Le professeur émérite au Collège de France, Pierre Rosanvallon, est l'auteur du livre "Les Institutions invisibles", publié ce vendredi 4 octobre, aux éditions du Seuil. Pour l'historien et sociologue, la situation politique actuelle montre "un dysfonctionnement de type institutionnel".
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00:00Et avec Léa Salamé, nous recevons un historien et sociologue, professeur émérite au Collège
00:05de France.
00:06Il publie « Les institutions invisibles » aux éditions du Seuil, en librairie demain.
00:13Vos questions et réactions au 01-45-24-7000 et sur l'application Radio France.
00:19Pierre Rosanvalon, bonjour.
00:21Bonjour.
00:22Bienvenue sur Inter.
00:23Alors que la France est plongée depuis quelques mois dans une situation politique inédite,
00:29votre livre tombe à pic pour nous aider à comprendre l'étrange moment que nous traversons.
00:35Vous allez nous dire dans un instant quelles sont les trois institutions invisibles que
00:40vous exaltez d'une certaine manière et dont on manque cruellement aujourd'hui à vos yeux.
00:46Ça c'est pour installer le suspense.
00:49On va y venir en détail.
00:50Mais d'abord, dites-nous Pierre Rosanvalon, comment l'historien de la démocratie que
00:55vous êtes, qualifie la « séquence » que nous traversons.
00:5910 solutions surprises, Assemblée Nationale fracturée, sans majorité, trois mois pour
01:05trouver un Premier Ministre et enfin la nomination de Michel Barnier.
01:09C'est inédit, ubuesque, stimulant, inquiétant… Quels mots employez-vous pour décrire ce
01:16qui se passe en France ?
01:17En tout cas, c'est du jamais vu.
01:20C'est du jamais vu et ça montre deux choses principales.
01:24La première chose, c'est un dysfonctionnement de type institutionnel.
01:28Cela montre que suivre à la lettre la Constitution peut mener à des situations qu'on n'avait
01:34pas envisagées auparavant.
01:36Regardez par exemple dans la Constitution, il n'est pas spécifié le délai qui est
01:42accordé au Président de la République pour nommer un nouveau gouvernement.
01:45Et du coup, le Président a tiré sur la corde.
01:49Là, on a vu qu'il y avait une gestion des institutions qui n'était peut-être pas
01:54conforme à sa lettre.
01:55Donc, il y a tout un ensemble de dysfonctionnements qui sont apparus.
01:58Mais ce dysfonctionnement, il est sur un fonds beaucoup plus important.
02:02Et ce fonds plus important, ce sont deux éléments principaux.
02:08D'abord, la décomposition du macronisme.
02:10C'est la décomposition du macronisme qui est importante.
02:13Parce que le macronisme s'était présenté, il y a sept ans, comme ce qui permettait justement
02:18de rénover la démocratie française.
02:20En même temps, avec quelqu'un de très jeune qui n'avait pas été au pouvoir véritablement
02:26auparavant.
02:27Donc, le macronisme avait représenté une sorte de projet de rénovation de la démocratie
02:34française.
02:35Et là, on voit que c'est l'échec complet du macronisme.
02:37Et puis, plus largement, au-delà même du macronisme, la séquence que nous vivons montre
02:42la fragilité profonde de nos démocraties.
02:46Nos démocraties sont fragiles parce que de l'intérieur, elles peuvent être minées.
02:50Elles peuvent être rendues impuissantes pour des raisons institutionnelles, mais aussi
02:56impuissantes parce que ne surgit pas dans le pays des forces, des propositions qui soient
03:03susceptibles d'apporter un air nouveau et de promettre, d'une certaine façon, une
03:09sortie de l'ornière dans laquelle nous sommes.
03:11Mais il y a un an et demi, en avril 2023, on a l'impression qu'il y a une éternité,
03:17mais c'était hier, en plein conflit sur la réforme des retraites, Pierre Rosanvalon,
03:20vous aviez jugé que nous étions en train de traverser la crise démocratique la plus
03:25grave que la France ait connue depuis la fin du conflit algérien.
03:29Alors diriez-vous, ce matin, que la crise s'est approfondie ou que nous vivons une
03:35nouvelle manifestation du même symptôme ?
03:37Eh bien, ça amène à préciser ma réflexion sur la crise démocratique.
03:43La crise démocratique, au moment des retraites, n'était pas une crise de type constitutionnelle.
