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80 ans du massacre de Maillé - Sabine Thillaye

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00:00Evidemment, tout le monde a en tête ce qui s'est passé au Radours-sur-Glane, à quelques centaines de kilomètres d'ici.
00:06Maillé n'a pas été reconnu
00:08pour plusieurs raisons, mais peut-être aussi parce que
00:11il n'y a pas de traces visibles de ce qui s'est passé ici. Le village a été entièrement reconstruit.
00:16Oui, oui, et ça c'est vraiment quelque chose qui, là, nous met en colère.
00:20On a régulièrement des personnes qui viennent à Maillé et qui s'étonnent de ne pas trouver de ruines et qui considèrent que
00:26l'histoire de Maillé ne serait intéressante que s'il y avait des ruines à voir.
00:29Il ne faut pas oublier qu'en fait, c'est au Radours, l'exception, c'est au Radours qu'a été le village proposé.
00:36Sanctuarisé.
00:37Exactement, et c'est à au Radours qu'on a des ruines. Et quand on parle de l'ensemble des villages martyrs sur le sol français,
00:41il n'y en a qu'un seul pour lequel il y a eu un réel travail de mémoire, c'est au Radours-sur-Glane.
00:45Maillé reste encore aujourd'hui une histoire oubliée, comme ses autres villages.
00:49Et l'absence de ruines, l'absence de choses visuelles, en fait, contribue évidemment à cet oubli.
00:55Plusieurs raisons aussi au fait qu'on ait oublié. On parlait de la parole qui a eu du mal à se libérer.
01:01Je repose la question, et pourquoi ça a mis autant de temps à sortir, quelque part ?
01:06Il y a l'assidération, le fait que les victimes, pour elles, c'est quelque chose de très dur à évoquer.
01:11Il y avait un tabou dans le village, parce que c'était le sujet qui rendait triste tout le monde.
01:15On doit se le dire aussi, les tensions liées à la reconstruction ne vont pas aider à l'évocation.
01:24Et puis surtout, et c'est là où il y a une responsabilité des personnalités politiques et des médias,
01:29c'est que personne ne s'est intéressé à cette histoire, personne n'a posé des questions aux survivants.
01:33Les survivants, quand on leur a posé des questions, ils ont répondu.
01:35Ça veut dire qu'en fait, personne ne s'était intéressé.
01:37Maillé, c'était les paysans du fond de la Touraine qu'on a laissé se débrouiller avec leur histoire.
01:41On leur a reconstruit leur village, et ensuite on leur a dit, écoutez, maintenant passez à autre chose.
01:45Et ça, c'est un vrai sujet de colère, qui est partagé par beaucoup de témoins et de leur famille.
01:51La parole s'est libérée, on l'a dit, au milieu des années 90.
01:54Et ensuite, elle s'est nouée également avec des associations allemandes.
02:01Il y a une petite dizaine d'années, des associations allemandes qui sont venues à Maillé, racontez-nous.
02:06Oui, au départ, ça a commencé avec un échange franco-allemand qui a été mis en place.
02:11Ça, c'était une initiatrique très courageuse de la part de Bernard Helioum, le maire de l'époque,
02:15et Serge Martin, rescapé du massacre, président de l'association,
02:18qui ont accepté qu'il y ait des jeunes allemands et des jeunes français qui se rencontrent à Maillé
02:21pour faire un chantier commun.
02:23Il faut imaginer que dans les années 90, entendre parler allemand à Maillé, c'était impossible.
02:28C'était inconcevable.
02:30Aujourd'hui, on a eu une petite prise de parole en allemand le jour de la commémoration.
02:35Un chemin parcouru en 30 ans qui est exceptionnel, initié entre autres par Bernard Helioum et Serge Martin.
02:40On va justement évoquer ce grand chemin qui, en si peu d'années, a été parcouru avec vous, Sabine Thillet, bonjour.
02:47– Oui, bonjour.
02:48– Vous êtes députée de la 5e circonscription d'Indre-et-Loire,
02:51symbole, j'ai envie de dire, de la nouvelle relation,
02:54nouvelle, elle date de plusieurs années maintenant,
02:56mais la relation franco-allemande aujourd'hui, puisque vous êtes franco-allemande.
02:59Pourquoi c'est important pour vous de venir ici ?
03:02– D'abord, c'est toujours un miracle d'une certaine manière de pouvoir venir,
03:08parce que je suis arrivée en France il y a 41 ans, c'est-à-dire une vraie Allemande d'origine,
03:14pas simplement parce que j'avais un père ou une mère qui étaient allemandes, mais formation allemande.
03:20Et au début, on ne pouvait même pas venir avec une voiture à plaque allemande, à maillet, on nous mettait en garde.
