L'interview de Najat Vallaud-Balkacem, en intégralité

  • il y a 3 mois
Dans l'émission "Envoyé Spécial" sur France 2, Divine Kinkela, qui dit vivre en France depuis 30 ans, subit des injures de la part du couple habitant la maison voisine. L'homme, interrogé alors qu'il vient de suivre le président du RN Jordan Bardella lors d'un déplacement dans une ferme, accuse "les Mustapha, les tout ce que vous voulez" de "ne pas respecter les coutumes de la France". Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l’Éducation nationale, était en direct ce vendredi sur BFMTV.

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Transcript
00:00Bonsoir Najat Balou, Belkacem. Soyez bienvenue. Merci. D'abord, quand vous découvrez cette séquence hier soir ou ce matin, que ressentez-vous ?
00:09Je n'étais pas devant ma télé, mais j'ai reçu aussitôt des dizaines de SMS me disant « il faut que tu allumes », donc j'ai allumé, j'étais chez moi.
00:19Je dois le dire, d'abord, j'étais à peu près rassurée par les réactions sur le plateau, parce que je me suis dit « ok, on n'est pas encore complètement au fond du trou, même si on n'en est pas loin ».
00:30Mais quant au propos de M. Trudeau, qu'est-ce que je ressens ? C'est absolument insupportable. C'est-à-dire qu'au fond, ce n'est pas seulement de moi qu'il s'agit,
00:39c'est qu'à travers moi, c'est tous les Français d'origine étrangère ayant une binationalité qui sont accusés de déloyauté automatique.
00:47C'est de la diffamation, c'est de la diffamation massive. Derrière, ça renvoie un message simple à tous nos compatriotes d'origine étrangère qui est « en fait, on ne peut pas leur faire confiance, on ne peut vraiment pas leur faire confiance ».
00:59Vous imaginez la violence et l'agressivité d'un tel propos, de la normalisation d'un tel propos, d'une telle suspicion permanente ?
01:07Je vous avoue que j'y étais quand même habituée, parce que sur les réseaux sociaux, les élus d'extrême droite, leurs partisans, ne m'ont jamais vraiment fait de cadeau.
01:17Donc ce type de discours, j'y ai eu droit souvent. Mais la différence maintenant, et c'est en ça qu'on vit un moment absolument inédit, c'est qu'on a fait changer de statut au Rassemblement national.
01:29Globalement, on l'a banalisé, normalisé, rendu plus acceptable. Et donc du coup, en fait, ce propos, il est entendu par des Français comme étant « pourquoi pas, allez, on peut le tenir ».
01:40En fait, non, on ne peut pas le tenir. On ne peut pas accuser les gens comme ça d'avoir un agenda caché, d'être déloyale, de travailler sous allégeance d'un autre pays.
01:50Ce n'est pas parce qu'on a une binationalité qu'on n'est pas à 100 % français. Moi, je suis à 100 % française. Mon engagement quand même en témoigne depuis des années maintenant.
01:58Tout ce que j'ai fait, je suis arrivée, je calculais, je suis arrivée il y a 44 ans en France. 42 ans. 42 ans en France. J'ai 46 ans. J'avais 4 ans.
02:08Eh bien, toutes ces années, finalement, j'ai non seulement adopté les valeurs de la France, mais j'en suis la première ambassadrice, défenseuse.
02:17Tout mon engagement politique associatif va dans ce sens-là. Et c'est à moi que M. Chudot fait un tel procès.
02:24Écoutons Marine Le Pen, si vous le voulez bien, au sujet des propos de Roger Chudot.
02:30La commission, je pense, des conflits sera saisie. Vous comprenez bien que cette déclaration n'est pas admissible parce qu'il est un élu du RN.
02:40Et donner son avis personnel, puisque c'est son avis personnel, tout en sachant pertinemment que ça n'est pas le projet du RN, je considère que c'est une faute lourde.
02:51Mais ça permet de rassurer aussi l'ensemble des binationaux pour leur dire que non, pas du tout.
02:58On n'entend pas, encore une fois, les écartés de l'ensemble des postes qui sont ceux de notre République et pas des postes d'élus.