03:48C'était une crise de l'esprit de la démocratie.
03:51L'esprit de la démocratie, c'est tout de même la discussion.
03:55L'esprit de la démocratie, c'est l'écoute.
03:58L'esprit de la démocratie, ce n'est pas simplement la parole du peuple dans le bulletin
04:02de vote.
04:03C'est l'interaction avec le peuple de sa vie quotidienne.
04:07Et ce qu'avait montré cet épisode des retraites, c'est justement un gouvernement qui n'écoutait
04:13pas la société.
04:14Et la crise démocratique était une crise très profonde du divorce entre l'esprit
04:20de la démocratie et les formes institutionnelles de la démocratie.
04:24Et aujourd'hui, on en est où ?
04:25Eh bien, aujourd'hui, on est dans une vraie crise institutionnelle qui s'ajoute en quelque
04:32sorte à cette crise de l'esprit de la démocratie.
04:34Mais tout de même, vous parlez de crise institutionnelle, on pourrait vous rétorquer qu'un Premier
04:38ministre a été trouvé.
04:39Alors certes, au bout de trois mois, il a été trouvé, qu'un gouvernement a été
04:41nommé, qu'un discours de politique générale a été prononcé, que le gouvernement ne devrait
04:45probablement pas se faire censurer demain matin.
04:48C'est compliqué, certes, mais ce n'est pas la révolution, la débâcle, la chianlie.
04:54Non, heureusement.
04:55Mais ça montre que les institutions continuent à fonctionner, mais les institutions vont
05:01s'avérer relativement impuissantes.
05:03Bien sûr, il y a un Premier ministre, il y a un ministre, mais quelle est sa capacité
05:10de véritablement gouverner ?
05:12Ce qui est frappant dans la personnalité du Premier ministre, c'est qu'il fait référence
05:18au passé.
05:19Il rappelle tout le temps qu'il était le plus jeune ministre, il y a le plus jeune
05:23député, il y a 50 ans.
05:25Et il aime rappeler aussi qu'il est un homme d'ouverture, etc.
05:29Il a essayé de se définir plus par son style que par son programme.
05:33Mais une fois qu'on a dit ça, on voit bien qu'il y a une sorte d'impuissance politique
05:39dans ce pays aujourd'hui.
05:41Or, avec les enjeux qui sont les nôtres, les enjeux climatiques, les enjeux géostratégiques,
05:48les enjeux sociétaux, eh bien, cette impuissance, nous pourrions la payer très cher dans la
05:54période à venir.
05:55Je cite Pierre Rosanvalon à l'Obs, que la nomination de Michel Barnier à Matignon,
05:59alors qu'il est membre d'un parti représenté par seulement 47 députés à l'Assemblée
06:04Nationale, je vous cite, c'est le symptôme radical d'une vision de la démocratie à
06:08la fois fermée sur le jeu parlementaire et entêtée.
06:11Emmanuel Macron veut à tout prix que le gouvernement maintienne le cap de la politique qu'il
06:15a précédemment menée, il n'imagine pas que la société puisse s'écarter de ses
06:20convictions.
06:21Pour satisfaire cette exigence, qu'il n'a pas hésité à s'allier avec la droite
06:25la plus conservatrice, ce qui constitue une figure périlleuse de « déni démocratique ».
06:31Emmanuel Macron pourrait vous répondre, Pierre Rosanvalon, que personne n'avait gagné,
06:37que le NFP était à 100 voix de la majorité absolue et qu'il n'y a pas eu de déni
06:43démocratique.
06:44Non, il n'y a pas eu de déni démocratique au sens institutionnel.
06:48Parce qu'il y avait une liberté du président de la République de choisir dans une situation
06:53où personne n'avait la majorité.
06:55Donc le choix était qui peut rassembler une forme de majorité.
07:01Personne n'était la majorité.
07:03Mais déni démocratique en ce sens que lorsqu'il y a une indétermination, il faut reconnaître
07:10que derrière cette indétermination, il y a des expressions de la société qu'il
07:14faut écouter aussi.
07:16Je pense qu'in fine, peut-être que de toute façon ça aurait été Barnier qui aurait
07:21été nommé Premier ministre, mais qu'une période d'essai, en quelque sorte, une
07:26période d'exploration était demandée par le pays.
07:30C'est-à-dire, Lucie Castex ? C'est-à-dire, à vos yeux, il aurait dû nommer la candidate du NFP ?
