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Le directeur du Festival d'Avignon Tiago Rodrigues déplore le manque de considération des candidats aux élections européennes pour le culture et les arts. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mardi-04-juin-2024-8240186

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Transcription
00:00 Sonia De Villere, votre invitée ce matin est auteur, metteur en scène et directeur du Festival d'Avignon.
00:06 Voilà, et nous l'avons invitée pour parler théâtre, mais pour parler d'Europe aussi.
00:11 Bonjour Thiago Rodrigues.
00:12 Bonjour.
00:13 Vous, le portugais né à Lisbonne, vous formé au théâtre par un collectif flamand de Anvers,
00:18 vous, directeur du plus grand festival français, vous sur le point de réinterpréter une tragédie grecque.
00:25 Parlez de culture européenne, ça a du sens pour vous ?
00:29 Absolument, l'Europe c'est un siècle de diversité culturelle,
00:33 siècle de corps différents qui se rencontrent,
00:36 de idées brassées dans la confusion heureuse de la traduction.
00:40 Et c'est pour ça aussi que c'est important aujourd'hui, quelques jours avant les élections européennes,
00:47 de se rappeler de l'importance de la culture et des arts
00:51 comme outils de construction d'une idée de démocratie européenne et de projet européen.
00:56 C'est ça, parce que vous le portugais qui dirigez un grand festival en France,
01:00 vous vous êtes associé à Boris Charmaz, qui est un grand danseur français et chorégraphe français
01:04 qui dirige un lieu très célèbre en Allemagne, la troupe de Pina Bausch.
01:09 Et vous signez ensemble une tribune dans Libération pour dire mais où est la culture
01:13 dans le débat et la campagne électorale avant ces élections européennes ?
01:16 Nulle part.
01:17 Nous sommes fruits Boris et moi, lui à Tence Theatre Voupertal,
01:22 moi au Festival d'Avignon en tant qu'étranger dans d'autres pays européens.
01:26 Précisément de cette Europe de la circulation d'idées et personnes, de diversité culturelle,
01:31 de rencontres qui fait qu'il y a un portugais avec son accent un peu étrange
01:36 qui est aujourd'hui dans la matinale de France en Terre.
01:38 Et c'est cette Europe qu'on souhaite continuer à soutenir.
01:42 Et on est perplexe de ce silence assourdissant des candidats,
01:46 pas seulement en France, au Portugal, en Allemagne, un peu dans toute l'Europe.
01:50 Ce silence assourdissant sur la culture et l'Europe et les arts
01:54 à un moment où la défense des valeurs d'un projet européen est nécessaire.
01:59 Et on sait que c'est aussi important d'inventer des nouveaux récits pour l'Europe.
02:03 Et ça, c'est un superpouvoir des arts et de la culture.
02:05 C'est d'inventer les débuts où la fin paraissait inévitable.
02:09 Alors, nommé directeur du Festival d'Avignon, Tiago Rodriguez,
02:12 vous décidez d'y inviter des langues étrangères.
02:15 Cette année, ce sera l'espagnol.
02:17 Mais vous avez commencé par l'anglais, comme pour réparer une erreur historique
02:21 des Anglais qui sortaient de l'Europe.
02:24 On voudrait, l'année dernière, en invitant l'anglais comme langue invitée du Festival d'Avignon,
02:29 dire que l'Europe continentale, ou comme les Anglais l'appellent aujourd'hui l'Europe, tout court,
02:34 était solidaire, attentive, curieuse.
02:36 Et que les erreurs et les murs qui étaient construits par des erreurs politiques
02:41 et par des démagogies et des nationalismes de fermeture
02:44 seraient contrariées par la curiosité des artistes et des publics passionnés de la culture.
02:49 C'est ça aussi, la culture, être solidaire avec ceux que les erreurs politiques éloignent de nous.
02:55 Et le Festival d'Avignon, avec presque 80 ans d'histoire,
02:58 c'est un exemple de cette curiosité du monde
03:01 qui fait que l'exception culturelle française, c'est une exception de la diversité culturelle.
