Matignon : coup d’envoi des négociations

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Tous les jours de la semaine, invités et chroniqueurs sont autour du micro de Stéphanie de Muru pour débattre des actualités du jour.
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Transcript
00:00On retrouve nos invités, Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire,
00:04professeur associé à l'Université Paris-Sorbonne,
00:07Antonin André, chef du service politique du JDD.
00:10Alors c'est demain que débutent les consultations à l'Élysée avec les présidents de groupe et les chefs de parti.
00:16Je le rappelle, le but, dégager une majorité en vue de la formation d'un nouveau gouvernement.
00:21Alors il y a déjà eu un brief à l'Élysée manifestement ce matin.
00:24Le message est clair, il faut une majorité qui ne se fera pas renverser.
00:29On a envie de dire que ce n'est pas gagné cette affaire, Arnaud Benedetti.
00:32Il n'y a pas d'équation optimale, c'est le moins qu'on puisse dire.
00:37En fait, il y a trois, voire quatre solutions possibles, mais toutes sont extrêmement complexes.
00:42La première solution, c'est la solution que propose le nouveau Front populaire,
00:46mais jusqu'à preuve du contraire, l'arithmétique est claire.
00:49193 ou 197 députés, ça ne fait même pas une majorité relative.
00:53Alors le président de la République peut être tenté finalement, pour purger cette affaire,
00:57de nommer Madame Casse-tête, après tout, pourquoi pas, il pourrait le faire.
01:01Il paraît qu'il n'aurait pas le choix, d'après le...
01:03Il ne le fera certainement pas.
01:05Deuxième solution, c'est l'hypothèse d'une combinaison entre ce que l'on appelle le bloc central et la droite républicaine.
01:13Mais là aussi, il peut y avoir une articulation politique,
01:17mais arithmétiquement, ça reste insuffisant également.
01:20Certes, c'est un peu plus que ce que peut représenter le nouveau Front populaire, mais c'est insuffisant.
01:26Troisième hypothèse, c'est la grande coalition.
01:28Mais la grande coalition, aujourd'hui, à ce stade, il faut fracturer le nouveau Front populaire,
01:32et je ne vois pas, si vous voulez, une grande partie des députés socialistes...
01:37Vous ne le voyez pas, parce que c'est vrai qu'on en parlait, ça monte, les divisions quand même.
01:41Oui, les divisions, mais ça sera certainement insuffisant.
01:43Ils considèrent, la plupart d'entre eux, qu'ils n'ont pas reçu mandat, aujourd'hui, à l'heure où nous parlons,
01:48pour rentrer en voie de coalition avec le bloc central.
01:54Ça sera, là aussi, très complexe.
01:56Quatrième hypothèse, c'est le gouvernement technique.
01:59Cette solution à l'italienne.
02:00Mais le gouvernement technique, il sera soumis aux mêmes contraintes qu'un gouvernement politique.
02:04C'est-à-dire que, par exemple, il faudra qu'il fasse adopter son projet de loi de finances.
02:08Je rappelle quand même que là, il y a une urgence, et un projet de loi de finances, c'est compliqué à bâtir.
02:12On est très en retard, il faut le rappeler.
02:14Gabriel Attal a fait ses propositions, ça sera probablement cette solution qui sera choisie.
02:19Aujourd'hui, si vous voulez, finalement, mis à part l'hypothèse de la grande coalition,
02:23toutes les autres hypothèses se heurtent à la possibilité, à tout moment,
02:28qu'un gouvernement soit renversé par une motion de censure.
02:32On est véritablement dans une situation tout à fait inédite sur la Ve République, ça a été dit et répété.
02:36Antonin André, comment vous le sentez ?
02:39Écoutez, c'est difficile de jouer les oracles.
02:42Je pense que le travail de décantation que le Président a voulu laisser faire pendant cet été
02:51n'est pas totalement inutile,
02:53et que notamment la sortie de Jean-Luc Mélenchon en début de semaine sur la destitution
02:58fait un peu bouger les lignes.
