• il y a 7 heures
À 9h20, Marina Foïs est l'invitée de Léa Salamé pour la pièce “Les Idoles", écrite et mise en scène par Christophe Honoré, à partir du 18 janvier à Paris au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-mercredi-15-janvier-2025-1360433

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00:00Et Léa Salamé, ce matin, vous recevez une actrice.
00:06Bonjour Marina Feuss, bienvenue, bienvenue sur Inter dans le studio.
00:10Je commence par mes questions rituelles.
00:12Si vous étiez un acteur, un livre, un défaut et un paysage, vous seriez qui ? Vous seriez
00:17quoi ? Alors un acteur d'abord, parce que je sais que vous les adorez, vous les postez
00:20en permanence sur Instagram, les acteurs et les actrices.
00:22J'aime les acteurs et les actrices, j'aime mes collègues.
00:25Alors je serais Paul Kercher, je serais très jeune, j'aurais de l'audace, de la liberté,
00:32un avenir radieux, un rire cristallin, de la profondeur, de la poésie, je serais super
00:37sexy et extrêmement sympa.
00:39Et vous seriez donc sur scène avec Marina Feuss ?
00:41Je serais sur scène et je jouerais Coltess et j'aurai la chance de partager le plateau
00:44avec Marina Feuss, une star.
00:46Parce que c'est le cas, le petit jeune Paul Kercher que vous étiez, qui avait crevé
00:50l'écran dans Le Règne Animal et dans Nos Enfants Après Eux, partage la scène avec
00:56vous dans la pièce.
00:57On l'avait découvert dans le film d'Honoré, le lycéen.
01:02Un livre, si vous étiez un livre ?
01:03Oh ben là je suis tellement dedans, je serais à l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie de
01:08Guy Bermes parce que comme moi je suis monomaniaque et que la première est dans 4 jours, c'est
01:12la seule réponse qui me vient.
01:13Eh ben on va en parler, et notamment de ce texte-là.
01:14Si vous étiez un défaut ?
01:16Alors je pourrais être plein de défauts, je pourrais être la colère, qui est parfois
01:23pratique, qui est parfois un moteur mais qui est pesante à vivre.
01:26Je ne serais pas la paresse, je pourrais être l'obsession, je peux avoir quelque chose
01:34d'assez obsessionnel qui est un peu chiant.
01:37Et enfin, un paysage ?
01:39Je serais soit la baie de Naples ou peut-être la Toscane qui vient d'arriver dans ma vie,
01:47quelque chose comme ça.
01:48L'Italie donc.
01:49Marina Feuss, près de 30 ans que vous êtes dans notre paysage culturel, des robins des
01:52bois au film d'Alain Chabat en passant par Police, La Syndicaliste, Asbestas, vous passez
01:57de genre en genre, de la comédie au drame, du cinéma au théâtre en passant aussi parfois
02:01par la télé, que ce soit dans les parodies de Jérôme Commander ou comme présentatrice
02:04des Césars.
02:05Vous aimez bien naviguer, passer de genre en genre, surtout pas rester dans une catégorie,
02:09dans un rôle, dans un type de… Vous aimez surprendre et vous surprendre aussi ?
02:13Déjà moi comme spectatrice, je vais beaucoup au cinéma et j'ai des goûts très éclectiques
02:19et je peux aussi regarder des trucs merdiques sur des plateformes merdiques.
02:24Je n'ai pas de…
02:25Comme quoi ?
02:26Non mais moi je regarde de tout et je peux aimer des choses très différentes.
02:30Et après moi j'ai la phobie de l'ennui quasiment depuis ma naissance.
02:34Donc il faut absolument que je trouve des choses à faire qui me…
02:38Qui vous stimulent ?
02:39Et puis j'ai la phobie de l'ennui et la phobie du confort parce que je pense que le
02:43confort, le savoir-faire, la technique, tout ça sont des ennemis pour le jeu, pour avancer,
02:52pour se renouveler, tout ça.
02:54Donc oui, et j'ai la chance quand même de recevoir des propositions très différentes
02:59ce qui n'est pas le cas de tout le monde.
03:01Ça c'est le luxe ultime de ma vie et je ne sais pas à qui je le dois donc je suis
03:05globalement reconnaissante à la vie.
03:07A la vie.