07:34En tout cas, lui proposer de montrer si elle était ou non capable de constituer un gouvernement
07:42et d'avoir une majorité, constatant, si on constate qu'elle n'est pas capable,
07:47de faire autre chose.
07:48Mais quand il y a une incertitude, il ne faut pas rabattre trop vite l'incertitude.
07:54Il faut montrer que par une exploration, on est soi-même un acteur de l'incertitude.
07:59Ce qui n'était pas le cas.
08:01Mais vous dites, et vous expliquez dans l'Obs et aussi dans votre livre, parce qu'on va
08:03y venir, qu'au fond, Emmanuel Macron ne sent pas la société, qu'il est en divorce
08:08avec la société, que la société et lui ne veulent pas la même chose.
08:12Et donc, c'est pour ça qu'il en vient à nommer Michel Barnier, pour garder sa politique.
08:19Mais d'une certaine manière, là aussi, s'il est face à une Assemblée Nationale
08:24fragmentée en trois blocs, au fond, qu'il dise, Emmanuel Macron, qu'il se dise, je
08:29veux à tout prix préserver ma politique économique.
08:31Au fond, ce qu'il restera de moi, c'est probablement ma politique économique, le
08:34fait que j'ai fait baisser le chômage, que j'ai fait une politique de l'offre,
08:36que j'ai soutenu les entreprises en France pour essayer de les rendre attractives, etc.
08:42A la fin des fins, peut-être, c'est sans doute ce qu'il restera le plus de lui.
08:46Au fond, qu'il dise, je reste président et je préfère maintenir cette politique-là
08:51qu'essayer autre chose.
08:53Et puis, dans trois ans, ils changeront s'ils veulent changer.
08:55Est-ce totalement illégitime d'un point de vue démocratique ?
09:00En tout cas, c'est quelque chose que l'on peut discuter.
09:03Parce que ce souhait est de voir continuer la politique que l'on mène, très bien,
09:07mais ce qu'il faut voir, c'est qu'une société ne se réduit pas à son taux de
09:12croissance et ne se réduit pas à son taux de chômage.
09:15Si la société française va mieux du point de vue du chômage, la société française
09:19aujourd'hui, elle est pétrie d'interrogations, elle est pétrie de conflits internes, elle
09:25est pétrie d'interrogations sur son identité.
09:28Et gouverner, ce n'est pas simplement gérer un seul indicateur statistique.
09:33Gouverner, c'est faire progresser une société, c'est la pacifier, c'est trouver les moyens
09:38de lui donner sens plus fort et de lui donner une forme démocratique.
09:43Et là, pour vous, il a échoué ?
09:44Et bien, il a échoué parce qu'il ne voit même pas cette question comme centrale.
09:48C'est cela le problème.
09:50Vous dites qu'il incarne typiquement l'intelligence de surplomb caractéristique de la technocratie
09:58à la française, qu'il est aveuglé par sa vision étroite et purement managériale
10:03du monde.
10:04Il est incapable de saisir le désarroi social qui nourrit le sentiment d'injustice et produit
10:11des révoltes.
10:12Ce sont des mots extrêmement durs, Pierre Rosanvalon.
10:15Ce sont les mots amers d'un déçu du macronisme ou ceux scientifiques d'un universitaire
10:22citoyen révolté ?
10:24Ce sont les mots d'un universitaire citoyen qui voit que la situation est difficile, qu'il
10:29faut la comprendre pour réfléchir aux conditions dans lesquelles on peut en sortir.
10:34On va venir à votre livre, Nicolas.
10:36« Les institutions invisibles » au seuil en librairie demain.
10:40Et levons donc le suspense, vous parlez de trois concepts que vous érigez en institution.
10:46La confiance, l'autorité et la légitimité.
10:50Pourquoi confiance, autorité et légitimité sont des institutions à vos yeux ?
10:56Et pourquoi ces institutions-là sont-elles mises à mal aujourd'hui ?
11:01Si je vais parler d'institutions invisibles, c'est pour montrer qu'on ne gouverne pas
11:06simplement avec des lois, on ne gouverne pas simplement avec une administration.
11:13Pour gouverner, pour modifier un pays, pour l'aider à avancer, il faut le pénétrer
11:19en profondeur.
11:20Or, les institutions invisibles, c'est ce qui fait tenir ensemble une société.
11:26C'est ce qui lui permet à la fois d'avoir une certaine cohérence et de se projeter
11:31dans l'avenir.