03:00Je ne dis pas que la majorité des parlementaires socialistes sont prêts à un accord de coalition,
03:06mais je pense néanmoins que la nomination d'Abernard Cazeneuve, par exemple,
03:11serait une option intéressante pour voir de quelle façon ça peut ou non faire bouger les lignes.
03:16Je pense aussi que chez les écologistes, Marine Tendelier est très contestée en interne,
03:22et qu'une partie des écologistes sont prêts, sont mûres aujourd'hui
03:26pour casser le Nouveau Front Populaire et se désarêter de la France Insoumise.
03:30Après, il y a aussi une incidente que vous n'avez pas évoquée mais qui pèse également,
03:34ce sont les municipales.
03:35C'est-à-dire que tous ces élus socialistes et les élus écologistes ont aussi en tête
03:39les élections municipales pour lesquelles ils auront besoin d'une coalition de gauche.
03:44Et c'est vrai que ça les tient de façon extrêmement ferme dans cette alliance du Nouveau Front Populaire.
03:50Est-ce qu'elle est encore tenable, Antonin André, parce qu'on parlait de l'affaire Imassan ?
03:53Aujourd'hui, je vous cite, alors ce sont des petits courants, mais Hélène Geoffroy,
03:57la maire de Vaux-en-Velin, qui avance l'idée que ce serait bien d'aller voir même Macron sans les Insoumis.
04:02Le vice-président de la région Occitanie, Kamel Oshibi, proche de Carole Delga,
04:06idem, quelle crédibilité de s'afficher avec eux.
04:09C'est pour ça que je vous dis que la poutre travaille.
04:14Je suis incapable de vous dire à ce jour si ce sera suffisant,
04:18mais je pense que le Nouveau Front Populaire ne passera pas l'année de toute façon,
04:22et que le sujet qui se pose aujourd'hui pour un certain nombre d'élus, qui quand même sont jeunes,
04:26ont à se prononcer dans un climat politique extrêmement antagonisé,
04:31qui encore, devant eux, des échéances et une carrière politique assez longue,
04:35sont aujourd'hui confrontés quand même à un choix.
04:38Un choix, en conscience, dont j'espère que certains seront capables de franchir le pas.
04:43Il n'y a pas un manque de courage quand même ?
04:45Si, bien sûr qu'il y a un manque de courage.
04:47Olivier Faure en est l'illustration éloquente.
04:49C'est-à-dire qu'Olivier Faure est devenue la carpette de Jean-Luc Mélenchon,
04:53sur laquelle le patron de la France Insoumise s'essuie allègrement,
04:57et Olivier Faure, ne pensant qu'à son petit siège de premier secrétaire du Parti Socialiste
05:01et à son mandat électif, est incapable d'avoir le courage de convictions politiques
05:05qui soient en cohérence avec l'histoire du Parti Socialiste et avec la social-démocratie.
05:09Donc si, la lâcheté est un mal coupable, en particulier chez les partis qui sont minoritaires.
05:14Donc j'espère que de ce point de vue-là, la clarification qu'il y aura aussi à Blois,
05:18aux journées parlementaires, sera intéressante à suivre.
05:20Je ne suis pas sûr que le rapport de force aujourd'hui soit si défavorable
05:23à ceux qui veulent aujourd'hui briser le lien avec LFI,
05:28quitte à expliquer que d'une certaine façon, il ne s'agit pas d'un programme présidentiel,
05:32il ne s'agit pas d'un grand programme de réforme,
05:34il s'agit de gérer les affaires courantes dans l'intérêt général.
05:38Et d'apporter sa pierre à cette œuvre d'apaisement et de travail
05:42qui fait appel à la raison, au compromis et au consensus.
05:45Ce n'est pas tellement déshonorant pour un homme politique aujourd'hui de participer à ça.
05:48Arnaud Bénédetti ?