03:05 Mais je vous pose une question à la fois enthousiasmante, Tiago Rodriguez,
03:09 et en même temps cruelle.
03:11 C'est-à-dire, que peut l'art, que peut le théâtre, que peut la culture face à la montée des extrêmes ?
03:17 Le Festival d'Avignon par exemple, parce que c'est ce champ-là de possibilités
03:21 où j'ai le privilège de travailler aujourd'hui,
03:24 c'est une antichambre de débat pour la société.
03:27 On vit en Festival d'Avignon pour le plaisir de la découverte des arts,
03:30 mais aussi pour pouvoir vivre le débat qui empêche qu'on se bat.
03:34 Et c'est ça la clé de la culture et des arts,
03:37 c'est ce lieu où on peut parler autrement avec la poésie, de la fiction, du monde,
03:42 de la façon dont on s'organise dans la société.
03:44 Je reviens au Portugal par exemple, puisque vous êtes portugais.
03:47 Vous avez récemment créé cette pièce « Jouer en portugais »
03:52 qui a fait couler beaucoup d'encre,
03:54 « Catarina ou la beauté de tuer des fascistes ? »
03:57 Titre éminemment polémique, l'électrochoc c'est ce que vous vouliez,
04:01 une sorte de farce dystopique qui s'achevait par un monologue ultra réactionnaire
04:06 et ça faisait remuer la salle.
04:09 Et voilà que dans le même temps, dans votre pays,
04:14 les Portugais ont élu 50 députés issus d'un parti d'extrême droite
04:18 qui puisent dans la nostalgie de la dictature de Salazar.
04:22 « La fin de l'exception portugaise » a-t-on dit.
04:25 Le Portugal n'est plus immunisé contre l'extrême droite.
04:29 Il y a un sentiment parfois d'impuissance chez l'artiste que vous êtes ?
04:33 Je pense qu'il y a un sentiment d'impuissance chez la démocratie et les démocrates
04:38 vis-à-vis comment dialoguer avec cette menace antidémocratique
04:42 qui évolue de la démocratie.
04:46 Je pense que la culture et les arts, si l'artiste le souhaite,
04:49 parce que pas tous les artistes sont obligés d'être impliqués tellement avec la société,
04:53 moi je m'inscris là, le citoyen que je suis se exprime aussi dans mon travail artistique,
04:59 c'est l'espace de l'antichambre de l'action.
05:02 Le théâtre n'est pas de la politique, même s'il a une dimension politique,
05:05 mais c'est le lieu où on pense autrement pour pouvoir possiblement influencer.
05:11 Mais effectivement, le théâtre ne suffit pas.
05:14 Si le théâtre suffirait, je pense que « Catarina »,
05:18 cette pièce que j'ai créée au Portugal et qui tourne un peu partout dans le monde,
05:21 aurait influencé un peu plus l'évolution de la politique portugaise.
05:25 Mais je fais ça pour partager des questions,
05:28 en sachant qu'on sonne aussi le théâtre à cette capacité de sonner des cloches
05:33 et de nous faire débattre aujourd'hui les menaces de l'avenir.
05:37 - Et juste un petit mot pour dire que cette année,
05:39 c'est le 50e anniversaire de la révolution des œillets,
05:42 qui a donc renversé la dictature au Portugal,
05:45 et que quand vous vous êtes installé il y a deux ans à Avignon,
05:49 vous avez planté des œillets dans votre jardin.
05:51 - Je le fais encore, toutes les années je plante des œillets.
05:53 Oui, c'est ma fleur préférée pour des raisons familiales, politiques, etc.
05:58 Et je pense que planter des œillets à Avignon, dans du territoire français,
06:03 c'est aussi pour moi une réponse au fait que,
06:06 par exemple, si je pense à mon père qui était exilé de la dictature fasciste au Portugal,
06:10 et qui a été accueilli à Paris pendant les années 60,
06:13 je vis quand même mon engagement, disons,
06:16 c'est aussi une dette envers les valeurs républicains, démocratiques et d'hospitalité de la France.
