Kentin a été maltraité par son père lorsqu'il était adolescent. Une épreuve dont il a su se remettre, en coupant les ponts avec ce dernier. Il nous raconte.
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00:00Je suis sorti du collège, il vient me chercher, il était en camion.
00:02Et là, il me plaque la tête contre le tableau de bordel et puis il me tape plein de fois
00:06comme si c'était un marteau-piqueur.
00:07Bonjour, je m'appelle Quentin Jarnot, j'ai 28 ans et j'exerce le métier d'écrivain.
00:11Et aujourd'hui, je suis là pour parler de mon enfance, j'étais un enfant battu.
00:15J'ai grandi dans la violence physique et psychologique pendant 15 ans pour la violence
00:18physique et 20 ans pour la violence psychologique.
00:21J'ai grandi dans une famille en apparence assez normale, deux parents mariés.
00:24J'étais l'aîné, j'ai un petit frère qui a 5 ans de moins que moi.
00:27Mon père, c'était vraiment l'archétype de la figure du patriarcat, donc très macho,
00:32homophobe, sexiste, tout était orchestré par mon père.
00:35C'était tout le temps la pression, rien n'était jamais assez bien, on me faisait
00:39toujours croire que j'étais une merde clairement, que je servais à rien, que je n'arriverais
00:42jamais à rien, que j'étais capable de rien.
00:44En plus, c'est qu'effectivement, je ne correspondais pas au schéma qu'il aurait
00:47voulu.
00:48Je n'étais pas virile, je n'aimais pas faire de sport quand j'étais enfant, c'est
00:50des choses que j'aimais à l'âge adulte, j'aimais lire, j'aimais les choses plus
00:52intellectuelles.
00:54Ça, il ne supportait pas, donc en plus, il essayait absolument de me conditionner en
00:57permanence dans ma posture, ma manière de me tenir, mes intonations, le timbre de voix
01:01que j'avais et les violences physiques.
01:03Là, il y a une journée comme ça qui me revient, par exemple, je pense que c'est
01:06vraiment une des pires journées que j'ai suivie, mais j'avais déjà 13 ans, je pense.
01:09Je suis sorti du collège, il vient me chercher, il était en camion et j'entre dans le camion,
01:13je l'embrasse pour lui dire bonjour.
01:14Et là, il me plaque la tête contre le tableau de bord, par exemple, et puis il me tape plein
01:18de fois comme si c'était un marteau piqueur.
01:20Quand c'est comme ça, toujours, je pense que je suis coupable, que c'est de ma faute.
01:22Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? C'est que je n'avais donc pas passé l'éponge
01:26sur le plan de travail de la cuisine, donc il restait des miettes.
01:29Donc ça, c'est ce qui a déclenché le fait qu'il vrille.
01:31En rentrant à la maison, c'était des coups, ça peut être les mains, les pieds, voilà.
01:36Il m'a forcé à manger des choses que je n'aimais pas en plus, jusqu'au bout.
01:39Et pendant que je mangeais, je pleurais toutes les larmes de mon corps.
01:41Et pendant que je mangeais et que je pleurais, il continuait de me taper la tête sans interruption.
01:45Après le repas, il m'a fait masseur sur une chaise, face à une caméra.
01:48Il m'a dit « tu vas rester assis là tout l'après-midi et tu ne vas pas bouger, je vais te filmer.
01:52Et si jamais, quand je rentre ce soir, je vois que tu as bougé, je te mets une branlée. »
01:55Quand j'étais enfant, je pensais que ma situation était normale,
01:57parce qu'en fait, quand on est enfant, on n'a pas de perception du monde.
01:59Donc on pense que ce qu'on vit, tout le monde le vit, et juste que les gens n'en parlent pas.
02:02À la télé, quand je voyais des pères aimants, affectueux, tendres avec leurs enfants,
02:06je trouvais ça pas crédible.
02:07Et c'est vrai qu'à l'âge adulte, quand j'y repense, je trouve ça dramatique,
02:09parce qu'en fait, c'était juste la normalité, et pour moi, ça ne l'était pas.
02:12Et ce que je ressentais, c'était de la peur permanente, de l'hypervigilance,
02:16j'étais terrifié tout le temps.
02:17Alors ma mère, elle ne subissait pas de violence physique, elle,
02:19mais des violences psychologiques, oui, autant que nous.
02:21Je ne dirais pas qu'elle a essayé de nous protéger, parce que c'était beaucoup fait dans son dos.
02:24Il y a une partie de moi qui sait qu'elle a été une victime dans cette histoire.
02:27Maintenant, je sais aussi que l'enfant en moi aurait voulu qu'elle me protège,
02:30parce que dans le schéma familial, ça restait son rôle.
02:32Alors au moment des faits, personne ne le savait.
02:35Moi, j'ai commencé à en parler vers, je dirais, 18-19 ans, à mes amis d'abord.
02:39J'ai vraiment libéré la parole assez vite sur le sujet,
02:41pour m'approprier mon histoire, je pense.
02:42Et puis parce que le fait d'en parler m'a quand même beaucoup libéré,
02:45et c'était important, je pense qu'à un moment donné, il faut que ça sorte.
02:47À ma famille, c'est arrivé très tard,
02:49parce que mes parents sont restés mariés très longtemps,
02:50ils ont divorcé, je ne sais plus quel âge j'avais, j'avais peut-être 24 ans déjà.
02:53Donc en fait, je ne pouvais pas le dire,
02:55parce que ma mère était toujours sous l'emprise quand même de mon père.