05:49Moi si vous voulez, je pense qu'il y a quand même plusieurs contraintes pour cette configuration.
05:54La première contrainte, c'est qu'une grande partie de l'électorat de gauche
05:59qui a voté lors de ces dernières élections législatives,
06:03a voté aussi contre Emmanuel Macron.
06:05Il ne faut jamais l'oublier.
06:07Et ça va être difficile de lui expliquer qu'on a combattu Emmanuel Macron
06:12et qu'ensuite on est prêt à rentrer dans une voie de coalition.
06:16Ça c'est un premier élément.
06:17Deuxième élément, qui est lié à la nature même du régime.
06:20C'est-à-dire que si vous voulez, on nous parle des grandes coalitions
06:23telles qu'elles existent dans un certain nombre de démocraties parlementaires.
06:27Mais il ne faut jamais oublier une chose,
06:29c'est que le problème de la Ve République, c'était un régime hybride.
06:32C'est un régime, certes parlementaire, ce qu'on appelle le parlementarisme rationalisé,
06:36mais c'est un régime semi-présidentiel.
06:38Et que l'élection quand même, dont tout dépend dans notre vie politique,
06:43ça reste et ça demeure l'élection présidentielle.
06:46Arnaud, mais est-ce qu'il n'y a pas eu l'invitation à exister ?
06:48Et ça s'est bien passé ?
06:49Oui, mais parce qu'il y avait une majorité.
06:50C'est la différence fondamentale.
06:51C'est qu'il y avait une majorité qui avait été sanctifiée par les urnes.
06:54Mais même si elle n'est pas sanctifiée par les urnes,
06:56est-ce que le président de la République ne peut pas se placer en surplomb et dire
06:58je lâche le manche ?
07:01Je termine.
07:02L'autre question, c'est que la plupart des acteurs politiques
07:05ont malgré tout, qu'on le veuille ou non, et des grands responsables politiques,
07:08les yeux qui continuent à être rivés sur l'échéance présidentielle.
07:12Et on le voit bien d'ailleurs, par exemple, même dans l'attitude de M. Vauquiez,
07:15qui est plutôt favorable lui à un pacte législatif.
07:18Je crois qu'ils n'ont pas envie d'aider Emmanuel Macron.
07:20Il est contraint.
07:21Mais vous voyez bien que le pacte législatif qu'il propose,
07:24c'est une côte qui est quand même un peu mal taillée.
07:27C'est une sorte de soutien sans participation.
07:30À part l'intérêt de la France, quel intérêt aurait-il à y aller ?
07:33Oui, mais les électeurs vous regardent.
07:35C'est-à-dire que les électeurs de droite et de Laurent Wauquiez,
07:37si Laurent Wauquiez ne joue que la carte personnelle
07:40et privilégie le chaos,
07:42plutôt que d'essayer d'avoir une position,
07:45un poste responsable,
07:46ils le jugeront aussi à l'aune de ses prises de décision.
07:49Je suis d'accord.
07:50Mais je pense quand même qu'on le veuille ou non,
07:51aujourd'hui, si vous voulez, la maillotique qui peut permettre
07:54d'accoucher d'une grande coalition
07:58telles qu'elles existent,
07:59dans un certain nombre, encore une fois,
08:01de démocraties voisines,
08:03est extrêmement confliquée structurellement.
08:05Moi je pense, je fais partie de ceux qui pensent
08:07de la même manière que je l'ai toujours pensé
08:09lors de la précédente législature,
08:10que cette législature n'irait pas jusqu'au bout.
08:13Donc c'est le R.L. qui a raison quand Edwige Diaz dit
08:15la seule solution c'est de la dissolution
08:17et nous on prépare les prochaines élections,
08:18c'est eux qui ont raison.
08:19Si on suit l'esprit des institutions de la Ve République,
08:22l'esprit tel qu'il a été insufflé par son père fondateur,
08:26c'est-à-dire le général de Gaulle,
08:28celui qui devrait en tirer les responsabilités politiques,
08:31c'est le président de la République.