03:09Ça n'a jamais été pour le coup dans notre projet.
03:13Vous voilà rassurée.
03:15Y a-t-il encore quelqu'un pour accorder un quelconque crédit à Marine Le Pen ?
03:19C'est quand même elle, Jordane Bardella, qui ont remis sur le devant de la scène cette question des binationaux et de la nécessité de se méfier d'eux,
03:28de ne pas les laisser accéder à des emplois publics.
03:30C'est quand même Marine Le Pen qui a déposé cette proposition de loi en janvier dernier dans laquelle les choses sont écrites noir sur blanc.
03:36J'invite tout le monde à aller la consulter. Elle est publique, cette proposition de loi.
03:40C'est pas simplement, d'ailleurs, non-accès aux ministères ou aux postes de ministre.
03:45Non, c'est non-accès aux emplois publics, aux emplois dans la fonction publique.
03:48C'est non-accès, finalement, à tout ce qui permet à des individus d'être repérés comme des personnalités publiques s'exprimant au nom de l'État.
03:58C'est quand même extrêmement grave d'avoir un jour fomenté ça dans son esprit.
04:03Ça veut dire qu'en fait, il y a une hiérarchisation des citoyens qui est installée.
04:07Le seul projet politique du Rassemblement national, c'est la hiérarchisation des citoyens.
04:12On a bien compris maintenant qu'il n'y a pas vraiment de projet économique, qu'il n'y a pas vraiment de projet social.
04:17La preuve, c'est que chacune des mesures qui avaient été annoncées à grand renfort, de cris de chiffrage économique,
04:24mais c'est bien, en fait, tout ça est détricoté jour après jour.
04:27La seule chose qui demeure, c'est la conviction profonde de tous les élus et partisans du Rassemblement national
04:34qu'il y a des Français de seconde zone qui ne méritent pas vraiment d'être Français, qui sont des Français de papier.
04:41Et donc finalement, demain, aujourd'hui c'est les discours de haine, demain s'ils sont au pouvoir,
04:46ce sera la traque à ces Français de seconde zone.
04:49Est-ce que vous envisagez de porter plainte contre Roger Schudo ?
04:52Oui, je l'ai envisagé. Je ne sais pas si je vais le faire.
04:55Honnêtement, je crois qu'il s'est quand même tellement pris les pieds dans le tapis que ça lui suffira sans doute.
05:00J'ose espérer que plus personne n'imaginera qu'un tel individu finisse ministre de l'Éducation.
05:05Mais surtout, avant toute chose, et c'est pour ça que déposer plainte, c'est peut-être pas la priorité pour moi,
05:10la priorité des priorités, c'est qu'on vote dimanche. On vote dimanche.
05:14Justement, au-delà de la personne de Roger Schudo, est-ce que vous considérez que l'ERN est un parti raciste ?
05:19Ah oui ! Mais ça ne fait pas le moindre doute pour moi.
05:23Et je dis bien raciste même. Je trouve que le terme de xénophobe, d'une certaine façon, est presque trop doux.
05:29Il n'est pas doux dans l'absolu, on se comprend bien.
05:32Mais comme la xénophobie est entendue comme le rejet de l'étranger, de l'ailleurs,
05:36on a l'impression que c'est quelque chose de lointain, on rejette les gens d'ailleurs.
05:39Mais non ! Là, c'est au sein de notre communauté nationale que sont ciblés,
05:44alors d'abord, on prétend qu'on cible les étrangers qui ne sont pas français et qui sont en situation irrégulière,
05:50puis après, c'est de plus en plus extensif comme conception de l'extranéité,
05:54aux Français qui sont naturalisés, puis ensuite, on étend aux Français binationaux,
05:58quelle que soit la façon dont ils ont acquis la binationalité,
06:00parce que vous avez conscience, par exemple, qu'on peut être binational en étant enfant de deux parents,
06:05dont l'un a la nationalité française et l'autre, la nationalité sénégalaise.
06:09Vous voyez, on peut être binational comme ça, donc il faudrait renoncer à être l'enfant de ses deux parents.