03:29De me dire aujourd'hui, 41 ans après, je suis députée française,
03:35mais avec double nationalité à l'Assemblée nationale,
03:39c'est un chemin qui reste quelque chose d'exceptionnel.
03:43Quand je suis ici, je suis toujours extrêmement émue,
03:47mais je me demande aussi toujours comment faire pour que la folie humaine,
03:53la face noire puisse éclaircir un peu.
03:57– L'Allemagne qui a participé au travail d'enquête également,
04:00il y a eu un procureur allemand, le procureur de Dortmund,
04:03qui avait travaillé au début des années 2000 pour trouver les responsables,
04:08puisque ces massacres sont imprescriptibles en Allemagne.
04:14Qu'est-ce que ça a donné Romain Taillefay ?
04:17– Deux aspects à ma réponse.
04:20Sur le plan de l'enquête, malheureusement,
04:22le travail a été classé sans suite à la fin de l'année 2016, début 2017,
04:26avec même un retour en arrière sur les unités responsables,
04:29puisque l'unité que nous on considérait responsable du massacre,
04:32la justice allemande a refusé de dire que c'était eux,
04:34ils l'ont mis dans un catalogue d'autres unités.
04:36C'est pour ça qu'il a fallu attendre 2021 et la preuve
04:39pour qu'on puisse affirmer que c'est bien cette unité qui a fait le massacre.
04:42Il n'empêche que sur le plan mémoriel, ça a été un déclic très important,
04:45puisque la personnalité du procureur en masse,
04:47le fait qu'il vienne ici et qu'il soit extrêmement ému
04:49lors de la rencontre des victimes, a été, je crois, un passage indispensable
04:53pour qu'on puisse avoir un vrai travail de réconciliation à Maillé.
04:57Sans cette démarche-là, je crois que pour les survivants et leurs familles,
05:01ça aurait été compliqué d'accepter des présences allemandes,
05:04parce que pour eux, il y aurait eu un absence de reconnaissance
05:06de la République fédérale d'Allemagne, de ce qui s'était joué ici le 25 août 1944.
05:10Sabine Thierry, vous étiez présente ?
05:12J'étais présente, c'est vrai que c'est la première fois à ce moment-là
05:16que j'ai pu discuter, moi aussi, vraiment avec des survivants.
05:20Qu'est-ce que vous aviez ressenti à l'époque ?
05:24En tant que d'Allemande d'origine, beaucoup d'honte, d'une certaine manière,
05:27mais aussi, je me suis toujours engagée pour la construction européenne,
05:32vous le savez bien, pour la réconciliation franco-allemande aussi,
05:37donc aussi beaucoup d'espoir, de dire que c'est possible.
05:40C'est-à-dire, quand on a discuté avec Serge Matin,
05:44de dire qu'il y a des gens capables de transcender l'horreur,
05:47comment on réagit, nous, si on a vécu ça dans notre vie ?
05:50On ne le sait pas, en réalité, mais il y a des êtres humains comme ça,
05:53qui sont capables de le faire, ça donne aussi beaucoup de dynamisme
05:59pour continuer le chemin, j'ai envie de dire.
06:01Et aussi des jeunes, parce que vous avez parlé des jeunes,
06:04c'était l'association Alpha, la petite histoire veut aussi la ville voisine
06:10de ma ville natale, Vopatal.
06:12Donc je connais très bien, et c'était encore un petit clin d'œil
06:15de dire qu'il y a un vrai rapprochement.
06:18Vous avez évoqué le mot de honte.
06:21Est-ce qu'il y a encore aujourd'hui, en 2024, une culpabilité allemande
06:26sur ce qui s'est passé, en particulier sur ce massacre ?
06:29Oui, il y a encore une culpabilité, et surtout beaucoup de questionnements.
06:33Parce que moi, souvent, les gens me disent
06:35« Mais toi, tu n'étais pas de cette génération-là. »
06:38Mais automatiquement, on se pose quand même la question.
06:40Pourquoi nous ? Pourquoi nous ?
06:42Pourquoi la génération de nos parents ?
06:45Pourquoi dans un pays de philosophes, de littéraires, de musiciens,
06:50ce qui est très clairement l'Allemagne,
06:52où la culture joue un rôle extrêmement important,
06:55et ça arrive chez nous ?
06:58Ça part de chez nous ou de mon autre chez moi ?
07:01Ça reste un grand questionnement.
07:04Vous êtes députée de la République, Sabine Thillet.
07:07On a évoqué tout à l'heure la difficulté pour ceux qui font vivre le souvenir ici
07:13de faire comprendre à l'État français, aux autorités,
07:17qu'il faut plus de reconnaissance.
