 ans,
07:22 parce qu'après elle est déjà entamée,
07:24 pendant 6 ou 7 ans.
07:26 Personne ne le fait dans le monde.
07:28 Donc en fait la loi, médicalement parlant, ne tient pas la route.
07:31 On a bien compris les enjeux autour de cette loi,
07:33 et on y reviendra, mais c'était aussi important de pouvoir poser des mots,
07:37 et la réalité de ce que vous vivez, vous, en tant que pédopsychiatre.
07:41 Merci beaucoup d'avoir été avec nous, Professeur David Cohen.

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