06:21 Et quand je me bats pour certaines valeurs au Festival d'Avignon,
06:24 évidemment, je me bats pour les valeurs du Festival d'Avignon,
06:27 mais j'ai la chance aussi de pouvoir payer ma dette.
06:29 - Alors ce festival, il ouvrira le 29 juin.
06:32 C'est plus tôt que d'habitude, parce qu'il vous faut finir plus tôt que d'habitude.
06:35 Pourquoi ? Parce que, évidemment, nous accueillons les Jeux Olympiques,
06:38 les forces de l'ordre ne peuvent pas se répartir partout sur le territoire.
06:42 Vous, vous annoncez plus de participation pour des groupes scolaires,
06:45 puisque, évidemment, les collèges et les lycées, les enfants ne seront pas encore en vacances.
06:48 Vous annoncez plus de place pour le public local,
06:50 mais les professionnels s'inquiètent.
06:52 Est-ce qu'il n'y aurait pas moins de fréquentations cette année ?
06:55 Parce que, justement, la France n'est pas encore en vacances.
06:57 - Évidemment que commencer le festival plus tôt, c'est un défi pour nous.
07:03 Il y avait l'hypothèse, à un moment donné, de le raccourcir.
07:06 On était contre cette hypothèse.
07:07 On pense que le territoire, le public et les artistes méritent un festival à l'échelle normale,
07:13 même avec deux jours de plus que d'habitude.
07:15 Et on a prolongé le festival en commençant une semaine plus tôt.
07:19 - Évidemment, des inquiétudes sont justifiées, car la France n'est pas encore en vacances.
07:23 Est-ce que le public sera au rendez-vous ?
07:25 On a mis en place des stratégies, notamment le travail avec les écoles.
07:29 On travaille avec plus de 100 collèges, lycées du territoire.
07:32 Et finalement, on va pouvoir inviter les enseignants et les étudiants à venir au spectacle du festival,
07:37 ce qui est inhabituel.
07:39 Alors là, on voit une opportunité.
07:41 Et aussi, on peut dire que depuis le 6 avril, on a ouvert la bièterie.
07:45 Et c'est peut-être aussi mérite des artistes et de la programmation qui est très enthousiasmante.
07:50 Mais on voit que les ventes sont à la hauteur normale.
07:53 Et on a moins d'inquiétudes à ce moment.
07:55 - Alors vous avez créé "Ecube, pas Ecube".
07:58 Ce sera votre prochaine pièce, Thiago Rodríguez.
08:01 Une réécriture d'une tragédie grecque de ripides.
08:04 Avec la troupe de la comédie française, avec Elsa Le Poivre, avec Denis Podalides.
08:09 Bon, la comédie française, je dis tout.
08:11 En coulisses, vous m'avez dit "c'est comme entraîner le Real Madrid du théâtre".
08:15 - Voilà, voilà.
08:17 - Et c'est le portugais qui parle !
08:18 - J'avais dit en coulisses que je ne le dirais pas publiquement.
08:22 Mais oui, c'est l'équivalent comme un coach de foot d'entraîner le Real Madrid.
08:26 Rien contre le PSG, je suis désolé.
08:28 Mais voilà, c'est vraiment comme entraîner le Real Madrid.
08:33 C'est une énorme qualité artistique.
08:35 Mais c'est aussi une maison qui a cette capacité d'accueillir et de se mettre au service
08:40 de la vision des artistes qui la visitent.
08:42 C'est un énorme plaisir d'y travailler.
08:46 C'est une énorme fierté aussi, en étant portugais, de faire ma première création
08:50 au Festival d'Avignon avec la comédie française.
08:52 - Merci Thiago Rodrigues.
08:54 Je rappelle que le Festival d'Avignon ouvre le 29 juin.

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