11:32La définition de la confiance, c'est très simple.
11:33La confiance, c'est l'hypothèse que l'on peut faire sur le comportement futur de quelqu'un.
11:39C'est-à-dire que l'on peut s'engager avec cette personne.
11:42Et donc, c'est un rôle très important.
11:44En économie, par exemple, quand il n'y a pas la confiance, on l'a vu dans la crise
11:48monétaire libanaise, tout s'effondre.
11:50Les gens vont à la banque, retirent leur argent et l'économie plonge.
11:53Donc, la confiance est fondamentale pour qu'il y ait une continuité, une possibilité d'engagement.
12:00La légitimité, je dirais, c'est le supplément d'âme de la légalité.
12:04La légalité, vous êtes élu, vous avez le droit de gouverner.
12:08La légitimité, c'est de dire que vous êtes reconnu pour vos qualités morales.
12:13Vous êtes reconnu parce que vous incarnez ce qui est, en quelque sorte, au service du
12:19pays, au-delà du parti et du clan qui peut être le vôtre.
12:23Et puis, à côté, l'autorité, c'est les Romains qui l'ont inventée pour montrer
12:30que le pouvoir ne suffit pas à gouverner la société.
12:33Pour gouverner la société, il faut qu'il y ait une force morale qui représente, en
12:38quelque sorte, l'identité profonde, le projet d'une société.
12:42À Rome, c'était le Sénat, le Sénat composé des « vieux sages » et des grandes familles.
12:49Mais on voit dans notre histoire que ces trois éléments, confiance, légitimité, autorité,
12:56n'ont pas cessé de jouer un rôle.
12:57Regardons le gaullisme.
12:59Le gaullisme, c'est une personne qui dit « peut-être qu'il y a un semblant de l'égalité
13:05dans le gouvernement de Pétain, mais l'esprit de la France est ailleurs.
13:08L'histoire et les valeurs de la France sont ailleurs.
13:11Et moi, je représente cela.
13:13Donc, je suis légitime.
13:14Mais qu'est-ce que vous attendriez dans le monde d'aujourd'hui où ces trois institutions
13:18invisibles, la confiance, l'autorité et la légitimité, sont bafouées ? Il y avait
13:22encore ce sondage du Cevipof, il y a deux mois, qui montrait que le niveau de défiance
13:27à l'endroit du personnel politique était délirant.
13:3085% des Français ressentent de la défiance contre les responsables politiques.
13:3473% des Français ne font pas confiance à l'Assemblée nationale.
13:36On n'a jamais atteint des niveaux aussi immenses.
13:40Qu'est-ce que vous préconisez dans le monde de 2024 ? C'est-à-dire aussi le monde où
13:45ce n'est pas que la faute des politiques, c'est-à-dire un monde de plus en plus difficile
13:49à gouverner, avec des réseaux sociaux, avec, vous en parlez d'ailleurs dans votre livre,
13:54les fake news, la montée du complotisme, etc.
13:56Quand vous avez ça face à vous, qui sape la légitimité, l'autorité et la confiance,
14:01comment vous faites ?
14:02On peut faire deux choses.
14:03La confiance, par exemple, c'est comme l'amour, il n'y a que des preuves de confiance.
14:08Et ces preuves de confiance, dans le monde politique, il y a tout de même eu des progrès.
14:12Lorsqu'on institue une haute autorité pour la transparence de la vie publique, ça veut
14:17dire qu'on vérifie les revenus, on vérifie les propriétés du monde politique.
14:24Quand une personnalité politique veut se reconvertir dans le privé, on le vérifie.
14:28Et donc, il faut qu'on ait des preuves de confiance plus grandes en politique.
14:34Et cela, c'est quelque chose qui peut être développé de plus en plus.
14:39Et je crois qu'on peut soumettre ceux qui gouvernent à des obligations de s'expliquer,
14:45à des obligations plus grandes de rendre des comptes, et non pas de rester sur leur avantain.
14:52Vous savez qu'il y a certains qui disent que c'est justement ce qui s'appelle la confiance,
14:54c'est que c'est l'excès de transparence demandée aux hommes politiques qui fait qu'on
15:01n'a plus confiance en eux, ou alors que les meilleurs partent parce qu'ils en ont marre
15:05des exigences de confiance.
15:06Vous savez, vous connaissez cette théorie qui avait notamment été développée par
15:10Chloé Morin.
