Aujourd'hui, Charles a choisi celle de Clara : " il y a parfois une différence très mince entre une habitude ennuyeuse et une habitude délicieuse… Qu’est-ce qui distingue une bonne habitude d’une mauvaise habitude ?"
La question philo par Charles Pépin dans le 6/9 de France Inter (15 Juin 2024)
Retrouvez toutes les chroniques de Charles Pépin sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-de-charles-pepin
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00:00Chère Clara, qui vous dit qu'il y a parfois une différence très mince, très ténue entre
00:05une habitude ennuyeuse et une habitude délicieuse, qu'est-ce qui distingue une bonne habitude
00:10d'une mauvaise habitude, Charles ?
00:11Eh bien, une bonne habitude, chère Clara, est une habitude qui vous ouvre à plus de
00:14délicatesse, plus de plaisir, plus d'aisance ou plus de connaissances.
00:18C'est donc une répétition, mais qui vous permet de sortir de la répétition puisqu'elle
00:22vous permet de progresser.
00:23Exemple ?
00:24Prenons un exemple.
00:25Si vous voyez votre psy tous les mardis à 19h et que cette répétition vous permet
00:28de vous libérer…
00:30Et que cette répétition vous permet de vous libérer de certains symptômes, de mieux
00:33vous connaître, de vous rapprocher de votre désir, alors il s'agit d'une bonne répétition,
00:38une répétition qui prépare le terrain pour cet événement qui est la sortie de la répétition.
00:43Autre exemple ?
00:44Si vous faites du yoga le samedi après avoir écouté la matinale ou partez courir tôt
00:47le matin trois fois par semaine, vous répétez une pratique qui vous permet de mesurer votre
00:52progression.
00:53Il faut bien que quelque chose se répète pour que l'on puisse mesurer ce qui ne se
00:57répète pas, ce progrès qui rend le chemin de notre vie si appréciable.
01:01Ça veut dire qu'il n'y a pas de bonne habitude qui ne s'accompagne pas d'une
01:05progression.
01:06Quand j'aime retrouver tous les étés, par exemple, dans votre cas, votre maison
01:10de vacances, votre bande d'amis parce que vous en avez beaucoup, vous ne progressez
01:14pas nécessairement et pourtant, on peut dire que c'est une bonne habitude, non ?
01:17Et bien, je crois que même là, l'habitude est intéressante précisément quand les
01:21choses ne se répètent pas à l'identique mais se répètent toutefois assez pour que
01:25nous puissions saisir les différences, les nuances, tous ces changements qui sont
01:29justement la vraie vie.
01:30J'ai bien compris, Ali, votre référence à la maison de vacances que l'on aime retrouver,
01:34mais si cette habitude est délicieuse, c'est justement parce qu'elle offre des repères
01:40permettant de saisir la vie qui passe et nous affecte, les enfants qui grandissent, les
01:44amis qui vieillissent, les goûts qui évoluent, la perception qui s'affine.
01:47Dans le meilleur des cas, comme l'a montré le philosophe Félix Ravesson dans son petit
01:52bijou, le chef-d'œuvre bien nommé « De l'habitude ». Petit livre du 19ème siècle
01:57qui est savoureux mais qui est difficile à lire, on peut le dire comme de la poésie
02:00un peu elliptique.
02:01Et bien, il nous dit, Félix Ravesson, que l'habitude est l'occasion d'un raffinement
02:05de notre sensibilité, de développer ce que David Hume appelle « notre délicatesse ».
02:10L'esthète délicat a l'habitude de regarder les tableaux et c'est pourquoi il apprend
02:14et nous apprend à les voir autrement.
02:16Le beau geste du danseur comme celui de l'athlète a été si souvent répété qu'il est rempli
02:21de grâce et de légèreté.
02:23Impossible, encore une fois, sans l'habitude, de parvenir à cette grâce, de parvenir à
02:29cette délicatesse.
02:30La délicatesse.
02:31Alors bon, on connaît votre optimisme, votre amour de la joie et des passions heureuses.
02:37L'habitude, c'est aussi ce qui est répétitif, ce qui est vraiment ennuyeux, ce qui est triste.
02:42C'est ce que chante Claude François comme...
02:45Comme d'habitude.
02:46Comme d'habitude.
02:47Je ne chanterai pas.
02:49Eh bien oui, c'est vrai et ce sera ma réponse à Clara.
02:51Là où la bonne habitude éveille la sensibilité, la mauvaise habitude l'endort.
02:56La bonne habitude ne nous rend plus vivants, la mauvaise au contraire est morbide, mortifère.
03:00Elle entrave cette vie que la bonne habitude suscite et même révèle.
03:04Mais Clara a raison, la frontière est parfois ténue.
03:07Dans la sensualité par exemple, dans ces habitudes des corps qui se retrouvent, ça
03:11se joue parfois à rien.
03:12La bonne répétition nous ouvre à l'autre et à nous-mêmes, nous rend plus sensibles,
03:16plus délicats, plus attentifs et le plaisir n'en est que plus grand.
03:19Mais la mauvaise habitude nous enfonce dans l'ennui et nous coupe de l'autre.
03:23Elle est une répétition qui ne prépare le terrain d'aucun événement, d'aucun avènement.
03:28Soit la même que chante en effet Claude François, une routine qui sent la mort.
03:32Mais ne finissons pas sur une telle note mortifère et préférons à l'original de Claude François
03:38la sublime reprise de Nina Simone par lequel le sens de la chanson se trouve comme inversé.
03:43« My way ».
03:47« Much more than this, I did it my way »
03:57Sublime ! Vous avez entendu, non ? C'est le contraire de quelqu'un qui s'enfonce
04:01dans la morne routine.
04:02C'est le chant de quelqu'un qui se libère, « I did it my way », de quelqu'un qui
04:05apprend à faire les choses à sa manière, ce qui est la plus belle définition de la
04:09liberté.
04:10Mais comment réussit-on à faire les choses enfin à sa manière, à devenir soi-même,
04:14à exprimer sa personnalité ?
04:15Eh bien, par la grâce de cette habitude, de cette bonne répétition qui nous donne
04:20confiance et nous donne parfois la force de tenter de grandes choses, des choses inhabituelles.