03:08Vous êtes donc l'un des personnages des Idoles, cette pièce de Christophe Honoré
03:12qui avait été montée il y a cinq ans, qui avait triomphé à l'époque et pour laquelle
03:15vous aviez remporté le Molière de la meilleure comédienne dans un spectacle de théâtre
03:18public.
03:19Et elle revient, cette pièce, donc dans quatre jours, samedi jusqu'au 6 avril au théâtre
03:23de la Porte Saint-Martin à Paris.
03:24Les Idoles, ce sont les Idoles de Christophe Honoré, six hommes, six artistes dont il
03:29imagine la rencontre imaginaire et posthume, Jacques Demy, Bernard-Marie Coltès, Hervé
03:33Guibert, Cyril Collard, Serge Danet et Jean-Luc Lagarce, tous les six homosexuels et tous
03:38les six morts du sida.
03:40Vous jouez l'un d'entre eux, un homme, Hervé Guibert.
03:42Quand Christophe Honoré vous a dit « tu vas jouer Hervé Guibert Marina », vous lui
03:47avez dit quoi ? Ça va pas la tête ?
03:48Non, je lui ai dit oui quasi immédiatement parce que c'est Christophe Honoré que j'aime
03:54beaucoup son travail au cinéma, que j'adore son travail au théâtre parce que la forme
03:58des spectacles de Christophe Honoré est très spéciale.
04:01Il a l'art de désacraliser les choses qui m'intéressent beaucoup, de faire du théâtre
04:06sans produire d'efforts théâtrales, c'est quelque chose qui m'intéresse.
04:09Ses spectacles, ils sont forts mais ils sont cools, ils sont pop et ils sont puissants.
04:15Donc j'adore ça.
04:16Ils sont cools, oui c'est ça.
04:17D'ailleurs vous dites depuis toujours, depuis que vous avez commencé le théâtre, les
04:19grandes déclamations un peu lourdes, ça vous fait peur ?
04:22Ah je peux pas, la forme pour la forme m'ennuie, me tient à distance et j'étouffe.
04:28Et je n'aime pas me sentir idiote face à une oeuvre de théâtre ou face à un bouquin.
04:35Et d'ailleurs je pense que c'est une limite au talent que d'exclure une partie de la
04:42population et que c'est la classe ultime de pouvoir inclure tout le monde.
04:46Ce qui ne veut pas dire être démago, ce qui veut dire d'être accessible.
04:49Ce qui est la pièce de Guybert, ce qui est la pièce des idoles.
04:54Aussi parce qu'il y a des moments très drôles et il y a des moments très graves, c'est
04:58aussi une pièce qui parle d'amitié et de solidarité.
05:01Et je pense que c'est quelque chose dont on a universellement besoin.
05:05Et aussi parce qu'il y a des discussions et qu'on parle, on partage des avis, on s'engueule,
05:13on n'est pas d'accord mais on se respecte.
05:15Et je pense que ça c'est quelque chose dont aussi on a besoin peut-être en ce moment.
05:22Mais comme vous le dites, il y a évidemment de l'émotion puisque ces hommes sont morts,
05:26il y a la mort qui est là au milieu, il y a la maladie.
05:28Mais pas que ! Il a réussi ça, c'est-à-dire qu'ils discutent et ils s'engueulent parfois
05:34avec ironie, avec un regard amusé sur l'époque, même sur la maladie, sur la drague homosexuelle.
05:40Il y a des moments, c'est ce qu'il a voulu faire Honoré aussi, ce n'est pas crépusculaire
05:45et pesant.
05:46Absolument pas mais Honoré, film après film, il fait quand même l'éloge de la légèreté
05:50où il montre toujours une voie pour fuir le drame et la tristesse par l'humour, ce
05:57que je vais encore être obligée pour la millième fois de citer la citation de Garry.
06:02Mais l'humour, cette façon habile et entièrement satisfaisante de se soustraire au réel pile
06:07au moment où il va vous tomber dessus.
06:09C'est une arme de gauche, puisqu'elle appartient à tout le monde celle-là, de la distance.
06:15C'est une arme universelle.
06:16Les auteurs dont on parle, ils la pratiquent, Honoré la pratique et je crois que tous les
06:23gens qu'on aime et qu'on admire pratiquent cette distance et le recours au rire.
06:28Il ne nous reste plus que ça.