07:19Est-ce qu'un jour, dans les années à venir,
07:21on pourra avoir deux présidents français, un président allemand
07:25et un président français ici à Maillé pour une commémoration ?
07:28Comme il y a eu à Auradour-sur-Glane il y a quelques années.
07:31Comme ça a eu lieu à Auradour-sur-Glane.
07:33Moi, je trouve qu'effectivement, on devrait aller vers un événement comme ça.
07:39Moi, je serai là pour être intermédiaire tant que je le peux.
07:44J'aimerais bien aller plus loin.
07:47Je trouve qu'on manque de chemin européen de la mémoire.
07:50De chemin européen, c'est-à-dire ?
07:51C'est-à-dire quelque part, il y a des lieux de mémoire un peu partout.
07:54Il y a eu beaucoup de souffrance, partout aussi.
07:58Parfois, je me dirais qu'on devrait lier les lieux de souffrance,
08:02mais dans un chemin européen.
08:04Romain Taillefay ?
08:06Après, l'initiative de Tracer un chemin me dépasse.
08:11Par exemple, on présente depuis le mois de juillet une exposition
08:15sur les violences commises au printemps et l'été 1944 sur le sol français
08:19pour essayer de donner du sens à cette violence commise par l'armée allemande,
08:23expliquer pourquoi il y a des massacres sur le sol français.
08:26Et finalement, on a décidé d'étendre à des massacres sur le sol italien,
08:29puis à quelques villes allemandes ou des endroits en Allemagne
08:33où il y a eu des massacres de civils allemands commis par la Waffen SS
08:36pour montrer qu'en fait, cette violence se déplace
08:39et qu'on a aussi des populations allemandes qui, au printemps 1945,
08:45cette fois, sont victimes de massacres de la part de la Waffen SS
08:48comme l'a été Maillet le 25 août 1944.
08:51C'est une histoire que nous avons en commun, la Seconde Guerre mondiale.
08:54Et c'est un travail que vous menez avec Friedhelm Boll,
08:56qui est d'ici membre de l'association Contre l'oubli pour la démocratie,
09:00qui fait un travail remarquable sur cet angle précis.
09:03Vous travaillez avec lui, vous le connaissez bien ?
09:07Je le connais, mais on n'a jamais vraiment travaillé ensemble.
09:10Mais c'est lui qui oeuvre vraiment, et c'est assez remarquable.
09:16Il nous a permis, notamment, de rencontrer en 2018
09:19le ministre des affaires européennes de la République fédérale d'Allemagne.
09:22On a été reçu au ministère en Allemagne.
09:24Et le ministre des affaires européennes est ensuite venu à Maillet au mois de novembre,
09:28où il a décoré M. Martin de la Croix fédérale du Mérite,
09:30l'équivalent de la Légion d'honneur, pour faire simple, en Allemagne.
09:33Et ça, c'était très symbolique ?
09:34C'était très, très important.
09:35Et donc, cette initiative, c'est lié au travail de Friedhelm Boll,
09:38à qui on doit énormément reconnaissance,
09:42parce qu'il a été une pierre décisive dans la réconciliation franco-allemande.
09:48On va remercier Sabine Thillier, députée franco-allemande de Montréal.
09:51Merci d'avoir accepté notre invitation.
09:53Romain Taiffé, qu'est-ce que sera demain le travail de mémoire, ici, à Maillet ?
09:59On s'interroge beaucoup, comme je vous l'ai dit tout à l'heure.
10:01Nous, on essaye de donner des éléments de compréhension de cette violence.
10:05On a vraiment axé notre réflexion sur ce sujet.
10:09Maintenant, ce travail de mémoire, on va le poursuivre,
10:14avec des moyens qui vont être moins importants.
10:16Clairement, la situation de la Maison du Souvenir n'est pas brillante.
10:20On a des moyens en baisse, ce qui nous inquiète.
10:24Donc, je crois qu'on va se centrer surtout sur le travail scolaire,
10:27qu'on évoquait tout à l'heure,
10:28et réfléchir à comment est-ce qu'on peut donner un nouveau souffle à notre structure.
10:33Est-ce que ce serait en refaisant les salles d'exposition ?
10:36On ne sait pas.
10:37Là, il y a tout à penser.
10:38On a axé notre énergie sur le 80e anniversaire.
10:40On verra demain.
10:42Merci beaucoup, Romain Taiffé.
10:45Pour celles et ceux qui ne connaissent pas ou qui veulent tout simplement approfondir
10:49leur connaissance sur ce qui s'est passé ici, sur ce drame,
10:53je les invite justement à venir, ici, à Maillet, à la Maison du Souvenir.

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