80 ans du massacre de Maillé - Jacqueline Hinderscheyde et Arnaud Grandson

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80 ans du massacre de Maillé - Jacqueline Hinderscheyde et Arnaud Grandson

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00:00On revient sur les causes de ce massacre commis par des unités, notamment des unités de la Waffen-SS en provenance de Châtellerault, non loin d'ici.
00:09Est-ce qu'on a une explication sur le pourquoi ?
00:14Comme je disais précédemment, il y a cette idée de marquer les esprits en fait.
00:17On a en Touraine une chienne hiérarchique avec, je le disais, des anciens du Front de l'Est, on a cette troupe Waffen-SS.
00:24L'occupant est excédé des actions de résistance.
00:28Il veut faire en sorte de sécuriser ses troupes pour encore quelques jours et donc ils vont choisir un village à la fois un petit peu au hasard.
00:35On a aussi quelques actions de résistance qui vont servir de prétexte.
00:38Et puis sur le plan logistique, soyons honnêtes, on parle à des militaires et donc il y a un côté pratique.
00:43Et donc pour Maillé, c'est plus pratique parce qu'avec la base, le camp militaire à Noitre et 300 soldats et une garnison allemande à Sainte-Mère-de-Touraine,
00:50il y a tout ce qu'il faut en unité pour verrouiller le village.
00:54On a l'unité Waffen-SS qui va frapper et les troupes de la Wehrmacht qui vont pouvoir verrouiller le bourg pour empêcher l'accès aux secours et empêcher les gens de s'enfuir.
01:01On va faire un petit bond dans le temps, la guerre se termine.
01:04Il y a eu une enquête judiciaire ?
01:06Oui, il y a eu une enquête judiciaire qui a été menée par la justice française mais qui a été, on peut le dire, bâclée
01:11et qui n'a amené qu'à la condamnation à mort par contumace d'un sous-officier basé à Sainte-Mère-de-Touraine.
01:16Mais il n'a jamais été retrouvé par la suite, il n'a jamais purgé sa peine.
01:21Même l'unité responsable du massacre n'avait pas été identifiée à l'issue de cette enquête judiciaire.
01:27Il n'y avait pas de preuves de traces hormis un message qui avait été laissé sur l'une des victimes ?
01:32Oui, sur plusieurs victimes, des billets avaient été laissés mais aucun élément, en tout cas d'après les enquêteurs,
01:39aucun élément ne permettait d'identifier précisément l'unité responsable du massacre.
01:43En fait, tout les accusait, il y avait énormément d'indices, il y avait un faisceau de présomption
01:47mais jamais ils n'ont pu pousser les recherches au point d'identifier formellement l'unité, ce qui a été fait beaucoup plus tardivement.
01:53Cette quête de vérité est actuelle justement puisqu'on a su, finalement, il y a quelques années,
01:57seulement ce qui s'est passé et qui en étaient les responsables ? C'est très récent ?
02:01Oui, l'unité a été identifiée avec une quasi-certitude au milieu des années 2000.
02:08Avec des archives américaines ?
02:10Alors au départ, c'est vraiment le faisceau de présomption qui a vraiment pu être mis au jour
02:14pour dire que c'est bien cette unité qui avait fait le massacre mais il nous manquait la preuve irréfutable.
02:18Et la preuve irréfutable, on l'a trouvée en juin 2021.
02:21Et donc maintenant, on peut affirmer avec certitude que l'immense majorité du massacre a été perpétrée par une unité Waffen-SS de Châtellerault.
02:27Aucun espoir de, vous disiez, les soldats de l'époque avaient 17-19 ans, aucun espoir de trouver encore aujourd'hui des... ?
02:35Non, des personnes qui pourraient être jugées ? Non, peut-être qu'il y en a qui sont encore en vie, peut-être,
02:41même si c'est de moins en moins probable, mais je crois que c'est surtout...
02:45Il faudrait pouvoir prouver la participation individuelle d'un soldat à ce massacre,
02:50trouver des preuves que telle, telle personne a tué tel ou tel habitant.
02:53Et ça, 70 ans, 80 ans après, c'est littéralement impossible.
02:56Donc je crois qu'on n'a aucune chance de ça.
02:59Le fait d'avoir mis du temps à trouver des responsables, ça a participé aussi au fait qu'on ait oublié ce massacre ?
03:05Oui, exactement. C'est vraiment une injustice sur le plan judiciaire.
03:09Et cet oubli est une deuxième injustice sans nom.
03:14Et c'est quelque chose qui est évidemment très mal vécu par les témoins, le fait que cette histoire soit totalement passée sous silence.
03:20Romain Taiffé, on va accueillir avec nous, autour de ce plateau ici à Maillé, Arnaud Grandson et Jacqueline Inderscheid.
03:28Bonjour à vous deux. Bonjour. Jacqueline Inderscheid, vous avez 97 ans.