06:31Mais c'est quand même étonnant comme ces années SIDA, comme ces années 80, n'en
06:37finissent plus de nous obséder et de nous hanter.
06:40Là, il y a la pièce d'Honoré dans laquelle vous êtes.
06:42On avait Vincent De Dienne la semaine dernière, qui est aussi au théâtre avec la pièce
06:46de La Garce ou qui joue le journal intime de La Garce.
06:49Comment vous expliquer qu'elles sont là ? Elles sont toujours aussi obsédantes, qu'on
06:54n'a pas épuisé le sujet de ces années SIDA là.
06:55Est-ce parce que ces jeunes hommes, parce que c'est souvent des jeunes hommes en l'occurrence,
07:00sont morts trop jeunes, à un âge où on n'avait pas le droit de mourir, et que ça reste cette
07:06épreuve existentielle qui résonne encore avec aujourd'hui, même si on peut vivre
07:10aujourd'hui du SIDA ?
07:11Parce que nous, notre génération, Honoré et moi par exemple, on a vécu de plein pied
07:16cette épidémie.
07:17Moi, entre mes 17 et mes 25, j'ai enterré plein d'amis.
07:21Ça n'est pas normal.
07:22Et puis c'est une maladie qui était spéciale, c'était une épidémie qui était très politique
07:26d'une certaine manière, parce que les victimes étaient majoritairement des homos et des
07:30tocs.
07:31Donc en fait, des victimes pour lesquelles le monde entier n'avait pas tant d'empathie
07:35que ça.
07:36Il y avait même une pensée absolument dégueulasse qui circulait, qui était peut-être en fait
07:40ça va nettoyer.
07:41Elle est celle-là l'épidémie, les malades, ils étaient avec la maladie.
07:47Moi, je me souviens très bien dans ces années-là de la peur et de la honte.
07:51La honte parce que ces mômes qui tombaient malades, ils ne pouvaient même pas se retourner
07:55vers leurs parents.
07:56Pas tous en tout cas.
07:57Parce qu'avouer la maladie, c'était avouer aussi l'intimité, la sexualité, la vie privée
08:03des choses qui n'étaient pas forcément partageables avec les parents.
08:06Libère, il dit, mon souci principal à l'époque, c'est de mourir à l'abri du regard de mes
08:11parents.
08:12C'était un souci largement partagé.
08:13Je pense qu'on est une génération traumatisée par cette épidémie-là.
08:18Que Dieu merci, les jeunes ont partiellement oublié.
08:22Parce que nous, si à l'époque on nous avait dit, ne vous inquiétez pas, dans 30 ans,
08:28vous ne mourrez plus en deux ans, vous pourrez avoir une vie sexuelle protégée, vous pourrez
08:34être sirop positif et avoir une charge virale indétectable, vous pourrez prendre la PrEP
08:39et avoir une vie sexuelle libre.
08:40On ne l'aurait pas cru, franchement.
08:42Ils se disputent aussi sur leur maladie, justement, comme Jacques Demy qui refuse de dire sa maladie
08:48parce que dire sa maladie, ce serait dire qu'il est homosexuel et il ne le voulait
08:52pas.
08:53Et les autres lui reprochent ça.
08:54Alors, il revendique le droit au secret, je ne vois pas comment on pourrait lui reprocher
08:59ça.
09:00Il y a l'injonction.
09:01Il y a la discussion de, est-ce qu'on doit porter des drapeaux ? Est-ce qu'on est obligé
09:07de militer ? Est-ce qu'on est obligé de prendre la parole ? C'est une question qui reste quand
09:12même posée pour chaque artiste aujourd'hui.
09:15Oui, oui, oui, moi je rêve d'un monde où on ne dise à personne ce qu'il doit faire.
09:20Vous vous faites du maire Marina Foy depuis toujours, vous vous avez fait, c'est-à-dire
09:25que vous, vous faites partie de ces artistes qui s'engagent, même si ça a un prix.
09:29Oui, mais ce n'est pas facile.
09:30J'essaie surtout de rester à ma place, de parler de là où je suis, c'est difficile
09:36et c'est compliqué, mais surtout, je ne dis pas aux autres ce qu'ils doivent faire.
09:42Je peux suggérer, je ne sais pas, s'il y a une tribune qui m'intéresse et qu'on me
09:47demande de la signer, je peux proposer à des amis autour, mais en fait, je ne sais
09:52pas ce qu'il faut faire.