15:11Oui, en tout cas, ce qui est sûr, c'est que la confiance se définit par de l'information.
15:16Si vous avez des informations sur quelqu'un, vous pouvez plus facilement vous projeter
15:21en lui.
15:22Si vous croisez quelqu'un dans la rue qui vous demande de donner 200 euros, je vous
15:25les rendrai demain matin, et que c'est simplement un passant, vous n'avez pas d'informations
15:29sur cette personne, vous n'envisagerez pas de lui donner.
15:32Et donc, qu'il y ait des circuits, c'est pas des circuits d'information plus forts.
15:37Il faut, le citoyen mieux informé sur les personnes et sur les politiques peut davantage
15:45faire confiance parce qu'il y a ces preuves de confiance, parce que les individus sont
15:50mis à l'épreuve.
15:51Sur l'autorité, vous citez des noms comme les magistrats Jean-Louis Nadal ou François
15:57Mollins, les défenseurs des droits Jacques Toubon et Claire Hédon, on devine aussi Laurent
16:03Berger.
16:04On a fait le compte, ça tient sur les doigts d'une main, ça fait 5 personnes, pas une
16:08de plus.
16:09Et en tout cas, pas de politique !
16:10Non, c'était des exemples, effectivement, pas de politique, pourquoi ? Parce que par
16:14définition, beaucoup de personnalités politiques vont apparaître, par définition, partisanes.
16:20Et dans une société, on a besoin de figures et d'institutions qui soient non-partisanes.
16:27C'est pour ça qu'on a mis en place, et qu'il faudrait les développer, des hautes autorités,
16:32des hautes autorités s'occupant des discriminations, des hautes autorités, je viens de mentionner,
16:37sur la transparence de la vie publique.
16:38Donc, il y a besoin d'institutions et de personnes qui incarnent cela.
16:45Sur l'autorité, on n'a jamais autant entendu le mot, tu défies l'autorité, on t'apprend
16:51à la respecter, avait dit Gabriel Attal dans son discours de politique générale, qui
16:55appelait également un sursaut d'autorité.
16:58Comment ça s'instaure ou se restaure en général, pour les politiques ?
17:06Nous avons tous l'expérience, très simple, de l'autorité dans une classe, un professeur
17:13avec ses élèves.
17:14L'autorité à l'ancienne, c'est celui qui est obéi, parce qu'il peut sanctionner,
17:20il peut mettre à la porte, donner des heures de colle.
17:22Et celui qui a de l'autorité, c'est celui qui, parce qu'il passionne ses élèves,
17:27est reconnu comme important, qui donne de l'importance à son savoir.
17:31Ce rapport entre l'autoritarisme, qui ne produit que des effets limités, et l'autorité,
17:38c'est quelque chose de central dans nos sociétés.
17:40Et remarquons que la défiance, vous citiez la défiance, c'est que ces institutions
17:45invisibles, ça peut être des moyens de gouvernement.
17:48Si on a la confiance des citoyens, si on est reconnu comme légitime, si on incarne
17:53une forme d'autorité, eh bien, le pouvoir, il peut mordre sur la société, il produit
17:58des effets.
17:59Et ça, il fut un temps où c'était l'élection qui le suscitait, Pierre Rosemballon, c'est
18:03fini, l'élection ne suscite plus aucune de ces trois institutions ?
18:07Dans les débuts de la démocratie, on a pensé que l'élection pouvait être, justement,
18:13la solution à la confiance, la solution à la légitimité, la solution à l'autorité.
18:19Eh bien, on voit que ça, c'était au moment d'une rupture.
18:22Oui, ça jouait cette fonction-là, c'est indéniable.
18:24Mais que maintenant, il faut, en quelque sorte, aller plus loin que l'élection.
18:29Parce que l'élection, elle est intermittente, elle n'est pas permanente.
18:32Alors que le propre de ces institutions invisibles, c'est la vie permanente des sociétés, c'est
18:38en permanence la société qui vit.
18:40Et, chose très importante, si ce sont des moyens de gouvernement, parce qu'on voit
18:45bien, par exemple, que dans toutes les dictatures, elles ont toutes les polices, elles ont toute
18:49la force avec elles, et malgré leur force, ces dictatures, elles meurent de faiblesse
18:55au milieu de leur force.
18:57Regardons ce qui se passe en Iran aujourd'hui.
19:00En Iran aujourd'hui, le gouvernement, le pouvoir, il a la police la plus forte du monde.