03:33Vous aviez 17 ans à l'époque des faits.
03:37Vous avez perdu votre maman et votre petite sœur.
03:40Alors, il y a une histoire d'amitié qui s'est nouée sur ce drame entre vous deux, entre vous Jacqueline et Arnaud.
03:46Arnaud, vous habitez à côté de Béziers. Jacqueline est votre voisine, c'est ça ?
03:51Oui, c'est ça. On habite un petit village de l'Hérault. Depuis 14 ans, on est dans le même village.
03:56Et vous avez fait des centaines de kilomètres pour venir ici. Expliquez-nous un petit peu votre histoire d'amitié.
04:01En fait, on est dans un quartier dans le village où on a continué à organiser pas mal de choses avec les gens de toutes les générations.
04:10On se retrouve à boire un verre, à manger ensemble et on a voulu conserver cet esprit multigénérationnel qui existait dans les villages.
04:18Et il y a cinq ans, Jacqueline vous fait part d'un mal-être, d'un malaise parce qu'elle ne peut pas se rendre à Maillé.
04:25Oui, c'est ça. En fait, tous les ans avant, elle était accompagnée par des amis qui l'amenaient à Maillé.
04:30Et puis, au moment du 75e anniversaire, elle n'avait personne pour l'accompagner.
04:34Et un soir, j'étais passé la voir. Elle n'allait pas très bien, mais elle n'osait pas trop me dire le pourquoi.
04:39Et puis, au bout d'un moment, elle a fini par m'avouer qu'elle n'avait personne pour l'accompagner.
04:43Et je lui ai dit, on y va. C'était évident.
04:46Et vous connaissez cette histoire ?
04:48Très peu, en fait, parce que dans le village, elle en parle très peu.
04:52Et finalement, moi, j'ai plus découvert l'histoire de Maillé et de Jacqueline, ce qu'elle a vécu à Maillé depuis qu'on vient ici.
05:00Jacqueline, je disais, vous avez 97 ans. Vous venez chaque année ici.
05:05J'essaye.
05:06Vous essayez, dans la mesure du possible.
05:09On va évoquer votre histoire. Je disais, vous avez perdu votre mère et votre soeur.
05:15Est-ce que vous pouvez nous raconter ce qu'il s'est passé pour vous ce 25 août 1944 ?
05:23Ce qu'il s'est passé, c'est cette journée-là.
05:27Pour la vivre, c'est cette journée-là.
05:32Quand vous avez vécu une journée comme celle-là, tout devient très dur.
05:46Est-ce qu'on peut vivre avec ce traumatisme ?
05:51Comment on fait ?
05:53Exactement.
05:57Quand les personnes chères sont parties, vous êtes déchirés pour la vie complète.
06:04Heureusement, vous avez des amis qui viennent, qui vous tiennent par un bras, qui vous tiennent par l'autre.
06:13Il faut s'aider.
06:21On va écouter le témoignage de quelqu'un que vous connaissez bien, Serge Martin,
06:26qui était l'ancien président de l'association pour le souvenir de Maillé,
06:33et qui expliquait justement la difficulté à vivre avec ce souvenir.
06:37Serge Martin qui avait perdu toute sa famille dans ce drame. On l'écoute.
06:41Au début, c'était trop difficile, c'était trop dur d'en parler.
06:44On n'en parlait pas.
06:46Puis après, je ne sais pas, c'est devenu une autre histoire.
06:49On pensait que ça n'intéressait personne et on n'en parlait pas.
06:52Il a fallu attendre 50 ans.
06:55Je pense qu'il y avait une forme de respect de la douleur des autres.
06:59On n'avait pas envie d'en parler, surtout avec les gens qu'il y avait connus,
07:03qui avaient souffert cette journée. Je pense qu'il y avait ça un peu.
07:08Jacqueline, on vient d'entendre Serge Martin qui dit
07:11qu'on a eu beaucoup de mal à parler de ce qui s'est passé pendant des années.
07:14Vous aussi, ce fut votre cas ?
07:22J'ai beaucoup de mal à m'expliquer.
07:27Parce que c'est très dur à expliquer ce qui s'est passé.
07:37Je vais fermer les yeux.
07:41Je ne vais plus voir Maillé comme il est là aujourd'hui.
07:45Je vais le voir dans ses flammes.
07:53Dans sa fumée.
08:00Arnaud, quand vous entendez ce que dit Jacqueline,
08:03avec toute l'émotion qu'on ressent,
08:06vous qui n'avez pas connu cette histoire, comment vous vivez ce moment ?
08:10Pour moi, maintenant, ça fait aussi partie de ma vie,
08:13même si je ne l'ai pas vécue.
08:15Jacqueline, ça fait longtemps qu'on a pris le temps d'en discuter.
08:19Elle m'a raconté tout dans les détails de ce qu'elle a vécu.
08:22Je le vis complètement avec elle à chaque fois.