09:55Mais je sais que ça ne marche pas de dire à quelqu'un ce qu'il doit penser et comment
10:00il doit le penser et ce qu'il doit dire et comment il doit le dire.
10:03Hervé Guibert, vous dites « je l'aime infiniment », si vous étiez face à un jeune qui ne
10:06sait pas qui est Hervé Guibert, ce qu'il représentait ou ce qu'il écrivait, le personnage
10:11singulier, ambivalent, beau, qu'il était sexy, vous aimez bien le mot sexy, mais aussi,
10:17décrivez-le, expliquez pourquoi il vous touche tant.
10:20D'abord parce que je pense que c'est une personnalité opaque et que le mystère, c'est
10:27attirant.
10:28Aussi parce que j'aime la langue, j'aime comment il écrit, j'aime la trivialité
10:34qui est la sienne quand elle est choisie, j'aime le rythme de son écriture qui est
10:40ultra-musicale.
10:41Je pense que les jeunes qui aiment le rap, ils pourraient aimer l'écriture de Guibert
10:47parce qu'en fait, elle est ultra-rythmée, ultra-musicale.
10:49C'est une fabrique à produire des images.
10:51Il a rêvé de cinéma et je pense qu'il aurait pu en écrire vraiment parce que moi,
10:57quand je le dis, en fait, je n'ai pas grand-chose à faire parce que si je le dis à peu près
11:01proprement, je pense que le spectateur aura lui-même les images, au-delà des images,
11:06les sensations, quasiment les odeurs.
11:07J'aime la puissance de cette écriture-là et lui non plus, il n'est pas excluant.
11:12Parce que je pense qu'il n'y a pas besoin d'avoir un savoir particulier pour rentrer
11:16dans son histoire.
11:18Et puis, il manie le mensonge comme personne.
11:20Moi, je me fais avoir par Guibert, c'est-à-dire que j'ai lu son journal, donc je sais des
11:24événements de sa vie et quand je lis « Alamy qui ne m'a pas sauvé la vie » où il réinvente
11:29tout, je me fais gauler.
11:30Je crois à tout ce qu'il dit.
11:31Donc, même vous, il vous perd, même vous, il y arrive.
11:34Ce monologue éblouissant d'Alamy qui ne m'a pas sauvé la vie, un monologue de quasiment
11:3920 minutes que vous dites, qui est le point d'orgue de la pièce, où il raconte l'agonie
11:45de Michel Foucault, notamment, qui s'appelle Musil dans la pièce.
11:48On va vous écouter dire quelques mots, mais d'abord, je voudrais l'écouter, lui, pour
11:51qu'on entende la voix de Guibert chez Jacques Chancel, où il parle de Foucault.
11:56Foucault vient de mourir.
11:57C'était son amant ? C'était son ami ?
11:58Son amant, c'était son compagnon quand même, non ? Non ? Non ? Je me trompe ?
12:02En tout cas, je ne crois pas, je ne suis pas…
12:04C'était son ami ?
12:05Oui.
12:06En tout cas, lui, il parle beaucoup de leur amitié.
12:10A l'époque, il était avec Daniel Deferre, qui s'appelle Stéphane, dans le roman Foucault.
12:15Donc, c'est une erreur ce que je viens de dire.
12:17Ils n'étaient pas amants.
12:18Je ne crois pas.
12:19Je pensais.
12:20On l'écoute.
12:21Michel Foucault, vous le retrouverez ?
12:23Moi, je ne le supporte pas.
12:26Bon, alors, il y a d'autres frappes, mais je ne vous les impose pas.
12:29Non, parce que, je ne sais pas, c'est drôle, parce qu'il est réapparu comme ça, très
12:37fortement, dans l'écriture du livre, et s'en est devenu un des personnages capitaux.
12:43Après sa mort, c'est drôle, c'est quelqu'un que j'ai tellement aimé que je l'ai immédiatement
12:49oublié.
12:50J'ai oublié son image, j'ai oublié sa voix, et donc, quand je réentends sa voix
12:56d'un seul coup, c'est au-delà de l'émotion, enfin, c'est plutôt de l'intolérable.
13:03Je l'ai tellement aimé que je l'ai immédiatement oublié, rien que sa phrase, dit Guybert.