19:05Eh bien, il n'y a que 10% des gens qui vont aux élections et ils ne changent pas ce que
19:11veulent les femmes.
19:12Donc, quand on ne maîtrise pas les institutions invisibles, un pouvoir peut mourir de faiblesse
19:18au milieu de ce qui apparaît sa force.
19:19Enfin, là, il ne meurt pas, le pouvoir iranien.
19:22Non, il ne meurt pas, mais il est quand même affaibli.
19:26Et j'espère qu'il passera de la faiblesse à autre chose.
19:31On va aller au standard, mais juste, on vous lit, on se demande si ce qui manque aujourd'hui
19:36à la France, c'est des grands hommes, Pierre Rosanvalon.
19:39Non, ce n'est pas simplement des grands hommes.
19:41Ce n'est pas un problème d'incarnation aussi ?
19:42Parce qu'il y a un problème d'incarnation en démocratie, ça c'est sûr.
19:46Mais à côté de l'incarnation, il y a des pratiques d'écoute, par exemple.
19:50Il y a des pratiques de discussion qui peuvent remplacer, après tout, je citais l'exemple,
19:58des hautes autorités.
19:59Ça n'est pas simplement… Il y a un besoin d'incarnation en démocratie, mais il y a
20:02aussi besoin d'institutions qui remplissent ces différentes fonctions.
20:06Et c'est Alessandro qui nous attend au standard.
20:09Bonjour, bienvenue sur Inter.
20:11Oui, bonjour, vous m'entendez ?
20:12Oui, vous êtes docteur en droit constitutionnel en Italie.
20:16Tout à fait, j'habite en France depuis longtemps.
20:19Et ma question est la suivante.
20:21J'ai assisté à la plupart des crises qui se sont succédées en France depuis que j'y habite.
20:27Et mon sentiment, c'est qu'on vit dans une véritable crise de régime,
20:32parce qu'il y a énormément de zones de flou dans la constitution actuelle française,
20:40comme quoi la constitution ne semble pas du tout être ni présidentielle,
20:44ni parlementaire, mais surtout monarchique.
20:46En Italie, le Premier ministre est nommé directement par le Président de la République,
20:51effectivement, mais il est issu de d'accords parlementaires.
20:55Donc, il n'y a pas de flou dans tout ça.
20:58Le sentiment, c'est qu'en France, à présent, les relations institutionnelles
21:03entre le Premier ministre, le Parlement et le Président de la République
21:07soient vouées à la non-clarté.
21:09À présent, le sentiment, c'est que le Parlement français soit un ordre de ratification
21:13et non pas de législation, puisqu'il est contournable à tout moment.
21:16Alors, ma question est la suivante.
21:19Ne serait-ce pas le cas de lancer un véritable débat sur le fonctionnement
21:23des organes constitutionnels français,
21:25comme quoi un gouvernement devrait être l'expression directe du vote du peuple,
21:34et non pas un gouvernement nommé par un Président de la République,
21:37qui à présent n'a même pas de légitimité parlementaire,
21:41parce que chez vous, le vote de confiance n'est pas obligatoire.
21:44Allez, j'arrête le cours de droit constitutionnel, mais il était brillant Alessandro,
21:49et on donne la parole à Pierre Rosanvalon sur le flou radical des institutions
21:56de la Ve République, repéré par notre auditeur.
21:59Oui, la constitution de la Ve République a quand même été modifiée deux fois très fortement.
22:05En 1962, pour l'élection au suffrage universel du Président, et en 2008,
22:10où le retour du pouvoir parlementaire a quand même été très fortement marqué.
22:15Et je pense que certainement, nous découvrons aujourd'hui
22:18qu'il y a encore une nouvelle salve de réformes qui peuvent être entreprises.
22:22Regardons la question de l'élection proportionnelle,
22:25qui pourrait être par exemple inscrite dans la constitution.
22:27Regardons le problème des délais dans l'intervention ou les décisions du Président.
22:32Il y a tout un ensemble de domaines qui peuvent être ceux de la réforme constitutionnelle,
22:36mais ce serait une erreur de penser que seules des réformes constitutionnelles
22:42suffiraient à remettre le pays sur ses rails.
22:44Merci Pierre Rosanvalon d'avoir été au micro d'Inter ce matin.
22:49Votre livre « Les institutions invisibles » est publié aux éditions du Seuil
22:53et sera en librairie demain.
22:55Il est 8h46. Merci encore.