08:27C'est toujours la même émotion à chaque fois que je l'entends en parler.
08:30Parce que c'est presque ma grand-mère.
08:34C'est devenu ma grand-mère d'une certaine façon.
08:37J'ai perdu mes grands-parents assez jeunes.
08:40Et Jacqueline, dans le village, tout le monde l'appelle Mamie Jacqueline.
08:43C'est la mamie du village, notre mamie.
08:46Pour moi, c'est quelqu'un de ma famille qui a été touché au cœur.
08:49Pour moi, ça me touche profondément.
08:52C'est pour ça que chaque année, c'est évident que je vais trouver des moments
08:55pour venir l'accompagner à Maillé.
08:57Romain Taiffé, à l'image de ce qu'on entend avec le témoignage de Jacqueline
09:01et de ce que disait Serge Martin,
09:03beaucoup de survivants sont emprisonnés quelque part dans leurs souvenirs.
09:07Oui, mais c'est normal.
09:09Monsieur Martin disait tout le temps, on ne vit pas comme tout le monde.
09:12Et je crois qu'il y a de ça.
09:15C'est quelque chose qui revient de manière incessante
09:19dans le sommeil, dans les moments d'ennui, etc.
09:23Et c'est normal.
09:24Et ça, c'est quelque chose d'inconcevable.
09:25Pour nous qui n'avons pas vécu ça,
09:27on ne peut pas s'imaginer ce que c'est que de vivre avec un tel traumatisme.
09:30Arnaud, vous avez le même sentiment ?
09:31Oui, oui, complètement.
09:32Mais Jacqueline, elle me dit, elle me disait encore hier,
09:37jusqu'à ses 20 ans, elle a fait grandir sa petite sœur avec elle.
09:41Donc sa petite sœur, elle a continué à grandir avec elle
09:44jusqu'à un moment où elle dit, je n'ai pas pu l'emmener plus loin.
09:47Mais voilà, il y a quelque chose de...
09:50C'est viscéral.
09:52Jacqueline, pourquoi c'est important encore aujourd'hui pour vous de venir ici ?
09:58Pourquoi ?
09:59Vous ne me posez pas cette question, monsieur.
10:02Je vis aujourd'hui ma journée d'il y a 80 ans.
10:06Est-ce que vous savez ce que c'est que 80 ans dans la vie d'une personne ?
10:12Et moi, j'avais besoin de venir ici.
10:17J'y ai donné à qui sont enterrés.
10:23Et vous avez besoin aussi de raconter ce que vous avez vécu,
10:25parce que je crois qu'Arnaud...
10:27Ce n'est pas obligatoire.
10:28Ce n'est pas obligatoire, mais Arnaud, vous avez...
10:30Vous en avez besoin pour quoi ? Pour le but futur ?
10:37Vous avez confié votre histoire à Arnaud.
10:39Je crois que vous avez enregistré la parole de Jacqueline.
10:43En fait, la première année que je suis venu, ça m'avait paru évident.
10:48Parce qu'en fait, Jacqueline n'était pas originaire de Maillais.
10:51Ce qui fait que tous les livres, tous les témoignages qui ont été faits,
10:55tous les reportages qui ont été faits, ont été faits avec des gens du coin.
10:59Et Jacqueline, comme elle habite à 650 kilomètres,
11:01elle n'a jamais été interrogée.
11:03Et finalement, son histoire, elle est peu connue,
11:05même des gens qui ont vécu le massacre.
11:10Et donc, ça me paraissait important.
11:12Puis moi, il y a une...
11:14Vous vous sentez concerné ?
11:15Bien sûr, je me sens concerné.
11:17Et j'ai toujours dit à Romain que même le jour où Jacqueline ne serait plus là,
11:20je continuerai à venir.
11:22Parce que je ne connaissais pas l'histoire de Maillais avant,
11:24mais maintenant, je ne peux pas faire comme si je ne l'avais jamais connue.
11:26Donc, je me sens concerné.
11:28Vous êtes un passeur de mémoire, en quelque sorte ?
11:30Bien sûr, c'est évident.
11:31Parce qu'il y a de moins en moins de survivants pour leur raconter.
11:34Mais nous, on a été, disons, des témoins privilégiés
11:37de part les gens qui l'ont vécu.
11:39Et donc, c'est important, c'est essentiel qu'on soit des passeurs de mémoire.
11:44Romain Taillefay ?
11:47Ça, il faut me prendre par la main le matin.
11:51Et m'accompagner toute la journée.
11:55Parce qu'il faut être fort pour m'aider.
11:59Ce travail d'accompagnement, c'est ce que l'on fait,
12:02on essaye de le faire au quotidien.
12:04Mais je crois, ce que dit Arnaud,
12:06il y a une vraie responsabilité pour nous,
12:09qui sommes les témoins des témoins.
12:11On est les témoins des témoins.

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