13:09Mais je crois que c'est vrai qu'une des choses qu'on perd le plus, et c'est horrible
13:14de perdre le souvenir des gens qu'on a perdus et qu'on aimait, c'est la voix.
13:17Oui, c'est vrai, c'est ce que disait Julien Doré, il a fait une chanson pour sa mère
13:23en mettant un extrait d'un message téléphonique qu'elle lui a envoyé.
13:26Alors, je n'ai pas l'intégrale de Julien Doré, mais je vais m'y mettre.
13:28Je vais vous le dire, en tout cas, cette chanson, elle est pas mal, parce qu'on entend sa mère
13:31qui est décédée.
13:32Est-ce qu'on peut vous entendre sur une partie de ce monologue qu'on peut voir au Théâtre
13:36de la Porte Saint-Martin, Marina Feuillez ?
13:39Dans la cour de l'hôpital, éclairée par ce soleil de juin qui devenait la pierre injure
13:44au malheur, je compris, pour la première fois, car quand Stéphane nous l'avait dit,
13:49je n'avais pas voulu le croire, que Musil allait mourir, incessamment sous peu.
13:53Et cette certitude me défigura dans le regard des passants qui me croisaient.
13:57Ma face en bouillie s'écoulait dans mes pleurs et volait en morceaux dans mes cris.
14:02J'étais fou de douleur, j'étais le cri de Munch.
14:06Le lendemain, j'étais seule dans la chambre avec Musil, je pris longuement sa main, comme
14:11il m'était parfois arrivé de le faire dans son appartement, assis côte à côte sur
14:15son canapé blanc, tandis que le jour déclinait lentement entre les portes-fenêtres grandes
14:19ouvertes de l'été.
14:21Puis j'appliquais mes lèvres sur sa main pour la baiser.
14:25En rentrant chez moi, je savonnais ses lèvres avec honte et soulagement, comme si elles
14:30avaient été contaminées, comme si je les avais savonnées dans ma chambre d'hôtel
14:34de la rue Edgar Allan Poe, après que la vieille putain me fourrait sa langue au fond de la
14:38gorge.
14:39Et j'étais tellement honteux et soulagé que je pris mon journal pour l'écrire à
14:42la suite du compte-rendu de mes précédentes visites.
14:45Mais je me retrouvais encore plus honteux et soulagé une fois que ce sale geste fut
14:50écrit.
14:51De quel droit écrivais-je tout cela ?
15:01Je vais jouer mieux que ça, je vous rappelle que j'ai eu un Molière pour cette lettre à la hauteur, merde !
15:07Et puis, il raconte, Guybert, qu'il écoutait cette chanson-là sur le pont de Sterlitz,
15:11quand on lui a appris la mort de Foucault, il écoutait la chanson de François Zardier
15:16et d'Étienne Dao, « Si je m'en vais avant toi ».
15:18Et si je m'en vais avant toi, dis-toi, bien que je serai là, j'y poserai la pluie,
15:29devant le soleil et les éléments pour te caresser tout le temps.
15:39C'est quoi l'anecdote ?
15:41C'était marrant parce qu'un soir, Étienne Dao est venu voir le spectacle.
15:44Moi, je ne connais pas Étienne Dao, mais je le vois après au café, je suis un peu
15:47émue parce que tous les soirs, je dis cette phrase, cette chanson qu'Étienne Dao m'avait
15:51apprise par cœur.
15:52Donc, il me propose de boire un verre, je lui dis alors, moi j'ai envie d'infos sur
15:57Vous avez bien connu Hervé, vous lui avez appris la chanson ?
16:00Il me dit mais pas du tout, je ne l'ai jamais croisé de ma vie.
16:03C'est la force de l'écriture de Guybert, c'est-à-dire que même moi qui ai étudié
16:07la personne, je crois à tout ce qu'il me raconte.
16:10Oui, et il ment, il ne connaissait pas Dao.
16:13Marina Feuilles, vous avez récemment évoqué, j'ai vu des vidéos passées, Studio Bagel,
16:17vous avez récemment évoqué la dysmorphophobie dont vous avez souffert quand vous étiez
16:22ado.
16:23C'est quoi la dysmorphophobie ?
16:25La dysmorphophobie, c'est voir une image de soi-même qui est complètement déconnectée
16:32de l'image réelle.