06:14Donc, si vous voulez, cette conception très extensive de l'extranéité au sein de la communauté nationale,
06:20c'est ça le véritable projet politique du Rassemblement national, et j'appelle ça du racisme,
06:25puisque sur quoi est-ce que ça se fonde ?
06:27Ça se fonde sur une couleur de peau, une religion, un prénom, voilà.
06:34Donc, en fait, c'est quoi, si ce n'est du racisme ?
06:37– Durant cette campagne Éclair, Najat Vallaud-Belkacem,
06:41on a vu se multiplier les actes, les propos racistes,
06:44notamment de la part d'un couple de sympathisants RN à Montargis,
06:47à l'encontre de leur voisine, noire, prénommée Divine, aide-soignante,
06:51la femme qui tient les propos va à la niche, entre autres,
06:55est fonctionnaire au tribunal de Montargis,
06:57elle a été suspendue cette semaine, d'après nos informations.
07:00Vous avez aujourd'hui échangé avec Divine qui, je le précise,
07:04au passage, est sympathisante du Parti communiste français.
07:07– Oui, je me suis rendue à Montargis ce matin,
07:10je vous avoue que c'était prévu de longue date,
07:12donc c'est intéressant comme connexion avec les propos de M. Chudeau hier soir,
07:17mais bon, il se trouve que voilà, je m'y suis rendue ce matin
07:20parce que je voulais faire la connaissance de Divine,
07:22discuter avec elle, prendre le temps de l'écouter,
07:25écouter son témoignage, pour moi il est très représentatif,
07:28d'ailleurs elle-même le disait, je la cite, elle disait
07:31« Je doute qu'une quelconque personne issue de l'immigration,
07:34ou à la couleur de peau différente, n'ait jamais subi ce type de propos,
07:40de remarques racistes, de comportements inadmissibles,
07:44qu'au début, d'ailleurs, on tolère, et c'est là tout le problème,
07:47c'est qu'en fait, je trouve que notre niveau d'intolérance au racisme
07:51n'est pas suffisamment élevé, collectivement.
07:53Il faut faire un peu ce qu'on a fait avec le sexisme,
07:56où on a progressivement élevé notre niveau d'intolérance,
07:59ne plus accepter, elle donnait un exemple, elle disait
08:02un de mes collègues dans une entreprise où j'étais
08:05m'appelait régulièrement Blanche-Neige.
08:07Bon, c'est pas drôle en fait, c'est pas drôle,
08:10ça commence par des choses comme ça, et puis ça se termine
08:13par des agressions physiques dans la rue,
08:15et on en a encore eu quelques exemples.
08:17Je voulais aussi vous soumettre ce moment très émouvant ce matin,
08:20dans Les Grandes Gueules, sur RMC,
08:22quand Joëlle Dagocéry, chroniqueuse d'EGG,
08:25craque à cause du climat ambiant,
08:28elle est à ce moment-là aux côtés d'Yael Brontivet,
08:30présidente sortante de l'Assemblée nationale.
08:33En tant que personne, je ne sais pas, je ne sais plus
08:36à qui j'appartiens, à quel pays j'appartiens,
08:38je me sens presque apatride, parce que je me dis,
08:41mais est-ce que je suis française ?
08:47C'est vraiment compliqué, c'est vraiment compliqué.
08:50Et je me dis, mais qu'est-ce que vous avez fait de la France ?
08:54Pardon.
08:57Qu'est-ce que ça vous inspire, la Jeanne Vallaud-Belkacem ?
09:01Elle est très représentative de ce que j'entends
09:03depuis des jours et des jours, comme témoignage.
09:05En fait, il y a énormément de tristesse.
09:07Vous voyez, il y a de la colère.
09:08On vous sent émue.
09:09Mais bien sûr, parce que, si vous voulez,
09:12il faut se rendre compte de ce que vivent les personnes
09:14dont nous parlons, et dont je fais partie,
09:16mais d'une certaine façon, ce n'est pas moi le sujet.