03:00Elle a eu des années pour la libérer, elle à son tour,
03:03pour lui faire comprendre que ce qu'elle vivait et ce qu'on vivait n'était pas normal,
03:06et ce n'était pas évident.
03:07Donc les gens l'ont appris plutôt après.
03:09Peut-être une des réactions qui m'a le plus heurté,
03:12c'était quand j'en ai parlé à une de mes meilleures amies,
03:14il y a un an et demi de ça maintenant.
03:16En fait, elle travaille dans la protection de l'enfance,
03:17et c'est vrai que le jour où je lui l'ai dit, ça l'a beaucoup choqué.
03:20Elle m'a dit « mais tu te rends compte que ton cas aurait dû faire l'objet de signalement ? »
03:22Et c'est vrai que d'avoir entendu ça, ça m'a vachement heurté.
03:25J'ai beaucoup pleuré d'ailleurs,
03:26parce que je pense que c'était la confrontation à la réalité dont j'avais besoin aussi.
03:30Et elle m'a dit « il faut que tu te fasses aider »,
03:31et je lui ai dit « je le sais, mais je pense que j'avais besoin aussi d'un électrochoc pour... »
03:34Et j'avais peur, je pense, de me confronter à ça avec un professionnel aussi.
03:37Mais je l'ai fait, et ça m'a changé la vie.
03:39Je pense que des traumatismes, j'en aurais toute ma vie en vrai.
03:41La première chose qui me vient à l'esprit,
03:42c'est que déjà je suis tombé dans la boulimie et dans l'anorexie très jeune, à l'adolescence.
03:46Et ça, c'est des démons qui me poursuivent encore aujourd'hui.
03:48Il y a beaucoup de séquelles psychologiques,
03:50parce que j'ai grandi dans un monde violent.
03:52J'avais toujours peur.
03:53Dès que j'entendais un conflit éclater, j'étais sur mes gardes.
03:55Parce que tout ça, c'est un drône post-traumatique,
03:57parce que pour moi, n'importe quel haussement de voix
03:59pouvait signifier que la situation allait basculer à tout moment.
04:02Je pense que non, les enfants ne sont pas du tout assez protégés des violences.
04:05Maintenant, je suis conscient d'à quel point c'est compliqué.
04:08C'est difficile de savoir ce qui se passe à l'intérieur d'une maison fermée.
04:11Mais il y a des choses aussi que je pense qu'inconsciemment, on refuse de voir.
04:14C'est vrai que moi, quand je pense à l'ado que j'ai été, puis l'adulte que j'ai été,
04:18je me dis que c'est pas possible qu'il y ait autant de gens qui n'aient pas vu.
04:20C'est vrai que quand j'étais un enfant très jeune,
04:22on disait tout le temps que j'étais un enfant très bavard,
04:24donc j'étais plutôt extraverti.
04:25À l'âge adulte, je suis extraverti,
04:27parce que je pense que ça a toujours été dans ma nature.
04:29Et pourtant, entre les deux, je suis devenu totalement introverti, presque mutique.
04:33Je me dis que c'est pas possible que des gens n'aient pas réalisé
04:36que je me suis transformé à ce point.
04:37Alors, je ne suis plus du tout en contact avec mon père depuis un peu plus de deux ans, je crois.
04:41On entend souvent que les gens qui se coupent de leurs parents,
04:43des années après, ils regrettent et tout.
04:45Et moi, je me suis vraiment retrouvé dans cette posture.
04:46Je me suis dit, bon, il m'a déjà beaucoup fait souffrir.
04:48Est-ce que j'ai envie, en plus, si je le coupe, de souffrir encore plus ?
04:51Donc à cause de ça, je l'ai gardé plus longtemps dans ma vie
04:53jusqu'à ce que je comprenne qu'en fait, chaque situation était unique.
04:55Un jour, je me suis dit, mais en fait, cette ordure va sortir de ma vie, clairement.
04:59Et ouais, je me rappelle le dernier message qu'on s'est échangé,
05:01enfin, des reproches, comme toujours, parce que c'était sa spécialité.
05:03Donc c'était, ouais, il y a deux ans, j'avais 26 ans.
05:05Il m'envoie un message pour me dire,
05:06j'attendais que tu me donnes un petit peu plus de nouvelles.
05:08Ce à quoi j'ai répondu mot pour mot.
05:10Enfant, j'attendais d'avoir un vrai père, mais mon vœu ne s'est jamais exaucé.
05:13Tu vois, dans la vie, on a tous des attentes qui ne se réalisent pas.
05:15Il faut faire avec.
05:16Je pense que je ne pouvais pas faire mieux.
05:17Et honnêtement, je suis très en paix.
05:19Et l'avoir sorti de ma vie, ça m'a libéré et ça m'a changé la vie.
05:23Si j'avais un message à faire passer aux gens qui sont victimes de violences,
05:25ce serait accrochez-vous.
05:27De l'espoir, il y en a.
05:28Je sais que c'est difficile.
05:29Surtout, ne considérez pas que ce que vous vivez, c'est normal.
05:31Et appelez à l'aide.
05:32Il y a un après.
05:33J'estime que malgré toutes les difficultés,
05:35même si ce n'est pas facile tous les jours,
05:36même si la reconstruction est longue,
05:37j'estime que je suis quand même un adulte heureux
05:39parce que j'ai la chance d'avoir construit un entourage qui me rend heureux.
05:42J'ai des meilleurs amis en or.
05:44J'exerce le métier de mes rêves,
05:45alors que j'ai grandi en croyant que je n'arriverais jamais à rien.
05:48Croyez en vous et faites-vous aider.