16:33C'est-à-dire pas voir le vrai, se voir avec 15 kilos de plus.
16:39C'était ça le problème ?
16:40C'était que vous pensiez que vous aviez du mal à aimer votre corps et que vous trouviez
16:44trop grosse ?
16:45Oui, j'ai fait un peu d'anorexie mentale comme beaucoup de jeunes filles et comme
16:47beaucoup d'actrices, mais bon.
16:49Mais bon, ça j'aime bien parce que quand j'ai vu cette vidéo passée, je me suis
16:53dit que c'était étonnant.
16:54J'aurais vu n'importe qui dire ça à ses souffrances d'adolescence, mais pas Marina
16:58Faustien.
16:59Elle y va.
17:00Oui, je trouve qu'on se raconte de plus en plus.
17:04J'ai l'impression que je me raconte de plus en plus et je ne suis pas à l'aise
17:07avec ça.
17:08D'abord, j'aime bien que les sachants parlent des vrais sujets.
17:14L'anorexie, faites parler des psys, faites parler des docteurs.
17:18Il y a un déballage que je pratique moi-même avec lequel je ne suis pas à l'aise.
17:25Au fond, ce n'est pas aussi intéressant.
17:28Vous avez vu ça et vous vous êtes dit que c'était étonnant ?
17:30Oui, je ne sais pas ce qui m'est arrivé.
17:32Après, c'était bien et je pense que ça peut aider beaucoup de gens.
17:35Sans doute, mais je pense qu'il faut laisser ça aux gens qui trouvent un vrai sens à
17:39le faire.
17:40Moi, j'ai ce fantasme-là de me dire que ce qui est le plus intéressant de moi,
17:45c'est les films ou les pièces que je fais et que c'est moi, ma vie.
17:50Les impromptus, pour terminer, vous répondez rapidement sans trop réfléchir.
17:53Brune ou blonde ?
17:55Parce que vous êtes brune en ce moment !
17:57Les deux !
17:59Fellini ou Visconti ?
18:01Visconti, mais je...
18:04Visconti.
18:06J'adore Fellini.
18:07Marcello Mastroianni ou Vittorio Gassman ?
18:09Marcello !
18:11Delon ou Belmondo ?
18:13Belmondo.
18:15Jérôme Commander ou Jonathan Cohen ?
18:17Non, non, non ! C'est non ! Car c'est les deux !
18:21Angèle ou Ayanna Kamoura ?
18:23Angèle.
18:24La radio ou la télé ?
18:26La radio !
18:28Bah oui !
18:29Évidemment !
18:30Vous regardez toujours la télé ou plus tellement ?
18:33Je n'ai jamais regardé tellement la télé.
18:35Moi, parce que j'ai grandi sans télé.
18:37Il y a une pièce chez moi dans laquelle il y a une télé.
18:40Je ne vais jamais dans cette pièce.
18:42Sur le drogue sexe, avez-vous des vices ?
18:44Je n'ai pas d'addiction.
18:47J'ai de la chance.
18:48Si ! La cigarette.
18:50Mais...
18:52Le sexe, c'est un vice ?
18:54Je ne sais pas.
18:56Ça fait marrer Ali !
18:58Non, ce n'est pas un vice.
19:00Liberté, égalité, fraternité, vous choisissez quoi ?
19:02Ah putain !
19:04Peut-être que...
19:06Peut-être que l'égalité, c'est un truc qui me paraît tellement inatteignable
19:12que c'est une utopie qui me plaît bien.
19:15Liberté, et fraternité, j'espère.
19:19Aussi, oui.
19:20Et Dieu dans tout ça, pour terminer ?
19:22Alors...
19:25Je crois qu'il n'existe pas.
19:26Je n'ai pas la preuve.
19:29Les idoles, écrits et mis en scène par Christophe Honoré.
19:32Vous retrouvez Marina Feuss, Harrison Arevalo, Jean-Charles Cliché,
19:35Julien Honoré, Paul Kircher donc, Marlène Saldana et Lucas Ferraton.
19:39Au Théâtre de la Porte Saint-Martin à partir du 18 janvier à Paris.
19:43Et allez au théâtre parce que c'est une très belle rentrée théâtrale ce mois de janvier.
19:47Il y a plein de pièces, dont la vôtre.

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