08:33Il ne le fait pas, en l'occurrence.
08:35C'est-à-dire démissionner ?
08:36C'est évident. Aujourd'hui, de Gaulle,
08:38se retrouvant dans cette situation,
08:39aurait démissionné.
08:40Ce n'est pas le cas d'Emmanuel Macron.
08:42Il décide, la Constitution lui permet, certes,
08:44de rester et de construire, d'essayer de construire
08:47une solution politique.
08:49Mais je pense qu'il se heurte, aujourd'hui,
08:51à une difficulté structurelle
08:54qui est liée à la fois, en effet,
08:56aux jeux partisans des uns et des autres,
08:58qu'on peut contester et condamner,
09:00et au fait aussi que, structurellement,
09:02la Ve République ne permet pas, vraisemblablement,
09:04une culture de compromis comme elle peut exister ailleurs.
09:07Il y a quelque chose de cocasse,
09:09on l'a déjà un petit peu commenté hier,
09:10mais ce sondage Harris Interactive pour Challenge,
09:13j'imagine que vous l'avez vu,
09:14Anthony André et Gabriel Attal
09:15qui bénéficient de 40% d'opinions favorables
09:18pour rester Premier ministre,
09:19c'est le chouchou avant Bardella.
09:21Je précise quand même que Lucie Castex,
09:22elle arrive en 21ème position,
09:24ce n'est pas brillant avec 17%,
09:25ce n'est qu'un sondage, mais quand même.
09:27Parce que les Français se rassurent
09:28avec des personnalités qui se sont installées
09:30dans le paysage politique,
09:31qu'ils connaissent, qu'ils identifient.
09:32C'est pour ça qu'Elisabeth Borne va revenir, elle aussi.
09:34Mais ça n'a que peu de valeur en réalité,
09:37et je ne suis pas sûr que...
09:39Vous sous-estimez peut-être la popularité
09:41de Gabriel Attal, non ?
09:42Non, mais vous n'imaginez pas
09:43que le Président de la République,
09:44après la dissolution qu'on a vécue
09:45et les nouvelles élections,
09:46maintienne Bruno Pivet à la présidence de l'Assemblée
09:49et Gabriel Attal comme Premier Ministre.
09:50Je vous rappelle qu'elle...
09:51Non, mais je sais.
09:52Elle a été élue.
09:53Non, mais je sais bien.
09:54Mais si vous voulez, vous voyez bien que
09:56tout change pour que rien ne change,
09:58là, pour le coup, ce serait totalement baroque.
10:00Mais pour revenir à ce que vous disiez, Arnaud Bénédicte,
10:03je souscris, moi, au fait majoritaire
10:06qui structure la vie politique française
10:07et qui fait que, de toute façon,
10:08on n'a pas cette culture, effectivement,
10:10du compromis de la coalition.
10:11À ce détail près que,
10:13quand on fait le comparatif avec l'Allemagne
10:15ou d'autres démocraties parlementaires,
10:16où il y a des coalitions,
10:17des gouvernements qui se forment,
10:18mais c'est avant les élections.
10:20Ce sont sur des programmes de législature.
10:23On est dans une situation qui est un peu différente
10:25et c'est pour ça que, d'une certaine façon,
10:27moi, j'en veux un peu aux politiques
10:28de ne pas être capables
10:30de comprendre que ça n'est pas une coalition
10:33de projets de long terme ou de législature.
10:36C'est un projet de coalition
10:37pour faire en sorte que
10:39on puisse se mettre d'accord
10:40sur quelques grands sujets
10:41qui préoccupent les Français.
10:42Ça n'est pas très engageant
10:44et peut-être qu'ils seraient crédités
10:46de vouloir faire passer cet intérêt général
10:48et cette gouvernance et cette stabilité,
10:50y compris dans la perspective des chances futures.
10:52Je regrette un peu le manque de courage
10:54et d'invention intellectuelle
10:56de notre classe politique.

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