09:19C'est les personnes dont nous parlons,
09:21qui ont tout fait, en réalité, pour faire les choses bien,
09:24en fait, s'éduquer, avoir des diplômes,
09:27travailler, fonder une famille, souvent une famille mixte,
09:30d'ailleurs, parce qu'on ne dit jamais
09:31combien la France est métissée,
09:33avoir des enfants qu'elles élèvent ici,
09:35et puis qui se retrouvent ainsi avec une cible dans le dos
09:39pour les besoins politiciens, d'une formation politique.
09:44Le Rassemblement national, qui n'a jamais rien apporté
09:47de bon au paysage politique français,
09:50jamais rien, ni dans son histoire, évidemment,
09:52on ne va pas leur faire,
09:53ni dans la nature des débats et la brutalisation
09:55du débat public aujourd'hui.
09:57Finalement, ces personnes,
09:59elles sont pleines de chagrin, en fait.
10:02C'est un vrai chagrin, c'est comme un chagrin d'amour,
10:04en fait, on se dit, mais...
10:05En plus, dans les discours du Rassemblement national,
10:08souvent suivis, d'ailleurs, par une partie de la droite,
10:10disons-le franchement,
10:11quand ce n'est pas parfois par le président lui-même,
10:14dans certains propos,
10:15on avait l'impression que le vrai problème,
10:17c'était les étrangers qui ne s'intégraient pas,
10:19les étrangers en situation irrégulière, etc.
10:21Mais en fait, du coup, là, vous vous attaquez
10:24à des gens qui se sont intégrés, qui travaillent,
10:28qui même ont un certain succès dans ce qu'ils font,
10:30qui apportent à la société française.
10:32Donc, même en faisant tout cela, ça ne marche pas.
10:36Quand est-ce que ça va s'arrêter ?
10:37Est-ce que demain,
10:38et j'attire votre attention là-dessus,
10:40dans cette conception très extensive de l'extranéité,
10:44demain, le Rassemblement national au pouvoir,
10:46il s'en prendra aussi aux Français
10:48qui épousent des étrangères ou des étrangers ?
10:51Pourquoi pas, en fait,
10:52si l'étranger est un problème à ce point-là ?
10:55Mais vous savez, moi, je vais vous dire une chose.
10:57Je vais vous dire une chose.
10:58Il y a quelques décennies de ça,
11:00dans une période déjà très sombre de l'histoire,
11:02Frantz Fanon disait, à propos des Juifs,
11:05il disait, à chaque fois que tu entends dire du mal d'un Juif,
11:08tends l'oreille, parce que c'est de toi que l'on parle.
11:11Eh bien, aujourd'hui, j'ai envie de vous dire,
11:13quand on entend dire du mal des migrants,
11:15qu'on les voit être déshumanisés comme ils le sont,
11:19eh bien, il faut tendre l'oreille,
11:21parce qu'en fait, par extension,
11:23c'est les migrants, puis les personnes
11:25en situation irrégulière sur le territoire,
11:27puis les Français naturalisés,
11:29puis les Français binationaux.
11:30Demain, ce sera les associations
11:32qui aident les personnes en question.
11:34Après, demain, ce sera les journalistes.
11:36En fait, ce sera nos libertés publiques à tous.
11:40C'est toute la capacité que nous avons à vivre
11:43comme des citoyens libres, émancipés,
11:45avec des droits qui nous protègent dans ce pays,
11:48qui sera remise en cause si, le 7 juillet au soir,
11:50c'est le Rassemblement national qui accède au pouvoir.
11:52Et je veux juste terminer sur un mot.
11:55Il y a une façon d'empêcher cela.
11:57Soyons très, très clairs aujourd'hui,
11:59et allons droit au but,
12:00c'est que les candidats Renaissance
12:02ou les Républicains qui arrivent en troisième position
12:05au soir du premier tour des élections législatives
12:08se désistent en faveur du seul candidat
12:10qui défendra les valeurs de la République,
12:12qui ne sera jamais le Rassemblement national.
12:14Merci Najat Baoulabel Kassem.
12:16Merci d'avoir accepté l'invitation de Weekend 3D sur BFM TV.

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