Dans son ouvrage passionnant "Au commencement était la guerre", Alain Bauer cite Douglass Mac Arthur : « L’histoire d’une défaite peut presque toujours se résumer en deux mots : trop tard. Trop tard à comprendre les objectifs dévastateurs d’un ennemi potentiel. Trop tard à réaliser le danger mortel qu’il représente. Trop tard à se préparer ». [...]
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00:00Dans son ouvrage passionnant « Au commencement était la guerre »,
00:13Alain Boer cite Douglas MacArthur « L'histoire d'une défaite peut presque toujours se résumer en deux mots.
00:19Trop tard. Trop tard à comprendre des objectifs dévastateurs d'un ennemi potentiel.
00:25Trop tard à réaliser le danger mortel qu'il représente.
00:29Trop tard à se préparer. »
00:31Transposé dans le contexte d'entreprise, cet avertissement suggère qu'il convient de se méfier de tout ce qui ressemble à des routines passives,
00:38générées par une attention exclusivement portée sur les activités courantes.
00:44Gérer les opérations de son mieux n'incite guère à faire face aux évolutions à venir, à préparer les coups d'après.
00:50Tout de plus peut-on arriver en forme pour les batailles de demain, avec des ressources,
00:55au sens de poches bien garnies, en espérant que cela suffira.
01:00Mais cela pourrait ne pas suffire.
01:03Jacques Maison-Rouge, ancien dirigeant d'IBN dans les années 60 et 70,
01:07l'époque de la toute-puissance du groupe informatique américain,
01:11recommandait au manager de vivre avec un sentiment d'interrogation et de préoccupation, voire d'inquiétude, face à l'avenir.
01:19Il n'était pas homme à cultiver l'angoisse ou l'anxiété associée à la crainte de territoires inconnus à explorer,
01:25à défricher et à construire.
01:27Il suggérait simplement de garder un œil sur le futur pour le préparer, tout en s'occupant de gérer le présent.
01:35L'histoire espiègle aura voulu qu'il quitte IBM au moment de la révolution de la micro-informatique.
01:42Mais sur le principe, rien de plus normal qu'une telle ambidextrie.
01:46Le présent pour la main droite et le futur pour la gauche, ou inversement, tant que l'attelage ne tire pas à eux et à Dia.
01:53C'est ce que la littérature en management stratégique a retenu comme la combinaison salutaire
01:59exploitation-exploration.
02:02Exploitation pour la gestion des opérations d'aujourd'hui,
02:05exploration pour la construction d'avantages concurrentiels par l'innovation pour demain.
02:10Pourtant, les réflexes ne sont pas toujours en adéquation avec ce principe.
02:15Nous savons que les carrières des managers sont le plus souvent construites sur de l'excellence opérationnelle,
02:20plus que sur de la vista stratégique et des capacités à préparer les étapes suivantes.
02:25En outre, si MacArthur a raison de désigner l'impréparation comme un péché mortel pour le stratège,
02:31encore faut-il pouvoir identifier à quelle menace se préparer.
02:36Giovanni Dozi cite l'exemple de Moctezuma confronté à l'arrivée de Cortès.
02:41Comment l'empereur aztèque aurait-il pu, à l'époque, nous parlons de 1520,
02:46Imaginez voir arriver un jour des hommes blancs, en armure, avec des canons en métal lourds et des chevaux.
02:52C'était-ce tout simplement inconcevable pour lui ?
02:55Comment se préparer à l'impensable ?
02:58Dès lors, se préparer oui, mais à quoi ?
03:02Se préparer au résultat d'une projection issue d'un exercice de prévision.
03:06C'est typiquement la posture des sciences économiques que de penser pouvoir prévoir le futur.
03:11Il y a là un péché d'orgueil régulièrement sanctionné par des constats d'erreur.
03:16Mais c'est tentant et rassurant pour les dirigeants.
03:19En extrapolant les courbes de vente de véhicules électriques,
03:22on peut imaginer planifier des actions pour entrer dans la danse et ne pas laisser Tesla emporter tout le marché.
03:28Se préparer au futurible, c'est-à-dire au futur possible,
03:33au sens de scénario envisageable pour demain dans leur diversité vue d'aujourd'hui.
03:39C'est la posture de la prospective que d'aider les décisionnaires à se préparer à la diversité des futurs possibles.
03:46Mais les futuribles auront du mal à capter les impensés.
03:49Même les prospectivistes aztèques, les plus échevelés s'il en avait existé,
03:54auraient eu du mal à imaginer l'arrivée d'Espagnols belliqueux et retorts,
03:58avec force chevaux et canons dans l'Amérique centrale du XVIe siècle.
04:03Se préparer à l'indéterminé, c'est par définition impensable.
04:07À défaut de disposer d'une cible ou d'un cap, même parmi d'autres,
04:11il n'est alors possible que de travailler ses capacités de réaction.
04:15Il s'agit alors d'apprendre à changer de cap dans l'urgence,
04:18pour être prêt à virer de bord si et quand un impensé, car impensable, apparaît.
04:24La préparation devient alors affaire de jeu de jambes pour rebonder dans une toute autre direction aussi vite que possible.
04:31En creux, cela veut aussi dire que l'on a préparé les esprits à d'éventuels changements soudains
04:36en ayant attendri par avance les inévitables forces d'inertie que les organisations sécrètent en leur sein.
04:44ITT n'a pas su, à la fin des années 1970, se sortir d'une prévision de son marketing
04:48selon laquelle la commutation dans les centraux télécoms resterait spatiale jusqu'en 1983.
04:56Sic.
04:57ITT a fini par devoir vendre sa division télécom à Alcatel,
05:00qui avait introduit le multiplexage en 1970,
05:05qui sera digitalisé dans la foulée.
05:09ETELSAT semblait disposer d'une stratégie sans faille pour placer et gérer sur orbite géostationnaire
05:14des satellites de transmission télévisuelle jusqu'à ce qu'il apparaisse que les jeunes ne regardaient plus la télé en direct,
05:21mais en replay via Internet.
05:23Parmi les futuribles, ce scénario n'avait pas été imaginé.
05:28Moctezuma, pris en otage par l'expédition espagnole de Cortez, finira mal.
05:32Avec 630 hommes tout au plus,
05:35les conquistadors vaincront l'Empire aztèque fort de 20 millions d'habitants.
05:40S'il y a eu faute stratégique d'ITT et d'ETELSAT parce qu'impréparation,
05:45on ne peut blâmer Moctezuma d'impréparation,
05:47mais plutôt d'avoir réservé un accueil amical à des envahisseurs européens conquérants.